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Conseil des anciens

 La constitution de l'an III avait remis le pouvoir législatif à deux conseils : celui des Cinq-Cents, qui proposait les lois, et celui des Anciens, à qui il appartenait d'approuver ou de repousser les projets ou résolutions que lui soumettait le Conseil des Cinq-Cents.

Les discussions sur l'instruction publique furent fréquentes au Conseil des Cinq-Cents ; mais comme elles n'aboutirent presque jamais au vote d'un projet de loi, le Conseil des Anciens n'eut que rarement l'occasion de s'occuper de cette matière.

Cependant nous trouvons, en l'an IV, une séance des Anciens remplie par une discussion intéressante sur les livres élémentaires.

Le 28 pluviôse an IV (17 février 1796), Lakanal avait fait adopter au Conseil des Cinq-Cents la résolution suivante ;

« ARTICLE PREMIER. — Les ouvrages présentés au concours ouvert par la loi du 9 pluviôse an II, et qui, au jugement du jury créé pour cet examen, doivent servir pour les écoles primaires, seront imprimés aux frais de la République, distribués aux membres du Corps législatif, et envoyés aux administrations départementales.

« ART. 2. — Les auteurs desdits ouvrages et ceux qui ont le plus approché recevront une indemnité pécuniaire, déterminée dans le jugement du jury, qui sera annexé à la présente résolution.

« ART. 3. — Il sera payé une indemnité de 10 000 livres à chaque membre du jury chargé de l'examen des livres. »

Cette résolution fut transmise au Conseil des Anciens, et, le 30 ventôse an IV, Barbé-Marbois présenta un rapport au nom de la commission chargée de l'examiner.

Barbé-Marbois était un royaliste (il fut déporté en fructidor an V) ; il faut donc s'attendre à le voir hostile aux écoles créées par la Convention. Voici, en effet, le tableau, dicté par la passion politique plus que par l'amour de la vérité, qu'il fait de la situation de l'instruction publique pendant la Révolution :

« Les tyrans [c'est ainsi que Barbé-Marbois appelle les conventionnels] avaient cru que tout ordre naturel devait être bouleversé. Le maître avait perdu toute autorité dans ce simulacre d'école qu'on lui conservait encore ; il y paraissait tremblant ; souvent ses élèves osaient le menacer de la prison ou de la sévérité des magistrats. Les parents se hâtaient de retirer leurs enfants de ces écoles devenues celles de la licence, et la plus profonde ignorance paraissait mille fois préférable à une science payée par le sacrifice de tout ce qui donne du prix et du lustre à la jeunesse. Certains révolutionnaires, à l'exemple d'un calife barbare, ont même mis en délibération s'ils ne brûleraient pas les bibliothèques. Du moins, s'ils ont conservé les livres, ils ont égorgé au propre et au figuré le plus de lecteurs qu'il leur a été possible. »

Un tel langage est bien fait pour nous inspirer quelque défiance. Aussi le lecteur impartial n'accepterat-il que sous toutes réserves ce que Barbé-Marbois nous dit ensuite de l'état des écoles au moment où il parle ; car, si certains faits sont vrais, d'autres sont controuvés ou présentés sous de fausses couleurs.

« Voyons d'abord, dit-il, ce qui se passe à l'égard de l'instruction dans les communes rurales ; car c'est là, mes collègues, que vous aimez à porter vos premiers regards.

« Vous apercevrez quelques écoles éparses à des distances incommodes pour l'enfance, et surtout pendant l'hiver. Les élèves y viennent, mais en très petit nombre, parce que les circonstances retiennent aux travaux tous ceux qui peuvent y être employés avec un commencement d'utilité. La chambre où le maître donne ses leçons est ordinairement humide, sans plancher, mal éclairée ; et la cherté de toutes choses empêche les élèves d être suffisamment pourvus de ce qui est nécessaire à leur instruction. Les maîtres sont peu assidus, parce que, fort mal payés, il faut qu'ils exercent en même temps une autre profession, et qu'ils cultivent, pour vivre, ou leur jardin ou leurs portions communales ; ils remplissent leurs fonctions de la manière la plus indépendante ; et les officiers municipaux des campagnes n'ont pu se persuader encore que la surveillance de l'éducation leur était attribuée.

« Ces maîtres sont réduits à la moitié, peut-être au tiers du nombre ancien, et de jour en jour il est plus difficile de remplacer ceux qui viennent à manquer.

« Le nombre des enfants qui sortent de ces écoles, instruits dans l'art d'écrire et de calculer, n'est pas aujourd'hui égal à la moitié de ce qu'il était autrefois.

« Déjà le gouvernement s'aperçoit de ce défaut général d'instruction ; il annonce au Corps législatif qu'il est une infinité de communes dans la République où il ne se trouve pas un homme capable d'écrire lisiblement les actes essentiels qui constituent l'état civil des citoyens. Si l'on n'y remédie aussi promptement qu'efficacement, cette pénurie sera bien autrement sensible sur la génération suivante.

« Les communes urbaines sont un peu moins mal partagées. Les deux sexes n'y sont pas confondus dans les écoles. Les doctrinaires y ont quitté leur ancien costume, et continuent avec le zèle le plus louable leurs soins aux petits garçons. D'autres maîtres, et surtout ceux qu'on appelait les petits frères, y exercent la même profession ; et quand le besoin presse beaucoup d'individus de se rendre utiles à la société, on peut croire que des maîtres instruits ne manqueraient pas dans les villes, si l'enseignement leur assurait le moyen de subsister. Mais les parents, habitués à ne point payer les frais de l'instruction, plus gênés d'ailleurs aujourd'hui dans leurs facultés que les habitants de la campagne, ne peuvent, pour la plupart, acquitter cette modique dépense

« Des femmes se sont aussi consacrées à l'éducation des jeunes personnes du sexe, et, longtemps perdues pour la société, elles lui sont enfin devenues utiles au moment où elles y sont rentrées. Elles enseignent avec succès tout ce qui prépare une femme à tenir utilement sa place dans un ménage, à y prendre sa part du bonheur et des peines domestiques. Votre commission ajoute, avec une véritable douleur, que ces instituteurs et ces institutrices éprouvent un dénûment qui les met hors d'état de se livrer uniquement et avec une plus grande utilité à leurs pénibles fonctions. »

Chose singulière : après avoir déploré ainsi l'état d'abandon où se trouve l'instruction primaire, Barbé-Marbois conclut à ne pas voter l'impression des livres élémentaires approuvés par le jury, et à rejeter la résolution proposée par le Conseil des Cinq-Cents.

Le Conseil des Anciens, toutefois, ne suivit pas l'avis du rapporteur ; après avoir entendu le 11 germinal un discours de Fourcroy, dans lequel celui-ci fit ressortir ce qu'il y avait de contradictoire à constater d'une part la faiblesse des écoles primaires, et à leur refuser d'autre part les livres dont elles avaient un si urgent besoin, les Anciens votèrent l'approbation de la résolution.

Outre la décision relative aux livres élémentaires, le Conseil des Anciens tranforma en loi, en l'an IV et en l'an V, quatre résolutions relatives à l'instruction publique qui lui furent présentées par le Conseil des Cinq-Cents.

La première loi, du 25 messidor an IV (13 juillet 1796), est relative aux emplacements des écoles centrales ; elle porte que « les écoles centrales établies dans les divers départements de la République seront placées dans les maisons connues ci-devant sous le nom de collèges, lesquelles demeureront affectées à l'enseignement public et au logement des professeurs. Dans le cas où les bâtiments des ci-devant collèges seraient en trop mauvais état ou insuffisants pour y placer les écoles centrales, et où il n'y aurait pas de jardin, l'administration centrale du département désignera le local le plus convenable, et enverra au Directoire sa pétition avec les plans, afin que le Corps législatif puisse statuer sur sa demande. »

La seconde, du 25 messidor an V (13 juillet 1797), relative aux fondations des bourses dans les ci-devant collèges, porte que « les dispositions de la loi du 16 vendémiaire an V, qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens, sont déclarées communes aux biens affectés aux fondations des bourses dans tous les ci-devant collèges de la République ».

La troisième, du 25 fructidor an V (11 septembre 1797), considérant « qu'il est instant de conserver toutes les ressources dont la nation a besoin pour l'organisation définitive de l'instruction publique », surseoit à la vente « de tous les édifices connus sous le nom de collèges, maisons d'école, et généralement de tous les bâtiments et dépendances servant ou ayant servi à l'enseignement public ». Enfin la dernière, du jour suivant 26 fructidor an V, surseoit également « à la vente des presbytères, jardins et bâtiments y attenant, » afin de « s'assurer la conservation des bâtiments, jardins et autres accessoires qui pourraient être jugés nécessaires à l'établissement des écoles primaires ou pour quelque autre service public ».