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Colonies Françaises

La France est actuellement la seconde puissance coloniale du monde. Elle possède, ou protège, en 1908, un territoire extérieur dont la superficie atteint 10 293 401 kilomètres carrés, le désert saharien non compris, soit vingt fois la superficie du territoire métropolitain ; les colonies britanniques forment un ensemble trois fois plus étendu, mais la superficie totale des colonies néerlandaises est trois fois moins considérable. La population qui habite le territoire extérieur français est évaluée à 40 719 800 habitants, chiffre un peu supérieur à celui de la population métropolitaine, et aussi, très sensiblement, à celui de la population coloniale néerlandaise, mais qui est presque neuf fois dépassé par la population coloniale britannique. Malgré la faible densité actuelle de leur population, les possessions françaises donnent déjà lieu à un mouvement d'échanges très remarquable, puisqu'en 1907 il n'a pas atteint moins de 2 095 773000 francs (l'ensemble du mouvement commercial de la France s'élève à un peu plus de onze milliards), soit le dixième seulement du commerce total de l'empire colonial anglais, mais le double du commerce des colonies néerlandaises. Il importe de considérer d'ailleurs que l'Angleterre et les Pays-Bas ont constitué leur domaine extérieur depuis plus d'un siècle, tandis que la France ayant perdu, et pendant longtemps oublié, la puissance coloniale qu'elle avait eue à la même époque dans l'Amérique du Nord et dans l'Inde, c'est seulement à une vingtaine d'années que remonte l'acquisition de la majeure partie de son nouveau territoire colonial, dont l'organisation s'achève à peine.

L'acquisition et l'organisation de ce territoire sont en effet à peu près entièrement l'oeuvre de la troisième République, qui, à part l'Algérie et la Cochinchine, n'avait hérité des régimes précédents que quelques îles et quelques comptoirs disséminés. Elle a constitué un véritable empire colonial, qui trouve ses divisions naturelles dans les groupements géographiques correspondant aux diverses régions de la terre entre lesquelles il est réparti. On peut ainsi définir sept groupements :

Afrique septentrionale : le gouvernement général de l'Algérie et la Régence protégée de Tunisie ;

Afrique occidentale : le gouvernement général de l'Afrique occidentale française ;

Afrique équatoriale : le gouvernement général du Congo français ;

Afrique orientale : le gouvernement de la côte française des Somalis, le gouvernement général de Madagascar et dépendances, le gouvernement de l'île de la Réunion ;

Asie orientale : le gouvernement des établissements français dans l'Inde, le gouvernement général de l'Indochine ;

Océanie : le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, le haut commissariat du Pacifique, le gouvernement des établissements français de l'Océanie ;

Amérique septentrionale et équatoriale : l'administration des îles Saint-Pierre et Miquelon, le gouvernement des Antilles françaises, le gouvernement de la Guyane française.

Le classement qui précède sera observé dans cet article, mais il n'y sera traité que des colonies ressortissant au ministère des colonies: on n'y parlera ni de l'Algérie, qui relève du ministère de l'intérieur, ni de la Tunisie, qui relève du ministère des affaires étrangères.

L'organisation politique et administrative de notre domaine colonial a nécessairement commencé par celle des quelques restes que nous avions pu conserver des anciennes possessions perdues, et notamment des trois petites îles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. Toute l'organisation de l'ancien régime y reposait sur l'esclavage. En protestation contre ce système, aboli sous la Révolution, puis rétabli sous le premier Empire, la deuxième République a décrété, et les sénatus-consultes impériaux de 1854 et 1866 ont codifié, l'assimilation des anciennes colonies aux départements de la métropole. Sur un territoire insulaire exigu, et depuis longtemps francisé, l'assimilation n'a pas présenté d'inconvénient réel au point de vue social, et, à ce point de vue, elle reste acquise. Mais elle a entraîné, au point de vue administratif, budgétaire et économique, des inconvénients d'autant plus sensibles qu'elle avait elle-même dépassé le but, puisqu'elle avait doté des organes compliqués qui assurent en France la vie administrative de plusieurs départements réunis des petites colonies dont aucune n'approchait l'importance d'un seul département français, et qui, pour soutenir artificiellement ce coûteux appareil, devaient recourir à des subventions excessives de l'Etat métropolitain. Le système, successivement appliqué aux autres petites colonies, a donc dû être ramené ensuite à des proportions plus conformes à la réalité des faits. L'acquisition de vastes terres nouvelles en Asie et en Afrique nécessitait d'ailleurs la recherche de méthodes coloniales moins simplistes : pour permettre de les étudier, le décret du 21 avril 1891, inspiré par Jules Ferry, qui est le véritable fondateur de notre Empire colonial contemporain, décentralisa donc l'initiative gouvernementale, en constituant le gouverneur général de l'Indochine « dépositaire des pouvoirs de la République », avec mission de proposer, d'après les conditions géographiques qu'il aurait examinées sur place, une organisation que le gouvernement central sanctionnerait de son approbation et dont il surveillerait ensuite le fonctionnement. C'est cette politique des gouvernements généraux qui, assouplie aux nécessités locales, a permis l'organisation rationnelle de nos grandes possessions d'Indochine, de Madagascar et de l'Afrique occidentale, et va rendre possible l'aménagement du Congo français.

Sauf en quelques matières, évoquées par le législateur, surtout dans les petites colonies régies par les sénatus-consultes, c'est par des décrets, du président de la République rendus sur la proposition du ministre des colonies, parfois revêtus du contreseing d'un autre ministre, et fréquemment soumis à l'examen du Conseil d'Etat, que s'édifie la constitution coloniale. Les décrets ne réglementent que ce qui est organique : tout le reste, et même plus d'une organisation provisoire à qui doit être laissé le temps de faire ses preuves, est réglementé par des arrêtés des gouverneurs généraux et gouverneurs, assistés de conseils de gouvernement dans lesquels l'élément européen élu, et, quand il est possible, l'élément indigène, sont représentés à côté des conseillers techniques officiels. Les colonies doivent trouver en France une haute direction de politique générale en même temps qu'un sérieux contrôle administratif et financier ; d'autre part, à mesure que leur personnalité se développe, elles ont à exécuter un nombre de plus en plus considérable d'opérations dans la métropole pour l'embarquement de leur personnel, l'achat de leur matériel, le paiement de leurs créances, pour leurs négociations et transactions de toute nature. Cette double tâche est respectivement assumée par l'administration centrale des colonies, érigée en ministère spécial par la loi du 20 mars 1894, et par ses services annexes, notamment les services coloniaux établis dans les ports de commerce du Havre, de Nantes, de Bordeaux et de Marseille : ces deux derniers services sont fort importants. L'administration centrale des colonies est en outre l'organe de liaison entre les autres administrations métropolitaines et les administrations coloniales extérieures : c'est ainsi que le bureau qui, à la Direction du personnel, s'occupe des affaires et du personnel de l?enseignement colonial, est en relations constantes avec le ministère de l'instruction publique, et aussi avec une réunion de spécialistes constitués en conseil consultatif auprès du département, le Comité consultatif de l'instruction publique aux colonies. Le ministre des colonies étant responsable devant les Chambres, c'est le contrôle parlementaire qui, dans les affaires coloniales, décide en dernier ressort.

L'organisation financière des colonies est réglée par l'article 33 de la loi de finances du 13 avril 1900. En vertu de ce texte, les colonies paient sur leurs ressources propres, ou locales, la totalité de leurs dépenses civiles ; en cas d'insuffisance de ces ressources, elles peuvent, à titre éventuel et tout provisoire, recevoir une subvention du budget général de l'Etat. Le total des budgets locaux pour l'exercice 1908 atteint 244 517848 francs, et le montant global des subventions métropolitaines qui leur sont consenties n'est que de 2 130 000 francs, qui vont progressivement disparaître. C'est la métropole qui paie, en revanche, toutes les dépenses des services militaires aux colonies, et celles de l'administration centrale à Paris. La fraction du budget général de l'Etat qui est connue sous le nom de budget colonial, et qui est administrée par le ministère des colonies, comporte, pour J908, une inscription de 98269 689 francs de crédits, desquels il est d'ailleurs équitable de déduire les 7 803 900 francs des services pénitentiaires de la Nouvelle-Calédonie et de la Guyane, qui n'ont le caractère colonial qu'à titre purement accidentel. En outre, et conformément à la loi de 1900, les colonies versent au budget de l'Etat, en atténuation des dépenses militaires qu'il fait chez elles, une contribution qui s'élève pour 1908 à 14150000 francs, dont 13 650 000 francs sont versés par le seul gouvernement général de l'Indochine. Enfin le bon état de leurs finances a permis aux colonies de faire appel au crédit, et de gager sur leurs propres ressources, avec la garantie, demeurée purement morale, de l'Etat français, des emprunts qui vont atteindre la somme globale de 753 millions, et qui sont à peu près exclusivement consacrés à la constitution d'un grand outillage économique.

Après la conquête et la pacification, après l'organisation administrative et financière, la constitution du grand outillage économique est en effet la préoccupation essentielle du gouvernement colonial, puisqu'il n'est pas de plus puissant moyen d'éveiller à la vie moderne les pays que l'état de leur propre civilisation en a maintenus plus ou moins éloignés jusqu'à ce jour. C'est ainsi qu'il se construit actuellement dans les colonies françaises autres que l'Algérie et la Tunisie un réseau de 4677 kilomètres de chemins de fer, dont 3579 sont déjà en exploitation. D'autres programmes de grands travaux publics s'exécutent ou s'élaborent. Mais il ne servirait à rien de mettre aux mains des populations coloniales l'outil moderne si l'on n'y faisait parallèlement, au moins dans une certaine mesure, l'éducation moderne de l'ouvrier. Dans quelle mesure cette initiation aux méthodes occidentales est réalisable et souhaitable, c'est tout le problème de l'enseignement aux colonies. Il est à peine besoin d'insister sur son importance morale et sur son importance politique. Ce problème ne saurait, bien entendu, recevoir une solution unique, puisque les données en sont variables d'une colonie à l'autre, et jusque dans l'intérieur d'une même colonie. La France compte sur son territoire colonial presque tous les échantillons d'humanité, et les civilisations les plus neuves, et aussi les plus vieilles du monde. Elle ne peut pas appliquer une commune mesure aux villages canaques et aux ruines d'Angkor, à telle peuplade anthropophage du centre africain et aux lettrés annamites nourris de la philosophie chinoise qui a précédé le christianisme de trois siècles. Elle doit donc, semble-t-il, apprendre elle-même avant d'enseigner, et, chaque fois qu'elle rencontre dans une de ses colonies un effort de pensée humaine vraiment digne de son respect, elle doit composer avec lui, chercher en lui la formule de conciliation avec la pensée européenne. C'est assez dire qu'il n'y a pour l'instruction aux colonies que des solutions d'espèces. A peine peut-on dégager ici quelques tendances générales. En conservant, sans leur maintenir la rigueur qu'elles ont dans l'acception métropolitaine, les définitions de l'enseignement en primaire, secondaire, et supérieur, il est certain que c'est l'enseignement primaire qui doit être constitué le plus fortement au milieu de populations d'ordinaire assez arriérées : en éducation, et surtout en éducation coloniale, il importe de commencer par le commencement. L'enseignement primaire a pour première question à résoudre celle du langage. L'emploi exclusif de la langue française ne sera possible aux colonies que là où les langues indigènes seront d'une valeur trop médiocre pour se défendre. Dans tous les autres cas, la langue française pourra être juxtaposée, comme dans les établissements de l'Inde et dans les diverses écoles musulmanes, ou seulement superposée, comme en Indochine, où elle constitue la langue savante, et par conséquent disparaît des programmes de l'enseignement primaire. Mais s'il convient de respecter les langues indigènes, notre langue nationale n'est apparemment pas digne d'un respect moindre : chaque fois qu'elle sera enseignée, elle devra donc l'être par des maîtres pourvus d'une instruction pédagogique très solide, afin d'éviter de faire parler aux indigènes de nos colonies un français approximatif. Le reste du programme de l'enseignement primaire pourra être, dans ses lignes générales, et surtout dans son esprit, celui de France, à condition toutefois d'en adapter l'application aux nécessités de chaque colonie. L'instruction primaire doit d'ailleurs s'orienter de plus en plus vers le caractère pratique et professionnel sur un territoire colonial demeuré le plus souvent à l'état de nature, où l'homme n'a pas appris à tirer de la nature toutes les ressources que la science permet de lui arracher, et reste au contraire livré sans défense aux maux évitables qui lui viennent de la rencontre aveugle des forces naturelles. Partout s'impose donc la nécessité d'un enseignement technique, d'abord agricole, mais aussi industriel et commercial, et surtout d'un enseignement de l'hygiène, dont le besoin est général, et douloureusement impérieux.

Quant à l'enseignement secondaire et supérieur, au moins tel qu'il est entendu par les programmes métropolitains, et qu'il a été importé dans quelques anciennes colonies, il ne paraît pas qu'il y ait eu grand succès, parce que peut-être il n'en pouvait pas avoir. D'une part, en effet, la zone intertropicale, dans laquelle la presque totalité de nos colonies est comprise, a, sauf sur quelques plateaux tempérés, un climat anémiant qui ne facilite guère aux jeunes gens européens, ou assimilés, l'effort intellectuel continu nécessité par des études secondaires et supérieures, et impose aux lycées coloniaux, suivant le joli mot d'un de leurs maîtres, une vie « plus pensive que pensante ». D'autre part, lorsque la colonie n'offre pas chez elle de suffisantes ressources pour alimenter le milieu intellectuel où doit se développer ce genre d'enseignement, et que celui-ci doit tout attendre du dehors, il risque de s'étioler, et l'on est fondé à se demander, alors, si le meilleur endroit où se puisse recevoir un enseignement purement métropolitain, ce n'est pas encore la métropole. Le développement contemporain des communications rapides, qui facilite les échanges commerciaux, ne devrait pas moins faciliter les échanges intellectuels, au moins en ce qui concerne les colonies les plus rapprochées de France : c'est ainsi que la solution du problème de l'instruction aux Antilles et à la Guyane serait peut-être dans un renforcement de l'instruction primaire, primaire supérieure et professionnelle, donnée sur place par des maîtres formés dans la métropole aux meilleures méthodes pédagogiques, et la mise au concours d'un certain nombre de bourses de l'enseignement secondaire, qui permettraient à de jeunes coloniaux de suivre dans les lycées métropolitains ? à Bordeaux, par exemple, où le chef du service colonial pourrait exercer sur eux une sorte de tutelle ? des cours les préparant aux carrières utiles au développement économique de leur colonie d'origine.

L'enseignement aux colonies est l'oeuvre soit de l'action gouvernementale, soit de l'initiative privée, celle-ci parfois subventionnée, toujours contrôlée par celle-là ; mais, dans l'enseignement comme dans l'assistance, l'initiative privée a devancé à peu près partout l'action gouvernementale. Ce sont les missions religieuses, catholiques et protestantes, qui ont apporté, dans des conditions généralement difficiles, et souvent périlleuses, aux habitants de nos territoires coloniaux ? quelquefois même avant qu'ils fussent coloniaux, puisque certaines de nos interventions ont été provoquées par la présence des missionnaires ? le premier enseignement européen. Aujourd'hui que nos colonies pacifiées, organisées, et en voie d'être outillées, entrent rapidement dans le courant de la vie moderne, ce qui apparaît le mieux en cet enseignement ce sont ses lacunes : le tort parfois fait par le zèle confessionnel aux intérêts politiques, et surtout à l'oeuvre proprement pédagogique, la médiocre instruction scientifique de la plupart des maîtres, les résultats, en somme très modestes, obtenus par tous, malgré leur incontestable, dévouement. De fait, et sauf peut-être sur le plateau central de Madagascar, les missionnaires ne semblent avoir provoqué à peu près nulle part une véritable rénovation des sociétés indigènes ; mais cette rénovation elle-même est, aux colonies, l'oeuvre des administrateurs, et surtout des ingénieurs, avant d'être celle des instituteurs ; or les missionnaires catholiques et protestants ont précédé les uns et les autres. Il semble donc que, pour apprécier équitablement le rôle des missions religieuses dans l'enseignement colonial, il faille les replacer dans les conditions historiques qui ont entouré les débuts de chaque colonie, où elles ont rendu de réels services, que l'enseignement officiel, plus perfectionné mais plus dispendieux, n'aurait pas été en mesure de rendre avec leurs faibles moyens. Longtemps protégées par le gouvernement métropolitain et colonial, qui d'ailleurs montrait à l'égard de l'instruction publique une discrétion que l?état des finances coloniales pouvait à l'origine expliquer, ? la question de l'instruction étant avant tout une question budgétaire, ? et trouvait commode de passer des contrats avec les sociétés religieuses pour assurer l'instruction primaire au prix d'une dépense des plus minimes, elles ont peu à peu perdu ce patronage à mesure qu'une organisation financière et économique moderne était donnée aux colonies, que, dans la métropole, l'enseignement se séparait du culte, et qu'une législation nouvelle était imposée aux congrégations religieuses. Les conditions d'application de cette législation à notre territoire extérieur ont été mises à l'étude par le ministère des colonies. Mais dès maintenant tout caractère officiel a été retiré à l'enseignement colonial congréganiste, et les subventions qui lui avaient été précédemment accordées ont disparu des divers budgets locaux. En même temps, pour assurer le recrutement des maîtres que rendaient nécessaires les mesures de laïcisation, et aussi la prévision des besoins nouveaux suscités par le développement même des colonies, une institution privée s'est fondée, le 8 juin 1902, sous le nom de Mission laïque française. Elle s'interdit, dans son programme tout prosélytisme religieux, et approprie son enseignement, qui doit être « scientifique et rationnel », à « l'état intellectuel, moral et social des indigènes ». La mission a aussitôt constitué une Ecole normale d'enseignement colonial, l'Ecole Jules Ferry, dont les élèves suivent chez elle un cours d'enseignement colonial et de langues indigènes, et reçoivent dans les divers établissements scientifiques de Paris une préparation scientifique très heureusement complétée par des leçons d'hygiène et par des travaux pratiques de l'enseignement technique pour les instituteurs, de l'enseignement ménager pour les institutrices. Les agrégés de l'Université à qui une fondation généreuse, faite il y a quelques années, a permis de bénéficier d'une bourse de voyage autour du monde, se sont également plus d'une fois intéressés, au cours de leurs enquêtes, à l'enseignement dans nos colonies, en même temps que leurs travaux contribuaient à propager dans les milieux universitaires, et, par eux, dans la nation, un enseignement des questions coloniales qui n'était pas inutile. Enfin l'Association pour la propagande de la langue française aux colonies et à l'étranger, fondée en 1883 sous le nom d'Alliance française, n'a pas cessé de favoriser les écoles de nos colonies par des subventions, des dons de livres et de fournitures scolaires, et des encouragements de toute sorte. On lui doit même une expérience récente des plus curieuses sur un point particulièrement délicat de l'enseignement colonial, celui du patronage des indigènes qui viennent faire en France leurs études. On sait qu'en Indochine notamment, à la suite de l'émotion provoquée par la guerre russo-japonaise, des groupements d'indigènes se sont constitués pour fournir, par cotisations, à quelques-uns d'entre eux le moyen d'aller étudier le « nouveau savoir ». Sur quatre-vingts étudiants indochinois présents dans la métropole à la fin de 1908, 31 sont pupilles et 6 sont protégés du Comité Paul Bert, institution filiale de l'Alliance française. Le Comité entoure son patronage de garanties sévères, n'admet que des sujets bien portants et travailleurs, et fait prendre à leurs parents l'engagement de n'adresser d'argent aux élèves que par son intermédiaire. Il a placé vingt de ceux-ci à l'Ecole pratique d'enseignement colonial du Parangon, à Joinville-le-Pont, et a réparti les autres dans des écoles primaires supérieures et normales, des écoles de tissage et de magnanerie, et une ou deux facultés de province.

L?enseignement officiel a été organisé dans nos colonies à une date relativement récente. Il varie avec les lieux et les circonstances. Il est donné tantôt par un personnel recruté sur place, tantôt par un personnel emprunté aux cadres de la métropole, et régi, soit par les décrets des 16 juin 1899 et 4 février 1906, soit par le décret du 30 octobre 1902, suivant qu'il s'agit, ou non, des instituteurs. On trouvera ci-après l'exposé de la situation de l'enseignement dans chacune des diverses colonies.

1° Afrique septentrionale. ? Voir Algérie et Tunisie.

2° Afrique occidentale. ? Afrique occidentale française. ? Le gouvernement général de ce nom réunit en un même faisceau les gouvernements particuliers du Sénégal, de la Guinée, de la Côte-d'Ivoire, du Dahomey, du Haut-Sénégal et Niger (ancien Soudan) avec ses territoires militaires, et le commissariat de la Mauritanie. L'ensemble présente la superficie la plus considérable de toutes nos possessions extérieures, 4 018 250 kilomètres carrés, avec une population de 8 857 000 habitants, un commerce total de 177 440000 francs et une importance budgétaire de40 632 000 francs. La constitution du gouvernement général a permis de grouper les ressources nécessaires pour entreprendre un programme de grand outillage qui fera de Dakar, escale de la route maritime d'Europe en Amérique du Sud, un des meilleurs ports internationaux, et d'amorcer une série de chemins de fer de pénétration reliant à la côte le fertile bassin du Niger, jadis à peu près inaccessible.

La question de l'enseignement en Afrique occidentale est assez simple. Les populations noires qui habitent ces pays, d'ailleurs douées de qualités réelles, et notamment d'une bravoure au combat dont elles ont maintes fois donné des preuves sous nos drapeaux, sont généralement demeurées dans un état de civilisation peu avancé. La civilisation musulmane elle-même, bien qu'elle ait assez fortement pénétré les groupements indigènes, a plutôt marqué ses adeptes e son fanatisme religieux que de sa culture intellectuelle : la plupart des maîtres des écoles coraniques sont très ignorants de la littérature arabe qu'ils enseignent. A condition de tenir compte néanmoins du profond prestige de l'islam dans la partie septentrionale du monde africain, on peut donc dire que l'enseignement français s'inscrit ici sur une table rase. Cependant, jusqu'en 1902, il n'a guère connu que des organisations de fortune. Au Sénégal, Faidherbe lui donna l'impulsion première en réunissant les fils de chefs, reçus comme otages, dans une école qui devait les réconcilier avec la domination française ; après lui, l'enseignement connut des vicissitudes dont l'institution d'un cours secondaire subventionné par la colonie et dirigé par les frères de Ploërmel n'est pas la moins curieuse. Au Soudan, les lieutenants-colonels Galliéni et de Trentinian fondèrent des écoles avec le personnel enseignant qu'ils avaient sous la main, les sous-officiers des postes militaires, la mission catholique de Kita, les ouvriers de l'artillerie et de la flottille, qui permirent d'avoir une école professionnelle à Koulikoro. En Guinée, l'administration invita, en 1901, les missions religieuses à enseigner le français, et non plus le latin, et fit ouvrir à la fois par les frères de Ploërmel et par une société protestante une double école à Conakry. A la Côte-d'Ivoire, la première école ne put fonctionner parce qu'elle dérangeait une fête locale, celle des sacrifices humains. Binger reprit la question et fonda en 1895 plusieurs écoles, qui périclitèrent par la suite. En 1900, l'administration passa un contrat avec la congrégation des Missions africaines de Lyon. C'est également, aux Missions africaines ainsi qu'à la mission wesleyenne, toutes deux contrôlées à partir de 1899, que fut confié l'enseignement au Dahomey.

L'organisation de l'instruction publique avec un programme et un budget ne date en réalité que du gouvernement général de M. Roume : son arrêté du 24 novembre 1903 définit en deux mots le caractère de l'enseignement colonial officiel, qui doit être laïque et pratique, et indique les moyens de le mettre en vigueur. L'enseignement primaire élémentaire est donné dans trois sortes d'établissements, les écoles rurales, les écoles régionales, et les écoles urbaines. Les écoles rurales, ou du premier degré, sont ouvertes dans tout centre qui parait en justifier la création. Elles sont dirigées en principe par un instituteur ou une institutrice indigène, mais elles peuvent également l'être par un maître français. Leur programme est essentiellement la langue française parlée, accessoirement la lecture, l'écriture, le système métrique, les leçons de choses, surtout agricoles, et, en pays musulman, l'arabe ; pour les filles viennent s'ajouter la couture et le chant. Ces écoles élémentaires sont inspectées par les directeurs des écoles régionales. Les écoles régionales, ou du second degré, sont ouvertes dans les chefs-lieux de cercles ou dans certaines localités importantes. Elles sont dirigées par des maîtres ou des maîtresses français, assistés, suivant les besoins, d'adjoints européens ou indigènes. En pays musulman, un marabout y enseigne l'arabe. Les élèves sont choisis parmi les meilleurs sujets des écoles rurales. Les enfants des autres localités peuvent recevoir des bourses familiales, dont le nombre et le montant sont fixés par les lieutenants-gouverneurs. La durée des études est de trois ans. Le programme comprend, pour les garçons, la langue française, et, en pays musulman, la langue arabe, la lecture, l'écriture, le calcul, le système métrique, le dessin, des notions sommaires sur l'histoire moderne et contemporaine de la France d'ans ses rapports avec l'Afrique occidentale, des notions de sciences physiques et naturelles appliquées à l'hygiène, à l?agriculture, et aux industries locales. Pour les filles, le programme est le même, à cette différence près que les notions scientifiques sont surtout appliquées à l'hygiène de l'enfance, et qu'on y ajoute le chant. En outre, les garçons sont astreints aux travaux manuels, et les filles aux travaux ménagers (blanchissage, repassage, couture, coupe et assemblage). Les écoles urbaines, qui doivent satisfaire aux besoins d'une population scolaire sensiblement différente, sont dirigées par un personnel enseignant exclusivement européen qui y applique, à peu de chose près, le programme des écoles primaires de la métropole. ? Cet enseignement primaire élémentaire est complété par l?école primaire supérieure Faidherbe, ouverte à Saint-Louis aux élèves des écoles urbaines justifiant du certificat d'études primaires élémentaires, et par l'école supérieure professionnelle Pinet-Laprade, ouverte à Dakar, et qui doit, en trois ans de scolarité, former des maîtres ouvriers du fer et du bois. Enfin l'école normale de Saint-Louis rapproche, dans un voisinage inattendu, les fils de chefs, les interprètes et les instituteurs indigènes. On y avait même primitivement ajouté les cadis ; mais ceux-ci recevront désormais à part l'éducation musulmane. Les instituteurs indigènes ont une solde annuelle de 1500 à 2400 francs avec des indemnités de logement variant entre 180 et 360 francs ; les simples moniteurs, formés dans les cours normaux de Kayes et de Conakry, ont une solde de 240 à 1200 francs avec indemnité de 100 à 300 francs. Les instituteurs et institutrices européens ont une solde de 3000 à 6000 francs.

avec indemnité de cherté de vivres de 600 à 1000 francs, suivant les régions, indemnité de 1000 francs pour la direction d'une école, et divers autres avantages. Les professeurs d'écoles primaires supérieures et d'écoles normales ont un traitement de 6000 à 9000 francs. Le décret du 30 octobre 1902 permet aux membres de l'enseignement appartenant aux cadres métropolitains de conserver leurs droits à l'avancement dans leurs cadres d'origine, et de conserver également leurs droits à une retraite sur les fonds d'Etat. Le personnel enseignant est d'ailleurs recruté hors des colonies de l'Afrique occidentale, de préférence parmi les candidats pourvus du certificat d'aptitude pédagogique et" du brevet supérieur, et surtout parmi les boursiers de l'Ecole Jules Ferry et les anciens élèves de la section spéciale de la Bouzaréali, en Algérie. Dans chacune des colonies du gouvernement général, un inspecteur des écoles surveille le fonctionnement du service et remplit auprès du lieutenant-gouverneur l'office de conseiller technique. Le Sénégal seul a un chef du service de l'enseignement.

Les statistiques de l'instruction publique au 1er juillet 1907 donnent, pour l'enseignement primaire élémentaire, un total de 123 écoles, dont 84 rurales, 20 régionales, 17 urbaines, et 2 orphelinats : 36 de ces écoles sont au Sénégal, 41 au Haut-Sénégal et Niger, 17 en Guinée, 23 à la Côte-d'Ivoire, 5 au Dahomey, 1 en Mauritanie. Le personnel enseignant y est de 305 maîtres, dont 87 instituteurs européens, 4F) indigènes, 33 institutrices européennes et 6 indigènes, 43 maîtres auxiliaires européens et 64 moniteurs indigènes. La population scolaire y est de 7503 élèves (66 85 garçons et 818 filles), dont 3611 pour le Sénégal, 1471 pour le Haut-Sénégal et Niger, 1345 pour la Guinée, 415 pour la Côte-d'Ivoire, 661 pour le Dahomey. L'ensemble des crédits accordés pour l'enseignement primaire élémentaire s'élève à 993 656 francs, dont 736 516 pour le personnel et 257 140 pour le matériel. L'enseignement primaire supérieur comprend à la même date 25 maîtres, dont 9 professeurs européens, 6 instituteurs européens et 1 indigène, 5 maîtres spéciaux européens, et 4 surveillants indigènes. Les élèves y sont au nombre de 147, dont 37 élèves-instituteurs et 24 élèves interprètes à l'école normale, 30 à l'école Pinet Laprade et 56 à l'école Faidherbe. La dotation budgétaire de cet enseignement est de 196 700 francs, dont 112 500 fr. pour le personnel et 13 400 fr. pour le matériel.

L'enseignement privé compte, pour les missions catholiques, 43 écoles, 85 professeurs, 2372 élèves (1744 garçons et 628 filles). L'enseignement des missions protestantes a 4 écoles avec 12 professeurs et 431 élèves (428 garçons et 3 filles).

Mais aucun des chiffres qui précèdent n'est comparable à ceux de l'enseignement musulman, qui ne réunit pas moins de 6193 écoles, avec 6200 maîtres et 47 654 élèves (46460 garçons et 1194 filles), ainsi répartis par colonie : 24 200 en Guinée, 11 403 au Sénégal, 9544 au Haut-Sénégal-Niger, 504 à la Côte-d'Ivoire, 1903 au Dahomey. Cet enseignement est donné par des marabouts, qui en Mauritanie, à Saint-Louis et dans le Cayor sont assez instruits, mais qui ailleurs sont de simples sorciers et marchands de gris-gris. Ils enseignent à lire et à écrire quelques mots d'arabe, et à réciter par coeur des passages entiers du Coran que d'ailleurs ils ne comprennent pas. Ils sont en général rétribués par leurs élèves, à raison de 10 centimes par semaine, plus une somme globale de 360 francs en fin d'études. Ils ne sont guère dangereux en eux-mêmes et ne constituent pas des zaouïas comme en Algérie, mais ils peuvent assez facilement entrer en relations avec les confréries religieuses du Maroc et de la Tripolitaine, et la surveillance de leurs écoles a été, depuis Faidherbe, une préoccupation de l'autorité française. Un arrêté de 1903 a astreint les écoles coraniques du Sénégal à l'autorisation préalable, avec examen professionnel du maître, tenue d'un registre d'inscription des élèves, interdiction de les faire quêter, obligation de leur faire suivre un cours de langue française. Mais ce qui a été fait de mieux à cet égard a été de prendre cet enseignement à sa source pour essayer de le canaliser ensuite, et de fonder, sur le modèle donné par l'Algérie, deux médersas, l'une en janvier 1907 à Djenné, au Soudan, l'autre le 15 janvier 1908 à Saint-Louis. Dirigées par des professeurs diplômés d'arabe, sortis de la médersa supérieure ou de l'Ecole des lettres d'Alger et de l'Ecole des langues orientales, ces établissements, qui ont déjà du succès, enseignent, avec la littérature, la grammaire, la jurisprudence musulmanes, la théologie et l'exégèse coraniques, les éléments de la langue française et de la science occidentale, et sont peut être l'ébauche de la future université musulmane que rêvait pour l'Afrique du Nord un des meilleurs serviteurs de cette politique, Coppolani.

3° Afrique équatoriale. ? Congo. ? Le gouvernement général, à peine constitué, du Congo français comprend les gouvernements particuliers du Gabon, du Moyen-Congo, de l'Oubangui-Chari, et les territoires militaires du Tchad. II s'étend sur une superficie totale de 1 733 888 kilomètres carrés, habités par une population très approximativement évaluée à 5 millions d'individus. Son importance budgétaire ne dépasse pas 6 435 000 francs, mais son mouvement commercial atteint 35 951 000 francs, bien qu'aucune organisation sérieuse n'ait encore été donnée au pays. Le Congo en effet, qui est la terre classique des plus belles explorations africaines, celles de Brazza, de Gentil, de Marchand, semble jusqu'ici être resté sur ces souvenirs. Une statistique officielle a établi que les régions administrées par nous occupaient seulement 26 pour 100 de la superficie totale du pays. La sécurité intérieure n'y était même pas garantie, en raison de l'insuffisant effectif des forces militaires. Le ministre des colonies s'est préoccupé de porter remède à cette situation. Il a renforcé l'effectif des troupes, qu'il a placées sous l'autorité d'un commandant supérieur, et il a déposé devant le Parlement un projet d'emprunt de 21 millions destiné à amorcer un programme de travaux publics.

L'enseignement européen ne pouvant guère que marcher de pair dans une colonie avec la constitution d'un outillage économique moderne, il n'y a pas lieu de s'étonner que sa situation actuelle, au Congo, soit des plus médiocres. Aussi bien la population ? de valeur très inégale, puisque, si les habitants de la côte sont intelligents et éducables, et si, dès le 10e parallèle, on rencontre des races musulmanes parvenues à un degré appréciable de civilisation, on rencontre aussi des peuplades profondément arriérées et barbares, et même anthropophages ? paraît être demeurée assez réfractaire aux quelques essais d'instruction qui ont été tentés jusqu'à ce jour. Ces essais ont surtout été faits par les missions chrétiennes catholiques et protestantes, que protège d'ailleurs dans tout le bassin conventionnel du Congo l'article 6 de l'acte général de Berlin. Elles avaient compté, en 1898, 52 écoles apprenant aux indigènes le français, la lecture, l'écriture, le calcul, et la culture maraîchère : 37 de ces écoles relevaient des vicariats apostoliques du Gabon, du Congo et de l'Oubangui, 15 de la Société des missions évangéliques de Paris. En outre, 5 écoles étaient entretenues par l'Eglise presbytérienne américaine. Une statistique officielle attribue en 1903 aux missions catholiques 2917 élèves et aux missions protestantes 1445. La ferme-école de Sainte-Marie, à Libreville, est une sorte d'école professionnelle.

L'enseignement officiel n'apparaît guère qu'en 1906. Une école professionnelle est fondée à Brazzaville, une autre à Mobaye dans l'atelier du service des travaux publics. Enfin l'arrêté du 7 septembre 1907 ordonne l'établissement dans chacun des centres de Brazzaville, Libreville et Bangui d'une école primaire laïque et d'une école normale indigène. Les écoles primaires ont un programme assez semblable à celui des écoles rurales de l'Afrique occidentale française ; la scolarité y dure de huit à quinze ans d'âge. Ces écoles normales doivent former des instituteurs indigènes, des écrivains de l'administration et des employés de factorerie. Le nombre maximum des élèves est de 15, qui sont recrutés de quinze à vingt ans. Le programme de leurs études comprend, en quatre cours, la grammaire et la littérature françaises, l'histoire et la géographie, surtout celles du Congo et de la France dans ses rapports avec l'Afrique, des notions d'arithmétique, de géométrie, d'arpentage, et même d'économie sociale. Il est prévu que chaque année des élèves d'élite pourront être envoyés, aux frais de la colonie, parfaire leurs études dans une école primaire du midi de la France. Mais aucun élève jusqu'ici n'a encore été jugé digne de cette faveur. Aucun instituteur métropolitain n'est d'ailleurs en service au Congo.

4° Afrique orientale. ? Côte française des Somalis. ? Toute l'activité de cette intéressante petite colonie, qui a une étendue de 15 000 kilomètres carrés, est concentrée dans son port et dans son chemin de fer. Son port de Djibouti est fréquenté par la plupart des navires des lignes du golfe Persique, de l'océan Indien et de l'Extrême-Orient. Il a reçu en 1907 la visite de 218 navires de commerce, jaugeant 375 793 tonneaux, dont 146 français jaugeant '278 925 tonnes, plus 1443 boutres arabes jaugeant 12 463 tonneaux. Son chemin de fer a été concédé par actes des 9 mars 1894 et 5 novembre 1895 de l'empereur d'Ethiopie Ménélik ; et par actes des 27 avril 1896 et 16 septembre 1897, le ministre des colonies a autorisé le passage de la ligne à travers le territoire de notre colonie. Le 9 août 1896, les premiers concessionnaires se sont substitué une société anonyme, la Compagnie impériale des chemins de fer éthiopiens, qui elle-même a été remaniée depuis dans son personnel et dans sa constitution financière. Eu 1903, le premier tronçon du chemin de fer, soit environ 300 kilomètres, a été achevé jusqu'à Dirré-Daoua, qu'une route relie au Harrar. Un second tronçon est projeté jusqu'à la capitale de l'Abyssinie, Addis-Abbeba, et de là pourra être prolongé jusqu'au Nil Blanc. L'ensemble du commerce de notre colonie, qui n'était pas de 18 millions en 1903, a atteint, en 1907, 38 946 665 francs.

Le climat de Djibouti, encore que torride (température moyenne de 1907, 30° ; maxima en juillet, 39°, 5 ; minima en hiver, 23°), est d'une salubrité que maintient une réglementation sanitaire sévère : l'insolation seule y est à redouter, et l'on n'y connaît ni endémie ni épidémie grave. La mortalité de la population blanche n'y dépasse pas 3, 4 0/0. La population indigène fixe est de 6153 habitants, dont 3576 Arabes et 1865 Somalis, 223 Danakils, 188 Indiens, 164 Soudanais, 134 Abyssins, 3 Sénégalais. La population flottante, qui varie beaucoup avec les arrivées et les départs de caravanes, est d'environ 3500 personnes, qui d'ailleurs tendent elles-mêmes de plus en plus à se fixer au village indigène de Bender-Djedid. L'élément blanc est représenté par des Français, des Italiens, des Grecs employés au chemin de fer ou commerçants, quelques Suisses et Belges, et un noyau assez important de Levantins.

En 1905, il y avait à Djibouti 3 écoles primaires : l'une, orphelinat de jeunes filles abyssines qui servait aussi aux filles des employés italiens du chemin de fer, dirigée par les soeurs franciscaines ; les deux autres, écoles de garçons respectivement destinées aux enfants européens et aux enfants indigènes et dirigées chacune par un frère de Saint-Gabriel. Ces trois écoles furent fermées à partir du 1er janvier 1906. Pour les remplacer, un comité de l'Alliance française se forma alors sous les auspices de M. Salles, inspecteur des colonies, qui réussit à reconstituer au 18 mars 1907 trois écoles d'enseignement primaire en plein fonctionnement : 1° au plateau du Serpent, une école de filles ; 2° au même lieu, une école de garçons pour enfants européens ; 3° rue d'Abyssinie, au voisinage de la mosquée, une école de garçons pour enfants indigènes. L'école de filles, encore mixte, compte 25 élèves, 4 françaises, 5 italiennes, 5 grecques, 1 arménienne, 2 gallas, 4 petits garçons italiens, 1 grec, 1 autrichien, 1 arménien, 1 abyssin. L'école des garçons européens n'a que 9 élèves, dont 4 italiens, 1 autrichien, 1 grec, et même 1 galla, l arabe, 1 hindou. L'école des garçons indigènes, peine ouverte, comptait 32 élèves presque tous arabes, et, ce qui est plus surprenant, quelques-uns somalis ; l'instituteur attaché à cette école sait l'arabe.

Il y a lieu d'ajouter que les programmes de ces trois écoles ont été entendus de la manière la plus sensée ; qu'en étant intraitables sur la question de la correction de la langue française là où le français est enseigné, ils sont entièrement adaptés au pays et surtout essentiellement pratiques Si cette tentative réussit, son succès ne peut qu'avoir les plus heureuses conséquences pour notre influence en Abyssinie.

Madagascar et dépendances. ? Pour la Grande Ile, voir Madagascar.

Un décret du 9 avril 1908 a fait dépendre du gouvernement général de la Grande Ile le gouvernement particulier de Mayotte et des Comores, comprenant les îles de Mayotte, Anjouan, Mohély et la Grande-Comore, situées entre la côte de Mozambique et la côte nord-ouest de Madagascar. L'archipel conserve néanmoins son organisation administrative et financière propre. Il occupe une superficie totale de 2177 kilomètres carrés, habités par une population de 96 000 âmes en 1906, et dont le commerce général a atteint, en 1907, 1 148 007 francs. A Dzaoudzi, chef-lieu de la colonie, enseignent depuis février 1905 un instituteur et une institutrice détachés des cadres métropolitains. A Anjouan, à la Grande-Comore, des écoles où l'on apprend le français aux indigènes sont tenues par des instituteurs indigènes, qui reçoivent un salaire de 600 francs par an. Le personnel enseignant fait d'ailleurs défaut : un arrêté du 12 octobre 1907 s'en est préoccupé, et a constitué cinq classes d'instituteurs et d'institutrices, qui doivent être recrutés parmi les anciens normaliens de la métropole pourvus du brevet supérieur et du certificat d'aptitude pédagogique, et recevoir une solde d'Europe de 1200 à 2000 francs, à laquelle s'ajoutent un supplément colonial d'égale importance et diverses indemnités.

On peut encore rattacher à Madagascar les îles lointaines d'Amsterdam, de Saint-Paul et de Kerguélen, cette dernière très reculée dans l'hémisphère austral, puisqu'elle louche au 50e parallèle, et dont le surnom de Terre de Désolation indique assez la physionomie. Ces trois îles ne sont fréquentées que pendant la saison de pêche, où elles fournissent d'ailleurs une récolte de poisson fort importante.

Réunion. ? Bien que géographiquement dépendante de Madagascar, l'île de la Réunion est toujours administrativement rattachée aux Antilles, parce qu'elle formé avec elles le groupe dit des trois anciennes colonies, à population européenne ou assimilée. L'île, longtemps appelée Bourbon, découverte, ainsi que sa voisine anglaise l'île Maurice (ancienne île de France), par l'amiral portugais Pedro de Mascarenhas au seizième siècle, fut réellement colonisée au dix-septième par la Compagnie des Indes, pour laquelle elle constituait un sérieux point d'appui militaire et commercial au temps où la route d'Europe aux Indes Orientales et à la Chine passait par le cap de Bonne-Espérance. Le percement du canal de Suez, qui a modifié les itinéraires maritimes, a fait tort à la Réunion, placée désormais à leur égard dans une situation assez excentrique. Cette cause et diverses autres, notamment une organisation administrative compliquée et coûteuse, et aussi le trouble apporté par les découvertes scientifiques et la concurrence internationale sur le marché des produits coloniaux tels que le sucre et la vanille, ont déterminé dans la colonie une crise que le gouvernement central essaie d'atténuer par des simplifications administratives, et que le gouvernement local cherche à conjurer par une orientation nouvelle de l'activité du pays, attendue en particulier de la réforme de renseignement.

Cet enseignement était à peu de choses près l'enseignement primaire et secondaire de la métropole. La Réunion a même eu jadis, ainsi que la Martinique, un vice-recteur, qui a d'ailleurs été supprimé en 1901. Le chef du service de l'instruction publique est aujourd'hui le proviseur du lycée. En fait, ce n'est pas non plus l'inspecteur primaire prévu par le décret du 23 mai 1898 qui est chef de l'enseignement primaire : le directeur de l'école primaire centrale de Saint-Denis a été délégué dans ces fonctions. Les dépenses de la colonie inscrites au budget local (qui étaient, pour 1908, de 4 618 525 francs) sont les unes obligatoires, et comportant un maximum prévu par décret, les autres facultatives, et votées par le Conseil général : le maximum des dépenses obligatoires prévues pour l'instruction publique sera pour l'exercice 1909 de 220 000 francs pour l'enseignement secondaire (subvention au lycée) et de 20 000 francs pour l'enseignement primaire. Les dépenses de ce dernier sont donc à la charge des communes: c'est une charge lourde, qui s'élevait pour 1908 à 532 962 francs, dont 436 970 francs pour le personnel et 95 992 francs pour le matériel, et que le Conseil général atténuait en votant, non sans protestations, parmi ses dépenses facultatives, une subvention de 115 000 francs.

La population de la Réunion est de 201 000 habitants, répartie sur une superficie de 2512 kilomètres carrés, et comprenant les éléments ethniques les plus divers, Européens, Chinois, Annamites, Indiens, Malgaches, sang-mêlés, confondus d'ailleurs dans les écoles sans aucune différence de caste ni de race, bans les 21 communes de l'île fonctionnent 125 écoles publiques, dont 51 de garçons, 52 de filles, 8 mixtes, et 4 maternelles. La plupart des communes qui sont sur territoire montagneux ont plusieurs écoles : Saint-Louis 11, Saint-Joseph 13, Saint-Pierre 16. Certaines agglomérations en sont au contraire totalement dépourvues. Les programmes sont ceux de France, plus l'histoire et la géographie de la Réunion, de Maurice et de Madagascar. Un cours normal annexé au lycée assure le recrutement de presque tous les instituteurs, qui reçoivent, avec diverses indemnités, un traitement dit d'Europe de 1200 à 1800 francs, majoré d'un supplément colonial, qui n'est que du quart du traitement pour le personnel originaire de la colonie. Or, il n'y a pas à la Réunion de personnel métropolitain de l'enseignement primaire. L'enseignement secondaire, qui acompté jusqu'à cinq collèges, fermés successivement, ne possède plus aujourd'hui que le lycée Leconte de Lisle, à Saint-Denis. Ce dernier a d'abord tendu à s'identifier avec les lycées de la métropole. II s'en différencie aujourd'hui sensiblement, d'abord par l'adjonction d'un cours normal, ensuite par une innovation des plus heureuses : la constitution de trois divisions techniques formant écoles d'agriculture, de commerce, et d'industrie. L'école d'agriculture compte 15 élèves, l'école d'industrie 35. A l'école de commerce, des bourses sont entretenues par la Chambre de commerce, le Crédit foncier colonial, la Banque de la Réunion, la Bourbonnaise, et la Société d'assurances la Créole. L'école d'agriculture s'est annexé le Jardin colonial, le Muséum et le domaine de la Providence. ? Le lycée prépare des candidats au brevet de capacité de l'enseignement secondaire, que le décret du 27 août 1882 permet d'échanger dans la métropole contre un diplôme de baccalauréat moyennant une épreuve nouvelle contradictoire et l'acquittement de droits au trésor. ? La colonie entretient dans la métropole Quelques boursiers soit auprès des facultés, soit plutôt ans les écoles d'enseignement technique, Ecole d'arts et métiers d'Aix, Ecole vétérinaire d'Alfort, Ecole supérieure d'agriculture de Grignon.

L'enseignement privé ne comporte, au degré secondaire, que deux petites institutions privées laïques, à Saint-André et à Saint-Louis. Mais au degré primaire il est assez fortement organisé : il comprend, pour les garçons, 2 écoles laïques avec 59 élèves, 4 écoles congréganistes avec 21 frères de la Doctrine chrétienne et 1076 élèves ; pour les filles, 6 écoles laïques avec 17 institutrices et 133 élèves ; 20 écoles congréganistes, avec 59 maîtresses (filles de Marie et soeurs de Saint-Joseph de Cluny) et 2476 élèves, et enfin 7 écoles mixtes laïques, et 3 écoles maternelles avec 3 institutrices et 137 élèves.

La population scolaire était, en 1907, à la Réunion, de 14 260 enfants (6557 garçons et 7703 filles), répartis à raison de 10 010 enfants dans les écoles publiques, 561 dans les écoles privées laïques, et 3689 dans les écoles privées congréganistes.

5° Asie orientale. ? Etablissements français dans l'Inde. ? La question de l'enseignement colonial n'est nulle part plus compliquée que dans ces quelques vestiges de notre ancienne politique orientale, aujourd'hui isolés dans l'immense empire anglo-indien, et qui, malgré leur exiguïté (508 kilom. carrés de superficie), malgré que le territoire du chef-lieu soit encore déchiqueté par les enclaves anglaises, sont eux-mêmes une véritable mosaïque de races, de castes, de langues et de religions. On sait que les traités de 1815 nous ont restitué les établissements de Pondichéry, de Karikal, de Mahé, de Yanaon et de Chandernagor, et ont maintenu nos droits sur les huit propriétés, ou loges, possédées par l'ancienne Compagnie des Indes dans les villes de Surate, Calicut, Mazulipatam, Cassimbazar, Jougdia, Balassore, Dacca et Patna. Notre colonie compte, en 1907, une population de 277 000 habitants, dans laquelle l'élément hindou représente une proportion de 87 0/0, l'élément catholique 7 0/0, et l'élément musulman 6 0/0. La population scolaire y est de 40 425 unités, et les dépenses de l'instruction publique se sont élevées en 1907 à 160 322 roupies (la roupie vaut environ 1 fr. 68 c.), dont 142 273 pour le personnel et 18 049 pour le matériel. Le service de l'instruction publique est placé sous l'autorité directe du gouverneur. Il est dirigé par un inspecteur primaire, qui a autorité et contrôle pédagogiques sur tous les ordres d'enseignement, bien que l'enseignement secondaire et même l'enseignement supérieur soient représentés dans la colonie.

Jusqu'en 1880, l'enseignement primaire était confie à la Société des missions étrangères en vertu de l'ordonnance du 30 septembre 1846. De 1880 à 1907, le nombre des écoles primaires publiques est passé de 35 à 47 ; l'effectif des élèves, de 2799 à 9669 ; le personnel, de 103 à 190 maîtres (124 instituteurs, 66 institutrices). En 1880, aucun maître n'était pourvu de titres de capacité. En 1907, tous, sauf deux, sont pourvus du brevet de capacité élémentaire ou supérieur de l'enseignement primaire, et la moitié d'entre eux cumulent ce brevet avec le certificat d'aptitude pédagogique. Les écoles publiques sont divisées en écoles de section et écoles de centres. Il y a des écoles publiques aux centres des établissements et à Oulgaret, Grande-Aldée, Nédouncadou, Bahour et Villenour. Cependant les agglomérations rurales de ces dernières aidées n'en ont pas, et une statistique officielle estime à 36539 (16 429 garçons et 20111 filles) le nombre d'enfants complètement privés d'enseignement. C'est que, malgré l'effort méthodique et vigoureux donné par les chefs successifs du service de l'instruction publique dans notre colonie, la marche de l'enseignement primaire y est retardée en tout lieu et à tout moment par l'obstacle de la langue, ou plus exactement des langues. Le gouvernement colonial ayant décidé d'apprendre le français aux indigènes, et ceux-ci se refusant à abandonner leurs langues natives, l'école publique a dû entreprendre de les leur enseigner d'abord, persuadée qu'elle désencombrerait d'autant la préparation ultérieure à l'instruction française, et qu'il y avait d'ailleurs intérêt à enseigner correctement même les langues indigènes. Mais alors elle a dû enseigner à Pondichéry et à Karikal le tamoul, à Chandernagor le bengali, à Mahé le malealum, à Yanaon le telinga, et l'anglais un peu partout. Elle se fait aider, il est vrai, par 44 instituteurs de langues indigènes, pour lesquels elle a fondé des cours normaux. Néanmoins ses ressources sont si évidemment inférieures aux besoins à satisfaire qu'elle a dû recourir au concours des écoles privées indigènes. On a pu dresser de la façon suivante la statistique des enfants qui reçoivent dans la colonie l'enseignement de notre langue :

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Cette population scolaire est répartie entre 44 écoles publiques et plus de 200 écoles privées. Il ne faudrait pas compter, d'après les statistiques officielles, que le nombre des enfants y ayant appris le français dans les conditions où on l'apprend dans la métropole dépasse 19 0/0 pour les garçons, et seulement 3, 5 0/0 pour les filles. Il n'est peut-être pas en tout notre enseignement colonial de plus persévérant et de plus honorable effort, qui démontre à quelles difficultés se heurte l'introduction de la langue française dans les pays où une civilisation ancienne assure aux langues natives une solide possession d'état.

L'enseignement primaire supérieur est donné au collège Calvé, au pensionnat de jeunes filles de Pondichéry, et au collège Dupleix de Chandernagor. Le collège Calvé a été fondé en 1887, grâce aux libéralités d'un Hindou, Calvé Souprayachettiar. D'abord école privée, il a été réorganisé en 1906 comme école primaire supérieure de français préparant au brevet d'instituteur (24 élèves), avec une section anglaise de 237 élèves et un cours supérieur de tamoul préparant des instituteurs de tamoul pour les écoles privées et publiques (27 élèves). Le pensionnat de jeunes filles, fondé en 1827 et dirigé par les soeurs de Saint-Joseph de Cluny, est, depuis l'arrêté de laïcisation du 28 mai 1903, dirigé par une institutrice métropolitaine assistée de trois institutrices laïques du cadre local. Il est ouvert depuis 1880 à toutes les classes de la population. Il a une classe enfantine, et prépare ses élèves (52) au certificat d'études primaires, au brevet élémentaire et au brevet supérieur. Le collège Dupleix, malgré son nom, est surtout un collège anglais, parce que la petite dépendance de Chandernagor où il se trouve est, par sa situation géographique et son voisinage de Calcutta, complètement imprégnée de vie anglaise. La section anglaise, fréquentée par 396 élèves, qui suivent les programmes de l'université de Calcutta, a d'ailleurs été très louée, le 10 décembre 1906, par le directeur de l'instruction publique au Bengale, qui lui avait fait, avec les autorités françaises, une courtoise visite. La section française donne à une centaine d'enfants l'instruction primaire élémentaire. Un cours d'enseignement primaire supérieur, tenté en 1906, n'a été suivi que par deux élèves.

En raison de l'insuffisance numérique du personnel enseignant, un cours normal à trois années d'études, avec le programme des écoles normales de France, a été annexé au collège Calvé en 1903, et, en 1904, des cours normaux ont été fondés pour les institutrices, l'un annexé au pensionnat de jeunes filles de Pondichéry pour les institutrices européennes, qu'il prépare aux brevets élémentaire et, supérieur, l'autre annexé à l'école de filles de la rue de Candapamodeliar, qui prépare au brevet des langues indigènes les institutrices de tamoul. Il y a cinq classes d'instituteurs et institutrices français et indigènes, dont la solde va, pour les premiers, de 360 à 840 roupies, et pour les seconds de 300 à 540 roupies, avec des indemnités diverses.

L'enseignement secondaire est donné dans deux établissements publics, le collège colonial de Pondichéry et le cours secondaire de Karikal. Le collège colonial, qui est jumeau du collège Calvé, a d'abord été dirigé par la congrégation des missions étrangères. Laïcisé, il fonctionne aujourd'hui avec les programmes d'un lycée métropolitain, préparant aux examens d'équivalence du baccalauréat, à cette réserve près que les élèves ont la faculté, comme langue étrangère, de présenter le tamoul. En octobre 1907, le collège colonial comprenait 278 élèves inscrits, dont 107 dans les classes primaires et 171 dans les cours secondaires (125 pour le premier cycle, 46 pour le second). Les cours secondaires sont professés par 13 professeurs y compris le directeur ; les cours primaires sont professés par les instituteurs du cadre local. Les Hindous, tant parias que castés, forment une proportion de 55 0/0 dans l'effectif du collège. Ils sont généralement portés vers les mathématiques, et, venus tard à la langue française à cause de leur habitude de parler et de penser en tamoul, ils sont, à plus forte raison, rebelles aux langues classiques. En fait, le collège colonial ne peut préparer qu'aux baccalauréats portant la rubrique « latin-langues vivantes » pour ses élèves européens, et surtout « sciences-langues vivantes-philosophie ». Le cours secondaire de Karikal, qui remplace l'ancien collège-séminaire auquel la subvention a été retirée en 1903, prépare une trentaine d'élèves à aller faire leurs études à partir de la classe de quatrième au collège de Pondichéry. L'enseignement secondaire privé ne compte d'ailleurs que ce même petit séminaire toléré, avec un maximum de 15 élèves, pour le recrutement du sacerdoce.

Une des caractéristiques de l'enseignement dans notre colonie est la part qu'il a dû faire à l'instruction anglaise. Le collège Dupleix, qui est surtout anglais, prépare ses élèves au diplôme de fellow of arts de l'université de Calcutta. La section anglaise du collège Calvé, qui s'est annexé deux écoles privées de Pondichéry, l'Anglo-vernacular school et l'Hindu union school, prépare aux examens d'immatriculation de l'Université de Madras. Une école anglaise de la mission réunit près de 200 élèves, ce qui s'explique par l'importance des maisons industrielles et commerciales anglaises sur le territoire de Pondichéry.

L'enseignement professionnel ne compte qu'une école d'arts et métiers, rattachée au service des travaux publics, et pour laquelle une inscription de 5908 roupies étai prévue au budget de 1907.

Enfin l'enseignement supérieur est représenté par des cours de droit, institués en 1838 pour faciliter le recrutement des collaborateurs du service judiciaire et permettre aux aspirants à la licence en droit de faire dans la colonie les trois années d'études préparatoires, et par une école de médecine, fondée en 1863, réorganisée en 1903, et qui prépare aux examens d'officier de santé, de sage-femme et de vaccinateur indigènes. Ce sont les magistrats du chef-lieu qui donnent l'enseignement juridique (un décret du 1er juillet 1880 admet sous certaines conditions les élèves au grade de licencié dans une faculté de droit de la métropole), et c'est le directeur du service de santé qui dirige l'enseignement médical.

Les élèves sont reçus dans les écoles officielles sans distinction d'origine. Cependant, malgré tous les efforts que l'administration française apporte à l'admission des parias à côté des gens de caste, elle s'est heurtée, dans les aidées, à des résistances irréductibles, et elle devra sans doute y installer des écoles spéciales de parias. Elle n'a réussi, après une lutte opiniâtre, que dans les villes, et là même elle n'a pas réussi pour les filles : Pondichéry a donc une école spéciale de petites filles parias. D'autre part, les élèves musulmans sont initiés à la lecture du Coran dans certaines écoles des dépendances.

Malgré tant de difficultés réunies, la fréquentation scolaire est supérieure sur notre territoire à la fréquentation scolaire du territoire anglais environnant. La proportion était en 1902 de 49, 8 % pour les garçons dans nos établissements, et de 14, 8 % pour les filles, alors qu'elle était de 25 % seulement pour les garçons et de 4, 4 % pour les filles dans la présidence de Madras.

Indochine. ? Voir l'article Indochine.

C'est au gouvernement général de l'Indochine qu'est également confiée, en vertu du décret du 5 janvier 1900, l'administration du territoire de Kouang-Tchéou, dans la province chinoise du Kouang-Toung, cédé à bail le 12 avril 1898, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, par la Chine à la France.

6° Océanie. ? Nouvelle-Calédonie et dépendances. . ? Bien que située dans la zone intertropicale, c'est la colonie dont le climat semble jusqu'ici le plus favorable à la race blanche, qui y montre une natalité vigoureuse. La population, en y comprenant l'élément canaque, localisé dans ses réserves indigènes, est de 55 800 habitants. L'île principale, qu'on appelle la Grande Terre, et à laquelle se rattachent l'île des Pins, l'archipel des Loyalty (Maré, Lifou et Ouvéa), les îles Chesterfield et Huon, a une superficie de 18 653 kilomètres carrés : elle est d'une richesse minière exceptionnelle. Cependant elle traverse une crise économique assez grave, à laquelle on s'efforce actuellement de remédier.

L'enseignement primaire y a été réorganisé par décret du 26 septembre 1902. C'est l'enseignement métropolitain avec adjonction de la langue anglaise, adjonction nécessitée par l'Australie. Les 4 écoles du chef-lieu, Nouméa, comptent 387 garçons, avec 8 instituteurs, et 355 filles, avec 11 institutrices. Il y a dans l'intérieur 20 écoles publiques, avec 3 instituteurs, 17 institutrices et des maîtres auxiliaires ; leur population scolaire est de 379 élèves (182 garçons et 197 filles). L'enseignement primaire privé est donné par les frères Maristes et les soeurs de Saint-Joseph de Cluny, qui ont des établissements à Nouméa, la Conception, Païta, et par 3 écoles privées laïques, avec 844 enfants des deux sexes. Le nombre total des élèves des écoles primaires de la colonie est donc de 1965, dont 1121 reçoivent l'enseignement dans les établissements scolaires entretenus aux frais des communes. Le certificat d'études et les brevets élémentaire et supérieur sont délivrés d'après un programme sensiblement voisin de celui de la métropole, mais ne sont valables que dans les limites de la colonie.

Une école professionnelle a été installée, avec cours théoriques au collège colonial et cours techniques a la direction d'artillerie. Elle est placée sous le double patronage du principal du collège et du capitaine directeur d'artillerie, et ce sont les officiers d'artillerie qui donnent l'enseignement technique.

L'enseignement secondaire est représenté par le collège colonial de Nouméa, qui comptait en 1906 60 élèves, dont 18 suivaient les cours de l'école professionnelle. Le collège est d'ailleurs divisé en deux sections : l'une est précisément la section professionnelle, avec quatre ans de scolarité, et l'autre la section d'enseignement secondaire, comprenant cinq années d'études. L'établissement est dirigé par un professeur faisant fonctions de principal, et qui est assisté de quatre professeurs, d'un instituteur et de moniteurs. C'est le directeur de l'école communale des garçons de Nouméa qui est chargé, sous l'autorité du secrétaire général, du service de l'instruction publique. Un Comité de l'instruction publique assiste le gouverneur. La colonie entretient quelques boursiers à son collège et à l'Ecole des arts et métiers d'Aix.

La loi du 30 mai 1854 avait ordonné la transporta-lion à la Nouvelle-Calédonie des condamnés aux travaux forcés, précédemment dirigés sur les bagnes de Rochefort, de Toulon et de Brest. La transportation a commence en 1862, et la loi du 27 mai 1885 est venue lui adjoindre le contingent des relégués. Mais ces envois ont complètement cessé depuis 1897 pour la Nouvelle-Calédonie, et ne sont plus continués que sur la Guyane.

Le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie est haut commissaire de la République dans l'océan Pacifique. A ce titre, il a sous son autorité la résidence des îles Wallis et Futuna, voisines de l'archipel anglais des Fidji, et où habitent une dizaine de mille indigènes et quelques colons français, et le commissariat des Nouvelles-Hébrides. Ce dernier archipel, qui a une superficie totale d'environ 15 000 kilomètres carrés et une longueur de 1150 kilomètres sur une largeur de 150 kilomètres, est situé à 350 kilomètres au nord-est de la Nouvelle-Calédonie, et à 200 kilomètres des Loyalty, entre 9° 45 et 20° 16 de latitude sud et 163° 20 et 168°

de longitude est. Il comprend six groupes principaux : 1° les îles Torrès ; 2° les îles Banks ; 3° les Hébrides du Nord, dont les principales sont Espiritu-Santo, Aoba, Aurore et Pentecôte: 4° les Hébrides du centre avec Mallicolo (Port-Sandwich), Ambrym, Api, Vaté (Port-Vila) ; 5e les Hébrides du Sud, avec Erromango et Tana. Ces îles, visitées par les navigateurs au dix-septième et au dix-huitième siècle, ont été au dix-neuvième l'objet des entreprises concurrentes de la colonisation calédonienne et de la colonisation australienne. Les missions religieuses y ont l'ait leur apparition en 1818 avec les missionnaires presbytériens et la Société biblique de Londres. En 1887, les Maris tes se sont installés à Vaté (Port-Vila), à Mallicolo (Port-Sandwich), à Pentecôte, Espiritu-Santo, Aoba, tandis que les soeurs s'installaient à Ambrym et à Api. L'archipel a fait l'objet de quelques conversations diplomatiques. En 1878, une double note anglaise et française portait engagement réciproque de neutralité. En 1885, l?Allemagne renonçait à notre profit à toute prétention sur les Hébrides. Le 16 novembre 1887, un accord franco-anglais déterminait le régime d'une commission navale mixte chargée de veiller provisoirement sur les intérêts des nationaux de chacune des parties contractantes. Enfin, le 20 octobre 1906, une convention établissait la souveraineté conjointe de la France et de l'Angleterre aux Nouvelles-Hébrides, où elle était proclamée solennellement le 2 décembre 1907. La population indigène de l'archipel est évaluée très approximativement à 60 000 ou 90 000 habitants. La population européenne est de 630 personnes, dont 382 Français et 214 Anglais. Il y a à Port-Vila une école de Maristes et une de soeurs.

Clipperton est un îlot de 5 kilomètres carrés, isolé dans le Pacifique oriental, et dont la possession, qui nous est contestée par le Mexique, fait actuellement l'objet d'un arbitrage.

Établissements français de l'Océanie. ? Ils sont constitués par un nombre considérable d'îlots semés sur un espace qui n'occupe pas moins1 de 20 degrés de latitude, et qui se classent suivant les groupements ci-après : 1° l'archipel de la Société, subdivisé lui-même en îles du Vent (Tahiti et Moorea) et îles Sous-le-Vent (Houahiné, Rahiatea-Tahaa, Bora-Bora, etc.) ; 2° l'archipel des Marquises, comprenant onze îles, à 250 lieues marines de Tahiti ; 3° l'archipel des Touamotou et 4° l'archipel des Gambier, donnant â eux deux un ensemble de quatre-vingts îles ; 5° l'archipel des Toubouai ; 6° l'île de Rapa, isolée au 27° degré de latitude sud. La superficie totale des établissements de l'Océanie est de 4000 kilomètres carrés ; la population en est, pour 1907, de 30 000 habitants, et le commerce de 6 971 764 francs. Tahiti est à douze jours de San Francisco, et, par la voie de l'Amérique, de vingt-cinq à trente-deux jours de France ; elle en est éloignée de soixante-treize jours par la voie de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.

Il n'y a dans la colonie, dont le budget pour 1908 est de 1 322 010 francs, et dont le chef-lieu est Papeete (île de Tahiti), ni enseignement supérieur ni enseignement secondaire, ni enseignement professionnel. L'enseignement primaire a été institué en 1896, d'après les programmes métropolitains de 1882. Tout district doit être pourvu d'une école, à laquelle peut être annexé un jardin. En arrêté du 27 octobre 1897 a d'ailleurs rendu obligatoire l'instruction primaire pour les enfants des deux sexes, de six à treize ans, sous le contrôle du maire et du chef de district, qui du reste favorisent la fréquentation des écoles. ? En 1905, l'école principale de Papeete a été réorganisée et est devenue l'école centrale des établissements français d'Océanie, avec un cours normal chargé de préparer les candidats aux brevets élémentaire et supérieur, donnant droit aux emplois de l'enseignement public : les programmes sont ceux de France. Au cours normal est annexée une école primaire. Il y a en outre à Papeete deux écoles communales, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles ; et il y a une école mixte dans chaque district de Tahiti et de Moorea, et dans chaque centre des archipels. Le personnel de l'enseignement primaire comprend 6 instituteurs titulaires, détachés des cadres métropolitains, et pourvus du brevet supérieur presque toujours cumulé avec le certificat d'aptitude pédagogique, et même du baccalauréat, des instituteurs titulaires ou stagiaires du service local, pourvus du brevet élémentaire, et des aides-instituteurs et moniteurs. Les traitements sont, pour les instituteurs titulaires, de 3000 à 5000 francs, pour les institutrices de 1500 à 3500 francs, plus des indemnités de logement et de cherté de vivres. Le directeur de l'école centrale a 3500 francs de solde coloniale et 2000 francs de supplément. Le service de l'instruction publique dépend du secrétariat général, et un Comité de l'instruction publique assiste le gouverneur. Les dépenses de l'enseignement pour 1908 sont de 110 813 francs, dont 70920 concernent Tahiti et Moorea, et le reste les archipels.

L'enseignement privé est donné dans quelques écoles catholiques et protestantes. Il y a à Papeete une école de frères, dont quatre frères sur six ont le brevet élémentaire ; une école de soeurs, où les religieuses enseignantes ont leur brevet élémentaire ; et deux écoles protestantes, l'une de garçons, dont les trois maîtres sont munis du baccalauréat, du brevet élémentaire et du certificat de capacité, et l'autre de filles, avec sept maîtresses, dont deux ont le brevet supérieur et trois le brevet élémentaire. Il y a en outre des écoles mixtes catholiques ou protestantes à Faaa, Taravao, Moorea et Raïatea.

7° Amérique septentrionale et équatoriale. ? Saint-Pierre et Miquelon. ? Ces petites îles (tout ce qui nous reste du Canada), situées bien en dehors de notre zone coloniale, par 46° 46 de latitude nord et 58°50 de longitude ouest, avec une superficie totale de 260 kilomètres carrés, et une population de 6000 habitants, constituent moins une colonie qu'un quartier d'inscription maritime détaché des côtes de France pour servir de point de ravitaillement aux marins qui vont chaque année pêcher la morue sur le Grand Banc de Terre-Neuve. Cette pêche est particulièrement rude. Elle est généralement pratiquée au milieu des brumes, sur une route maritime très fréquentée par les transatlantiques européens et américains. Le climat est rigoureux, et l'assistance que nos pêcheurs auraient pu attendre des hommes leur est refusée par des habitants de Terre-Neuve toute voisine, où un acte officiel a interdit de leur vendre l'appât nécessaire à la pêche de la morue. En ces conditions, la vie de Saint-Pierre et Miquelon est difficile.

Il n'y a dans la colonie, dirigée par un administrateur colonial, que des écoles primaires. A Saint-Pierre, l'école publique de garçons a 270 élèves, l'école de filles 100, l'école maternelle 40. A l'Ile-aux-Chiens, deux écoles laïques, mixte et maternelle, ont respectivement 78 et 26 enfants. A Miquelon, 3 écoles publiques laïques ont respectivement 32 garçons, 33 filles, 24 enfants d'école maternelle. Il y a dans la colonie 9 instituteurs, dont3 des cadres métropolitains, 10 institutrices, dont 3 appartenant au personnel de la métropole. Les soldes sont, pour les instituteurs, de 1200 à 2200 francs, avec un supplément colonial de 200 ou 500 francs à 1000 ou 1400 francs, et pour les institutrices de 1200 à 2000 francs, avec supplément de 100 à 300 ou de 200 à 500 francs, et des indemnités diverses. Les programmes sont sensiblement les mêmes que ceux de la métropole. Mais on donne en outre, dans les écoles de garçons, un enseignement maritime, sorte de classe professionnelle où les fils de pêcheurs apprennent l'usage des cartes, de la boussole, du baromètre, la géographie locale, la connaissance des vents et des courants. L'enseignement dans les écoles publiques est gratuit, et l'on y délivre même des fournitures scolaires aux enfants pauvres.

L'enseignement privé n'est représenté qu'à Saint-Pierre, par trois écoles des soeurs de Saint-Joseph de Cluny : l'école primaire avec 146 filles, l'école dite le « pensionnat », avec 101 filles, et l'asile, avec 53 enfants des deux sexes. Une légère rétribution scolaire est demandée dans chacun de ces établissements. Aucun établissement d'enseignement privé ne peut être ouvert sans l'autorisation de l'administrateur.

Guadeloupe et dépendances. ?La Guadeloupe est une des plus anciennes colonies de l'Europe, puisqu'elle a été découverte par Christophe Colomb, qui lui a donné son nom actuel en souvenir d'un monastère de l'Andalousie. La population primitive caraïbe a disparu, et l'île et ses dépendances sont habitées aujourd'hui par les descendants d'une population importée, qui s'élèvent en 1907 à 182 000 individus de race blanche, noire, ou mêlée. L'île principale a pour dépendances l'île de Marie-Galante (c'était le nom d'une des caravelles de Colomb), la moitié de l'île de Saint-Martin (l'autre moitié est à la Hollande), l'île de Saint-Barthélémy, l'archipel des Saintes, et la petite île de la Désirade. Bien que la nature montre dans cette colonie une beauté et une générosité exceptionnelles, la Guadeloupe a peine à se relever du coup qui a été porté à sa riche et jusqu'alors à peu près unique production (la canne à sucre) par la crise sucrière de 1884. Son commerce n'est encore, en 1907, que de 29 694 601 francs, pour une superficie territoriale de 1780 kilomètres carrés, alors que la Martinique, deux fois moins étendue, atteint près de 35 millions.

La colonie a un enseignement primaire et secondaire à peu près taillé sur le modèle de l'enseignement correspondant de la métropole. Le chef du service de l'instruction publique est le proviseur du lycée. Les dépenses de l'instruction publique au budget local sont pour partie obligatoires, celles-ci dans la limite d'un maximum, et pour partie facultatives. Un décret du 21 janvier 1909 fixe le maximum des dépenses obligatoires à 115000 francs de subvention au lycée et 20000 francs pour l'enseignement primaire. Toutes les dépenses de ce dernier enseignement retombent donc à la charge des communes : c'était, en 1907, une charge de 472 625 francs, atténuée par la subvention de 112 525 francs que leur votait le Conseil général parmi ses dépenses facultatives et qui leur laissait une dépense définitive de 360 100 francs. Le programme des écoles primaires, arrêté par une série de textes en 1848, 1902 et 1903, est inspiré du programme métropolitain y compris l'obligation et la gratuité, avec adaptation aux nécessités locales. L'existence du lycée Carnot, fondé à la Basse-Terre en 1883, est assez précaire. De 1904 à 1908, l'effectif de ses classes élémentaires est tombé de 94 élèves à 56, et celui de sa division préparatoire de 31 à 9. Il avait, en 1903, essayé de rajeunir son enseignement en constituant des cours professionnels d'industrie, qui ont eu peu de succès, et une section de chimie appliquée à l'agriculture. Un jardin lui a été annexé où va être donné un enseignement agricole. Des cours avaient été jadis établis pour former un recrutement local d'officiers de santé, de pharmaciens et de sages-femmes ; seuls ces derniers, réorganisés en 1903, ont été maintenus. La colonie entretient en France 23 boursiers, dont 2 dans un lycée, 1 à l'Ecole d'arts et métiers d'Aix, 1 à l'école normale de Toulouse, 1 à l'Ecole d'électricité de Paris, 1 à l'Ecole coloniale, 3 à la Faculté de droit, 4 à la Faculté de médecine.

L'enseignement privé comprend une école secondaire de jeunes gens (le collège Dugommier), à la Basse-Terre ; un cours secondaire de jeunes filles fondé en 1894 par les professeurs du lycée à la Pointe-à-Pitre, avec approbation du ministre ; 4 écoles primaires de garçons (2 laïques, 2 dirigées par les frères de Ploërmel), et 13 écoles de filles (8 laïques et 5 appartenant à la congrégation des soeurs de Saint-Joseph de Cluny).

Martinique. ? Des restes qui nous ont été laissés de notre ancien domaine antillais par les traités de 1815, la Martinique est de beaucoup, grâce à l'activité de ses habitants, de même origine que ceux de la Guadeloupe, la colonie la plus prospère, bien qu'elle ait traversé des épreuves de toute nature, et qu'après la crise sucrière et les cyclones, elle ait perdu 30 000 des siens dans l'éruption de la Montagne-Pelée, du 8 mai 1902. La catastrophe, en anéantissant la ville de Saint-Pierre, a particulièrement atteint le fonctionnement de l'instruction publique. Elle a fait disparaître 31 écoles primaires recevant 3000 élèves, le lycée, l'école normale, le pensionnat colonial, le séminaire, le collège de Saint-Pierre : elle a coûté la vie à 107 membres du personnel enseignant, dont le chef du service et l'inspecteur primaire, ainsi qu'au gouverneur Mouttet, qui était venu essayer de rassurer par sa présence l'émotion de la population saint-pierraise.

L'organisation de l'instruction publique est la même à la Martinique que dans les autres colonies assimilées. Le décret du 21 janvier 1909 prévoit, dans la nomenclature des dépenses obligatoires du budget local, une subvention de 160 000 francs pour le lycée et une inscription de 12 000 francs pour l'enseignement primaire, laissé, ici aussi, à la charge des finances communales. Toutes les communes ont au moins une école primaire, sauf les communes sinistrées de Saint-Pierre, du Morne-Rouge et du Prêcheur, ? encore les deux dernières vont-elles en ouvrir une prochainement. II y a 29 communes, qui comptent 82 écoles, dont 52 de bourg, 30 de hameau (28 écoles de garçons, 28 de filles, 26 écoles mixtes), représentant un total de 239 classes. Dans les bourgs, il reste peu de sacrifices à consentir pour la création d'écoles, mais tout est à peu près à faire, au contraire, dans les campagnes. La population scolaire, qui a de six à treize ans, serait, d'après le dernier recensement, de 30 000 enfants, dont le tiers seulement, soit 10 590, aurait fréquenté une école en 1906-1907. L'effectif de chaque classe atteint, et dépasse même souvent, le maximum réglementaire. Les locaux scolaires sont généralement médiocres, et les jardins scolaires ne sont pas encore partout constitués. Indépendamment des fonctionnaires en congé, le personnel en service dans les 82 écoles de la colonie comprend actuellement 242 membres, dont 11 appartiennent au cadre métropolitain et 231 autres au cadre local. Sur ce total, il y a 112 instituteurs et 130 institutrices, dont 36 directeurs ou directrices d'école ; 138 maîtres ou maîtresses ont le brevet élémentaire, 41 le brevet supérieur, 44 le brevet élémentaire et le certificat d'aptitude pédagogique, 19 le brevet supérieur et le certificat d'aptitude. ? Les études primaires ordinaires sont couronnées par le certificat d'études, dont le programme est au même niveau que celui de la métropole. Mais on ne compte pas plus de 15 % des enfants fréquentant l'école publique à s'y présenter. La proportion des chiffres des admissions à celui des candidats a été, en 1907, de 87 sur 140 dans les écoles de garçons, de 84 sur 142 dans les écoles de filles, de 5 sur 10 dans les écoles mixtes, de 4 sur 9 dans les écoles privées, et de 2 sur 23 candidats libres. La majorité des candidats avait entre treize et quinze ans. ? Les communes ont dépensé en 1907 pour l'instruction primaire 83 752 francs.

Le lycée Schoelcher a été, après la ruine de Saint-Pierre, transféré à Fort-de-France, où il comptait, au 31 juillet 1907, 291 élèves, dont 120 externes surveillés et 171 libres. Le lycée comprend un enseignement primaire, avec 80 élèves, un enseignement secondaire dont le premier cycle retient 130 élèves et le second 49 (la division B est de beaucoup la plus fréquentée), un cours normal qui compte 11 candidat-instituteurs, et enfin une section d'arts et métiers. Cette heureuse et toute récente innovation semble déjà accueillie avec faveur, puisque la section pratique, dont les cours sont de quatre ans à partir de 1908, avait en 1907 21 élèves qui montraient d'excellentes aptitudes pour le dessin et les travaux manuels, et qui se destinaient à l'Ecole d'arts et métiers d'Aix. Sur les 291 élèves du lycée, 143 seulement sont élèves payants, les autres bénéficient de bourses ou de remises. Le lycée n'a pas d'internat, mais il en a demandé un. Ses cours secondaires préparent au brevet de capacité, échangeable dans la métropole contre le diplôme du baccalauréat. En juillet 1907, sur 27 candidats bacheliers présentés, 15 ont été admissibles, 12 reçus. Des 6 candidats présentés au brevet supérieur, 3 ont été reconnus admissibles et 2 reçus. L'enseignement secondaire des jeunes filles est donné au pensionnat colonial, qui reçoit du budget local une subvention d'une trentaine de mille francs, et qui complaît, au 31 juillet 1907, 289 élèves, toutes externes libres, dont 178 seulement sont payantes, les autres bénéficiant de remises ou de bourses d'études. Sur 60 élèves présentées en 1907 au certificat d'études, au brevet élémentaire ou au brevet supérieur, 26 ont été reçues.

Enfin la Martinique a encore une école de droit, où un arrêté du 13 septembre 1907 a fondé des chaires nouvelles de droit maritime et de législation commerciale comparée et de droit industriel. L'enseignement y est donné par les membres de la magistrature et du barreau. Pendant l'année scolaire 1906-1907, l'école a eu 92 étudiants inscrits, avec 247 inscriptions.

Guyane. ? Cette colonie, occupée par la France depuis plusieurs siècles, en est encore à l'enfance de l'organisation économique. Elle ne possède pas une seule pièce de l'outillage moderne, et le port de Cayenne lui-même est à peine aménagé. Elle manque d'ailleurs de population, puisque, sur une superficie de 88 240 kilomètres carrés d'un seul tenant, 25 000 habitants seulement ont été recensés, dont la majeure partie est d'ailleurs concentrée sur la faible bande littorale qui constitue le seul territoire de la colonisation, et où la mer reste encore le meilleur moyen de communication entre les diverses communes. Le pays est pourtant des plus riches, comme sol et comme sous-sol, puisque l'or y affleure assez pour permettre une exploitation rudimentaire, qui maintient le commerce de la colonie à un chiffre d'environ 26 millions de francs. Mais la Guyane est le champ qui a servi à notre inexpérience coloniale de jadis à faire des écoles, et elle a été notamment discréditée par les diverses déportations, politiques, pénales, et autres, qui ont été tentées sur son territoire. A l'heure actuelle, la transportation des condamnés aux travaux forcés s y continue encore dans les établissements pénitentiaires de Saint-Laurent du Maroni, des îles du Salut, de Kourou et leurs annexes, et le dépôt de Cayenne, tandis que les relégués sont cantonnés à Saint-Jean. Il n'y a point d'écoles pour la population pénale.

Le sort de l?enseignement étant lié dans une large mesure à la situation économique d'un pays, on ne saurait être surpris de la situation médiocre de l'instruction publique à la Guyane, encore que cette colonie ait reçu les institutions administratives d'un département français. L'enseignement primaire comprend, pour les écoles publiques : à Cayenne une école primaire de garçons (446 élèves), une de filles (392) et une école maternelle (82) ; à Mana, Sinnamary, Iracoubo, Kourou, Macouria, une école de garçons et une école de filles par commune ; à Approuague, une seule école de garçons ; à Oyapock, Montsinery, Roura, Remire, Montjoly, Tonnégrande, Kaw, une école mixte ; pour les écoles libres, à Cayenne une école de frères de Ploërmel (194 élèves), un externat des soeurs de Saint-Joseph de Cluny (148 élèves) et une école (252 élèves), à Mana une école de soeurs (120 élèves). La population scolaire primaire est de 1599 élèves.

L'enseignement secondaire est donné au collège de Cayenne, qui comptait en 1906-1907 un effectif de 152 élèves. A ses cours secondaires, fréquentés par 95 élèves, le collège ajoute des cours d'enseignement primaire supérieur et industriel que suivent 57 élèves. Il a eu 2 élèves reçus au certificat d'études secondaires du deuxième degré, et 3 au brevet élémentaire. L'entretien du collège coûte fort cher au budget local. Il est cependant facultatif, et la nomenclature des dépenses obligatoires de la colonie insérée dans le décret du 21 janvier 1909 ne prévoit au chapitre 10 (instruction publique) que 20000 francs au titre du chef de service et de l'inspection, et 140 000 francs au titre du personnel de l'enseignement primaire, les dépenses de matériel de cet enseignement étant seules laissées à la charge des communes.

Bibliographie. ? FROIDEVAUX : L'oeuvre scolaire de la France aux colonies, Challamel, 1900. ? René LEME : L'enseignement en Afrique occidentale française, Ed. Crété, Corbeil, 1906. ? Revue de l'enseignement colonial (Bulletin de la mission laïque) : Congrès de 1906, Alc. Picard et Kaan. ? Bulletin de l'Alliance française. ? Documents administratifs et parlementaires.

Louis Salaun