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Diesterweg (Adolphe)

Né à Siegen, en 1790, mort à Berlin en 1866, Diesterweg a laissé en Allemagne la réputation d'un pédagogue éminent. Après avoir fait, de bonnes études classiques et universitaires, il fut successivement professeur de gymnase et d'écoles modèles, précepteur, enfin directeur d'une école normale primaire à Mors, près Cologne, de 1820 à 1832. Il se distingua si bien dans sa nouvelle carrière à la fois comme directeur, comme professeur et comme écrivain, qu'il fut appelé à Berlin en 1832, pour y diriger l'école normale de cette ville. Il resta à la tête de cet établissement jusqu'en 1847.

Il avait déjà publié en 1820 un opuscule sur l'Education en général et l'éducation scolaire en particulier, qui fut suivi de plusieurs travaux didactiques. En 1827, il commence à faire paraître un journal, les Rheinische Blatter, où il déposa depuis lors, d'année en année, quelques-unes de ses meilleures pensées, sous la forme vive et familière qui convenait à son tour d'esprit. En 1850, il publie, avec l'aide d'autres professeurs distingués, le Wegweiser ou Guide pour former les maîtres allemands, ouvrage considérable, qui traite de l'enseignement en général et des divers enseignements en particulier. En 1840, il compose l'Astronomie populaire (Himmelskunde) avec la Géographie astronomique, qui passe pour son chef-d'oeuvre didactique.

Tout en poursuivant ses travaux professionnels, il se mêlait avec ardeur à des controverses sur différents sujets relatifs à l'instruction : par exemple, le système lancastérien ou d'enseignement mutuel, alors en vogue, auquel il reprochait d'être un simple expédient, un utile mécanisme d'instruction extérieure, sans valeur éducative ; ou encore, l'usage des langues classiques dans l'éducation normale. S'il eut, dans ces discussions, des contradicteurs passionnés, il fut aussi soutenu par des disciples ardents et nombreux. Ses écrits, ses leçons, ses rapports directs avec les maîtres lui acquirent à Berlin et dans toute l'Allemagne scolaire une grande et salutaire influence.

Diesterweg ne se pique pas d'être un créateur, ni même un réformateur original en pédagogie. C'est un éclectique cherchant avant tout le progrès pratique. Il marche sur les traces de Rousseau et surtout de Pestalozzi. Son mérite est d'avoir été l'apôtre infatigable de la méthode naturelle, de l'avoir saisie dans ses plus hauts principes, de l'avoir mise en plein relief dans des écrits d'occasion, de l'avoir appliquée aux enseignements particuliers, enfin d'avoir formé une légion de maîtres pénétrés du même esprit. Pour lui l'instruction est avant tout éducation : d'abord éducation des facultés spéciales, ensuite de l'homme tout entier, envisagé dans son unité complexe, à la fois intelligent, moral, religieux. Et la véritable éducation n'est pas autre chose que le développement : le développement des forces et des germes naturels conduit en conformité avec les lois de la nature, comme aussi avec les données générales et les exigences de la culture de telle ou telle époque. Ce n'est donc pas du dehors, par la voie d'autorité, de la mémoire, et sous la forme d'un savoir tout fait, que doit venir l'instruction ; c'est du dedans : c'est-à-dire qu'il faut prendre le point d'attache dans la réalité, dans l'Anschauung (intuition), dans ce que l'enfant ou l'élève voit, observe, sent, comprend, dans ce qui est déjà partie de lui-même. Apprendre est peu et n'aboutit qu'à un résultat d'utilité restreinte ; l'important est de s'assimiler les choses au sens rigoureux du mot, et, par cette assimilation, de fortifier et de régler les facultés naturelles et de former l'homme en tout homme.

Il n'y a rien là de bien nouveau. Ce qui l'est, c'est le sentiment élevé qui règne dans tous les écrits de Diesterweg au sujet de la nature humaine, de l'éducation, de la mission de l'instituteur ; c'est la manière rationnelle, philosophique, religieuse, et en même temps sensée, pratique, de traiter ces grandes questions. On peut dire que le meilleur de l'esprit germanique se retrouve dans le vaillant directeur d'école normale : la Gründlichkeit, ou l'habitude d'aller au fond des choses ; la parfaite sincérité, qui ne se paie pas d'apparences superficielles, de formules de convention, qui ne veut pas plus se mentir à soi-même que mentir à autrui.

Cette sincérité n'est pas, même en Allemagne, du goût des partis, et surtout des partis ecclésiastiques : elle coûta cher à Diesterweg. Sa doctrine sur la vraie portée de l'éducation, qui doit embrasser tout l'homme, même l'homme religieux, et sur la vraie méthode, qui ne présente à l'esprit de l'élève — en religion comme en tout le reste — que ce qu'il peut assimiler soit à son intelligence, soit à son sentiment intuitif, devait le mettre en conflit avec l'orthodoxie protestante. Elle le conduisit de bonne heure à mettre au premier rang des choses de l'éducation primaire et des devoirs de l'instituteur l'enseignement religieux, qui correspond à un fait naturel et essentiel de l'âme humaine, ainsi qu'à un des grands éléments de l'histoire ; mais en même temps à éliminer de l'éducation l'enseignement confessionnel ou ecclésiastique, c'est-à-dire le catéchisme dogmatique, qui varie selon les églises, qui divise au lieu d'unir, et que l'esprit ne s'assimile pas naturellement.

Diesterweg s'exprima toujours sur cette délicate question, aussi brûlante en Allemagne qu'en France, avec beaucoup de respect pour les choses et les personnes de la religion ; mais sa franchise s'accrut avec son expérience même de la pédagogie. Quand, en 1840, le pouvoir passa entre les mains du parti réactionnaire ou orthodoxe (ministère Eichhorn), les tracasseries commencèrent pour ne plus s'arrêter : en 1847, on finit par l'accuser de tendances démagogiques, socialistes, communistes, parce qu'il avait attiré l'attention du public sur l'état de misère matérielle et morale des populations industrielles. Il dut résigner son emploi, mais sans que sa considération et son bonneur en souffrissent aucune atteinte. Il conserva quelques années son traitement, et reçut, en outre, mission de l'Etat pour un voyage d'études scolaires.

Depuis lors, il s'occupa sans relâche de publications et de travaux de tout genre, relatifs, soit à l'enseignement, soit aux associations de maîtres. En 1855, il contribua par son opposition énergique à atténuer les mauvais effets des Regulative des 1er, 2 et 3 octobre 1854, édictés par le ministre von Raumer et qui subordonnaient en Prusse tout l'enseignement populaire au clergé. Il fut élu, en 1858, député de Berlin au Parlement ; et ce mandat lui fut renouvelé jusqu'à sa mort, arrivée en 1866, au moment de la guerre avec l'Autriche.

Il a laissé cinquante-quatre écrits, plus ou moins étendus, de didactique ou d'enseignement proprement dit, de méthodique, enfin de polémique sur divers sujets. En outre, les divers articles disséminés dans les Rheinische Blätter et dans le Pädagogisches Jahrbuch fourniraient la matière de plusieurs volumes. Il a paru en 1884 un choix très intéressant d'articles et de dissertations de Diesterweg, traduits par M. P. Goy, avec une introduction biographique (Hachette, 1 vol. in-18). On lira avec grand profit ce petit volume.

Félix Pécaut