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Conseil des cinq-cents

Aux termes de la constitution de l'an III, le Conseil des Cinq-Cents était seul investi du droit de proposer les lois, qu'il appartenait au Conseil des Anciens d'adopter ou de repousser. Ce fut donc dans le sein du Conseil des Cinq-Cents que durent se produire, durant la période du Directoire, les propositions tendant à modifier ou à compléter l'organisation de l'instruction publique. Quoique la plupart d'entre elles n'aient pas été transformées en lois (pour les lois des 25 messidor an IV, 25 messidor, 25 et 26 fructidor an V, Voir Conseil des Anciens), les débats auxquels ces propositions donnèrent lieu sont intéressants, surtout parce qu'ils font connaître la manière dont fonctionnaient dans la pratique les lois que la Convention avait laissé au Directoire le soin d'appliquer. Nous résumerons en conséquence les discussions des Cinq-Cents relatives à l'instruction primaire.

La loi sur l'instruction publique qui fut en vigueur de 1795 à 1799 était celle du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), votée par la Convention la veille du jour où elle se sépara. Relativement à l'instruction primaire, elle portait en substance ce qui suit : II sera établi dans chaque canton une ou plusieurs écoles primaires, dont les arrondissements seront déterminés par les administrations de département. Les instituteurs ne reçoivent pas de traitement ; mais l'Etat leur fournit un logement et un jardin, ou leur alloue une indemnité équivalente ; en outre, les élèves leur paient une rétribution annuelle, dont le taux est fixé par l'administration du département, et dont les indigents sont dispensés. Les instituteurs sont nommés et révoqués par les administrations de département. La surveillance des écoles appartient aux municipalités. Au sortir de l'école primaire, les élèves désireux de poursuivre leurs études entrent dans une école centrale ; ils ne peuvent y être admis qu'après l'âge de douze ans. Chaque département doit avoir son école centrale, sans préjudice des écoles centrales complémentaires que les communes peuvent organiser à leurs frais.

Le 28 pluviôse an IV (17 février 1796), sur la proposition de Lakanal, le Conseil des Cinq-Cents adopta une résolution tendant à compléter cette organisation par l'impression, aux frais de la République, des livres élémentaires dont la Convention avait mis la rédaction au concours par la loi du 9 pluviôse an II. Cette résolution rencontra une vive opposition au Conseil des Anciens, qui finit pourtant par lui accorder son approbation le 11 germinal an IV.

Le 26 floréal an V, le Conseil des Cinq-Cents vota l'impression et la distribution d'un rapport et d'un projet de décret rédigés par Daunou au nom d'une commission qui avait été chargée de faire un travail sur les écoles supérieures spéciales.

En prairial an V (mai 1797), le renouvellement d'un tiers des Conseils donna aux royalistes la majorité aux Cinq-Cents. Ils commencèrent immédiatement la guerre contre les institutions républicaines, et l'organisation de l'instruction publique, entre autres, fut l'objet de leurs attaques. Dans la séance du 13 prairial, l'un d'eux, Dumolard, prit la parole en ces termes :

« Il est essentiel de dire enfin toute la vérité sur ce qui concerne l'organisation actuelle de l'instruction publique ; il est trop vrai de dire que nous n'avons rien de bon en ce genre, et que les nouvelles institutions n'ont produit aucun résultat heureux. Je demande qu'une commission s'occupe d'un travail général sur l'instruction publique. »

Cette proposition fut accueillie par les murmures du parti républicain. Chénier répondit : « On propose de revenir sur tout ce qui a été fait à l'égard de l'instruction publique. On ne se donne pas la peine d'examiner la loi qui a créé les établissements qu'on veut détruire ; on oublie que cette loi fut le résultat d'un travail très approfondi de la Commission des Onze (Voir Convention). Avant de détruire ce qui existe, il faudrait apprendre de Dumolard ce qu'il désire y substituer, si ses plans et ses matériaux sont prêts. Attendons que les institutions se soient assises, et qu'elles aient pris racine, pour en exiger d'heureux fruits. Je demande l'ordre du jour sur la proposition de Dumolard. »

Plusieurs membres parlèrent dans le même sens que Chénier. Alors Boissy d'Anglas, autre royaliste, adoucit la proposition de Dumolard ; il demanda qu'une commission fût nommée « non pour renverser, mais pour nous dire où nous en sommes, et proposer des moyens d'amélioration ».

Dans cette forme, la proposition fut adoptée, et une Commission d'instruction publique fut nommée.

Mais, trois mois plus tard, la journée du 18 fructidor an V expulsait les représentants royalistes (Dumolard et Boissy furent parmi les condamnés à la déportation) et rendait aux républicains la prépondérance dans les Conseils. On put donc être assuré que les propositions que ferait la Commission d'instruction publique ne seraient adoptées que si elles étaient conformes aux vues générales du parti républicain.

Ce fut le 6 brumaire an VI (27 octobre 1797) que cette Commission présenta son rapport par l'organe de Roger-Martin. L'impression du rapport fut votée, et le 27 brumaire (17 novembre) la discussion s'engagea. Roger-Martin exposa le projet de la Commission : le nombre des écoles primaires serait fixé à une école pour trois mille habitants, soit 10, 000 écoles pour la France entière ; les instituteurs recevraient un traitement qui pourrait s'élever à 400 francs. Le nombre des écoles centrales serait réduit de moitié : il n'y en aurait plus que quarante-deux ; le texte de la constitution permettait cette réduction, car l'art. 297, qui prescrivait l'entretien « d'écoles supérieures aux écoles primaires », exigeait seulement que « le nombre de ces écoles fût tel qu'il y en eût au moins une pour deux départements ». En revanche, la Commission proposait la création d'écoles secondaires, intermédiaires entre les écoles primaires et les écoles centrales ; il y aurait trois ou quatre de ces écoles secondaires par département. Enfin, au-dessus des écoles centrales, l'Etat créerait un certain nombre de lycées, espèces d'universités donnant l'instruction supérieure. C'était (sauf en ce qui concerne la réduction du nombre des écoles centrales) le plan de Condorcet que reprenait la Commission d'instruction publique.

Le projet de la Commission rencontra une vive opposition, dont Barailon se fit le principal organe. La prétendue lacune qu'on veut voir entre les écoles primaires et les écoles centrales n'existe pas, dit-il, et par conséquent les écoles secondaires sont inutiles. Il prit chaleureusement la défense des écoles centrales, et demanda qu'on n'en supprimât aucune : il donna beaucoup de détails intéressants sur la manière dont elles fonctionnaient, et sur les services qu'elles rendaient. Quant à l'instruction primaire, il était partisan du statu quo. « On objecte que les écoles primaires n'existent qu'en projet. Cette assertion est sans fondement. Elles subsistent partout où on les a organisées ; elles sont ce qu'elles peuvent être : c'est-à-dire que l'on y enseigne à lire, à écrire, à calculer, et les éléments de la morale républicaine. » Il combattit la proposition de donner un traitement aux instituteurs : « La Convention en l'an III (Barailon fait allusion au décret voté le 27 brumaire an III sur le rapport de Lakanal, et qui allouait de 1200 à 1500 francs de traitement aux instituteurs) a été plus généreuse que ne le seraient les Conseils en l'an VI, mais inutilement : partout on rencontra beaucoup d'hommes pour recevoir le traitement, presque nulle part on ne trouva un instituteur ; et l'on fit à cet égard, et en pure perte, des sacrifices immenses. Les commissaires envoyés dans les départements vous diront que, quoique l’instruction fût gratuite, les écoles des campagnes n'en étaient pas moins désertes pendant l'été, qu'il ne s'y rendait que très peu d'élèves pendant l'hiver ; ils vous diront enfin que la nation n'en recueillit aucun fruit. » L'orateur constata qu'au moment où il parlait, il existait en France à peu près 5000 écoles primaires, qui coûtaient, à raison de 150 livres chacune (pour l'indemnité de logement), la somme de 750 000 livres. En terminant, Barailon combattit la création des lycées ; où il ne voyait « qu'une vraie superfétation », qui aboutirait seulement « à paralyser, à inutiliser les écoles spéciales ».

Luminais (futur sénateur), qui succéda à Barailon, parla dans un sens tout contraire. Il se déclara partisan des écoles secondaires, et attaqua vivement les écoles centrales. « La Convention a créé des écoles centrales quand il n'y avait pas une seule école primaire d'organisée…. La Commission a eu le courage de retrancher la moitié de ces vains arsenaux de charlatanisme et de pédanterie ; elle aurait dû retrancher encore les deux tiers de ce qui reste ; quinze ou vingt écoles centrales pour toute la France, c'est bien assez. »

La discussion, ajournée, fut reprise le 11 frimaire (1er décembre). Maugenest parla contre le projet de la Commission. Il ne voulait pas d'écoles secondaires. Ce qu'il faut, dit-il, c'est multiplier les écoles primaires ; une école pour trois mille habitants, ce serait trop peu : la loi du 3 brumaire est plus large que cela. « Bornons-nous, quant à présent, à l'exécution de la loi du 3 brumaire. Les commencements sont toujours pénibles., mais vous verrez bientôt les communes venir de toutes parts vous demander des écoles primaires. » Mortier-Duparc, député de la Sarthe, ne voulait pas non plus d'écoles secondaires, mais il suggéra une idée que lui avait donnée son expérience de l'enseignement ; car il rappela qu'il avait été lui-même inspecteur des grandes et petites écoles (au Mans, en 1703). Il faudrait compléter l'enseignement primaire ; à cet effet, les écoles primaires se distingueraient en incomplètes ou ordinaires et en complètes : ces dernières seraient formées par la réunion de plusieurs instituteurs dans une même commune, et l'on pourrait en établir un certain nombre dans chaque département.

Ehrmann désirait que chaque commune arrivât à posséder son école primaire, « comme cela était dans la ci-devant Alsace ».

Au vote qui eut lieu dans cette même séance, le Conseil des Cinq-Cents décida : que chaque département conserverait son école centrale ; que le projet des écoles secondaires était rejeté ; que ce qui concernait les écoles primaires était ajourné.

Trois mois plus tard (8 ventôse an VI, 26 février 1798), les Cinq-Cents entendirent un nouveau rapport de Roger-Martin sur l'organisation des écoles primaires. L'impression et l'ajournement furent ordonnés sans discussion, et le Conseil ne s'occupa plus de cet objet jusqu'en l'an VII. Pourtant, le 1er messidor an VI (19 juin 1798), Dulaure, par une motion d'ordre, proposa qu'on établît « un programme et des prix pour l'auteur du meilleur plan d'instruction ». Sa proposition fut simplement renvoyée à la Commission d'instruction publique.

Le 16 brumaire an VII (6 novembre 1798), Bonnaire insista pour que la question des écoles primaires fût remise à l'ordre du jour. « N'oublions point que l'an XII approche, qu'à cette époque tout Français, pour être citoyen, doit savoir lire et écrire ; et cependant presque nulle part les écoles primaires ne sont en activité ; ainsi chaque moment de retard raie pour la suite une foule de Français de la liste des citoyens. » (La constitution de l'an III disait en effet à l'art. 16 : « Les jeunes gens ne peuvent être inscrits sur le registre civique, s'ils ne prouvent qu'ils savent lire et écrire, et exercer une profession mécanique. Cet article n'aura d'exécution qu'à compter de l'an XII de la République. ») « Ne voyons-nous pas, continua l'orateur, que les écoles de la monarchie se nourrissent et s'engraissent de la perte et de la ruine des écoles nationales ; qu'on y perpétue les préjugés et la haine de la République ; et que, si nous n'y prenons garde, les enfants de la liberté, si tourmentés, si calomniés, ne trouveront pas même à se reposer dans le sein des générations suivantes? »

En effet, les écoles privées, auxquelles l'art. 300 de la constitution garantissait la plus entière liberté, et qui étaient presque toutes dirigées par des partisans du royalisme, comptaient leurs élèves par milliers : il y avait là un danger sérieux pour l'avenir des institutions républicaines. Le cri d'alarme de Bonnaire fut entendu ; trois jours après (19 brumaire), Roger-Martin, au nom de la Commission d'instruction publique, présenta un nouveau projet, différent sur plusieurs points de celui qu'il avait présenté l'année précédente.

Ce projet prenait encore pour base la loi du 3 brumaire an IV, à laquelle la Commission proposait diverses améliorations. Les instituteurs primaires recevront de la République un traitement qui suivra jusqu'à un certain point la progression de la population des communes ; de plus, une indemnité de logement, et la rétribution casuelle sur les élèves établie par la loi du 3 brumaire. Sur ce point, dit le rapporteur, « le projet établit deux conditions importantes : la première, que la rétribution sera payée par les parents de tous les enfants mâles non indigents de l'arrondissement (scolaire), depuis l'âge de sept ans jusqu'à dix, soit que lesdits enfants fréquentent ou ne fréquentent pas l'école ; la seconde, que cette rétribution casuelle sera remise au percepteur des contributions publiques, qui en comptera avec l'instituteur ». Le projet veut, en outre, « pour appeler au premier degré d'enseignement bon nombre d'hommes instruits, qu'après une certaine époque de l'ère républicaine, nul ne puisse être promu à une place de professeur dans une école centrale, sans avoir rempli, au moins pendant deux ans, les fonctions d'instituteur dans les écoles primaires ».

De plus, le projet établit que, « dans quelques points remarquables de chaque département, deux ou trois instituteurs primaires seront réunis dans la même école, afin de donner à leur enseignement un degré d'élévation qu'il ne peut avoir dans les écoles ordinaires (proposition de Mortier-Duparc). C'est par ces écoles primaires renforcées que la Commission d'instruction publique entend suppléer aux écoles secondaires, proposées dans la dernière session, et que le Conseil n'admit point à cette époque.

« Dans les mêmes communes où seront établies les écoles primaires renforcées, il doit être formé, d'après le nouveau plan, une école et un pensionnat pour les jeunes personnes du sexe ; et sans compter les grandes communes, dont la population demandera seule quelques-uns de ces établissements, il en sera formé un par chaque arrondissement de police correctionnelle. »

L'école centrale formera, comme dans la loi du 3 brumaire, le second degré d'instruction publique. Il en est conservé une par département, et les frais en sont pris sur les dépenses départementales. Le troisième degré d'enseignement sera forme par les lycées : il y en aura cinq dans toute l'étendue de la République. A côté des lycées, les écoles spéciales continueront à subsister.

L'impression et l'ajournement furent votés. A quelques jours de là (22 brumaire), Heurtaut-Lamerville présenta, au nom de la Commission, une résolution relative uniquement aux écoles primaires, et comprenant six titres. Il y aura une école à raison de 1000 à 1200 âmes de population. Le traitement des instituteurs sera de 150 à 400 francs, suivant la population des communes : ils auront en outre le logement gratuit, et, à cet effet, les communes pourront disposer des presbytères ; la rétribution des élèves variera de 25 centimes à 1 franc. Pour les institutrices, le traitement et la rétribution seront diminués d'un cinquième. Pour être instituteur, il faudra être inscrit sur le registre civique, et n'être ministre d'aucun culte ; à capacité égale, la préférence sera donnée aux militaires blessés.

Le 24 nivôse (14 janvier 1799), la discussion s'engagea sur la résolution présentée par Heurtaut-Lamerville. Duplantier, de la Gironde, demanda l'adoption des trois principes suivants : 1° Nulle personne, autre que les instituteurs nationaux, ne pourra enseigner les éléments de la morale ; 2° aucun établissement particulier d'instruction ne pourra recevoir de jeunes citoyens avant l'âge de douze ans ; 3° tous les jeunes citoyens sont tenus de fréquenter, jusqu'à cet âge, les écoles primaires de leur arrondissement. Par l'adoption de ces principes, Duplantier espérait voir se réaliser une éducation uniforme et commune à tous. — La discussion continua le 28. Joubert, de l'Hérault, voulait combattre l'influence de la superstition par les fêtes civiques : « Les méditations de la Commission se sont trop dirigées sur l'organisation de la haute instruction. Cette instruction sera toujours le partage des citoyens aisés ; mais l'instruction primaire est le patrimoine et le besoin de la grande masse du peuple. C'est d'elle surtout que vous devez vous occuper. De grands événements politiques se préparent ; les gouvernements qui n'ont d autre base que les préjugés et le fanatisme sont prêts à s'écrouler ; si un peuple reste doué d'un caractère national élevé par e sentiment de la liberté, ce peuple atteindra le faîte de la gloire, de la grandeur et de la prospérité. Telles sont les destinées de la nation française, si un bon système d éducation complète ses institutions. »

Sherlock demanda une éducation commune ; il cita le girondin Ducos, qui disait : « Il faut opter entre l'éducation domestique et la liberté ». Il ajouta : « Vos commissions ont été trop prodigues d'instruction, et trop avares d'éducation nationale ». — Bonnaire recommanda l'adoption du projet: « Les habitants des campagnes sont plongés dans l'abrutissement ; il faut les en tirer. Nous manquons d'instituteurs ; il faut en créer. Il serait à désirer sans doute que dès ce moment on pût établir une école primaire d ns chaque commune: mais les localités s'y opposent encore. Il faut commencer par les communes qui offrent le plus de ressources. »— Challan voulait qu'on interdît les fonctions d'instituteur « non seulement aux ministres des cultes, mais à ceux qui les aident à titre de sacristains, de chantres, de bedeaux ; ils ne sont pas moins fanatiques que les prêtres ».

Dans la séance du 29 pluviôse (17 février 1799), Pison-Dugalland combattit les idées de la Commission et celles de Duplantier : il ne voulait pas d'écoles de filles, ni d'écoles primaires renforcées ; il demandait qu'on laissât aux prêtres l'enseignement de la morale.

Le 13 germinal, Bailleul parla dans un sens opposé. Il proposa, entre autres choses, la création d'instituteur de morale. Il yen aurait un dans chaque chef-lieu de canton. Ses fonctions seraient de surveiller les écoles primaires, de diriger les fêtes publiques, et de faire chaque jour de décadi une instruction morale dans deux arrondissements (scolaires) différents. La morale enseignée serait basée sur la Déclaration des droits et des devoirs de l'homme : « Nul ne peut se faire illusion sur la capacité des instituteurs primaires. Pour utiliser, surveiller, diriger ces écoles, il n'est qu'un moyen, c'est l'emploi d'hommes plus éclairés qu'on ne l'est ordinairement, attachés à la patrie en raison de leurs lumières. » Les instituteurs de morale, qui seront ces hommes-là, seront formés soit dans les écoles centrales, soit dans des maisons d'institution de morale à créer.

Heurtaut-Lamerville répondit à toutes les objections qui avaient été présentées contre le projet de résolution. Contre l'avis de Duplantier, il ne voulait pas qu'on interdit aux instituteurs privés d'avoir des élèves de moins de douze ans : « l'enseignement particulier a dû paraître aux rédacteurs de la constitution un art libre comme tant d'autres arts ». Il vaut mieux qu'une surveillance infatigable affaiblisse la contradiction de principes ou de formes qui existe entre les écoles privées et les écoles nationales. Il combattit l'opinion de ceux qui, à l'imitation des anciens, réclamaient une éducation commune. D'ailleurs, « quand la situation de nos finances ne nous permet pas seulement d'accorder aux instituteurs primaires e logement que leur promet l'article 296 de la constitution, pourrions-nous adopter des projets d'établissements que des siècles ne réaliseraient point? » Il rappela que la Commission, sans interdire la fréquentation d'une école privée, obligeait tous les enfants de payer la rétribution individuelle à l'instituteur primaire de leur arrondissement, qu'ils fréquentassent ou non l'école ; en outre, la conscription est là (la loi établissant la conscription avait été votée l'année précédente), « qui se rit du fol orgueil des messieurs. A l'armée, l'inflexible niveau de l'égalité les attend ; voilà la loi complémentaire, réparatoire de tout ce qui pourrait manquer à notre instruction publique. » Il parla de la morale dans le sens de Joubert, en ajoutant que la loi sur les fêtes décadaires satisfaisait déjà à une grande partie de ce que désirait celui-ci. il justifia l'idée, combattue par Pison-Dugalland, de réunir plusieurs instituteurs dans une même école primaire, idée dans laquelle Pison avait cru reconnaître l'établissement déguisé d'écoles secondaires. Il ne croyait pas non plus, comme Pison, qu'il fallût ajourner l'éducation des femmes. Il combattit l'opinion de ceux qui voudraient un instituteur pour chaque commune : il serait impossible de faire les fonds pour 50 000 instituteurs, et plus encore de trouver ces instituteurs eux-mêmes.

La discussion fut ajournée.

Le 18 germinal an VII (8 avril 1799), Boulay (de la Meurthe) attaqua les projets de Roger-Martin et de Heurtaut-Lamerville. Il voulait la liberté de l'enseignemeut, parce que l'Etat, dans la situation de ses finances, serait incapable de fournir aux besoins de 50 000 communes. Il cita Athènes, où les philosophes tenaient leurs écoles librement ouvertes. Laissez faire, voilà la grande maxime qui doit diriger le gouvernement.

Le 21 germinal, André (du Bas-Rhin) répliqua à Boulay, qui ne voulait pas d'une éducation nationale ; d'autre part, André repoussait l'éducation commune forcée : l'art 300 de la constitution s'y opposait.

Le 1er floréal (20 avril 1799), Andrieux (le poète) combattit les projets de la Commission dans un long discours, qu'il continua dans la séance du 11. La Commission a fait trop de luxe ; il faudrait, pour réaliser son plan, 25000 à 30000 instituteurs, 1400 à 1500 professeurs, etc. Il semble qu'il s'agisse de faire renaître les sciences de leurs cendres. Mais sont-elles donc perdues en France? N'y sont-elles pas au contraire portées plus loin que dans aucun autre pays du monde? Andrieux pense, lui aussi, qu'il serait désirable d'avoir une école primaire dans chaque commune. En attendant, il se range à l'avis de la Commission, c'est-à-dire un instituteur par 1000 ou 1200 habitants. Mais la liberté des pères de famille doit être respectée ; chacun doit être libre d'instruire ou de faire instruire ses enfants de la manière qui lui paraît préférable. Il combat Duplantier, qui ne veut permettre l'enseignement de la morale qu'aux seuls instituteurs nationaux. Il trouve en général le système de la Commission trop autoritaire, et désire que le pouvoir administratif intervienne le moins possible dans les détails de l'éducation. En conséquence, il propose de remettre la nomination des instituteurs aux assemblées primaires, et non à l'administration du département. La Commission demandait la rédaction de manuels officiels à l'usage des écoles ; Andrieux rappela que, par une loi du 11 germinal an IV, les Conseils avaient adopté pour l'instruction primaire des livres choisis par un jury à la suite d'un concours ouvert par la Convention ; il pensait qu'on pourrait s'en tenir à ces livres-là. Il termina en présentant ses idées sous la forme d'un contre-projet.

Bonnaire répondit à Boulay (de la Meurthe) et par conséquent à Andrieux aussi, qui avaient invoqué le droit des pères de famille et la liberté. Une éducation nationale est nécessaire ; l'Etat a le droit et le devoir de prendre en mains l'instruction primaire. « Vous dites qu'en laissant beaucoup de liberté, le désir de l'instruction naîtra, et qu'on la recevra dans les campagnes sans sacrifices de la part de la République. Si les communes paient les instituteurs, il n y en aura pas. »

Paroles prophétiques. Les délibérations du Conseil des Cinq-Cents sur l'organisation de l'instruction publique, brusquement interrompues à ce moment par les dangers de la France menacée d'une nouvelle invasion, ne purent être reprises. Cinq mois après la séance où avait parlé Bonnaire, le coup d'Etat du 18 brumaire mettait fin à la constitution de l'an III ; moins de trois ans plus tard, la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), remplaçant celle du 3 brumaire an IV, stipulait que les écoles primaires, rendues facultatives, seraient établies et entretenues exclusivement par les communes (Voir Consulat). Le résultat fut celui qu'avait prédit Bonnaire: pendant trente années, sous le Consulat, l'Empire et la Restauration, l'instruction primaire en France resta dans le plus fâcheux état d'infériorité et d'abandon, jusqu'au moment la loi de 1833 vint reprendre, dans une certaine mesure, les traditions des assemblées de la Révolution.