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Contes

Sous ce terme générique, on comprend deux espèces de récits qui diffèrent d'origine et de caractère : 1° les contes de fées: 2° les contes moraux ou scientifiques à l'usage de la jeunesse. Examinons-les successivement.

I. — Les contes de fées, dits aussi Contes Bleus et Contes de ma Mère l'Oie, ont été longtemps abandonnés aux nourrices et aux vieilles filandières. C'est là que Charles Perrault a été chercher les aimables récits qui feront passer son nom à la postérité. Aujourd'hui, on en a fini avec cette indifférence dédaigneuse ; les contes de fées sont partout recherchés par les curieux et les érudits. Les premiers, les frères Grimm ont appelé l'attention sur les contes de fées qu'ils ont recueillis en Allemagne ; les pays voisins n'ont pas voulu rester en arrière ; nous possédons aujourd'hui des collections de contes norvégiens, islandais, danois, russes, serbes, bohêmes, italiens, irlandais, bretons, etc., sans parler de contes indiens, turcs, mongols, etc. On ferait toute une bibliothèque rien qu'avec les contes de fées de toute date et de tous pays.

Ces collections nous ont appris une chose curieuse, c'est que la plupart de ces contes appartiennent à une même famille et sortent probablement d'une même souche. D'où viennent-ils? Peut-on remonter jusqu'à l'original ?

En traduisant du sanscrit le Pantchatantra, ancien recueil de fables et de contes indiens, le savant orientaliste Benfey a publié, en appendice, un volume de notes dans lesquelles il donne la filiation de ces fables et de ces contes qui se sont répandus dans l'Occident aussi bien que dans l'Orient. Le point de départ est ordinairement dans l'Inde ; c'est de ce pays que seraient sortis la fable ésopique et la plupart de nos contes de fées. L'opinion de Benfey est généralement adoptée ; et, à condition d'admettre un certain nombre d'exceptions, elle a pour elle une grande vraisemblance.

Ces contes ont-ils été inventés par de beaux esprits pour amuser les enfants ? Non, sans doute ; ils ont une origine plus relevée. Ce ne sont pas des auteurs de profession qui les ont imaginés ; c'est une littérature populaire qui s'est faite pour ainsi dire d'elle-même, sans que personne puisse en réclamer la paternité.

Les contes sont d'anciens mythes, transformés en légendes, et qui, peu à peu, abandonnés par les classes instruites, mais conservés et amoindris par le souvenir populaire, ont pris la forme enfantine que la tradition nous a gardée. Déjà dans Homère, on peut saisir le passage du mythe à la légende, et de a légende au conte. Qu'est ce que l'épisode de Polyphème, ou celui des génisses du soleil dans l'Odyssée, sinon d'anciens mythes solaires devenus de simples légendes dont le sens primitif est perdu. Qu'est-ce que l'hymne homérique à Hermès, sinon une légende en train de devenir un conte de fées ?

Si telle est la source des contes, si ce sont des débris d'anciennes mythologies qui ne ressemblent guère plus à l'original que des galets, roulés par les flots de la mer, ne ressemblent au roc primitif dont ils ont été détachés, on comprend aisément qu'il ne faut pas parler de la moralité des contes de fées, ni en faire un objet d'enseignement. Mais faut-il les exclure de l'éducation des enfants? C'est une tout autre question. Tout ne s'apprend pas à l'école ; les livres nous enseignent bien des choses qu'il serait fâcheux d'ignorer, et qui nous serviront plus tard dans les combats de la vie.

Certaines personnes d'un esprit austère proscrivent les contes de fées. Elles veulent que l'enfant ne connaisse rien que de vrai ; elles repoussent loin de lui toute fiction comme un mensonge. Je suis d'un avis différent. Les contes de fées ne sont pas plus faux que la poésie et le théâtre ; ils sont, à vrai dire, la poésie épique des enfants. C'est à l'imagination qu'ils s adressent, et l'imagination est une faculté qu'il ne faut pas dédaigner plus que de raison. Atrophier l'imagination, c'est affaiblir la sensibilité de l'enfant, c'est détruire en lui le sentiment du beau, c'est-à-dire Quelque chose de plus élevé encore que le sentiment du vrai. Si les contes ont existé chez tous les peuples ; si les Egyptiens les ont aimés, comme on en peut juger par Hérodote ; si les jeunes Romaines se plaisaient au récit des malheurs de Psyché, ce conte dont le génie grec avait fait un chef-d'oeuvre ; si, depuis tant de siècles, ces inventions terribles ou gracieuses charment le peuple en tous pays et se conservent au travers de toutes les révolutions politiques, religieuses et littéraires, il faut reconnaître qu'il y a là quelque chose qui va droit au coeur de l'homme, et par conséquent un élément d'éducation qu'il ne faut pas négliger. J'estime donc qu'on peut sans danger laisser aux enfants les contes de fées, ainsi que les fables que je mets sur le même rang et qui ont a même origine. Le ciel nous préserve de ces sages de dix ans qui ne croient qu'à ce qu'ils touchent ; ce seront à vingt ans des pédants ou des égoïstes achevés.

II. — Si les contes de fées ressemblent à la poésie, les contes moraux, écrits pour la jeunesse, ressemblent aux romans et sont de même famille. On en a fait de trop bons dans notre temps pour que je songe à les critiquer. Qui ne connaît le nom de Miss Edgeworth, et combien de jeunes Françaises, aujourd'hui grand’mères, n'ont-elles pas formé leur coeur à la lecture des contes de Bouilly?

Toute la question, c'est que ces contes nous enseignent une morale virile, et ne soient pas, comme les mauvais romans, un appel à la sensiblerie. Il n'y a pas de mal à intéresser à des souffrances fictives des enfants qui seront de bonne heure en face de souffrances véritables, mais il faut que ces contes soient un apprentissage de la vie, et non pas de ces récits imaginaires qui dégoûtent de la réalité. Les contes de fées n'ont pas ce danger ; il n'est pas un enfant qui s'imagine devenir un jour l'Oiseau bleu ou le Prince lutin ; mais, à lire certains contes où tout le monde est vertueux, reconnaissant et sensible, on sent bien qu'une éducation aussi étrangère à la vérité des choses ne peut qu'affadir l'esprit et le coeur. Ce qui revient à dire que les contes moraux sont bons pour les enfants quand ils sont une peinture véritable de la vie, c'est-à-dire de vrais chefs-d'oeuvre, et qu'au contraire, ils sont dangereux quand ils sont faux et insipides. Du reste, pour l'éducation, je leur préfère des histoires véritables, et surtout des biographies. L'exemple d'hommes qui ont vécu et souffert comme nous aura toujours une éloquence que la fiction n'atteindra pas.

Quant aux contes scientifiques qui sont à la mode aujourd'hui, je ferai volontiers une exception pour les voyages, dont le fond est vrai si le récit est fictif ; mais pour l'astronomie, la chimie, la physique, la mécanique, la physiologie mises en roman, j'avoue que cela me paraît une erreur de goût. La science ne s adresse pas à l'imagination, mais à la raison ; c'est donc à la raison seule qu'il faut parler. Ceci est, du reste, une opinion individuelle ; et si je trouve ces contes scientifiques assez ennuyeux, je ne les trouve pas dangereux. A mon sens, c'est prendre un trop grand détour pour arriver à la vérité, mais, après tout, il y a des esprits qui ont peut-être besoin de prendre le chemin des écoliers.

Édouard Laboulaye