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Conversation

 Les exercices oraux sont une partie importante du programme, qu'on néglige trop souvent. Nous ne voulons pas seulement parler de l'usage fréquent et pour ainsi dire constant des interrogations, qui doit créer dans une école bien conduite un échange d'idées continuel, bien qu'inégal, entre le maître et l'élève. 11 y a plus : les enfants des écoles primaires, parfois même les élèves qui arrivent à l'école normale, ne savent pas s'exprimer ; il faut, à la lettre, leur apprendre à causer.

A l'école primaire, dans les campagnes surtout, les enfants ont besoin qu'on les façonne à la parole : en classe par des questions, par des récitations et des lectures expliquées, par de petites narrations portant sur des faits réels, par des encouragements à ceux qui spontanément demandent des explications, font des remarques sensées, improvisent des exemples pour l'application des règles, etc. ; hors de la classe, dans les jeux, les récréations, les promenades. C'est souvent là qu'un maître intelligent et attentif saisira le mieux le naturel de ses élèves, leurs penchants, leurs qualités, leurs défauts ; il tiendra compte de ce qu'il leur aura entendu dire pour corriger à coup sûr les travers de langage et plus encore les travers d'esprit qu'il aura remarqués. Il pourra reprendre adroitement en classe tel sujet de conversation ébauché ailleurs entre eux, leur faire raconter tout haut, non à titre de leçon, mais comme pour intéresser leurs camarades, le fait amusant ou curieux, la nouvelle du jour, l'événement du village dont ils parlaient tout à l'heure. En les reprenant sans affectation, en leur suggérant le mot propre quand ils le cherchent, en se mêlant à la conversation du ton le plus naturel, en les encourageant à parler toujours simplement, mais correctement, un bon maître formera ses élèves presque sans peine, presque à leur insu ; il leur fera prendre goût aux conversations sérieuses et suivies, il leur fera peu à peu abandonner les manières de parler grossières, -brusques, saccadées, tapageuses, si fréquentes chez les enfants qui ne font en classe usage de la parole que pour réciter leurs leçons sur un ton nasillard.

Un pédagogue distingué, M. Théry, a justement insisté sur le rôle de la conversation dans l'éducation des filles. « De ce que le talent de la conversation est pour ainsi dire inné aux femmes, il serait peu juste d'en conclure, dit M. Théry, que le mieux est d'abandonner l'élève à son heureux instinct : il y a peu de plantes qui poussent avec assez d'indépendance et en terre assez fertile pour se passer des soins du jardinier. Moins austère que la leçon, plus souple, plus variée, la conversation ne sert pas moins les intérêts de l'enfant ; elle se prête à la mobilité des sentiments, elle supplée à ce que les leçons ne disent pas, elle en est le puissant auxiliaire. Par cet exercice trop négligé, l'esprit acquiert tout ensemble du développement et de la grâce, et lorsqu'elle se reproduit à diverses reprises sous une influence intelligente, elle fait passer dans les habitudes de l'esprit ce qui n'en paraissait qu'un accident. Et de quel avantage ne sera-t-elle pas pour former notre élève à l'élocution ? Une conversation de bon goût forme le style souvent mieux qu'une composition écrite. »

A l'école normale, la lâche, si elle est plus complexe qu'à l'école primaire, est à certains égards plus facile et plus intéressante. Il s'agit là de jeunes gens qui, tout en préparant leurs examens professionnels, s'éveillent à la vie de l'intelligence. Tout est nouveau pour eux dans ce inonde des idées dont l'histoire, les langues, les sciences, les arts même, leur ouvrent les portes et leur font entrevoir les merveilles. Dans un tel milieu, à cet âge de vives impressions, sous cette austère influence des études, n'est-il pas tout naturel que l'esprit se développe et se mûrisse, et qu'il cherche en quelque sorte à s'épancher par de nobles entretiens? Quel directeur, quelle directrice d'école normale n'a saisi par instants chez ses élèves ce besoin de converser, de discuter, de remuer ciel et terre, d'échanger pêle-mêle leurs idées de omni re scibili, et de quibusdam aliis ? Malheur à une école normale où ce besoin n'aurait jamais été ressenti, où rien n'aurait trahi ce bouillonnement de la sève intellectuelle! C'est ce trop-plein de l'étude qui s'écoulera naturellement en vives conversations. Sans prétendre diriger et régler toujours ces entretiens, un bon directeur d'école normale saura souvent s'y faire sa place, y faire intervenir ses maîtres adjoints, et de la sorte y maintenir le ton et l'esprit convenables. C'est d'ailleurs une excellente pratique, très usitée dans des pays voisins, que d'autoriser de temps en temps dans l'école normale, entre les élèves de 2e et de 3e année, des conférences ou discussions sur un sujet déterminé à l'avance et dont le choix leur est laissé, sous réserve de l'approbation du directeur. Les jeunes gens, tour à tour orateurs et auditeurs, se critiquent librement et sans amertume, donnent un emploi agréable et utile à quelques heures de loisir, apprennent à s'intéresser aux choses de l'esprit, à parler avec ordre et méthode au lieu de bavarder à tort et à travers, et, somme toute, ils se préparent de la sorte à l'exercice de la parole, dont ils auront à faire dans le cours de leur profession un usage constant.