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Daunou (Jean-Claude François)

 Daunou appartient à la pédagogie tant par son enseignement dans les collèges de l'Oratoire avant la Révolution, et son projet de réforme scolaire publié en 1789, que par le rôle important qu'il joua dans les débats sur l'instruction publique, à la Convention, au Conseil des Cinq-Cents, et, dans sa vieillesse, à la Chambre des députés sous la monarchie de Juillet.

Né à Boulogne-sur-Mer en 1761, il fit son éducation chez les Oratoriens, et dès 1777, quoiqu'il n'eût que seize ans, l'ordre dont il avait été l'élève, dérogeant à la règle en sa faveur, l'admettait dans son sein. Après quelques années passées dans les degrés inférieurs de l'enseignement, on le voit en 1784, chargé de professer la philosophie au collège de sa ville natale, et bientôt après au collège de Montmorency. En 1787, il fut ordonné prêtre. Dès cette époque, il commençait à se faire connaître par ses écrits composés à l'occasion de divers concours académiques. Les événements de 1789 furent pour lui le signal d'une activité nouvelle, qui devait bientôt le pousser dans la carrière politique. L'Oratoire était en général favorable aux réformes ; Daunou, pénétré des idées philosophiques du dix-huitième siècle, embrassa avec ardeur la cause de la Révolution. Sa grandepréoccupation, dès ce moment, était l'organisation de l'éducation nationale. Le Journal encyclopédique de 1789 publia une série de lettres dans lesquelles le jeune oratorien exposait un plan remarquable, qui attira sur lui l'attention publique. « Daunou, dit un de ses biographes (son ami A.-H. Taillandier), distingue quatre éducations qui peuvent se succéder pour le même individu. Il y a d'abord celle de la première enfance : cette éducation est nécessairement domestique. La seconde peut être publique ; il fixe en général son commencement à la sixième année de l'élève, et sa fin à la dixième. La troisième correspond à celle que l'on reçoit dans les collèges ; et la dernière est celle qui nous prépare à quelque profession déterminée. La première période de l'éducation doit être en quelque sorte négative, comme l'a dit Rousseau. » Quant à la seconde période, Daunou la considère comme la plus importante. « Pendant la première année, les enfants ne devraient être assujettis qu'à deux heures d'étude par jour, une heure le matin et autant le soir. Cette première année serait surtout consacrée à apprendre à lire, et elle devrait suffire si l'on employait une méthode perfectionnée d'après les judicieux conseils de Dumarsais, de Duclos et des autres grammairiens philosophes. Dès la seconde année, les enfants commenceraient à écrire et se perfectionneraient dans la lecture. Dans la troisième, on prolongerait d'une heure par jour le temps du travail Les élèves, en continuant de lire et d'écrire, recevraient aussi quelques leçons d'arithmétique. La quatrième année serait spécialement destinée à la grammaire française, à l'orthographe et à l'histoire naturelle.

« Pour mettre ce plan d'études à exécution, Daunou aurait voulu qu'on établît dans chaque centre de population une école qui pût contenir quatre classes correspondantes aux quatre années dont il vient de parler. Le même maître pourrait toujours tenir deux de ces classes à des heures différentes. Les trois premières seraient gratuites ; la quatrième, qui ne devait point l'être, n'existerait pas dans les villages. Quant aux trois autres, elles pourraient y être modifiées de manière qu'elles fussent aisément gouvernées par un seul maître. »

Pour les collèges, Daunou demande une transformation radicale de l'enseignement, et donne le programme de chacune des huit années d'études. Il dépeint sous des couleurs fort noires les vices du système des pensionnats. « Oh! s'écrie-t-il, si tous ceux qui ont passé dans les pensionnats les précieuses années de leur jeunesse ; si tous ceux qui ont été préposés à ces sinistres institutions consentaient à nous faire un récit fidèle des désordres dont ils ont été les témoins, ou les auteurs, ou les victimes, moins de parents, nous n'en doutons pas. chercheraient à se décharger de la vigilance à laquelle ils sont naturellement obligés. »

Le plan que Daunou exposait dans ces lettres fut agréé par l'Oratoire. L'auteur le rédigea alors en articles de loi, avec quelques modifications, et l'adressa en 1790 à la Constituante, sous ce titre : Plan d'éducation présenté à l'Assemblée nationale au nom des instituteurs publics de l'Oratoire. Voici, en ce qui touche l'enseignement primaire, les dispositions principales de ce projet :

Dans chaque communauté d'habitants, il sera établi autant d'écoles qu'il y aura de fois 60 élèves destinés à les fréquenter (titre Ier, art. 1er). Dans chaque école, les élèves seront partages en deux classes au moins, selon leur âge et leurs progrès (art. 2). Dans les chefs-lieux de canton, il y aura une troisième classe, et une quatrième dans les chefs-lieux de district (art. 6 et 7). Tout châtiment corporel consistant à frapper les enfants sera banni de toute école publique de France (art. 13). Le titre IV traite de l'enseignement religieux, « que les curés ou vicaires donneront chaque dimanche dans les églises paroissiales aux enfants des premières écoles et des collèges ». Un titre spécial est consacré à l'enseignement des filles, qui doivent avoir dans chaque commune leur école spéciale, dirigée par une institutrice.

Le projet s'occupe aussi de l'éducation de l'héritier présomptif de la couronne : celui-ci devra être élevé en commun avec dix-neuf autres enfants de son âge, choisis par le roi.

Le plan d'éducation de l'Oratoire ne fut pas discuté par la Constituante, cette assemblée n'ayant pas eu le temps de s'occuper de l'organisation de l'instruction publique.

Daunou, qui s'était prononcé en faveur de la constitution civile du clergé, fut appelé en 1791, par l'évêque de Paris, au poste de vicaire métropolitain et de directeur du séminaire diocésain. Les électeurs du Pas-de-Calais l'enlevèrent presque aussitôt à ces fonctions pour l'envoyer siéger à la Convention. A partir de ce moment, il renonça définitivement au caractère ecclésiastique.

A la Convention, Daunou, quoique ferme républicain, ne se joignit pas à la Montagne, et resta dans les rangs du centre. Nommé membre du Comité d'instruction publique, il prit part, avec Sieyès, à la rédaction du projet présenté par Lakanal le 26 juin 1793, et publia à cette occasion un Essai sur l'instruction publique (Paris, Imprimerie nationale, juillet 1793, 50 pages), dont il a été parlé ailleurs (Voir Convention, pages 382 et 385). A la fin de ce remarquable travail, l'auteur résuma ses idées sous la forme d'un « Projet analytique d'une loi sur l'instruction publique ».

Trois mois plus tard (3 octobre 1793), Daunou, gui avait été l'un des signataires de la protestation secrète des Soixante-treize contre les journées du 31 mai et du 2 juin, fut emprisonné ; il ne rentra à la Convention que le 18 frimaire an III (1794). Replacé aussitôt dans le Comité d'instruction publique, ce fut lui qui présenta le rapport sur la clôture des cours de l'Ecole normale (7 floréal an III).

Sa haute intelligence et ses talents devaient bien vite lui conquérir une position prépondérante dans une assemblée où il ne restait plus guère que des médiocrités. Nommé membre de la Commission des Onze, Daunou fut le principal rédacteur de la constitution de l'an III. Sa compétence spéciale dans les questions d'éducation lui fit confier, en outre, l'élaboration du projet d'organisation de l'instruction publique, qui formait 1 une des lois organiques de la constitution. Ce projet, il faut le reconnaître, si on le compare à celui de Romme (octobre 1793), et même à celui que Lakanal avait fait adopter en brumaire an III, était une oeuvre bien imparfaite, et « l'esprit de réaction s'y faisait tristement sentir » (Despois). Mais la Convention, où l'élément montagnard avait perdu toute influence, l'adopta avec quelques modifications qu'y avait apportées le Comité d'instruction publique, et après avoir entendu un rapport lu par Daunou dans la séance du 27 vendémiaire an IV ; ce fut la loi du 3 brumaire an IV, qui devait rester en vigueur jusqu'en l'an X (1802).

Daunou, qui était devenu l'homme politique le plus considérable du moment, entra en brumaire an IV au Conseil des Cinq-Cents, auquel il avait été élu par vingt-cinq départements. Il en fut le premier président. En même temps, il devenait membre de 1 Institut, et ce fut lui qui prononça, le 15 germinal an IV, le discours d'inauguration de ce corps. Aux Cinq-Cents, toutefois, son activité fut de courte durée : il présenta un rapport sur l'organisation des écoles spéciales (26 floréal an V), qui fut imprimé ; mais, désigné par le sort pour faire partie du tiers sortant des Conseils, il ne fut pas réélu en l'an Y, grâce aux progrès de la réaction royaliste. En prairial an VII, il rentra aux Cinq-Cents, où il occupa de nouveau quelque temps la présidence. Il se tint à l'écart lors du coup d'Etat de brumaire an VIII ; mais, nommé ensuite l'un des membres de la Commission consultative du Conseil des Cinq-Cents, il prit part à la rédaction de la constitution de l'an VIII, dont il combattit inutilement certaines dispositions. Il refusa d'accepter un siège au Conseil d'Etat, que lui offrait Bonaparte : et, devenu membre du Tribunat, il fut l'un des chefs de l'opposition au gouvernement consulaire : aussi en germinal an X fut-il éliminé. Quoique Napoléon n'aimât pas Daunou, il désirait utiliser le savoir et les talents de l'ancien oratorien ; n'ayant pu lui faire accepter de fonctions politiques, il lui offrit en 1804 la place d'archiviste de l'empire. Daunou ne crut pas devoir refuser ; il avait adhéré au régime impérial en disant : « Après tout, c'est peut-être ce que nous pouvions avoir de mieux ». Il était résolu à se confiner désormais dans les travaux d'érudition qui ont contribué à illustrer son nom, mais dont nous n'avons pas à parler ici. La Restauration lui enleva son emploi de directeur des Archives ; mais en 1819, il fut nommé professeur au Collège de France, où il fit, durant douze années, un cours d'histoire qui a été publié de 1842 à 1849, en vingt volumes. Les électeurs de Brest l'envoyèrent à la Chambre des députés en 1819 et en 1828 : il y siégea sur les bancs de l'opposition. Réélu en 1830 après la révolution de Juillet, qui lui avait rendu sa place aux Archives nationales, il prit encore en 1831, à l'âge de soixante-dix ans, une part importante aux travaux relatifs à la réorganisation de l'instruction publique. M. de Montalivet avait présenté à la Chambre des députés, le 24 octobre 1831, un projet de loi sur l'instruction primaire : Daunou fut le rapporteur de la commission nommée pour examiner ce projet. Dans la séance du 22 décembre 1831, il lut, au nom de cette commission, un contre-projet dont le trait principal était la remise complète aux autorités communales et aux comités cantonaux de l'administration et de la surveillance des écoles primaires, que le gouvernement voulait laisser entre les mains des inspecteurs d'académie et des recteurs. Daunou, resté fidèle aux idées qu'il avait défendues en 1793 et en 1795, repoussait l'intervention du gouvernement central dans l'administration des écoles primaires :

« Le point le plus important pour la bonne organisation des écoles primaires, disait-il, est. à notre avis, de leur rendre leur caractère communal ; le résultat de la centralisation depuis vingt-cinq années ou du moins depuis quinze, est que la moitié, peut-être les deux tiers de vos jeunes gens de l'un et de l'autre sexe, âgés de vingt à vingt et un ans, ne savent ni lire ni écrire.

« Vous ne commencerez à obtenir d'amélioration un peu sensible à une si triste statistique qu'au jour où, dans l'administration de ces écoles communales, les fonctions des instituteurs, celles des conseils municipaux et des comités cantonaux, toujours soumises à l'action générale de la puissance exécutive, seront pleinement affranchies de la surveillance spéciale d'un pouvoir directeur quelconque. Pour que l'éducation primaire, domestique de sa nature, devienne utilement publique, il faut qu'elle s'éloigne le moins possible du régime de la famille, et par conséquent qu'elle reste sous celui des agrégations locales des familles, qui s'appellent communes ou cantons.

« Un corps enseignant chargé de fonctions bien plus hautes est véritablement excentrique à ces premiers éléments de la liberté ; et s'il est vrai, comme nous n'en doutons pas, que les humbles écoles dont nous venons d'avoir l'honneur de vous entretenir soient précisément celles dont les services importent le plus à l'Etat, c'est une raison de n'en confier en chaque lieu l'administration qu'à des citoyens personnellement intéressés à leur entretien, à leurs progrès et à leur future prospérité. »

Il ne fut pas donné suite par la Chambre des députés au projet de M. de Montalivet, ni au contre-projet de la commission qu'avaient repris, en décembre 1832, Taillandier et trois autres députés (Voir Taillandier).

En 1834, Daunou résigna son mandat de député ; mais en 1839, sur les instances de Villemain, ministre de l'instruction publique, il consentit à entrer à la Chambre des pairs. Il mourut le 20 juin 1840.