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Discipline

 Ce mot, comme disciple, vient du latin discere, apprendre. Etymologiquement il a donc un sens étendu, il désigne à la fois le fait d'apprendre et lamanière d'apprendre, comme doctrine (de docere, enseigner) désigne à la fois l'acte d'instruire et la façon d'instruire ; puis, par une extension naturelle, discipline s'est dit parfois des choses mêmes qu'on apprend, comme doctrine des choses mêmes qu'on enseigne.

Mais ce n'est pas cette acception large et un peu vague qui a prévalu dans la langue. L'usage a distingué l'un et l'autre les mots discipline et doctrine non seulement en ce que l'un regarde l'élève et l'autre le maître, mais en attachant surtout au mot doctrine l'idée d'instruction et de direction intellectuelle, au mot discipline l'idée d'éducation et de direction morale. La discipline est l'ensemble des règles et des influences au moyen desquelles on peut gouverner les esprits et former les caractères. Ces moyens d'action peuvent s'exercer soit sur l'élève isolé, soit sur une réunion d'élèves ; ils peuvent s'appliquer soit à l'intelligence, soit à la volonté, soit à d'autres facultés, soit surtout à l'ensemble du développement spirituel. Comme la discipline est principalement nécessaire et ses avantages plus manifestes quand il s'agit d'éducation collective et de direction d'ensemble à imprimer, le mot discipline éveille tout particulièrement l'idée d'école ou de collège ; par extension, au lieu de le réserver au gouvernement d'enfants, on a dit la discipline d'une armée, la discipline d'un monastère ou d'une association ; on dit aujourd'hui la discipline d'un parti politique.

Chacune de ces acceptions, limitée à une application spéciale, modifie le sens primitif et fondamental du mot.

Nous n'avons à nous occuper dans ce Dictionnaire que de la discipline pédagogique ; et comme elle trouve son application la plus importante et la plus complète dans les classes, nous consacrons ci-dessous un article à part à la discipline scolaire. C'est dans cet article que seront passés en revue les moyens et les procédés qui assurent la bonne tenue de la classe, l'autorité du maître et l'efficacité de l'enseignement.

Au point de vue général et philosophique, on peut dire de la discipline, comme de toute l'éducation : il y a deux méthodes en présence, la méthode autoritaire et la méthode libérale ; il y a deux disciplines, dont l'une agit surtout du dehors, l'autre surtout du dedans ; l'une prescrit et défend au nom du droit qu'a le maître, elle ne souffre ni résistances ni exceptions, elle s'impose comme règle indiscutable ; l'autre tient plus encore à se faire comprendre qu'à se faire obéir, à être approuvée qu'à être suivie : c'est l'élève plutôt que le maître qui l'établit, et son empire dépend plus de la persuasion que de l'autorité. « Le but de l'éducation morale, dit Herbert Spencer, est de former un être apte à se gouverner lui-même, non un être apte à être gouverné par les autres » ; de là cette conséquence : le système de discipline qui convient le mieux à l'enfant est celui qui lui apprendra le mieux à se commander à lui-même, c'est la discipline spontanée en quelque sorte. Au point de vue intellectuel, la meilleure discipline est celle qui fait aimer l'étude, qui apprend à réfléchir, qui porte au travail personnel, libre et volontaire ; au point de vue moral, c'est celle qui instruit l'enfant non par le seul moyen des récompenses et des punitions, mais surtout par les conséquences naturelles de ses actes, par l'expérience propre du bien et du mal qu'il se fait à lui-même. Herbert Spencer, dans sa belle étude sur l'éducation morale, a esquissé cette méthode, en l'appliquant surtout, il est vrai, à l'éducation domestique. Il insiste en particulier sur la nécessité d'établir par une transition naturelle le passage de l'enfance à la jeunesse et de l'école à la vie, passage dangereux auquel prépare si mal une discipline purement autoritaire. « Que l'histoire de votre législation domestique, dit-il spirituellement, soit en petit l'histoire de notre législation politique: au début, l'autorité despotique, quand cette autorité est réellement nécessaire ; bientôt après, un constitutionnalisme naissant, où la liberté du sujet est, sur quelques points, reconnue ; ensuite, des extensions successives de la liberté du sujet, pour finir par l'abdication du maître. »

On contestera peu la justesse de ces principes en tant que principes de psychologie et de pédagogie rationnelle ; la difficulté commence quand on entreprend de les appliquer à l'éducation en commun, et surtout à l'éducation populaire. C'est là pourtant qu'il serait le plus nécessaire de les introduire.

Avant tout, il faudrait ruiner dans l'esprit de nos maîtres une certaine idée de la discipline, idée fausse qui les égare : c'est l'assimilation à quelque degré de la discipline scolaire à la discipline militaire. Une classe qui manoeuvre avec la régularité ponctuelle d'un régiment, c'est un spectacle qu'il ne faut pas admirer. Il ne doit y avoir pour ainsi dire rien de commun entre le bon ordre du régiment et le bon ordre de la classe : l'un consiste à grouper en vue d'un immense effort commun des forces physiques qui seraient perdues si elles n'étaient en quelque sorte mathématiquement réglées, et pour cela on demande à des hommes faits de se plier à des lois mécaniques, dont on a calculé les effets ; l'autre consiste à éveiller, â stimuler, à diriger des forces intellectuelles et morales à peine naissantes, et qui n'achèveront de se former que si on leur ménage un libre et graduel exercice.

On ne discipline pas des enfants comme on dresse des animaux, parce que le dressage est fait pour déformer le naturel de l'animal et la discipline au contraire pour former le caractère de l'enfant. Il n'y a pas de procédé automatique pour donner à un esprit l'habitude et le pouvoir de se diriger lui-même, pas plus qu'il n'y a de procédés mécaniques pour assurer l'éclosion de la fleur ou la croissance de l'être vivant. Il faut donc mettre au rang des idées les plus superficielles et les plus inexactes cet idéal d'une discipline inflexible et invariable, merveilleuse de régularité, de précision et de puissance, qui fonctionnerait comme une machine perfectionnée.

Les prescriptions des règlements scolaires, l'uniformité d'exercices et de mouvements, la loi du silence et de l'immobilité et toutes les autres obligations que nous imposons dans nos écoles, ne viennent pas de la nature des choses ou des principes de la pédagogie, ce ne sont pas des devoirs moraux à proprement parler, mais seulement des nécessités résultant du fait matériel de la réunion d'un grand nombre d'enfants dans un même local, sous un même maître qui doit suffire à tout et à tous. Ce sont autant de gênes et de limites à la liberté, à la spontanéité, à la gaieté de l'enfance, qu'il nous est impossible d'éviter, mais qu'il serait absurde d'ériger en axiomes ou de prendre sérieusement comme points essentiels de discipline Ils ne constituent pas la discipline, ils en font plutôt l'embarras et la complication. Sans doute, il faut s'en préoccuper, mais le maître qui ne ferait consister la discipline que dans l'exact accomplissement de ces règles et de ces formalités n'aurait pas même entrevu la véritable portée et la valeur éducative de la discipline scolaire.