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Conseil des inspecteurs primaires

Aux termes de l'art 27 de la loi du 30 octobre 1886, « la nomination des instituteurs titulaires est faite par le préfet, sous l'autorité du ministre de l'instruction publique et sur la proposition de l'inspecteur d'académie ». C'est en conséquence à ce dernier qu'il appartient de préparer pour la rentrée des classes le mouvement du personnel et de proposer, s'il y a lieu, les mutations qui paraîtraient nécessaires au cours de l'année scolaire. C'est là, sans contredit, la plus importante et la plus délicate des attributions de l'inspecteur d'académie,

En juin 1907, les représentants élus de l'enseignement primaire au Conseil supérieur de l'instruction publique adressèrent au ministre le voeu suivant : « Que M. le ministre veuille bien donner des instructions pour que soient étudiées et arrêtées en commun, dans un Conseil des inspecteurs primaires et des délégués des instituteurs, les propositions que l'inspecteur d'académie doit présenter au préfet en vue de la nomination, des déplacements, de l'avancement et de la mise à la retraite des instituteurs et des institutrices. »

En réponse à ce voeu, le ministre, par une circulaire aux préfets en date du 15 janvier 1908, a fait connaître qu'il ne lui paraissait pas possible d'adopter ce système, qui, à son avis, serait loin de réaliser dans la pratique les espérances conçues par ceux qui l'ont conçu et se heurterait à des difficultés d'ordre légal dont le gouvernement ne peut faire bon marché. La circulaire en donne les raisons suivantes :

« De cette autorité remise au préfet par délégation, on est en droit de se demander ce qu'il resterait si ce fonctionnaire se trouvait en présence, non plus de propositions émanant de l'inspecteur d'académie, dont il peut discuter avec lui la justice et l'opportunité, mais de propositions arrêtées en Conseil officiellement constitué, qui se présenteraient à lui sous la forme d'injonctions qu'il ne pourrait discuter valablement et dont le rejet de sa part l'exposerait à d'inévitables conflits.

« En ce qui concerne l'inspecteur d'académie, la loi, en lui conférant le droit de proposition, lui a imposé, en même temps, une responsabilité certaine, qu'il doit savoir prendre, s'il a le juste souci de la dignité de sa fonction. Les propositions qu'il prépare et soumet, il doit être capable de les justifier, soit au regard du préfet appelé à les ratifier, soit au regard du personnel, juge de son impartialité et de son esprit d'équité. Que devient cette responsabilité si, refusant de l'assumer tout entière, il abdique aux mains d'un Conseil composé d'inspecteurs primaires, ses subordonnés, et d'instituteurs qui n'ont de comptes à rendre qu'à leurs mandataires? En se dispersant, cette responsabilité s'évanouit et se réduit à néant ; on la cherche sans la trouver nulle part.

« Ainsi seraient tournées, et en réalité abolies, les prescriptions d'une loi organique qui a prétendu déterminer d'une manière précise les obligations de chacun des fonctionnaires auxquels l'Etat remet l'une de ses prérogatives essentielles. »

Cependant, après ce refus opposé à des prétentions jugées excessives, le ministre admet qu'il peut y avoir utilité pour l'inspecteur d'académie à s'entourer, avant d'arrêter ses propositions, des avis des inspecteurs primaires du département et même à recueillir ceux des représentants des instituteurs. C'est là la partie la plus intéressante de la circulaire du 15 janvier 1908, qui, en fait, institue le Conseil des inspecteurs primaires, en règle le fonctionnement et trace aux préfets et aux inspecteurs d'académie la conduite à tenir vis-à-vis des associations d'instituteurs. Nous croyons devoir reproduire in-extenso ces instructions :

« Toutefois, des voeux qui m'ont été soumis, je retiens la préoccupation dominante d'éclairer aussi exactement que possible l'inspecteur d'académie sur les intérêts, les besoins et aussi les titres et les mérites comparatifs des fonctionnaires qui devront participer au mouvement du personnel. Rien de plus naturel et de plus légitime que cette préoccupation. Sans doute, chaque fois qu'un poste est à pourvoir, il est matériellement impossible de convoquer auprès du chef de service tous les inspecteurs primaires qui forment son conseil naturel. Sans doute, aussi, chacun d'eux n'est compétent que pour la circonscription qu'il administre ; il est mauvais juge des instituteurs qu'il ne connaît pas. Mais, une fois l'an, au moins, avant les mouvements généraux du personnel, l'inspecteur d'académie devra réunir le Conseil de ses subordonnés, et le consulter en vue de la liste des propositions qu'il lui incombe, à lui seul, de dresser. A lui seul, en effet, il appartient de faire son profit des renseignements qu'il recueille en ces réunions, de les rapprocher, de les combiner, et d'arrêter la liste des propositions par des considérations d'un ordre plus général que celui que peuvent envisager les inspecteurs primaires. Beaucoup de nos chefs de service ont recours spontanément, dès à présent, à ce mode de consultation. Il importe qu'il se généralise et devienne pour tous une habitude et une règle.

« Vous reconnaîtrez que les représentants élus des groupements autorisés d'instituteurs ne sauraient participer dans la même forme à cette consultation. Ils n'ont pas qualité pour comparer et apprécier la valeur pédagogique de collègues qui sont leurs égaux ; il serait d'une incorrection et parfois d'une indiscrétion intolérable de leur communiquer des notes et des dossiers qui appartiennent aux administrateurs et ne doivent être ouverts qu'aux intéressés, dans les formes fixées par la loi. Les préfets et les inspecteurs d'académie peuvent, s'ils le jugent à propos, s'adresser à ces représentants, les interroger à titre privé, les éclairer sur leurs intentions et compléter auprès d'eux les informations dont ils ont besoin pour bien connaître les convenances et les désirs de chacun. Le ministre a lui-même recommandé fréquemment à ces fonctionnaires de rechercher les occasions de se rapprocher de leur personnel, de ne jamais perdre le contact avec lui, de le soutenir dans les difficultés qu'il rencontre, de lui témoigner la bienveillance qui anime à son égard les pouvoirs publics. Leur autorité n'a rien à perdre à ces rapprochements ; ils y gagnent de dissiper parfois des défiances imméritées et de conquérir une confiance sans laquelle leur action resterait le plus souvent inefficace.

« Mais il serait contraire à mes intentions de transformer cette consultation tout officieuse et privée en un droit pour les administrés de substituer leur initiative en matière de proposition et de nomination à celle que les lois et décrets ont nettement déterminée, et de créer ainsi, dans notre organisation scolaire, un rouage nouveau qui la fausserait en ses principes essentiels. »

M. E. Devinat, directeur de l'école normale d'instituteurs de la Seine, qui avait défendu, devant la Section permanente du Conseil supérieur, le voeu en Question, explique en ces termes quels avaient été les désirs et les intentions de ceux qui l'ont présenté :

« Les signataires entendaient ainsi fortifier l'autorité de l'administration académique et réaliser pleinement les intentions de la loi du 30 octobre 1886 en ne laissant au préfet, selon l'expression du rapporteur, M. J. Steeg, qu'un pouvoir de « contrôle et de veto ». Ils pensaient que seule cette mesure pouvait faire obstacle aux pressions des hommes politiques et offrir aux instituteurs de suffisantes garanties de justice et de sécurité. Si la « faculté de résistance » de l'inspecteur d'académie a des limites, ce n'est pas seulement parce que toute administration comporte des arrangements transactionnels, c'est parce que ce chef de service est trop à découvert et court trop de risques personnels. Il s'agissait de renforcer son pouvoir de l'autorité d'une assemblée dont les décisions collectives laissaient chacun de ses membres plus indépendant que lui parce que moins vulnérable.

«La compétence de ce Conseil eût été indiscutable. Les inspecteurs primaires ont déjà réglementairement un avis à donner sur les mesures administratives précitées. Et cet avis devrait avoir d'autant plus de poids que leurs fonctions les mettent, bien plus que les inspecteurs d'académie, en contact direct avec le personnel, les écoles, les municipalités et les familles. Aujourd'hui, on peut, sans dire pourquoi, n'en tenir aucun compte, n en faire mention nulle part, et laisser ainsi les inspecteurs primaires moralement responsables, aux yeux de leurs subordonnés, de mesures qu'ils n'ont ni provoquées ni inspirées, contraires même à leurs propres vues. Cette situation fâcheuse eût pris fin par la création du Conseil des inspecteurs tel qu'il était conçu, et l'on eût enfin donné à ces fonctionnaires, dans l'administration départementale, une place en rapport avec leur compétence et leur mérite, mérite qui fut solennellement reconnu, en ces termes, par Jules Ferry dans sa circulaire du 10 février 1881 : « Aujourd'hui qu'il est nécessairement pris dans l'élite du corps enseignant., l'inspecteur primaire est un des fonctionnaires dont l'autorité, dans ses limites modestes, est le mieux établie et le plus aisément acceptée ».

« Voici comment on pouvait prévoir le travail en commun, dans le Conseil des inspecteurs : Quinze jours avant la réunion du Conseil, l'inspecteur d'académie eût reçu des inspecteurs primaires leurs propositions écrites. Il les eût coordonnées et communiquées au préfet. Celui-ci aurait fait part à l'inspecteur d'académie de ses observations de tout ordre, d'ordre administratif et d'ordre politique. A son tour, l'inspecteur d'académie eût apporté au Conseil tous ses documents, y compris les observations du préfet. Les inspecteurs primaires, qui ont l'habitude des affaires et savent tenir compte des faits, eussent distingué les nécessités inéluctables et se fussent inclinés devant elles. Mais il est de certaines propositions qu'ils eussent rejetées, au nom de la justice et des intérêts de l'école, sans avoir besoin pour cela d'héroïsme.

« Quant à la présence des instituteurs délégués, elle avait l'avantage, aux yeux des signataires du voeu, d'apporter dans les actes administratifs plus de clarté, par suite plus de prudence, et de faire la preuve, en quelque sorte publique, de l'esprit d'équité et du souci du bien général qui président ordinairement aux décisions des chefs dans le service de l'enseignement primaire. Ces délégués eussent été là surtout à titre de témoins, et ce simple fait eût constitué peut-être la barrière la plus solide au favoritisme et à l'arbitraire. Sans doute, il eût fallu ouvrir devant eux le dossier de quelques-uns de leurs collègues. Mais cette question n'est-elle pas déjà résolue au Conseil départemental?

« D'autres inconvénients possibles du Conseil des inspecteurs n'avaient pas échappé aux signataires du voeu : les avantages qu'on en pouvait espérer leur avaient paru d'une bien autre portée.

« Ce premier effort, sans avoir abouti, n'a pas été tout à fait perdu. Nous avons la ferme confiance que d'autres le suivront, qui seront plus heureux. »