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Cuvier (Frédéric)

 Moins connu que son frère aîné Georges, l'illustre auteur du Règne animal, Frédéric Cuvier (1773-1838) n'en occupe pas moins une place honorable parmi les naturalistes français. Il se rendit de bonne heure à Paris, étudia l'histoire naturelle, publia avec Geoffroy Saint-Hilaire l'Histoire naturelle des mammifères (1819-1828), et devint directeur de la ménagerie du roi.

Il remplit en outre durant nombre d'années, sous l'Empire et sous la Restauration, les fonctions d'inspecteur de l'académie de Paris, et c'est en cette qualité qu'il a publié dans les derniers mois de 1815 un Projet d'organisation pour les écoles primaires, Paris, Delaunay, brochure in-8 de 92 pages. Cet écrit de Frédéric Cuvier est peut-être le travail le plus remarquable qui ait paru en Fiance sur l'instruction primaire, depuis le projet de Chaptal en l'an IX (Voir Consulat) jusqu'à la loi de 1833. Comme il est assez peu connu, nous croyons utile d'en donner une analyse complète, accompagnée de quelques citations.

Dans un Discours préliminaire, l'auteur raconte que ce petit ouvrage est « le résultat des recherches et des méditations d'un comité qui se réunissait en 1811, pour présenter des vues sur une nouvelle organisation de nos écoles primaires ». Ce comité était composé d'un conseiller de l'Université, Roman, et des inspecteurs de l'académie de Paris, Chambry, Frayssinous, Ruphy et F. Cuvier. Les réunions furent interrompues avant la rédaction du projet définitif. Cuvier l'acheva seul.

« On a tant de fois proposé inutilement de former les hommes par l'éducation, dit-il, que j'ose à peine renouveler aujourd'hui cette proposition. Cependant, lorsque nous nous examinons attentivement, nous voyons que nous ne sommes que ce que les circonstances nous font être, que ce que l'on veut que nous soyons.

«. Si c'est dans l'enfance et dans la jeunesse que les habitudes se contractent le plus facilement, que ne devons-nous pas espérer d'une éducation constamment dirigée vers le bien? Elle serait en harmonie avec nos institutions politiques, et les affermirait tant que ces institutions auraient le bien public pour objet ; dans le cas contraire, elle s'opposerait à leur influence, et diminuerait ainsi les maux qui pourraient en naître.

« Je sais que ces idées sont peu conformes à celles qu'on semble vouloir assez généralement adopter aujourd'hui ; qu'elles tendent peu à favoriser ce développement libre et naturel du caractère auquel on paraît mettre un si grand prix, et qu'on présente comme le but principal d'une bonne éducation. J'avoue que je n'ai jamais pu comprendre quel avantage il pourrait y avoir pour la société et pour les individus à laisser ce libre développement aux penchants avec lesquels nous naissons ; à moins qu'on n'ait conservé l'idée fausse que nous venons au monde avec le germe de toutes les passions qui portent au bien, et que l'éducation seule nous donne les passions contraires. L'expérience ne nous prouve-t-elle pas que nos enfants naissent avec une variété presque infinie de bonnes et de mauvaises dispositions? et ne devons-nous pas dans leur éducation nous proposer l'affermissement des unes et la répression des autres? »

F. Cuvier combat ceux qui redoutent l'instruction et qui « ne voient le bien que dans l'ignorance ». « Non, dit-il, le bien n'est que dans la vérité ; mais peu d'hommes sont capables de la chercher et de la découvrir, peu doivent la démontrer et beaucoup doivent la croire, peu doivent la trouver dans leur esprit et beaucoup dans leur conscience. On ne saurait donc trop le répéter, surtout relativement aux hommes du peuple : il faut que chacun ait l'instruction de son état, et cette instruction ne consiste pas dans le nombre, mais dans la clarté des idées que l'on possède et dans les sentiments qui nous dirigent : or, le peuple ne saurait avoir qu'un fort petit nombre d'idées claires ; on peut au contraire lui imposer tous les sentiments. » Toutefois, ajoute-t-il, il ne faut pas trop vouloir restreindre le domaine des connaissances à enseigner au peuple : « L'empire que la conscience peut exercer sur nous a ses bornes ; et vouloir étendre sa puissance au delà de certaines limites, vouloir pour toujours renfermer l'intelligence dans le même cercle, c est exercer une véritable mutilation, c'est imiter ces insensés qui s'imaginent suivre les préceptes de l'Ecriture, en punissant leur corps des égarements de leur coeur. L'activité de l'esprit est essentielle à l'homme ; elle veut être occupée, nourrie, et c'est vainement qu'on s'efforcerait de la contraindre, surtout depuis l'établissement de l'imprimerie. Que pourrait-on d'ailleurs craindre des vérités? Jamais elles ne peuvent se trouver opposées l'une à l'autre : au contraire elles se soutiennent et se fortifient mutuellement ; les erreurs seules s'entre-détruisent. C'est donc moins en restreignant qu'en dirigeant l'instruction qu'on peut en faire l'instrument du bien public. »

Frédéric Cuvier résume très bien en ces quelques lignes le plan de son livre : « Le but de cet ouvrage est d'exposer les moyens d'organiser l'instruction primaire dans la capitale, à l'aide de ce qui existe déjà ; de former des écoles, et d'instruire des maîtres sans le secours inadmissible des écoles normales ; de mettre en usage des méthodes d'enseignement fondées sur la nature de l'enfance ; d'assujettir ces établissements à une discipline raisonnable ; d'assurer le sort des instituteurs et d'indiquer les diverses modifications que cette instruction devrait recevoir pour être applicable dans les campagnes. »

L'ouvrage est divisé en quatre chapitres, qui traitent : le premier, des écoles primaires et des instituteurs ; le second, des méthodes ; le troisième, de la discipline ; et le quatrième, des écoles de village. Les chapitres sont à leur tour subdivisés en paragraphes.

Voici, dans ces diverses divisions, les points qui nous ont paru mériter surtout l'attention :

Chapitre Ier. — L'auteur constate la triste situation de l'instruction primaire, due, comme il le donne à entendre, au peu d'intérêt que le gouvernement impérial prenait à l'éducation populaire. « Les écoles primaires, abandonnées parmi nous, jusqu'à ce jour, aux spéculations des particuliers, ont été multipliées à un tel point, qu'elles sont arrivées, dans Paris, au dernier degré d'appauvrissement. » Paris comptait alors environ 400 écoles primaires (les écoles de charité non comprises), fréquentées, d'après un relevé exact, par 14 000 élèves (soit une moyenne de 35 élèves par école, nombre insuffisant pour permettre à l'instituteur de vivre convenablement de la rétribution scolaire). Ces écoles étaient de deux espèces : celles du jour, réunissant les enfants de quatre à quinze ans, et celles du soir, pour les élèves de plus de quinze ans. Les écoles se divisaient en outre, relativement à la position sociale des familles dont les enfants reçoivent l'instruction, en trois catégories bien distinctes : les écoles de charité, destinées aux véritables pauvres ; celles que fréquentaient les enfants de la classe immédiatement au-dessus de la classe pauvre ; enfin celles qui étaient fréquentées par les enfants de la classe aisée.

Par un préjugé que partageaient la plupart de ses contemporains, Cuvier veut maintenir cette distinction en classes sociales : « Il y aurait peu d'avantages et beaucoup d'inconvénients à réunir dans la même école des enfants aussi différents que le sont, par leurs goûts et leur langage, ceux du petit marchand et de l'artisan aisé, et ceux du journalier et de l'artisan pauvre. »

Il propose de réduire de moitié le nombre des écoles existantes. Laissant de côté les écoles de charité, il veut répartir les 14 000 enfants qui vont aux écoles primaires entre 200 écoles environ : 100 écoles de premier ordre seraient chargées des enfants aisés, et 100 écoles du deuxième ordre des enfants pauvres ; dans chaque ordre, 50 classes (classe est ici synonyme d'école) recevraient les enfants de quatre à huit ans, et 50 ceux de huit à quinze ; il y aurait de plus des cours du soir pour les garçons "ouvriers qui ont encore besoin du secours d'un instituteur.

Dans une note fort intéressante, l'auteur parle avec éloges du système d'enseignement mutuel, qu'il a vu fonctionner en Angleterre ; mais il ne croit pas que le système de Lancaster soit applicable à Paris, à cause des grandes distances à faire parcourir aux petits enfants « au milieu de nos rues boueuses et toujours remplies de voitures. A Londres, les trottoirs garantissent les enfants de tout accident » (Paris n'avait pas de trottoirs en 1815). En outre, « jamais on ne se persuadera parmi nous, à moins d'une longue expérience, que 500 écoliers réunis dans une même école, et dirigés par des enfants, puissent être aussi bien soignés et aussi bien instruits que 20 ou 30 conduits par un homme fait ».

Pour améliorer l'installation scolaire, qu'il juge très défectueuse, Cuvier propose de confier la construction des écoles à une société d'actionnaires, à laquelle l'Université garantirait le paiement du loyer par l'instituteur. Ce loyer serait de 300 à 400 francs, le devis d'une école construite sur le plan de la commission se montant à 6000 ou 8000 francs.

La maison d'école, d'après ce plan, consiste en un bâtiment entre deux petites cours fermées par des murs. Ce bâtiment est divisé dans sa largeur en deux parties égales par une cloison ; ce sont les deux classes. Une porte vitrée dans la cloison fait communiquer les deux classes entre elles ; une autre porte fait communiquer chaque classe avec une des cours ; chacune des cours est réservée à une classe.

La réunion, dans un même local, des deux classes et des deux maîtres rendrait superflu, selon Cuvier, l'établissement d'écoles normales. « En effet, il devient possible, en rapprochant deux classes, de confier les petits enfants a un jeune homme, élève de l'école même, qui, se formant petit à petit, par un travail proportionné à ses forces et sous la surveillance immédiate de celui qui a dirigé son enfance, pourra achever son instruction et devenir un jour lui-même titulaire. » L'adjoint des villes serait astreint à enseigner pendant un certain temps dans une école de campagne, avant de devenir titulaire dans une ville.

Mais il faut, pour que les instituteurs soient en état de former des élèves-maîtres, qu'ils soient eux-mêmes instruits dans les bonnes méthodes. On ne peut songer à donner actuellement cette instruction nouvelle qu'à ceux des villes. Il faut que les instituteurs de campagne « restent ce qu'ils sont aujourd'hui, jusqu'à ce qu'une autre génération les remplace». Quant à ceux des villes, on les ferait instruire, par les inspecteurs d'académie, dans les méthodes exposées ci-après.

Le salaire des instituteurs consiste uniquement clans la rétribution des élèves. La commission propose de porter cette rétribution, pour Paris, à 7 francs par mois au maximum, pour les enfants les plus âgés dans les écoles de premier ordre (4 francs pour les plus petits), et à 5 francs dans les écoles de deuxième ordre (2 fr. 50 pour les petits). L'instituteur titulaire aurait à payer sur ces recettes le loyer du bâtiment d'école et le traitement de l'adjoint (de 500 à 600 francs pour débuter, avec augmentations successives jusqu'à 800 et 1000 francs). Chapitre II. — « Si l'on songe à tirer parti le plus vite possible du travail des enfants, les meilleures méthodes seront celles à l'aide desquelles on parvient le plus vite à lire, à écrire et à calculer.

« Il n'en sera pas de même si l'on veut, pour un peuple, des bonnes moeurs plutôt que de la richesse. Alors les enfants resteront dans les écoles sous la direction de leurs maîtres, jusqu'à l'âge où il n'y aura plus de dangers pour eux de les quitter. Considérées sous ce rapport, les meilleures méthodes ne seront pas les plus expéditives, mais celles qui contribueront le plus à conduire les enfants au bien, tout en les instruisant. »

Cuvier nous indique le programme d'enseignement établi dans les écoles de Paris. Pour les deux premières catégories d'écoles primaires (les écoles de charité et celles des ouvriers), « l'instruction est à peu près la même : elle consiste dans la lecture, l'écriture et l'arithmétique et dans quelques leçons d'orthographe. Les enfants des artisans aisés (écoles de la 2e catégorie) reçoivent, en outre, des leçons de grammaire et des notions de géographie ; on leur fait apprendre aussi quelques traits d'histoire, et ils vont ordinairement en arithmétique jusqu'aux règles de trois inclusivement. »

En ce qui concerne la lecture, l'auteur critique l'ancienne méthode d'épellation consistant à dire le nom de chaque lettre. La méthode de Port-Royal, qui fait prononcer les consonnes au moyen de l'e muet, a diminué les difficultés de la méthode commune, « mais ne les a pas détruites, puisque l'épellation existe encore ». Cuvier recommande la méthode du Père Bouchot, exposée dans son ABC royal, ou l'art d'apprendre à lire, dédié aux Enfants de France, Paris, 1759 ; elle consiste à faire immédiatement prononcer aux enfants les sons des syllabes. Cette méthode est suivie dans les écoles de Lancaster. La méthode du Bureau typographique a des avantages, « et, si je la crois inadmissible aujourd'hui pour nos écoles primaires, je ne crois cependant pas qu'on ne puisse l'y admettre un jour, c'est-à-dire lorsque les enfants et les maîtres auront acquis par l'habitude cet esprit d'ordre et de soin sans lequel ce bureau typographique aurait beaucoup d'inconvénients et peu d'avantages ».

L'auteur ajoute que ce dernier procédé, modifié de manière à se rapprocher de la méthode du Père Bouchot, est en usage dans les établissements de Pestalozzi.

Il se prononce contre l'écriture employée comme moyen d'enseigner la lecture, si ce n'est pour la lecture du manuscrit.

Il recommande l'emploi des tableaux de syllabes, déjà en usage en Hollande, en Suisse, et chez les Frères des écoles chrétiennes.

Quel livre de lecture mettre entre les mains des enfants? « C'est une lacune que dans l'état actuel de la société il est impossible de remplir, et cette difficulté insurmontable fait sentir tout ce qu'a de bien la méthode de M. Pestalozzi pour l'instruction de la première enfance. » Après cette observation, l'auteur finit par recommander, comme livre de lecture, le catéchisme. Toutefois les écoliers plus âgés devraient avoir des livres « semblables pour tous et choisis conformément à leur âge et aux idées qui devront être gravées dans leur mémoire ; mais, excepté ceux de religion, ces livres n'existent point, c'est un travail qui reste à faire ».

A l'égard de l'écriture, « nous pensons, dit F, Cuvier, que la méthode qui doit être préférée pour les écoles du peuple, telles qu'elles existent aujourd'hui, est celle où les enfants copient des exemples à la vue, en suivant pour la direction de leur plume les préceptes qui leur sont donnés de vive voix par les maîtres ».

Pour les commençants, l'auteur recommande de faire tracer les lettres avec le doigt sur du sable, et avec du talc sur l'ardoise, comme cela se pratique en Angleterre.

« Une des plus utiles améliorations que M. Pestalozzi ait apportées dans l'instruction, c'est l'usage de faire tracer aux élèves des figures géométriques et de rapporter ces figures à une échelle commune. La sensation nette de la figure des corps et de leur dimension peut offrir dans l'usage habituel de la vie les plus heureuses ressources ; elle est la base d'une foule de nos arts mécaniques, comme elle est le principe du dessin. Aussi je pense que cette pratique doit être introduite dans nos écoles, dès que nous aurons des maîtres capables de l'enseigner. »

Pour l'arithmétique, Cuvier s'élève contre la routine vicieuse qui existe dans son enseignement et qu'il faut abandonner. 11 prône « la méthode d'instruction intuitive du rapport des nombres, de M. Pestalozzi. Cette méthode, qui est assez connue pour que je n'aie pas besoin d'en parler davantage, devra être introduite dès qu'on en aura les moyens dans nos écoles primaires.»

« Les leçons de lecture et d'écriture deviendront des leçons d'orthographe. Cet usage est suivi dans les établissements de M. Pestalozzi, dans les nouvelles écoles d'Angleterre, dans celles de Hollande et dans plusieurs des nôtres. Il consiste à faire composer et décomposer les mots.

« L'enseignement de la grammaire fera le sujet de leçons spéciales, et conduira l'élève jusqu'aux rapports des diverses parties de la phrase, et par conséquent jusqu'aux dernières règles de l'orthographe.

« Quant à la géographie et à l'histoire, l'élève trouvera ce qu'il devra savoir dans les livres destinés aux exercices de lecture, et dans des cartes géographiques et des figures auxquelles le maître aura soin de rapporter les différents sujets de ces exercices. »

F. Cuvier parle avec éloge de la méthode employée par les Frères pour commander à leurs élèves : les signes du commandement remplaçant la parole. « L'utilité de cette méthode se montre bien évidemment dans nos écoles de Frères, je dirai même qu'elle fait presque tout le mérite de leur enseignement, car ils sont peu instruits ; ils ne diffèrent point par leur caractère du reste des hommes, et les méthodes suivant lesquelles ils enseignent la lecture, l'écriture et le calcul pourraient être meilleures ; mais le silence le plus profond règne autour d'eux, rien ne peut troubler l'attention de l'élève, qui, tout entier à sa leçon, en profite tôt ou tard. »

Ces signes muets, ajoute l'auteur, sont établis aussi dans les écoles de Lancaster.

Cuvier examine une objection faite au système pédagogique de Pestalozzi : « On a craint que ses méthodes ne fussent contraires au développement des esprits supérieurs, qu'elles n'étouffassent le génie en l'asservissant ». Il répond : « M. Pestalozzi s est proposé de réduire nos connaissances à leurs éléments pour nous conduire des idées les plus simples aux idées les plus complexes ; car l'éducation intuitive n'est qu'un cas particulier de l'application de ce principe ». Il faudra toujours partir des idées simples pour arriver aux idées complexes ; le résultat des méthodes pestalozziennes n'est donc pas d'asservir l'esprit, mais de l'éclairer, en lui présentant avec ordre les faits qu'il a besoin de connaître pour comprendre les vérités générales.

Pour instruire les instituteurs dans les méthodes d'enseignement, il ne reste à faire connaître aux bons maîtres — les seuls sur lesquels on puisse agir pour commencer — que « l'instruction intuitive du rapport des formes et des dimensions, et celle du rapport des nombres ». Il faudrait à cet effet composer exprès un ouvrage sur ce sujet, et les inspecteurs d'académie n'auraient plus ensuite qu'à éclaircir, dans leurs tournées, les points sur lesquels il serait resté quelque obscurité dans l'esprit des instituteurs.

Chapitre III. — L'auteur traite d'abord de l'administration générale des écoles primaires. Il demande que les instituteurs soient nommés par les recteurs, sur la proposition du maire et du curé. Mais entre l'autorité locale et le recteur, il serait désirable d'instituer une autorité intermédiaire : Cuvier propose à cet effet la création de conseils d'arrondissement, composés du sous-préfet, d'un ecclésiastique, et du procureur du roi. A Paris, les attributions du conseil d'arrondissement seraient exercées par le maire de l'arrondissement et le curé, assistés d'un ou de plusieurs membres du bureau de bienfaisance. — L'ordonnance du 29 février 1816, établissant les comités cantonaux (Voir Royer-Collard), devait donner satisfaction sous une autre forme au voeu émis par Frédéric Cuvier.

Pour la durée des classes, il propose une règle uniforme : « En été, les écoles seraient ouvertes, le matin, de 8 heures à midi, et l'après-midi de 1 heure à 5. En hiver, elles s'ouvriraient à 9 heures et se fermeraient à 4. Mais, comme des leçons de quatre heures seraient fatigantes pour les enfants et pour les maîtres, on accorderait une demi-heure ou une heure de repos au milieu de chaque classe.

« Voici à peu près, ajoute-t-il, l'ordre qui est suivi pour la distribution des leçons dans les écoles les mieux tenues ; il pourrait faire la règle des écoles de Paris, sauf la modification qu'y exigerait l'enseignement des écoles de deuxième ordre et que pourrait v apporter l'enseignement des rapports des nombres, des formes et des dimensions, et même l'enseignement du chant, si l'on jugeait a propos de l'introduire dans nos écoles primaires :

PREMIERE CLASSE. — Enfants de 8 à 15 ans.

De 8 h. à 9. — Prières, lectures chrétiennes.

De 9 à 10. — Ecriture.

De 10 1/2 à 12. — Exercices de grammaire.

De 1 à 2. — Lectures de géographie et d'histoire (alternativement).

De 2 à 3. — Dictées.

De 3 1/2 à 5. — Arithmétique. Prière.

(Le samedi, deux heures d'instruction religieuse, de 8 h. à 9 h. et de 1 h. à 2 h.)

SECONDE CLASSE. — Enfants de 4 à 8 ans.

De 8 h. à 9 h. — Prières, lecture du syllabaire.

De 9 à 10. — Ecriture.

De 10 1/2 à 11 1/2. — Exercices de numération.

De 11 1/2 à 12. — Lectures faites par le maître.

De 1 à 3. — Lecture du syllabaire.

De 2 à 3. — Ecriture.

De 3 1/2 à 4 1/2. — Commencement de grammaire aux plus anciens.

De 4 1/2 à 5. — Lectures faites par le maître, prières.

(Le samedi, une heure et demie d'enseignement religieux, de 3 h. 1/2 à 5 h.) »

Les paragraphes suivants traitent de l'ordre et de ta propreté des classes ; des notes à prendre sur la conduite et les progrès des élèves (registre à tenir par l'instituteur ; places distribuées à la fin de la semaine) ; des punitions que les maîtres pourront infliger aux élèves (l'usage des châtiments corporels, selon Cuvier, ne doit être qu'entre les mains des parents : « Jamais un maître ne frappera ses élèves ; un père seul peut frapper sans avilir ») ; des peines à infliger aux instituteurs (remontrances par les supérieurs, et destitution) ; des prix à accorder aux élèves (« quand l'émulation ne sera plus nécessaire, on pourra l'abandonner ; aujourd'hui il faut la conserver »), et des récompenses des maîtres : « Un des grands motifs d'émulation pour les instituteurs est la faculté de passer des écoles de Second ordre dans les écoles de premier ; et, dans chaque ordre d'écoles, on pourrait donner aux instituteurs les plus zélés et les plus sages une sorte de prééminence sur les autres. L'intérêt et l'honneur se réuniraient ainsi pour engager nos instituteurs à remplir leurs devoirs. »

Le chapitre se termine par le projet d'une caisse de secours : l'instituteur porterait tous les mois à cette caisse une somme légère, et l'Etat y verserait le produit des droits de diplôme. L'auteur insiste sur la nécessité d'une semblable institution, dont la participation devrait être rendue obligatoire : les instituteurs doivent être forcés à se réserver des secours pour la vieillesse ou pour le malheur. Chapitre IV. — Passant ensuite aux écoles de villages, Cuvier s'exprime ainsi : « Les écoles primaires de villages ne sont pas dans une situation moins misérable que celles de la capitale, quoique cette situation soit le résultat d'une autre cause : les instituteurs sont ignorants, et beaucoup se conduisent mal ; mais un homme de bien ne trouverait pas de quoi vivre dans ces écoles. A la vérité, ce n'est pas la concurrence qui leur est nuisible ; c'est l'insouciance des parents pour l'éducation de leurs enfants. »

D'après des notes prises dans les écoles d'environ 600 communes, dit l'auteur, les garçons de 4 à 15 ans sont à la population comme I est à 10 ; donc, dans une commune de 1000 âmes, il y a 100 garçons de cet âge : mais, sur ce nombre, 50 seulement fréquentent l'école en hiver, et 15 ou 20 en été.

Le local de l'école est quelquefois fourni par les communes, quelquefois non ; mais toujours il est étroit, obscur et malsain.

La rétribution varie de 50 c, à 1 fr. 50 ou 2 fr. par mois. Aussi l'instituteur exerce-t-il généralement un emploi accessoire ; « on assure même que, dans plusieurs communes, les instituteurs font le métier de berger». En outre « l'instituteur, dépendant, pour son existence, du curé et du maire, est presque toujours la victime innocente des discussions qui s'élèvent trop souvent entre ces deux personnes ». Les conseils d'arrondissement proposés par Cuvier, en interposant leur autorité dans les conflits de ce genre, pourraient dans bien des circonstances, dit-il, sauvegarder l'indépendance et la dignité de l'instituteur.

Cuvier voudrait que l'on fixât dans chaque commune la rétribution scolaire, en prenant pour base la somme nécessaire au traitement d'un instituteur pour le faire vivre dans l'aisance. Cette somme devrait correspondre avec le traitement des instituteurs-adjoints des écoles de villes, qui doivent passer dans les écoles de villages. Ce serait le conseil municipal qui fixerait le taux de la rétribution scolaire.

L'enseignement des écoles de campagne, consistant dans la lecture, l'écriture et le calcul, peut être assimilé à celui des écoles urbaines de seconde classe. Cuvier désirerait y voir joindre le chant. « On l'enseigne dans les écoles de M. Peslalozzi, d'une manière aussi élémentaire, et par conséquent aussi facile, que tout ce qui s'enseigne dans tous les établissements de cet homme célèbre ; il ne serait point très difficile d'introduire sa méthode dans nos écoles de villages. Outre l'avantage de former les enfants à un art agréable, on développerait, par cet exercice salutaire, les forces d'un organe qui est trop sauvent le siège des plus graves maladies. »

Telles étaient les vues qu'émettait au début de la seconde Restauration, pour la réforme de l'instruction primaire, un savant doublé d'un administrateur zélé et consciencieux. Nous avons pensé qu'il était intéressant de les faire connaître avec quelque détail.

Le 13 janvier 1821, F. Cuvier soumit à la Commission de l'instruction publique un projet de règlement général pour les écoles primaires, que la Commission, après l'avoir discuté dans deux séances, écarta nous ne savons pour quel motif. Nous en donnons quelques extraits, parce qu'ils complètent de façon caractéristique ceux du projet de 1815, en faisant voir quel esprit animait à cette époque les éducateurs officiels du peuple.

Le projet Cuvier du 13 janvier 1821 se compose de cinq chapitres. Le premier, intitulé Objet et bases de l'instruction primaire, se compose d'un article unique, ainsi conçu :

« ARTICLE PREMIER. — L'instruction et l'éducation primaires ont pour objet essentiel d'inculquer aux enfants, avec les premiers éléments des connaissances humaines, la piété envers Dieu, le respect envers les parents, l'attachement et la fidélité au souverain, l'amour de la pairie, l'obéissance aux lois. »

Le second chapitre, Des Exercices religieux, comprend les articles 2 à 8, et règle en détail tout ce qui concerne la façon » d'inculquer la piété envers Dieu ».

Au troisième chapitre, De l'Enseignement, on lit ce qui suit :

« ART. 2. — Indépendamment du catéchisme de la paroisse, les élèves suffisamment avancés dans la lecture apprennent tous les jours à l'école une ligne de catéchisme.

«ART. 10. — Le samedi de chaque semaine et les veilles de fêtes conservées, ces mêmes élèves lisent à haute voix ou récitent de mémoire l'évangile du jour suivant.

« ART. 11. — Les progrès des élèves dans l'instruction religieuse sont l'objet d'une attention particulière de la part des instituteurs et des surveillants spéciaux. »

Les articles 12, 13 et 14 parlent de la lecture, du calcul, de l'écriture. L'article 15 est relatif aux modèles d'écriture :

« ART. 15. — Les modèles d'écriture ne doivent contenir que des choses utiles aux enfants, notamment les principes de la religion, les règles de la morale, les faits de l'histoire de France les plus propres à faire aimer la dynastie régnante et à faire connaître les personnages célèbres par leurs vertus, ou enfin les notions élémentaires les plus utiles sur l'histoire naturelle, sur les arts et métiers. »

Les articles 16 et 17 parlent des livres. L'article 18 prescrit la division des élèves en trois classes, la grande, la moyenne et la petite. L'article 19 fixe la durée des classes à six heures par jour, trois heures le matin, trois heures l'après-midi. L'article 20 prévoit un examen mensuel destiné à s'assurer des progrès des élèves.

Le quatrième chapitre (articles 21-42) est consacré à la discipline, le cinquième et dernier (articles 43-45) aux dispositions générales.