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Cochin (Jean-Marie-Denys)

 Cochin naquit à Paris, au bruit du canon de la Bastille, le 14 juillet 1789. Son père, le baron Cochin, d'une vieille famille de bourgeoisie parisienne, fut maire et député du XIIe arrondissement, où il a laissé, comme tous ses aïeux, le souvenir d'un noble caractère et d'une ardente charité.

Digne héritier des qualités de sa famille, le jeune Cochin se mit au travail avec une rare énergie. Après de brillantes études, il entra au barreau. La profondeur de sa science juridique, la sagesse de ses conseils, le charme et l'éclat de sa parole firent bientôt de lui un des avocats les plus estimés et les plus recherchés du Palais. Il devint rapidement l'homme nécessaire de toutes les oeuvres de bienfaisance. Il fut choisi pour secrétaire ou rapporteur de toutes les commissions, de toutes les associations qui se proposaient l'amélioration morale du peuple et le développement de son bien-être. Mais il se consacra plus particulièrement à une oeuvre à laquelle son nom est resté attaché : les salles d'asile.

C'est en 1826 que Cochin commença à consacrer son activité à cette création que d'autres avaient ébauchée avant lui. Il venait d'être nommé maire du XIIe arrondissement, et fut frappé de la misère et de l'abandon d'une multitude de petits enfants, laissés par leurs parents sans soins, sans surveillance, et quelquefois sans nourriture, dans un quartier qui comptait alors un indigent sur dix habitants, et, dans les mauvais jours, sur trois habitants. Attentif à tous les efforts faits en faveur de l'enfance, il veut, lui aussi, apporter sa part à l'oeuvre tant de fois essayée des salles d'asile. Dans cette pensée, il réunit de petits enfants dans deux chambres qu'il loue rue des Gobelins, et il se met à diriger lui-même ces enfants, à imaginer une méthode ingénieuse, parfaitement appropriée à leur âge, et il l'enseigne même à ceux dont il veut faire des maîtres.

Telle fut l'humble origine de cette belle institution dont les établissements se comptèrent plus tard par milliers dans la France entière. Mais Cochin n'était pas homme à s'en tenir à ce modeste essai. Ce qu'il voulait, c'était fonder une oeuvre durable et qui devînt comme le seuil nécessaire de l'école primaire. Il a eu soin d'ailleurs d'en définir le caractère et le but, dans son Manuel des salles d'asile (publié en 1833), ouvrage remarquable à bien des titres et qui, en 1834, fut couronné par l'Académie française comme le meilleur livre publié dans l'année. « C'est pour suppléer, dit-il, aux soins, aux impressions, aux enseignements que chaque enfant devrait recevoir de la présence, de l'exemple et des paroles de sa mère, qu'il a paru nécessaire d'ouvrir des salles d'hospitalité et d'éducation en faveur du premier âge. » Voilà l'idée première et le but des salles d'asile. Cochin en poursuivait avec ardeur la réalisation, tout en désirant trouver quelqu'un d'intelligent et de dévoué (une femme surtout) pour aller étudier en Angleterre l'organisation des Infants schools. Le hasard lui fît rencontrer Mme Millet, femme du peintre Frédéric Millet ; elle l'entendit exposer ses projets, et, saisie aussitôt d'enthousiasme, s'offrit pour cette mission. Accompagnée de son mari, elle part pour l'Angleterre, et, munie de lettres de recommandation qui facilitent sa mission, elle y passe deux mois à visiter les écoles, en rapporte une étude complète qu'elle met en rapport avec notre esprit national, et en 1827 elle ouvre le premier asile rue des Martyrs. Soixante, quatre-vingts, cent enfants y viennent bientôt et y sont disciplinés en huit jours, grâce aux éminentes qualités d'esprit et de coeur de la fondatrice.

Dans le même temps, Cochin, l'âme de cette grande entreprise, conçoit le projet d'une « maison complète d'éducation primaire » dont la salle d'asile sera le point de départ et la base. Mais écoutons plutôt ce que dit Cochin lui-même dans le Manuel des salles d'asile (p. 56 de la 5° édition) :

« Ayant reconnu, après quelques années d'administration en qualité de maire d'un arrondissement de Paris, qu'il était désirable d'accroitre le bien-être de la population par la fondation d'une salle d'asile, et d'en faire une section nécessaire d'un établissement d'éducation primaire, je formai le projet de bâtir une maison-modèle contenant des classes de toute espèce et pour tous les âges. »

Cette pensée de rattacher la salle d'asile à l'école primaire et d'en faire, pour ainsi dire ; une annexe indispensable de celle-ci, est peut-être ce qui fit la fortune et assura l'avenir des asiles ; car les plus jeunes enfants pouvaient ainsi y être amenés par ceux de l'école, sans dérangement pour les familles. C'est ce qui se pratique encore aujourd'hui dans les groupes scolaires, et c'était bien un groupe que Cochin avait l'intention de construire. Il semble maintenant qu'il devait compter sur la participation de la Ville dans les frais de cette construction d'un genre tout nouveau. Mais lorsque ce plan, nous dit Cochin, fut proposé au préfet de la Seine, celui-ci le considéra comme impraticable et répondit avec obligeance que c'était le rêve d'un homme de bien.

L'homme de bien heureusement poursuivit sans découragement ce rêve qui paraissait chimérique, et « voulut courir le hasard de l'exécution en engageant sa propre fortune, quoiqu'elle dût subir une forte atteinte en cas de non-succès ».

Après cette déception qu'il n'attendait pas, Cochin se met à l'oeuvre, fait dresser les plans sous ses yeux, en dirige l'exécution, et en trois mois de temps, chose presque incroyable, « les clefs d'une maison qui contient mille élèves, quatre logements de maîtres et de grandes dépendances, lui étaient remises après entier achèvement. La maison était ouverte, et 420 enfants étaient inscrits dans les trois divisions principales de l'établissement, le jour même de l'ouverture, trois mois et dix-sept jours après la pose de la première pierre. » Rien n'avait été oublié dans ce groupe si rapidement construit, et, après avoir fait dans ces locaux la part des maîtres et des élèves, Cochin en fit une aussi pour l'Ecole normale des salles d'asile, dont Mme Millet prit immédiatement la direction avec une rare intelligence de cet enseignement.

Un succès si complet ne laissait plus de doute sur l'avenir de cette fondation. Aussi l'administration municipale comprit-elle qu'il y avait un grand intérêt pour elle à devenir propriétaire d'un pareil établissement. Elle en fit donc l'acquisition ; mais jusque-là, c'est-à-dire pendant quinze mois (de 1827 à 1829), les écoles y furent entièrement entretenues en plein exercice aux frais de Cochin.

En cédant cette propriété, on comprend qu'il ne cédait pas le devoir de veiller sur son oeuvre, qui fut jusqu'à la fin de sa vie l'objet constant de ses préoccupations. Il passa des années en voyages, en études, en soins de toute sorte, pour doter les salles d'asile d'une méthode d'enseignement, chef-d'oeuvre de sagacité et de prévoyance que l'amour le plus éclairé de l'enfance pouvait seul inspirer, et où l'on reconnaît bien la marque des conseils de Mme Millet : il faut une femme, une mère pour trouver tant d'ingénieux procédés.

Le Manuel qui résumait la méthode nouvelle fut publié par la maison Hachette en 1833, l'année qui vit promulguer la loi Guizot sur l'instruction primaire. Il eut successivement cinq éditions, et parut d'abord sous ce titre : Manuel des fondateurs et des directeurs des premières écoles de l'enfance, connues sous le nom de salles d'asile. Disons tout de suite, pour ceux qui s'étonneraient de voir figurer ici le mot de directeurs, que jusqu'en 1855 ces établissements furent diriges indistinctement par des hommes et par des femmes.

L'ouvrage est divisé en deux parties, et l'auteur a pris soin de définir ainsi chacune d'elles :

« Dans l'une, intitulée Manuel des fondateurs, on a d'abord fait connaître la nature et l'utilité des salles d'asile, l'influence qu'elles doivent avoir sur la moralité des populations, sur l'aisance des familles, sur ; l'administration des secours publics et sur les écoles primaires de tous les degrés. On a ensuite indiqué toutes les choses nécessaires à leur organisation, à leur entretien et à la surveillance qui doit s'exercer à leur égard.

« Dans la seconde partie, intitulée Manuel des directeurs, on a énoncé toutes les considérations les plus propres à inspirer aux maîtres des petites écoles le dévouement nécessaire à leur profession, et on leur a fait connaître les méthodes à suivre pour le développement physique, moral et intellectuel des enfants du premier âge. »

Ces deux parties répondent admirablement à la pensée de l'auteur. La première abonde en considérations de la plus haute portée économique sur l'influence des asiles, au point de vue du bien-être des familles, sur l'abus du rôle des indigents, sur la progression de la dépense des enfants trouvés, sujet qui fournit à Cochin l'occasion de prouver par des chiffres que le nombre de ces petits malheureux diminue très sensiblement à mesure que celui des salles d'asile augmente. En effet, en 1820, on compte 5472 enfants abandonnés, et en 1853 seulement 2380. On voit que la différence est considérable avec une population qui l'est beaucoup plus. Il y a aussi des pages excellentes et pleines d'aperçus nouveaux sur le paupérisme et les réformes qu'il réclame. C'est une question qui lui était familière, pour l'avoir approfondie quand il voulut fonder « une maison de refuge dans le XIIe arrondissement. Il eut lieu de la reprendre plus tard et de la développer dans une foule de rapports, comme membre du Conseil des hospices et des prisons, comme collaborateur de M. Demetz, le vénérable fondateur de la Colonie agricole de Mettray, et enfin dans des discours éloquents à la Chambre des députés, où il siégea, porté par l'unanimité des électeurs, depuis 1836 jusqu'à sa mort.

Les six derniers chapitres de cette première partie traitent avec une rare compétence des recettes et des dépenses des salles d'asile, du budget de l'instruction primaire dans les communes, des conditions d'âge, de moralité et d'aptitude des directrices, des examens, du Comité de patronage, et enfin, du choix des directrices et de l'inspection officielle. On voit que tous les détails de cette vaste organisation sont étudiés et prévus avec une sûreté de coup d'oeil qui étonne de la part d'un homme si occupé.

La deuxième partie du Manuel offre un caractère exclusivement pédagogique et moral. Dans les six chapitres qui la composent, l'auteur entre dans la vie intime de l'asile, en pariant successivement de la nécessité d'une méthode, de la position sociale des directrices, de l'emploi de la journée et des soins à donner aux enfants ; puis il termine par des conseils sur l'instruction morale et religieuse des élèves.

Le temps, l'expérience, et le merveilleux développement de l'instruction primaire dans le département de la Seine, ont fait réaliser de nouveaux progrès à l'institution des salles d'asile ; mais à l'époque de Cochin il n'était guère possible d'aller plus loin. Jusqu'au moment où cette institution reçut de Mme Pape-Carpantier une impulsion nouvelle, le Manuel de M. Cochin fut le guide le plus complet et le plus sûr en cette délicate matière : il y avait mis toute son intelligence et tout son coeur. Il a pu d'ailleurs se convaincre de la valeur de son livre par l'expansion bienfaisante et rapide de la méthode et par l'accueil empressé que lui firent toutes les grandes villes de France. Des salles d'asile s'établirent bientôt par« tout, et dès 1840 Paris seul en comptait 24 ; en 1853, 40 ; en 1878, 110, qui recevaient près de 23 000 élèves. Nous voilà bien loin des 3600 enfants de Mme Millet!

En cédant son droit de propriétaire sur l'école de la rue Saint-Hippolyte, M. Cochin avait abandonné à cet établissement, en mobilier, une somme de plus de 22 000 francs, pour qu'il fût notoire, nous dit-il, qu'aucun esprit de spéculation ne l'avait dirigé dans cette entreprise. A peine cet acte de donation était-il consommé, que, par une ordonnance royale du 22 mars 1831, son nom et son administration étaient imposés à l'établissement qu'il avait construit. L'Etat, dans cette circonstance, n'était que l'écho de la reconnaissance publique, dont il reçut jusqu'à sa mort les témoignages les plus flatteurs. Elle le surprit à l'âge de cinquant-deux ans, le 18 août 1841, désolé de laisser son oeuvre interrompue et ses travaux inachevés. Peu de temps auparavant, nous trouvons, dans une lettre à un ami, comme le pressentiment de sa fin prochaine : « Ma vie, disait-il, ne sera pas assez longue pour accomplir tout le bien qui est dans mon coeur ».

Émile Gossot