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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

 Lorsque l'Assemblée nationale constituante eut nommé, le 6 juillet 1789, un premier Comité chargé de la distribution du travail relatif à la constitution, le rapporteur de ce Comité, Mounier, présenta, le 9 juillet, un rapport dans lequel il était dit : « Le Comité a cru qu'il serait convenable, pour rappeler le but de notre constitution, de la faire précéder par une Déclaration des droits des hommes. Cette Déclaration devrait être courte, simple et précise. » L'idée d'une semblable déclaration de principes était empruntée à l'Amérique ; le rapporteur du Comité de constitution nommé le 14 juillet, l'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, le reconnut expressément dans le rapport qu'il présenta le 27 juillet : « Cette noble idée, dit-il, conçue dans un autre hémisphère, devait ne préférence se transplanter d'abord parmi nous. Nous avons concouru aux événements qui ont rendu à l'Amérique septentrionale sa liberté : elle nous montre sur quels principes nous devons appuyer la conservation de la nôtre ; et c'est le Nouveau-Monde, où nous n'avions autrefois apporté que des fers, qui nous apprend aujourd'hui à nous garantir du malheur d'en porter nous-mêmes. » On discuta pendant trois séances, les 1er, 3 et 4 août, pour savoir si l'on ferait ou si l'on ne ferait pas une Déclaration des droits. Les défenseurs du privilège, et plus particulièrement les orateurs de la majorité du clergé, n'en voulaient pas. L'évêque d'Auxerre et l'évêque de Langres soutinrent qu'une Déclaration des droits était inutile ; le curé Grandin dit qu'elle serait imprudente. Et quand les opposants virent qu'ils allaient être battus, ils demandèrent qu'au moins on proclamât les devoirs de l'homme en même temps que ses droits. L'abbé Grégoire, le jurisconsulte janséniste Camus, parlèrent en faveur d'une Déclaration des devoirs ; l'évêque de Chartres dit que l'idée de devoir était un correctif nécessaire à l'idée de droit, et ajouta, aux applaudissements du clergé, « qu'il conviendrait de placer à la tête de la Déclaration quelques idées religieuses noblement exprimées ». Enfin le 4 août au matin, après une séance tumultueuse, l'Assemblée décida, par 570 voix contre 433, qu'on ferait une Déclaration des droits, et qu'on ne ferait pas une Déclaration des devoirs ; ce fut la première victoire, en France, de l'esprit rationaliste sur la théologie.

Plusieurs projets de Déclaration furent successivement présentés à l'Assemblée ; elle donna la priorité, le 19 août, à celui qui avait pour titre « Projet de Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, discuté dans le sixième bureau ». Elle en aborda la discussion dès le lendemain, et continua à s'en occuper jusqu'au 26 août : à cette date, elle en avait adopté dix-sept articles, et il en restait encore plusieurs, des plus essentiels, à mettre en discussion. Le 27, comme le président (le comte de Clermont-Tonnerre) se disposait à faire discuter les articles non encore adoptés, il fut proposé de surseoir à ce débat, pour s'occuper sur-le-champ de la constitution, et de renvoyer à plus tard, c'est-à-dire à l'époque où la constitution serait terminée, l'examen des articles qui devraient être ajoutés à la Déclaration des droits : on alla aux voix, et la motion passa.

Les dix-sept articles adoptés du 20 au 26 août furent communiqués au roi. Pendant plus d'un mois, Louis XVI différa de faire connaître son opinion ; enfin, le 5 octobre, il écrivit à l'Assemblée pour lui dire « qu'il ne s'expliquait pas sur la Déclaration des droits de l'homme », parce que, à côté de « très bonnes maximes », elle renfermait « des principes susceptibles d'interprétations différentes ». L'Assemblée se montra fort mécontente de cette réponse dilatoire, et décida d'envoyer au roi une députation pour lui demander une acceptation immédiate et catégorique. Le président, Mounier, se rendit au château ; mais Louis XVI, troublé par l'arrivée des Parisiennes et des Parisiens qui venaient d'envahir Versailles, et projetant de fuir à Rambouillet, lui fit attendre longtemps sa réponse. Ce fut seulement à dix heures du soir qu'effrayé et vaincu, il se décida à accorder audience au président de l'Assemblée, pour lui annoncer qu'il cédait. « Vingt fois, a écrit Mounier dans son récit de cette scène, j'avais fait prévenir que j'allais me retirer si l'on ne me donnait pas l'acceptation. Enfin, après cinq heures d'attente, je fus appelé près du roi ; il prononça l'acceptation pure et simple. Je le suppliai de me la donner par écrit : il l'écrivit et la remit dans mes mains. Il avait entendu des coups de feu. » Ce n'est qu'à ces arguments-là que se rendent les rois.

La Déclaration, quoiqu'elle fût inachevée, fut aussitôt publiée ; le peuple l'accueillit avec enthousiasme ; Barnave, employant une expression malheureuse, l'appela un « catéchisme national ». Des dix-sept articles qui la composent, aucun n'a trait à l'instruction publique ; mais l'un d'eux, l'article 11, garantit « la libre communication des pensées et des opinions » ; il dit : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette li berté, dans les cas déterminés par la loi ». Sur la question de la liberté de conscience, la Déclaration ne contient pas l'affirmation catégorique du droit égal de tous en matière religieuse et philosophique ; la Constituante ne voulut admettre qu'une simple tolérance à l'égard des opinions religieuses hétérodoxes ; la Déclaration dit, à l'article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».

Deux ans plus tard, lorsque, le 7 août 1791, Thouret, au nom du Comité de constitution et du Comité de révision, réunis, donna lecture de l'ensemble du projet de constitution, précédé de la Déclaration des droits et d'un Préambule, il rappela à l'Assemblée qu'elle avait décidé, le 27 août 1789, que les articles à ajouter à la Déclaration seraient examinés quand la constitution serait finie, et il expliqua que les deux comités avaient cru devoir procéder autrement ; qu'ils avaient laissé la Déclaration intacte, et conservé ses dix-sept articles sans y rien ajouter ni changer : « Elle est devenue le symbole de la foi politique, elle est imprimée dans tous les lieux publics, affichée dans la demeure des citoyens de la campagne, et les enfants y apprennent à lire ; il serait dangereux d'établir en parallèle une Déclaration différente, ou même d'en changer la rédaction ». Quant aux dispositions qui, en 1789, n'avaient pas été insérées dans la Déclaration, les comités, dit Thouret, les avaient fait entrer dans un Préambule et dans un titre Ier (Dispositions fondamentales garanties par la constitution) rédigés à cet effet : « Ils y ont trouvé, de plus, l'avantage de perfectionner quelques dispositions de la Déclaration, qui pouvaient paraître, les unes insuffisantes, les autres équivoques, et dont on a déjà cherché à abuser ». On voit, par ces explications du rapporteur, que le Préambule et le titre 1er de la constitution de 1791 sont inséparables de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et en font en quelque sorte partie intégrante, puisque, en les adoptant, l'Assemblée nationale entendit compléter la Déclaration et la « perfectionner ».

Voici les parties du Préambule et du titre Ier qui, ayant rapport à l'égalité des droits, à la liberté de penser, aux secours dus aux enfants abandonnés et aux pauvres infirmes ou sans travail, et à l'instruction publique, peuvent être regardées comme un complément de la Déclaration :

« PREAMBULE. — L'Assemblée nationale, voulant établir la constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits. Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime féodal, . ni aucun ordre de chevalerie. Il n'y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français. La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels, ou à la constitution.

« TITRE PREMIER. Dispositions fondamentales garanties par la constitution. — La constitution garantit, comme droits naturels et civils : . La liberté à tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d'exercer le culte religieux auquel il est attaché, — Il sera créé et organise un établissement général de secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n'auraient pas pu s'en procurer. — Il sera créé et organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division du royaume. — Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la constitution, à la patrie et aux lois. »

Après la chute du trône, lorsqu'une Convention nationale eut été élue pour donner une nouvelle constitution à la France, le Comité de constitution de cette assemblée lui présenta, le 15 février 1793, un projet de constitution républicaine précédé du projet d'une nouvelle Déclaration des droits de l'homme. Une commission de six membres, nommée pour faire l'analyse des divers projets de constitution envoyés à la Convention, présenta, le 17 avril, par l'organe de Romme, un second projet de Déclaration. Le 21 avril 1793, Maximilien Robespierre lut à la Société des Jacobins, qui l'adopta, un troisième projet. Enfin, le 29 mai, le projet de Déclaration élaboré par le Comité de constitution (celui du 15 février), projet qui avait été discuté par l'assemblée du 17 au 22 avril, et amendé par elle, fut présenté à la Convention sous sa forme définitive par Barère, au nom du Comité de salut public, et adopté à l'unanimité. Il contenait entre autres les dispositions suivantes :

« ART. 7. — La liberté de la presse et de tout autre moyen de publier ses pensées ne peut être interdite, suspendue, ni limitée.

« ART. 22. — L'instruction est le besoin de tous, t la société la doit également à tous ses membres.

« ART. 23. — Les secours publics sont une dette sacrée, et c'est à la loi à en déterminer l'étendue et l'application. »

Il y avait dans le projet du 15 février un article disant : « Tout citoyen doit être libre dans l'exercice de son culte ». Cet article fut écarté le 19 avril par un vote formel de la Convention, par le motif, dit Vergniaud, « qu'une Déclaration des droits sociaux ne peut consacrer des principes absolument étrangers à l'ordre social », et que ce qui concerne l'exercice public des cultes appartient aux dispositions constitutionnelles relatives à la liberté civile.

Le 30 mai, une Commission de cinq membres fut nommée pour présenter dans le plus court délai, de concert avec le Comité de salut public, un plan de constitution « réduit aux seuls articles qu'il importe de rendre irrévocables par les assemblées législatives, pour assurer à la République son unité ;, son indivisibilité et sa liberté, et au peuple l'exercice de tous ses droits ». Cette Commission présenta son travail à la Convention le 10 juin ; elle avait placé en tête la Déclaration des droits votée le 29 mai. A l'article de la constitution intitulé « Garantie des droits », le Girondin Boyer-Fonfrède proposa, le 18 juin, d'ajouter « la liberté des cultes » ; mais Levasseur (de la Sarthe) combattit la proposition, et Robespierre proposa l'ordre du jour, motivé sur ce que le principe de la liberté des opinions était consacré dans la Déclaration, et que cela suffisait. Boyer-Fonfrède se rallia à l'ordre du jour ainsi motivé. Robespierre demanda ensuite que le Comité de salut public fût chargé de présenter une nouvelle rédaction de la Déclaration, « dont plusieurs articles ne cadrent plus avec la constitution, et même l'altèrent » ; ce qui fut voté. Cette nouvelle rédaction fut apportée à l'assemblée le 23 juin par Hérault de Séchelles. Raffron du Trouillet demanda que le titre de la Déclaration fût « Déclaration des droits et des devoirs de l'homme de société » ; Robespierre combattit cette proposition, en disant : « Je me rappelle que l'Assemblée constituante, à l'époque où elle était encore digne du peuple, a soutenu un combat pendant trois jours contre le clergé, pour qu'on n'insérât pas dans la Déclaration le mot devoirs. Vous devez simplement poser les principes généraux des droits du peuple, d'où dérivent naturellement ses devoirs ; mais vous ne devez pas insérer dans votre Déclaration le mot devoir. » La proposition de Raffron fut rejetée, et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée telle que le Comité de salut public la proposait. Dans la nouvelle rédaction de la Déclaration, le Comité avait fait figurer, comme une concession à Boyer-Fonfrède et à ses amis, « le libre exercice des cultes », et cette fois aucune réclamation ne fut élevée à ce sujet.

Vord le texte des articles de la Déclaration des droits de l'homme du 23 juin 1793 relatifs à la liberté des opinions, aux secours et à l'instruction :

« ART. 7. — Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s'assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. La nécessité d'énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.

« ART. 21. — Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.

« ART. 22. — L'instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. »

La constitution du 24 juin 1793 contient un article (l'avant-dernier) qui énumère, comme l'avait fait le titre Ier de la constitution de 1791, mais de façon plus succincte, les droits garantis par l'acte constitutionnel ; et un article final, ajouté au dernier moment, où le Comité, pour donner satisfaction à ceux qui pensaient comme Raffron du Trouillet, avait, sans introduire le mot devoir, parlé des vertus. Voici ces deux articles, qui, de même que le préambule et le titre Ier de la constitution de 1791 complétaient la Déclaration monarchique de 1789, forment le complément naturel de la Déclaration républicaine de 1793 :

« ART. 122. — La constitution garantit à tous les Français l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété, la dette publique, le libre exercice des cultes, une instruction commune, des secours publics, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en sociétés populaires, la jouissance de tous les droits de l'homme.

« ART. 123. — La République française honore la loyauté, le courage, la vieillesse, la piété filiale, le malheur. Elle remet le dépôt de sa constitution sous la garde de toutes les vertus. »

Lorsque, en l'an III, la Commission des Onze eut écarté la constitution de 1793, « cette constitution qui n'était autre chose que l'organisation de l'anarchie », elle écarta naturellement du même coup la Déclaration des droits de l'homme qui la précédait. Elle y substitua une Déclaration en vingt-trois articles, qui ne contenait aucune disposition relative à l'instruction publique ni aux secours publics ; le rapporteur, Daunou, annonça que le but de la Commission n'avait pas été « de faire une nouvelle Déclaration des droits, mais d'ôter à la première ce qu'elle avait de royaliste et à la dernière ce qu'elle avait d'anarchique, pour en composer un ensemble aussi parfait que possible ». Faure demanda, le 11 messidor an III, qu'une Déclaration des devoirs fût jointe à la Déclaration des droits : c'est à l'absence d'une semblable Déclaration qu'il attribuait tous les maux dont la France avait souffert. Cette fois, l'assemblée adopta la proposition qui avait été rejetée à deux reprises, en 1789 et en 1793 ; en conséquence, le 16 messidor, au nom de la Commission des Onze, Daunou présenta un projet d'article « relatif à des devoirs trop méconnus et trop foulés aux pieds » ; on trouva que c'était trop peu, et le mois suivant, lorsque eut lieu la dernière lecture de la Déclaration et de la constitution, l'article relatif aux devoirs était devenu une Déclaration des devoirs en neuf articles (26 thermidor), qui, malgré l'opposition de quelques membres, fut adoptée ; elle contenait entre autres cette affirmation caractéristique :

« ART. 8. — C'est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail, et tout l'ordre social. »

Lorsqu'on parle, aujourd'hui, de la Déclaration des droits de l'homme, personne, bien entendu, ne pense à celle de l'an III : les uns, le plus grand nombre, songent à celle de 1789, qui est la plus connue ; les autres entendent celle de 1793, qui reflète les opinions politiques et sociales des conventionnels de la Montagne. Dans sa séance du 28 mars 1901, la Chambre des députés fut saisie d'une proposition de MM. Dauzon, Baudon, Klotz et Périllier ainsi conçue : « La Chambre invite le gouvernement à faire afficher dans toutes les écoles la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». La Chambre adopta la proposition par 542 voix contre une. Les auteurs de la motion avaient eu en vue la Déclaration de 1789. Divers membres ayant proposé que cette motion fût étendue à la seconde Déclaration, celle de juin 1793, la discussion de cette proposition additionnelle fut renvoyée, par 283 voix contre 247, jusqu'après le vote de la loi sur le droit d'association. Elle fut adoptée quelques semaines plus tard, le 14 mai, à l'unanimité de 468 votants. Mais, après avoir entendu plusieurs propositions complémentaires, tendant à l'affichage dans divers lieux publics, la Chambre vota, sur la motion de M. Bertrand, le renvoi de l'ensemble du projet de résolution à la Commission du budget, par 324 voix contre 230. La Commission du budget n'ayant pas fait de rapport, les votes du 28 mars et du 14 mai 1901 n'ont pas abouti à un résultat pratique ; mais ils ont témoigné qu'aux yeux de la représentation nationale, c'est dans les deux Déclarations de 1789 et de 1793 que doivent être cherchés les principes politiques et sociaux dont s'inspire la France républicaine : de nos jours comme au temps de la Révolution, il convient, pour employer l'expression de Thouret, que « les enfants y apprennent à lire ».