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Correction paternelle (Droit de)

On a toujours reconnu aux parents un pouvoir plus ou moins large sur leurs enfants. A Rome le père de famille disposait en quelque sorte d'un droit de vie et de mort, d'ailleurs plus théorique que pratique. Dans l'ancienne France, un enfant pouvait, quel que fût son âge, être enfermé à la demande de son père ; dès le dix-septième siècle cependant, cette faculté fut restreinte aux enfants de moins de vingt-cinq ans : on a souvent entendu parler du fameux « lieutenant de police », puissant auxiliaire des pères aux abois !

La Révolution organisa un «Tribunal domestique » devant lequel le père devait porter sa plainte ; on pensait que de cette assemblée toutes les vertus jailliraient (voir GUICHARD, Tribunal de famille, 1791).

Les lois actuelles laissent encore à la disposition des parents des moyens énergiques.

On ne saurait contester aux parents le droit de faire subir à leurs enfants certains châtiments, même corporels ; il n'y a là qu'une question de mesure, et l'abus seul du droit se trouve puni.

Les tribunaux, grâce à des lois récentes, peuvent retirer l'exercice de la puissance paternelle à ceux qui en mésusent (loi du 29 juillet 1889), et au besoin même les condamner à des peines correctionnelles, quelquefois criminelles, lorsqu'ils se sont rendus coupables de faits particulièrement répréhensibles (lois du 19 avril 1898 et du 27 juin 1904).

Des autres moyens dont disposent les parents : possibilité d'engager l'enfant comme mousse de dix à quinze ans ; faculté de le dépouiller d'une partie de ses droits héréditaires ; possibilité de le faire emprisonner, ce dernier, l'emprisonnement, est de beaucoup le plus grave.

Les père et mère, légitimes ou naturels, d'un enfant, ont tous les deux, mais chacun dans une mesure distincte, le droit de le faire détenir.

I. DROIT DU PERE. — Le père peut agir par voie d'autorité ou par voie de réquisition.

« La détention, dit Valette, est ordonnée par le père ou par le magistrat suivant que l'enfant a plus ou moins de quinze ans révolus. »

a) Par voie d'autorité. — Si l'enfant est âgé de moins de quinze ans, le président du tribunal, sur la demande du père, doit signer un ordre d'arrestation.

Telle serait l'interprétation strictement juridique de la loi ; mais une pratique de certains tribunaux, encore trop peu nombreux (Seine. Rhône, etc.), est venue fort heureusement la tourner. Une enquête sévère y est toujours faite pour savoir si l'on se trouve bien dans les cas d'application de la loi, en réalité afin surtout de rechercher s'il existe des motifs suffisants pour que l'enfant soit enfermé : quarante pour cent des demandes sont ainsi rejetées. (Revue pénitentiaire, 1894, p. 173 et s.)

b) Par voie de réquisition. — Si l'enfant est âge de plus de quinze ans, le père ne peut que requérir l'incarcération, et le président du tribunal pourra à son gré l'accorder ou la refuser. — Notons que le père légitime qui s'est remarié, celui dont l'enfant exerce un état ou possède des biens, ne pourront jamais, quel que soit l'âge de l'enfant, agir autrement que par voie de réquisition. Quant au père naturel, ses pouvoirs restent les mêmes, bien qu'il contracte un second mariage.

II. DROIT DE LA MERE. — La mère n'agit que par voie de réquisition ; autrement dit, le président du tribunal est toujours libre de faire droit ou non à sa requête. Il lui faut de plus, lorsque l'enfant est légitime, l'assentiment de ses deux plus proches parents paternels ; ainsi, les droits de la mère naturelle sont plus étendus que ceux de la mère légitime.

L'enfant peut exercer un recours : il n'a pour cela qu'à adresser un mémoire au procureur général du ressort ; il y a d'ailleurs, dans un très grand nombre de départements, des oeuvres de protection de l'enfance au concours desquelles on ne saurait trop recourir (voir leur énumération dans le Code de l'enfance traduite en justice).

Pour un enfant de moins de quinze ans, la détention ne peut dépasser un mois ; pour les autres, elle est de six mois au maximum. Elle s'effectue, dans le département de la Seine, à Nanterre et à la Petite-Roquette.

La moyenne des ordonnances rendues de 1875 à 1895 est de 1200 par an pour la France entière.

On a vivement critiqué le droit de correction des parents ; il semble résulter des divers travaux sur la matière (voir Bonjean, Enfants révoltés et parents coupables, Paris, 1895) que les parents qui en requièrent l'exercice appartiennent en général au monde des travailleurs à la journée (85 %), ne s'occupent pas de leurs enfants, et sont principalement de ceux qui méritent la déchéance de la puissance paternelle ; leurs enfants demandent bien plutôt à être protégés que corrigés.

Le projet de loi du gouvernement qui crée des écoles primaires spéciales avec internat et demi-internat apportera une amélioration notable au sort des enfants à peu près moralement abandonnés ou que les parents ne peuvent pas surveiller. (Voir Criminalité.)

Quant aux enfants réellement vicieux, le droit de correction est complètement inefficace à leur égard ; ils ne peuvent que se corrompre davantage dans la prison. Veut-on les sauver? Ce n'est pas en les internant dans la même maison que les délinquants de droit commun qu'on leur fera reprendre le bon chemin. Est-ce l'amendement qu'on recherche? Alors c'est un tout autre régime qui s'impose, et les délais maxima actuels paraissent évidemment trop courts. Une proposition de loi de M. René Besnard [Chambre des députés, 1909, Annexe n° 2343] assigne (art. 9) à la durée de l'emprisonnement le maximum d'une année, avec faculté pour le tribunal de faire les prorogations nécessaires.

L'encellulement, s'il évite la promiscuité et la contagion du mauvais exemple, est par trop déprimant pour de jeunes êtres. Mais un régime par trop doux ne peut, lui non plus, produire aucun effet sérieux.

Il semble donc bien que notre droit de correction demanderait à être réformé totalement. Il faudrait ne jamais faire de la correction un droit pour le père, et assurer toujours le contrôle de l'autorité judiciaire ; ne l'accorder que dans des cas d'une extrême gravité, et lorsqu'on ne peut raisonnablement plus exiger des parents qu'ils gardent leurs enfants. Mais alors, n'y aurait-il pas assez d'oeuvres auxquelles on pourrait songer, et qui seraient mieux à même que la prison de redresser l'enfant? M. Besnard demande le placement de ces enfants dans des écoles de réforme, publiques ou privées ; il en existe actuellement un certain nombre, mais il n'en est pas qui se chargent des enfants de plus de douze ans, de sorte que, pour les cas les plus intéressants, elles ne rendent pas de services. (Voir Revue pénitentiaire, 1878, p. 824 ; 1888, p. 628 ; 1891, p. 1152 ; 1894, p. 1891.)

De nombreux congrés se sont occupés du droit de correction. En 1900, les trois voeux suivants ont été adoptés : 1° L'emprisonnement par voie de correction paternelle doit être supprimé ; 2° Le devoir d'éducation comprend, pour celui des parents qui exerce la puissance paternelle et qui est investi du droit de garde, le droit de fixer la résidence de l'enfant, et notamment le pouvoir de l'interner dans tel établissement qui consentira à le recevoir ; 3° L'autorité judiciaire doit prêter son concours à la puissance paternelle et, sur la requête des parents, après enquête, procurer l'exécution des mesures disciplinaires jugées opportunes. (Actes du Congrès international du patronage des libérés de 1900 : Rapport Berthelemy, pages 728-730 ; Rapport Joly, pages 69-74.) La proposition de loi de M. Besnard, qui répond à ces voeux, constituera, une fois votée, un très réel progrès.

Des mesures, en tous cas, s'imposent. Le devoir de la société est d'éviter que les enfants vicieux ne fournissent bientôt aux tribunaux leur contingent de délinquants ; M. Bonjean a montré (Revue pénitentiaire, 1895) que le droit de correction tel qu'il fonctionne actuellement ne peut que favoriser le développement de l'enfance coupable. La question ainsi posée rentre dans un ordre d'idées plus général. Voir Mineurs délinquants.

Bibliographie. — G. BONJEAN, Enfants révoltés et parents coupables, 1895. — ED. GUILLOT, Les Prisons de Paris et les prisonniers, chapitre XI, 1890. — ROLLET, Les Enfants en prison, 1892, pages 249-261. — BRUEYRE, Revue pénitentiaire, 1893, pages 454-469. — H. JOLY, L'Enfance coupable, Paris, 1904. — Code de l'enfance traduite en justice, annoté. — E. BERTHELEMY, Revue philanthropique, 1899, pages 424-449. — Actes des Congrès internationaux de 1890, 1895, 1900.

Jean-Hippolyte Niboyet