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Corbin

 Le Père Corbin, de la congrégation de la Doctrine chrétienne, est l'auteur d'un ouvrage curieux intitulé Traité d'éducation civile, morale et religieuse, à l'usage des élèves du collège royal de la Flèche, par un prêtre de la Doctrine chrétienne. La première édition parut en 1787 à Angers, avec le nom du P. Corbin, Une seconde édition fut publiée l'année suivante à Paris, sans nom d'auteur, chez Desaint, en un volume in-12 : c'est celle-là seulement que nous avons pu consulter.

Un avis de l'éditeur nous apprend que cet ouvrage se trouvait depuis plusieurs années déjà entre les mains des élèves du collège de La Flèche, imprimé sous la forme de petits cahiers séparés, pour la commodité des écoliers, lorsque l'auteur se résolut à le livrer à la publicité. Le censeur royal, dont l'approbation porte la date du 8 septembre 1787, indique en ces termes l'esprit dans lequel le livre du P. Corbin lui a paru écrit : « Ce cours complet de morale ne ressemble en rien à tous ces projets modernes d'éducation, dont les inventeurs ont paru moins jaloux d'éclairer, que d'étonner par la nouveauté ou la hardiesse de leurs systèmes. L'auteur de cet ouvrage analyse l'homme dans le plus grand détail, relativement à ses facultés physiques et intellectuelles. Sa métaphysique est claire et simple, et l'esprit et le coeur en sentent également la vérité. Après avoir fait connaître à ses élèves toute la chaîne de leurs devoirs, depuis l'enfance jusqu'à la caducité, il les conduit, par une suite d'arguments nécessaires, à la religion, qui peut seule leur fournir des lumières sûres, et leur promettre un bonheur dont elle leur garantit la certitude. »

Une approbation du supérieur général de la Doctrine chrétienne, le P. Bonnefoux, figure également en tête du livre.

Voici, sous forme de table des matières, le résumé très succinct de l'ouvrage :

LIVRE Ier. — L'homme considéré dans ses facultés.

1er partie : De l'état d'enfance et de sa morale.

2e partie : De l'adolescence et de ses obligations morales pour la culture des facultés du corps et de l'esprit.

3e partie : Des affections du coeur, et de leur influence sur les moeurs.

LIVRE II. — De l'homme en société.

1re partie : L'état de la société en général, les devoirs qu'il impose à l'homme.

2e partie : L'état politique et les devoirs qui en naissent.

LIVRE III. — L'homme considéré par rapport à Dieu.

1re partie : Les rapports de l'homme avec Dieu, et le culte qui en est la suite.

2* partie : Les rapports que la religion établit entre les hommes, et les devoirs réciproques qui en naissent.

Un petit « Catéchisme de morale » sert d'introduction au traité proprement dit.

Quoique le censeur royal, dont la perspicacité philosophique ne paraît pas avoir été bien grande, ait cru pouvoir décerner au P. Corbin un brevet de parfaite orthodoxie, on s'aperçoit bien vite que le pieux doctrinaire a subi l'influence de son siècle ; et c'est là précisément ce qui fait l'intérêt de son ouvrage.

Dès le premier chapitre, par exemple, il donne pour fondement à la morale, comme aurait pu le faire Locke ou Condillac, la recherche du bonheur. Nous citons :

« Le bonheur est la fin naturelle de l'homme. — La destinée de l'homme est de se rendre heureux. C'est le cri de la nature et la fin de tout son être ; or il est heureux lorsqu'il a pourvu à ses besoins et qu'il a rempli ses devoirs. Il éprouve alors une satisfaction intérieure, d'où naissent le repos et la paix de l'âme. Si cette satisfaction est passagère, ce n'est qu'un bien ; si elle est constante, c'est le bonheur. »

Il est vrai qu'il a soin d'ajouter : « Cette satisfaction, ce repos, cette paix, ne sauraient durer sur la terre. »

Ne trouve-t-on pas, dans le passage qui va suivre, de singulières réminiscences de Rousseau, quoiqu'il s'agisse de l'exposé d'une doctrine bien différente de celle de cet écrivain :

« L'homme est sorti, des mains de son Auteur, pur et sans tache, avec une nature saine. L'homme seul a pu se dépraver ; il en avait le pouvoir, puisqu'il était libre ; il l'a fait, puisqu'il est puni de sa dépravation, et que sous un Dieu juste, nul ne souffre s'il n'est coupable. Ce raisonnement est celui de beaucoup de sages de l'antiquité. Par quel crime l'homme s'est-il dépravé? Voilà ce que ne peut nous dire la raison ; et ces mêmes sages qui avaient si justement conclu, de la condition actuelle de l'homme, qu'il s'était rendu coupable, se sont égarés dans de vains systèmes, quand ils ont voulu indiquer la nature de son crime. C'est la révélation qui a pu seule fixer nos idées, et nous apprendre l'histoire de la création et de la chute de l'homme. »

Dans la deuxième partie du livre II, le P. Corbin parle des diverses formes de gouvernement exactement comme l'avait fait Montesquieu. Le ressort de la monarchie, dit-il, c'est l'honneur ; de la démocratie, l'amour de la patrie ; de l'aristocratie, la méfiance ; du despotisme, la crainte. Examinant ensuite « la bonté de ces formes de gouvernement », il condamne sans restriction l'aristocratique et le despotique, et voici comment il s'exprime au sujet de la démocratie et de la monarchie tempérée :

« Le gouvernement démocratique peut être lent dans sa marche ; mais il est circonspect, constant et inébranlable dans les revers. Les délibérations sont justes, lorsque le peuple n'est point séduit par l'intrigue ou emporté par les cabales ; mais la brigue le jette loin des voies de l'équité, et alors il est très difficile de le ramener.

« Le gouvernement monarchique évite ces inconvénients. La monarchie a des lois fondamentales, et le monarque a un conseil. Si l'on est fidèle à cette disposition des choses, l'arbitraire du despotisme disparaît, et le gouvernement conserve toute la maturité des délibérations qu'on voit chez les républicains : mais le monarque fait seul la loi ; et s'il n'est animé de l'amour du bien public, tous ces moyens sont inutiles, et l'autorité risque de devenir arbitraire. La faveur, le crédit des courtisans, ou la faiblesse du souverain, peuvent produire des effets encore plus funestes que les dissensions civiles. Les sujets ont plus de jouissances dans les monarchies que dans les républiques ; mais le luxe, l'ambition, l'amour des plaisirs, y produisent aussi des dérangements de fortune fréquents, et les besoins du monarque exigent des impôts plus onéreux. Il faut conclure de ces observations, qu'il n'est point de gouvernement à l'abri de tout inconvénient ; mais que le républicain est propre aux vertus, et le monarchique aux agréments de la vie. »

La théorie du P. Corbin sur l'origine et le but de la société politique est à peu près celle du Contrat social :

« On appelle gouvernement politique, dit-il, celui qu'établit un peuple pour le bien commun de tous ceux qui le composent. » Et plus loin : « L'utilité et la fin raisonnable du gouvernement politique nous induisent à croire qu'il est le fruit d'un accord entre les hommes, dicté par la raison et la sagesse ; mais il s'en faut bien que les moyens qui l'ont établi répondent à la bonté de sa fin : ouvrons les historiens, et nous verrons ce chef-d'oeuvre apparent de la raison naître de la violence et de la loi du plus fort ».

Dans un chapitre intitulé : Manière dont les gouvernements politiques auraient dû s'établir, on lit ceci : « Il aurait fallu qu'un homme sage eût proposé une union libre et volontaire de tous les membres de la société ; qu'il eût rassemblé les forces et les volontés de tous, pour les faire agir sur un plan dicté par la raison, et dirigé par la sagesse vers la félicité commune. Alors la confédération de plusieurs sociétés, semblable à celle des républiques grecques, leur eût fourni le moyen de repousser l'ennemi, ou plutôt elle aurait étouffé le germe funeste de l'ambition. Que de maux épargnés au genre humain ! »

Un pareil langage a de quoi nous surprendre ; et le fait seul qu'un moraliste catholique ait songé à écrire un traité d'éducation civile est déjà un symptôme remarquable de l'esprit du temps.

Le P. Corbin, il faut se le rappeler, écrivait à la veille de 1789 ; d'ailleurs, la congrégation des Pères de la Doctrine chrétienne se distinguait par ses tendances libérales : en ce moment-là même, elle avait dans ses collèges des professeurs comme Lakanal, le futur conventionnel, et Laromiguiére le philosophe. Nous n'avons pu nous procurer aucun détail biographique sur le P. Corbin ; nous savons seulement, par son propre témoignage, « qu'il s'était consacré, dès sa plus tendre jeunesse, à l'institution publique ». Il existe de lui, selon Quérard, un autre ouvrage intitulé Mémoire sur les principaux objets de l'éducation publique (Paris, vers 1788). D'après Barbier, le P. Corbin serait devenu général de son ordre. Nous ne connaissons pas la date de sa mort.