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Chine

La culture chinoise antique est connue principalement par des documents écrits dont l'existence est attestée à une époque ancienne, et qui révèlent avec vraisemblance l'âge antérieur jusque vers l'an 1500 ou 2000 avant l'ère chrétienne. Les plus importantes de ces oeuvres sont: a) les Cinq Livres Canoniques (Wou king) et b) les Quatre Livres Classiques (Seu chou) :

a) Yi king, répertoire pour la divination, formé de sections diverses, dont les plus récentes sont dues à Confucius (551-479 avant l'ère chrétienne) ;

Chou king, recueil de discours et de récits historiques relatifs à la période comprise entre le deuxième millénaire et le septième siècle avant l'ère chrétienne ;

Chi king, collection d'odes et d'hymnes : quelques pièces peuvent dater du quinzième siècle environ, les plus jeunes sont du septième avant l'ère chrétienne ;

4° Tchhwen tshieou, annales de la seigneurie de Lou, de 732 à 481 ;

Li ki, mémoires sur les rites, rédigés entre le sixième siècle et le début de l'ère chrétienne ;

b) 1° et 2° Ta hio et Tchong yong, deux traités philosophiques attribués à Tseu-seu, né vers 500 avant l'ère chrétienne, petit-fils de Confucius ;

Lwen yu, entretiens de Confucius réunis par ses disciples ;

Meng tseu, entretiens du sage Meng-tseu (372-289).

Aussi bien dans leur fond même que par l'interprétation classique de l'école confucianiste, ces oeuvres marquent une préoccupation dominante des questions de morale individuelle et sociale : elles sont données pour l'expression d'une orthodoxie reposant sur les traditions primitives des Chinois ; cette prétention n'a jamais été contestée sérieusement, et est devenue une sorte de dogme après la persécution de l'empereur Chi hwang-ti (259-210), qui voulait rejeter le fardeau du passé et mettre un terme à l'ingérence des lettrés dans la politique. Dans les anciens classiques se trouvent donc les principes les plus constants de la civilisation chinoise. Ce n'est pas à dire que la veine classique soit unique : la Chine a eu ses vieux hétérodoxes en morale, ses « taoïstes », philosophes physiciens, adeptes de l'alchimie et de l’astrologie ; elle a accueilli et refondu le bouddhisme, elle a ensuite transformé son taoïsme, puis donné naissance à une floraison de sectes religieuses et politiques ; avec Tchou Hi (11301200) une métaphysique matérialiste a revêtu le confucianisme, auquel Wang Yang-ming (1472-1528) a tenté d'insuffler l'idéalisme. Et, d'autre part, en des formes littéraires assouplies, diversifiées, ont été élevés des monuments aussi variés que nombreux : essais, mémoires et oeuvres de longue haleine, histoire, érudition, économie sociale, poésie, voire littérature d'imagination, romans et drames, rien n'est resté étranger aux Chinois. Néanmoins le courant classique est si profond, si fort, qu'il reparaît toujours, qu'il entraîne tout.

Aussi est-il dominant dans l'éducation. Dans la Chine féodale antérieure à Chi hwang-ti, il s'agit surtout, par des éludes morales, musicales, littéraires, par des exercices physiques, de former l'homme capable de commander à soi-même et à autrui. Ensuite, avec les lettrés de l'époque des Han (de 206 avant l'ère chrétienne à 220 de l'ère chrétienne), l'éducation devient plus formelle et plus livresque, le mandarinat remplace peu à peu l'aristocratie héréditaire ou guerrière ; dans l'université des Thang (618-907), s'il existe des grades et beaucoup d'examens, le principe aristocratique subsiste encore. Dans la société moderne, il reste peu de traces du régime héréditaire : le mandarinat est une aristocratie personnelle issue des concours. Mais voici que les concours étagés, réorganisés pour la dernière fois au dix-septième siècle et qui étaient la principale voie d'accès au mandarinat, ont fait place, en vertu d'un décret du 2 septembre 1905, à un système d'instruction publique couronné par des examens. La grande majorité des mandarins actuels et des adultes instruits proviennent de l'ancienne éducation, le nouveau système ne se trouvant en vigueur que depuis trois ans ; mais un certain nombre d'hommes, quelques-uns influents, ont été formés soit à l'extérieur, soit par des méthodes étrangères. Il faudra donc exposer d'abord la condition traditionnelle de l'instruction, puis les essais et les projets qui ont préparé le décret de 1905, enfin les principes sanctionnés par ce décret.

II. — Tout mandarin, tout chef de famille aisée a un précepteur pour ses fils, ses neveux, pour les enfants qui vivent sous son toit. Le précepteur est un « lettré », sien-cheng ; on est lettré dès qu'on a étudié, l'aspirant bachelier est un lettré, comme le licencié non encore entré dans la hiérarchie mandarinale ; il existe donc des lettrés de qualité toute différente, et le niveau de l'instruction familiale varie en conséquence. L'état social impose au chef de famille d'une condition un peu plus que moyenne l'entretien d'une clientèle et d'une domesticité nombreuses : entre les deux, le sien-cheng trouve place. D'autre part, la communauté fréquente de patrimoine et de vie entre les diverses branches fait de la famille une société étendue où il se trouve à la fois plusieurs jeunes garçons parents à divers titres ; le précepteurs donc devant lui plusieurs enfants d'âge et de développement différents.

Souvent dans le centre et dans le sud, plus rarement dans le nord, les familles issues d'un même ancêtre conservent des rapports étroits pendant huit ou dix générations ou davantage ; l'on vit en cultivant le domaine familial ; ceux qui sont partis chercher fortune reviennent finir leurs jours près des « mûriers » des ancêtres ; tous les membres défunts de la famille sont rangés autour des chefs de branche, non loin du père commun. Ces grandes familles ramifiées forment de petits Etats ayant un culte, un chef et une assemblée d'anciens. Dans cette organisation les écoles ont leur place, entretenues à frais communs par toute la gens ou par des sections de la gens.

Dans les villes et dans la plupart des villages, la population est mélangée : le type d'école est différent. Quiconque se dit lettré peut ouvrir une école ; aucun titre n'est requis, aucune autorité n'a charge de permettre ou de surveiller : il suffit à qui veut être maître de trouver des élèves. La liberté est totale sur ce point comme partout où les moeurs, les croyances traditionnelles, l'exercice du pouvoir ne sont pas directement en jeu ; l'intérêt pris par l'Etat à l'instruction populaire est un thème cher aux moralistes, mais il ne passe pas dans la pratique. Ces écoles populaires privées sont payantes, les conditions variant avec les localités.

En ville, chaque quartier a une ou deux écoles ; à la campagne les maîtres sont plus rares, presque absents des régions pauvres. Il s'en faut que l’instruction soit aussi répandue qu'on l'a dit ; c'est sans doute au Chan-tong et dans la basse vallée du Yang-tseu que les illettrés sont le plus rares ; d'ailleurs le précepte reste toujours le même : « Nourrir et ne pas instruire est un péché pour un père ».

Dans les grandes villes, outre les écoles populaires privées, on trouve des écoles publiques gratuites. Des particuliers riches ont acheté le terrain, construit les bâtiments, assuré des revenus ; par la suite d'autres dons accroissent le patrimoine ; lors de la fondation les fonctionnaires locaux signent à l'acte. L'administration de l'école est confiée à un comité qui comprend les donateurs, puis leurs héritiers, et se recrute par cooptation. Les professeurs, engagés à l'année par le comité, sont des bacheliers ou des licenciés. Les élèves, en nombre fixe, ne versent pas de rétribution scolaire ; souvent le repas de dix heures est fourni gratuitement. Les places, très recherchées, sont accordées sur recommandation et après un examen.

La pièce essentielle du mobilier scolaire est la tablette de Confucius « le très saint, le très parfait, l'instituteur des dix mille générations » ; en entrant on salue la tablette ; on se prosterne, on offre le riz, l'encens, les cierges pour les fêtes. Ces rites sont analogues à ceux qu'on accomplit devant les tablettes des ancêtres, et rappellent les témoignages de respect qu'un fils doit à ses parents vivants, un inférieur à ses supérieurs ; le culte rendu à Confucius s'adresse à un exemplaire parfait de l'humanité, à un bienfaiteur des hommes, non à un dieu, mais seulement à un homme dont les exemples et les préceptes continuent d'instruire le peuple, dont les mânes veillent encore sur lui. Beaucoup de théologiens, protestants comme catholiques, ont vu dans ces cérémonies une idolâtrie ; l'opinion opposée a eu des représentants autorisés, et l'on sait que tel est le fond de la « question des rites » ; dans la mesure où ces rites sont repoussés par les chrétiens, ceux-ci se mettent dès l'école à part de la vie commune. Le culte de Confucius, en effet, n'est pas surajouté au système d'instruction et d'éducation ; il est une des parties essentielles du culte de l'Etat, justement celle dont les cérémonies incombent aux maîtres et aux étudiants. Les études ont pour matière presque unique les livres coordonnés ou composés par Confucius, et dont les préceptes sont, depuis des siècles, l'orthodoxie morale et politique appuyée sur la force publique ; les élèves doivent s'imprégner de ces préceptes, les pratiquer, les propager. L'éducation familiale avant celle de l'école, puis concurremment avec elle, repose sur les préceptes de Confucius, développe le respect des parents, des supérieurs, des ancêtres, des héros nationaux, enseigne les rites, expression visible de ces sentiments. « Il faut éduquer le fils dès son bas âge ; il faut lui apprendre à se mouvoir, à se tenir, à parler, à se conduire en visite, à distinguer ce qu'il doit aux vieillards et aux jeunes gens. A quatre ou cinq ans montrez-lui à faire la révérence et à compter ; vers six ou sept ans enseignez-lui les caractères. Tant que l'enfant est petit, ne l'habituez pas à bien manger et à être bien vêtu : qu'il n'ait ni faim ni froid, cela suffit. Quand il aura étudié quelques années et saura faire le discours entier, envoyez-le aux examens. Si vous ne voulez pas qu'il étudie, après quelques années, quand il saura se reconnaître dans le texte d'un contrat, d'une quittance d'impôt, écrire un compte, retirez-le de l'école et mettez-le aux travaux des champs : mais ayez soin de lui faire prendre des manières sociables. » — « Quand sur le chemin tu rencontres un supérieur, il faut lui faire la révérence ; si le supérieur ne dit rien, t'effacer debout dans l'attitude du respect ; quand le supérieur a passé, il faut attendre qu'il ait fait une centaine de pas pour le remettre à l'aise. Devant un supérieur debout un plus jeune ne doit pas s'asseoir, et, si le supérieur est assis, le plus jeune ne peut s'asseoir que quand il en a reçu l'ordre. Devant un supérieur, le ton de voix doit être bas, mais intelligible. » — « A l'école, les élèves se lèveront pour répondre ou parler au maître ; chaque matin avant la classe, chaque soir avant de partir, ils lui feront une profonde révérence : il faut que tous les rites soient accomplis avec sérieux et non par manière d'acquit. » Comme moyen, la science sociale, qui permet de distinguer le bien ; comme application, les bonnes manières, qui expriment la rectitude du coeur, le cérémonial, qui donne à chacun son dû d'après l'âge : voilà le fond de l'éducation chinoise.

L'éducation et l'instruction tendent donc au même but ; si l'une inculque la pratique, l'autre expose les préceptes par une méthode d'autorité qui en est inspirée et qui les confirme. L'enfant reste quatre ou cinq ans dans la classe inférieure, jusqu'à onze ou douze ans. Pour parler avec plus de précision, vingt ou trente élèves étudient dans une chambre avec un même maître ; chaque élève a sa page de leçon, son exercice d'écriture qui diffèrent de la page et de l'exercice du voisin. Le maître appelle un élève, lui lit le texte de sa leçon, puis le renvoie ; pendant ce temps tous les autres séparément calquent ou copient les caractères indiqués, lisent, récitent à tue-tête le texte à apprendre. Il y a donc des leçons et des études individuelles ; la durée de la classe est fort longue, en été de sept heures à dix et de midi à six heures, un peu moins en hiver ; pas de récréations, pas de repos hebdomadaire puisque la semaine n'existe pas, peu de congés, une vingtaine de jours par an.

Dans le cours inférieur, l'enfant doit apprendre à reconnaître, à tracer, à prononcer correctement les caractères. Le maître lit à haute voix une page, l'élève l'étudie et la récite par coeur ; on ne lui en explique pas, on ne lui en demande pas le sens. L'explication risquerait d'être inutile, beaucoup des ouvrages employés étant ou de simples listes (Po kia sing, liste des noms de famille), ou des traités abstraits et condensés (Tshien tseu wen, livre des mille mots), ou des classiques fort anciens (Wou king, Seu chou). Le trait commun de tous ces ouvrages, c'est qu'ils sont rédigés dans la langue écrite, qui diffère de la langue parlée à peu près comme le latin du français. L'enfant emploie donc plusieurs années à meubler son esprit de phrases d'une langue quasi-étrangère dont il saisit quelques rares mots isolés ; il en résulte un splendide développement de la mémoire, une demi-atrophie du raisonnement et de l'esprit d'observation. Quand le cours primaire est achevé, l'âge est souvent venu de quitter l'école, l'enfant devant commencer d'aider au labeur de la famille. Il est douteux qu'il sache alors « se reconnaître dans le texte d'un contrat, d'une quittance d'impôt, écrire un compte » ; il ignore tout du calcul, de la géographie, de la physique, de l'histoire naturelle ; il n'a appris la langue parlée que par l'usage, puisqu'elle n'est jamais objet d enseignement ; de la langue écrite, il connaît par coeur bon nombre de phrases, d'aphorismes moraux, peut-être incompris, retenus au hasard. L'instruction primaire n'a aucun sens par elle-même, elle est seulement une préparation à d'autres éludes ; mais le plus grand nombre ne peut aller plus loin. Pour les filles, il n'y a pas d'école, et les femmes instruites ont toujours été une exception mal vue des moralistes ; l'éducation incombe à la mère, qui habitue ses filles à soigner le ménage et à se tenir modestement, qui leur enseigne les trois soumissions et les quatre vertus : « Les trois soumissions, savoir : fille, obéir au père ; femme, obéir au mari ; veuve, obéir au fils ; les quatre vertus: fidélité conjugale, modestie du langage, décence des manières, amour du travail ».

Les classes supérieures sont donc fréquentées seulement par ceux qui veulent être lettrés et qui aspirent au mandarinat, le lettré étant toujours un candidat fonctionnaire. Les études qui y sont faites fournissent des calligraphes, des stylistes, des moralistes ; la forme l'emporte aisément sur le fond, aussi le styliste, le calligraphe abondent au détriment du moraliste. Les livres étudiés sont désormais les Quatre Livres, puis les Cinq Canoniques, où sont renfermées toute la philosophie orthodoxe et presque toute l'histoire ancienne ; à la philosophie se rattache tout ce qu'un Lettré doit savoir du monde extérieur : l'école de Tchou Hi a rédigé la somme orthodoxe de ces connaissances pour l'histoire, le lettré, épris de sa langue et de sa philosophie, est souvent instruit des principaux faits et pousse ses lectures jusqu'au dixième siècle, grâce aux Annales publiées par Tchou Hi et ses élèves. Dans les oeuvres philosophiques, l'étude des rapports de l'homme avec l'homme, avec la famille, avec l'Etat, la casuistique des devoirs, les exhortations au respect des anciens, tiennent la première place ; l'histoire est conçue comme une collection d'exemples moraux. Les curieux qui s'intéressent aux systèmes philosophiques, au détail philologique, archéologique des vieux textes, ne manquent certes pas, mais ils sont à côté de la direction correcte ; un esprit si scrutateur ne sied pas aux étudiants. Le principe d'autorité est donc encore la caractéristique du cours supérieur, l'élève continue d'apprendre par coeur ; au texte il joint le commentaire orthodoxe de Tchou Hi qui date du douzième siècle, et par là il entre en contact avec la pensée moderne. Désormais le maître explique les phrases. Plus tard, quelques pièces anciennes étrangères aux classiques sont apprises et commentées de même.

Une grande partie du temps est consacrée aux exercices de composition en prose et en vers. Le débutant doit apparier les caractères, à une phrase donnée répondre par une phrase appropriée ; par exemple, à la phrase : « Les fruits d'or jaune ne sont pas encore noués », l'élève répondra : « Auparavant s'ouvrent les fleurs de jade blanc ». Il n'y a pas seulement rapport d'idées, il y a même nombre, même ordre de mots, similitude du rôle grammatical et logique, opposition des tons. Pour la poésie, il faut de plus la rime, avec des croisements et des contrastes rigoureusement réglés. Après s'être rompu à la prosodie quelque temps et tout en continuant à faire des vers, l'étudiant travaille le wen-tchang, le discours chinois, qui est seulement l'amplification d'un texte ; on lit des pièces de wen-tchang, on les dissèque : à tel exorde conviennent telle exposition, telle transition, telle conclusion ; le tout est déterminé par la nature du sujet, par la manière dont il est posé ; l'étendue de chaque partie et du morceau entier varie dans des limites étroites. Il faut des années de travail à raison de six à huit pièces par mois pour se rompre à ce genre de composition, qui est inusité, qui serait ridicule hors des écoles et des loges d'examen. Les thèmes à traiter en prose et en vers sont tirés des classiques, le développement ne doit présenter que des idées classiques et orthodoxes ; une allusion, une expression d'autre source serait mal notée ; on apprécie les citations textuelles, les simples rappels de passages classiques bien adaptés. Ces rappels éveillent dans l'esprit du lettré des images nettes ou atténuées de lectures anciennes, d'où rejaillissent sur le développement une noblesse et une grâce qui ne sont pas appréciables pour le non initié : tel chez nous le plaisir du délicat qui goûte une citation latine ; mais en Chine toute la composition devient une mosaïque.

Sept ou huit ans de ces exercices donnent à l'étudiant ordinaire un trésor d'idées toutes faites, d'expressions consacrées répondant à chaque circonstance, et le douent d'une dextérité de pinceau, d'une ingéniosité verbale auxquelles l'esprit d'invention et d'observation ne répond pas. Il a atteint dix-huit ou dix-neuf ans, il est mûr pour les concours ; aucune limite d'âge, inférieure ni supérieure, n'est d'ailleurs fixée, et l'on voit près de candidats de douze ans des hommes qui ont dépassé la soixantaine. Les concours ne comportent aucune partie orale. Le wen-tchang et l'ode régulière pentasyllabe sont les compositions fondamentales de chacun des trois degrés ; les textes d'amplification sont tirés soit des Quatre Livres, soit des Cinq Canoniques ; les sujets de poésie sont toujours inspirés des symboles classiques. Du concours inférieur au concours supérieur, il n'y a pas progression dans la difficulté des amplifications : seulement aux concours moyen et supérieur on exige un développement plus approfondi, une forme plus soignée. Voici, à titre d'exemple, quelques thèmes proposés au concours de licence à Nanking en 1889 :

Textes tirés des Quatre Livres :

« Il y a trois choses que le sage redoute : il révère les dispositions du Ciel, il révère les hommes éminents, il révère les paroles des saints. »

« Pour celui qui comprendrait les cérémonies des sacrifices offerts au Ciel et à la Terre et qui pénétre rait le sens des oblations offertes tous les cinq ans et à chaque automne aux mânes de ses ancêtres… »

Sujet de poésie :

« Les eaux du Fleuve présentent les ombres précurseurs de l'automne ; les oies sauvages commencent à prendre leur vol (prendre le mot tshieou, automne, comme type des rimes de cette pièce). »

Textes tirés des Cinq Canoniques :

« Il offrit un sacrifice à la foule des esprits. »

« Et qu'étaient ces légumes? De jeunes pousses de bambou et de typha. »

A la troisième épreuve du concours moyen, et dans les concours ultérieurs, apparaissent comme compositions principales d'autres exercices, descriptions en vers libres, dissertations, questions à résoudre. Ces exercices en prose se rapprochent de ce que nous entendons par dissertation ; il n'y a plus de formes strictes, l'étendue de la composition variera, par exemple, entre trois cents et deux mille caractères ; le poli du style, les allusions ingénieuses, l'aisance du développement ont toujours grande importance, mais il faut des faits et des idées ; une composition « vide» est éliminée. Exemple de questions du concours de licence de 1889 à Nanking, troisième épreuve :

« La division en chapitres et la ponctuation du Han chi ont eu deux auteurs sous la dynastie des Han ; le nommé Sié avec son fils était le plus remarquable des deux ; quel est toutefois celui qui mit la dernière main à ce travail? »

Pour l'examen du Palais, l'Empereur soumet aux candidats quelques questions, ordinairement quatre points d'administration publique, et il les développe à peu près dans la forme suivante : « Pouvez-vous expliquer clairement le sens de cette question ? Quelle en est la raison ? Comment mettre ces paroles en pratique?. Pourra-t-on réaliser cela sans inconvénient? Donnez un aperçu synoptique de la question. »

Dans ces dernières épreuves, les qualités de forme ne suffisent plus ; le candidat qui veut les affronter a dû changer de méthode, pénétrer le sens des auteurs dont il ne connaissait peut-être que les mots, assimiler leur substance ; il a dû se familiariser aussi avec l'organisation actuelle du pays, avec l'archéologie et l'histoire littéraire. La différence n'est plus de degré, mais de nature : le bachelier n'est qu'un artisan de mots, le docteur doit aux mots joindre des notions précises et des idées ; mais des siècles de wen-tehang pèsent trop lourdement sur examinateurs et candidats pour qu'ils puissent réduire à notre gré la part de la rhétorique. En même temps apparaissent nettement la préoccupation affectueuse de l'antiquité, le souci de la morale politique et sociale qui caractérisent l'esprit public chinois ; si l'étudiant s'élève à l'intelligence de ces problèmes, il a pour les scruter et les traiter l'instrument très subtil d'analyse et d'exposition que lui ont forgé ses longs labeurs sur les auteurs classiques et sur les amplifications, il est armé pour devenir un psychologue et un moraliste, un pasteur d'hommes.

Les concours sont divisés en trois séries, inférieure, moyenne et supérieure, ou baccalauréat, licence, doctorat, qui se succèdent dans un ordre fixe. Tout sujet de l'Empire a accès aux concours ; pour se présenter au baccalauréat dans une sous-préfecture, le candidat doit prouver que lui-même ou ses parents sont inscrits sur les registres de la population dans une commune dépendant de ladite sous-préfecture, et c'est ensuite devant le sous-préfet qu'il subit les premières épreuves ; des catégories spéciales sont établies pour les Mantchous, pour les marchands de sel, etc. La résidence même prolongée dans une localité ne confère pas le droit de concourir, il faut l'inscription sur les registres, inscription qui appartient seulement à ceux qui ont payé les taxes pendant vingt ans ; aucune dispense individuelle n'est accordée. Ces conditions rigoureuses écartent les sujets des pays vassaux de l'Empire, qui, à des époques antérieures, se présentaient en grand nombre. Le candidat fait aussi connaître son nom, son postnom, ceux de son père, de son aïeul, de son bisaïeul paternels, du maître qui l'a formé. Il ne doit être sous le coup d'aucun empêchement légal, tel que châtiment judiciaire subi, culpabilité avérée de crimes, grand deuil de vingt-sept mois, origine vile. Sont réputés vils personnellement et dans leurs enfants et petits-enfants les valets de yamen sauf la garde personnelle du mandarin, les acteurs, les prostituées, esclaves, porteurs de chaise, etc. La situation régulière du candidat, son signalement, même le fait qu'il est indemne de certains vices, tels que l'habitude de l'opium, sont établis par le certificat du répondant ; ont le droit d'être répondants, des bacheliers qui ont obtenu leur diplôme dans un bon rang ; il y en a vingt par sous-préfecture, choisis par les autorités et recevant un salaire annuel de quatre taëls. En diverses préfectures, les répondants se sont tous refusés à signer les certificats des candidats chrétiens, auxquels l'accès des concours se trouvait ainsi fermé, contrairement à la loi et aux traités stipulant que les chrétiens ne sont, pour fait de religion, sujets à aucune déchéance ; mais la nécessité du certificat est absolue, et le magistrat ne pouvait contraindre un répondant à patronner un candidat qu'il déclarait ne pas connaître.

Le concours du baccalauréat comprend trois séries d'épreuves présidées par le sous-préfet, par le préfet, par le recteur provincial, et qui ont lieu à la sous-préfecture, puis à la préfecture, parfois de suite, parfois à intervalle de plusieurs mois ; l'ensemble des trois séries représente au minimum dix épreuves éliminatoires. Le bachelier est soumis, après obtention de son titre, à divers examens, les uns facultatifs, les autres obligatoires, où il peut acquérir divers avantages, où il peut être cassé pour insuffisance, pour absence non justifiée.

Enfin arrive l'époque de la licence, qui revient régulièrement tous les trois ans sans préjudice des concours accordés par bienfait impérial. Tout bachelier de province est en principe qualifié pour se présenter à la licence dans la même province. Le concours a lieu à la capitale provinciale à la 8e lune, les trois épreuves étant fixées au 9e, au 12e et au 15e jour, et aboutit à un classement basé sur les trois compositions. Deux examinateurs sont choisis par l'Empereur peu avant la session et envoyés de Péking ; ils sont, assistés par des examinateurs adjoints pris parmi les mandarins de la province. L'ordre et la surveillance sont assurés par un grand nombre de fonctionnaires, parmi lesquels le vice-roi ou gouverneur de la province, qui est président du concours ; des lettrés sont chargés de transcrire les compositions et de reviser les copies.

Le concours du doctorat s'ouvre à Péking au printemps qui suit la licence, à la 3e lune ; il se compose de deux séries d'épreuves : la première comprend deux épreuves successives éliminatoires, pouvant faire perdre le grade de licencié et de bachelier ; la seconde série ou examen palatin a également deux épreuves qui servent au classement. Le titre de docteur n'est acquis qu'à la suite de cet examen palatin ; les thèmes de composition sont choisis par l'Empereur ; la dernière séance est présidée par des princes impériaux et surveillée par des censeurs.

Le temps des compositions varie pour chaque épreuve. Au concours du doctorat, les séances durent du matin au soir ; pour le baccalauréat, examen de la sous-préfecture, les candidats entrent de bonne heure et peuvent travailler jusqu'à minuit passé ; devant l'examinateur provincial, l'examen commence avant le jour et finit à la nuit tombante. Pour les divers examens du baccalauréat, pour l'examen palatin, les candidats en costume officiel sont côte à côte à des places marquées ; ils ne peuvent quitter leurs places avant d'avoir fini ; ils apportent comme nourriture quelques petits pains, ou achètent du riz aux valets de la suite des examinateurs. La salle d'examen est soit fermée avec des scellés, soit étroitement surveillée au dehors et au dedans.

Les épreuves de la licence et les premières épreuves du doctorat ont lieu dans des locaux spéciaux entourés de murs de tous côtés ; au fond s'élèvent les salles réservées aux mandarins de service ; en avant sont alignés des bâtiments bas, parallèles, tous ouverts sur des allées qui les séparent et divisés par des cloisons en loges ; les loges, toutes semblables, ont une paroi au fond, une sur chaque côté, elles sont meublées de quatre planches qui se posent à différentes hauteurs et qui servent de siège, de table, de lit ; à Nanking, les loges ont 1m, 85 de hauteur, 1m, 15 de profondeur, 0m, 90 de largeur ; il y en a 20 646 ; le personnel d'examinateurs, surveillants, huissiers, domestiques, se monte à dix mille hommes environ. Au centre des loges se dresse un pavillon élevé d'où l'on surveille les candidats ; dans un coin de l'enceinte sont les cuisines et les communs. Le 5 de la 8e lune, les copistes, officiers subalternes et employés entrent dans l'enceinte, apportant leurs vêtements, leur literie, quelques provisions de bouche ; ils sont fouillés à l'entrée ; le 6, après un banquet et des prosternements dans la direction du nord, entrée des examinateurs au son du canon et de la musique ; le président fait un sacrifice devant la porte, puis inspecte toutes les salles et toutes les loges. Alors chaque fonctionnaire se rend à son poste. Les salles les plus reculées, tout à fait au nord, forment la clôture intérieure, où sont séquestrés, jusqu'à la publication de la liste d'admission, les examinateurs et leurs adjoints. Le reste de l'enceinte, ou clôture extérieure, est occupé par le président et son état-major, par les surveillants, par les copistes et reviseurs, par les candidats, par les serviteurs. Les clefs de la clôture intérieure ne sortent pas des mains du président. Le 8, à une heure du matin, commencent l'entrée et l'appel des candidats, qui sont rigoureusement fouillés, puis conduits aux loges ; ils prennent alors leurs dispositions et causent ou fument, pendant que s'achèvent les premières formalités. L'appel est terminé vers le soir du 8 ; on scelle alors les portes extérieures et les portes des allées sur lesquelles donnent les cellules, les candidats ne doivent plus sortir de leurs loges ; quelques huissiers enfermés avec les candidats assurent le service et la surveillance. Les candidats reçoivent gratis le riz, le thé, qui sont passés par des guichets ménagés dans les portes des allées ; la plupart apportent des provisions et un réchaud pour apprêter une nourriture plus substantielle. La sortie a lieu le 10 avant la nuit, après quoi le président fait de nouveau sceller les portes extérieures. Tout se passe de même pour la seconde et pour la troisième épreuve, qui ont lieu les 12 et 13, 15 et 16, l'appel étant achevé avant les jours fixés pour le concours. Les compositions originales sont transcrites dans la clôture extérieure, puis mises en lieu sûr ; les copies, marquées d'un caractère distinctif reproduit sur les originaux, sont seules transmises à la clôture intérieure, où elles sont examinées, notées et classées. La liste d’admission est affichée avant le 25 de la 9* lune pour le Kiang-nan (Nanking), avant le 15 pour les autres provinces où les candidats sont moins nombreux.

Le nombre maximum des places mises au concours est fixé pour chaque province ; pour tout l'Empire les promotions sont environ de 320 docteurs, de 1484 licenciés ; comme marque de faveur, l'Empereur peut accorder à une province, pour une seule session ou à titre définitif, une augmentation du nombre des places réservées. Chaque sous-préfecture, au concours définitif devant le recteur provincial, a de même un nombre fixe de bacheliers, nombre qui varie de 4 à 35. On dit qu'il se présente à chaque session de doctorat environ cinq ou six mille candidats. Pour la licence, on peut calculer un chiffre approximatif d'après le nombre des loges existant dans chaque capitale provinciale : Nanking en a 20 000, correspondant à 142 places de licenciés. Khaifong 11000 pour 79 places, la proportion est analogue ; peut-être peut-on la prendre comme moyenne : il y aurait alors 0, 71 pour 100 de candidats reçus, et aux 1484 élus de chaque session correspondraient plus de 200000 candidats. Ces chiffres sont approximatifs. Aucune estimation ne peut être donnée à propos du baccalauréat. Il faut nous contenter de conclure que la proportion des élus est peu considérable pour le baccalauréat, infime pour les concours plus élevés, et que chaque session écarte une véritable armée d'étudiants, dont les uns poursuivront leur préparation littéraire, mais dont les autres deviendront des déclassés.

L'originalité de cette organisation, c'est que l'Etat, profitant de l'attrait des examens, se contentait de diriger les concours sans se soucier du service de l'instruction publique. Dans le système nouveau, au contraire, l'instruction est régie par l'Etat ; l'action des étrangers a préparé cette réforme.

III. — Sitôt que les missionnaires sont entrés dans le pays, ils ont songé à former un clergé indigène ; aussi l'on trouve dès le dix-septième et le dix-huitième siècles des séminaires, peu nombreux, peu organisés à cause des persécutions : du moins une formation méthodique, inspirée des idées européennes, y est donnée à de jeunes Chinois qui font les études classiques, puis les études théologiques. Après 1860, les Lazaristes de Péking voulurent étendre l'oeuvre d'éducation ; plu sieurs évêques français, Mgr Mouly, Mgr Delaplace, Mgr Tagliabue s'attachèrent à cet apostolat patriotique ; des efforts du dernier sortit le collège du Nan-thang, où le français est étudié pour lui-même et sert à enseigner l'arithmétique, la géographie, les éléments des sciences physiques. En 1891, cet établissement comptait une centaine d'élèves ; en 1902, après la sédition des Boxeurs, il y en avait deux cent dix. Dix autres collèges ont été, entre 1891 et 1904, fondés ou transformés par les Petits Frères de Marie, qui professent au collège du Nan-thang ; dans toutes les missions, à Zi-ka-wei près de Chang-hai, à Ning-po, à Pao-ting, à Ta-ming, à Kwei-lin, à Kia-ting, des écoles françaises du même genre ont été établies et sont dirigées soit par les missionnaires eux-mêmes, soit par des frères appelés par eux. A partir de 1898, le gouvernement de l'Indo-Chine a fondé des écoles laïques dans plusieurs villes chi noises voisines du Tonkin.

Les missions protestantes, qui datent du début du dix-neuvième siècle, ont consacré une part de leurs importantes ressources à l'éducation ; la Morrison Education Society date de 1836, et depuis lors jamais l'activité anglo-saxonne ne s'est ralentie sur ce terrain ; aussi les établissements primaires dirigés habituellement par des maîtres indigènes sont très nombreux ; un ou plusieurs schools ou collèges existaient dans chaque port ouvert il y a une dizaine d'années ; des écoles supérieures ou universités de langue anglaise enseignaient la théologie, la philosophie, l'histoire, le droit, la médecine, les mathématiques, le génie civil ; beaucoup d'écoles supérieures avaient des sections normales. Il faudrait mentionner encore des écoles allemandes, russes, japonaises, et divers instituts d'instruction d'un caractère moins scolaire. Dans toutes ces maisons, grâce à ces dévouements de toutes nationalités, de toutes confessions, beaucoup de jeunes Chinois ont été élevés par les méthodes d'outre-mer. Les instituts officiels de Hong-kong ont formé un bon nombre de Chinois du sud ; parmi ceux-ci il en est même qui ont étudié aux Etats-Unis : Thang Chao-yi, l'un des personnages importants du jour, est élève de l'université de Yale.

IV. — Au début du dix-neuvième siècle, il existait donc en face de l'éducation traditionnelle une éducation moderne, inspirée des idées étrangères ; de nombreux modèles étaient donnés, pouvaient être copiés ou adaptés : le jour où le gouvernement voulut admettre les tendances occidentales, il trouva sous sa main des institutions et des éducateurs tout prêts. Le premier pas fut fait pendant les Cent Jours de 1898 : l'Empereur décréta la fondation d'écoles moyennes et inférieures, et ouvrit immédiatement une université qui devait enseigner la totalité des sciences européennes sans négliger l'étude de la Chine. Après le coup d'Etat de septembre 1898, l'université subsista, faisant peu parler d'elle, réduite à six cours de langue et un cours de médecine ; en 1902, elle fut réunie au collège des interprètes, Thong-wen hwan, qui existait à Péking depuis quarante ans. C'était l'heure où, rentrée dans sa capitale, l'Impératrice douairière accentuait son mouvement vers les réformes ; la question de l'instruction publique, devenue l'objet d'un intérêt général, s'imposa au gouvernement ; Tchang Po-hi, puis Tchang Tchi-tong, le célèbre vice-roi auteur de l'Exhortation à l'étude, furent chargés d'organiser l'université, qui s'ouvrit plus largement en février 1903 ; un décret de janvier 1904 la refondit en quatre sections, morale et philosophie, langues étrangères, droit et sciences politiques, histoire et belles-lettres, une large place étant maintenue à l'étude des classiques chinois. Le plan général d'instruction publique du 14 septembre 1901 prescrivait d'ouvrir une université par province, un collège par préfecture ; ces réformes sont appliquées peu à peu ; aujourd'hui, presque chaque province a son université ; de nombreuses écoles secondaires et primaires ont été ouvertes, soit par les mandarins, soit par les associations, soit par les notables locaux ; l'enseignement y doit être donné à l'européenne, mais l'insuffisance des maîtres et des fonds ne permettra pas de quelque temps d'exécuter à la lettre cet article du programme. On a donc largement recours aux maîtres étrangers ; même beaucoup des écoles étrangères existantes consentant à se soumettre à un contrôle sont traitées comme écoles officielles ; toutefois, le sentiment nationaliste chinois ne laissera peut-être pas durer cette situation ; déjà à plusieurs reprises des difficultés ont eu lieu entre les autorités et les étudiants chrétiens à propos du culte de Confucius (affaire du Dr Hayes, au Chan-tong, 1902).

Cependant les vice-rois et gouverneurs fondaient séparément des bureaux de l'instruction publique, le recteur de l'université de Péking devenait (1903) ministre de l'instruction publique : les anciens concours restaient encore indépendants en face de la nouvelle organisation. On proposa d'abord de les conserver pour deux ou trois sessions, en réduisant à chaque fois le nombre, des admissions ; puis, sentant les inconvénients d'une cote mal taillée, le gouvernement les supprima par décret du 2 septembre 1905 ; ordre fut donné aux autorités provinciales d'encourager la création d'écoles primaires et secondaires, au ministère de l'instruction publique de hâter la publication des livres d'enseignement scientifique. Depuis lors l'instruction publique est unifiée en principe ; les bureaux provinciaux chargés des écoles et des examens sont placés sous la direction des anciens recteurs provinciaux, qui représentent le ministre ; les écoles, si l'on néglige les détails, sont de trois degrés, primaire (enseignement gratuit, non obligatoire), secondaire, supérieur (universités). Les principaux objets d'étude sont la langue chinoise, la littérature chinoise, la composition chinoise, les sciences, l'histoire et la géographie, les langues étrangères, la gymnastique, l'exercice militaire, l'économie politique, le droit civil et international, etc. ; les langues étrangères, au premier rang anglais et japonais, comme matières à option fiançais, allemand, russe, ne sont généralement pas autorisées dans l'enseignement primaire. Les grades sont conférés sous la surveillance du bureau provincial à l'issue des classes primaires supérieures et secondaires moyennes (bachelier), secondaires supérieures (licencié), supérieures ou d'université (docteur).

Comme complément aux écoles des trois degrés, il y a lieu de noter des écoles techniques, des écoles normales où l'enseignement de toute religion étrangère est interdit, et des écoles de diverses natures pour les filles. Un grand nombre d'étudiants sont envoyés à l'étranger, Etats-Unis, France, Allemagne, Japon. En 1906 (juillet), les universités japonaises comptaient environ 13000 étudiants chinois, dont la moitié étaient boursiers de leur gouvernement ; ces nombres ont fléchi depuis lors, par suite de la méfiance conçue par le gouvernement chinois à propos de la propagande révolutionnaire parmi les étudiants résidant au Japon.

Il faut attirer l'attention sur le sens de la révolution qui s'accomplit. Par le décret de l905, la Chine a renoncé à des traditions vieilles de plusieurs siècles et accepté les idées occidentales ; elle ne pouvait sans doute résister davantage à la pression extérieure, et l'on s'efforce de garder l'essentiel de la culture chinoise. Mais quelles sont les conditions de l'éducation nouvelle? Les lettrés de l'ancien système employaient une quinzaine d'années pour apprendre à manier la langue écrite, et un bon nombre consacraient leur vie à s'y perfectionner ; l'étude des langues étrangères, de l'histoire, du droit, de la géographie, des sciences exactes, l'importance inouïe attachée aux exercices physiques, vont rogner le temps consacré à la langue. La langue écrite ne va-t-elle pas devenir une langue morte? ce serait la chute d'une des plus caractéristiques productions de la culture chinoise, la perte d'un instrument artistique, délicat, subtil, vigoureux comme pas un. La langue n est pas seule menacée : il y aura divorce entre la forme et les idées à exprimer ; il y a opposition entre le procédé ancien, plutôt psychologique, et la méthode moderne d'observation externe ; on doit craindre l'appauvrissement de ces idées morales cultivées depuis trois mille ans par les lettrés, de ces recherches esthétiques où se plaisaient des mandarins archéologues et artistes. Tout cela va pâlir devant le lourd réalisme occidental et devant la connaissance de la nature matérielle.

Bibliographie. — Ed. BIOT, Essai sur l'histoire de l'instruction publique en Chine, 1 vol. in-8°, Paris, 1847. — Le P. WIEGER, Rudiments du parler chinois, in-18, tome IV, Ho-Kien-fou, 1894. — Le P. ZI, Pratique des Examens littéraires en Chine, Variétés sinologiques n° 5, in-8°, Chang-haï, 1894. — Maurice COURANT, Etudes sur l'éducation et la colonisation, Bibliothèque internationale de l'Enseignement supérieur, vol. X, in-12, Paris, 1904.

Maurice Courant