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Chénier

Marie-Joseph de Chénier, né à Constantinople en 1764, venu en France à onze ans, fut d'abord officier de dragons, puis quitta le service militaire pour se consacrer aux lettres. La Révolution commençait : il fit jouer, de 1789 à 1792, plusieurs tragédies, Chartes X, Calas, Caïus Gracchus, qui eurent un grand succès auprès des patriotes ; en même temps il se mêlait à la politique active, et défendit en 1792, dans le Moniteur, les Jacobins attaqués dans le Journal de Paris par son frère aîné André. Elu à la Convention par le département de Seine-et-Oise, il fit partie du premier Comité d'instruction publique de cette assemblée ; nous avons donné, à l'article Convention, des extraits du discours qu'il prononça le 15 brumaire an II sur l'éducation morale et l'éducation physique. Pendant tout le cours de la Révolution, il fut le principal poète des fêtes nationales : parmi les morceaux lyriques composés par lui à l'occasion de ces solennités, les plus connus sont l'Hymne pour la fête de la Fédération (1790), l'Hymne à Voltaire (1791), l'Hymne à la Liberté (brumaire an II). L’Hymne à la Raison (frimaire an II), le Chant du Départ (floréal an II), l'Hymne à l'Etre-suprême (prairial an II). Après le 9 thermidor, il changea d'attitude et s'associa aux réacteurs. Membre des Cinq-Cents de l'an IV à l'an VIII, il approuva les mesures prises, le 18 fructidor an V, pour défendre la République ; mais il approuva aussi, deux ans plus tard, l'acte du 18 brumaire, fut un des rédacteurs de la constitution consulaire ; et entra au Tribunat en nivôse an VIII. Lié avec les « idéologues », en particulier avec Daunou, il fut de ceux qui tentèrent de s'opposer ensuite à l'arbitraire de Bonaparte, et à sa politique religieuse : son discours au Tribunat contre les tribunaux spéciaux (8 pluviôse an IX) excita la colère du premier consul ; sa satire Les nouveaux saints, parue d'abord dans la Décade du 30 prairial an IX, et dont il fut fait ensuite cinq éditions en deux mois, fut accueillie avec enthousiasme par les libres-penseurs comme une vigoureuse protestation contre « les coryphées de la secte fanatique qui avait déclaré la guerre à la philosophie » ; un mois après la signature du Concordat, il prononça, à la distribution des prix des écoles centrales de Paris, le 29 thermidor an IX (17 août 1801), un discours « sur le progrès des connaissances en Europe », où, après avoir retracé la marche de la raison au dix-huitième siècle, il s'écriait, en apostrophant le siècle nouveau : « La raison publique ne permettra pas qu'avili dès ta naissance, tu sois mutilé par le fer, comme les eunuques de l'Orient ». On sait comment un Sénat complaisant débarrassa Bonaparte des opposants du Tribunat : au 1er germinal an X (22 mars 1802), vingt membres, dont fut Chénier en compagnie de Daunou, Ginguené, Benjamin Constant, etc., fuient éliminés ; quelques jours après, le Concordat et les articles organiques devenaient la loi du 18 germinal an X. Chénier exhala son mécontentement et sa tristesse dans un Essai sur la satire, qu'il ne se risqua pas à publier ; les vers en flagellaient les « esclaves de cour » et la « flatterie impure », et glorifiaient « la République méconnue », dont le poète disait :

J'ai vécu, je mourrai fidèle à sa bannière.

Mais il lui fallait un emploi pour vivre ; et grâce au ministre Chaptal, et à Fourcroy, alors directeur de l'instruction publique, il obtint, en compensation du siège de tribun qu'il avait perdu, le poste d'inspecteur général des études (germinal an XI). D'un caractère faible, malgré l'inflexibilité qu'il aimait à s'attribuer dans ses vers, Chénier, comme tant d'autres, — comme Fouché, comme Daunou, comme Grégoire, comme Volney, — se rallia à l'empire, dans lequel on lui faisait voir la consécration des bienfaits de la Révolution. A l'occasion du sacre, il composa une tragédie de circonstance, Cyrus, représentée le 17 frimaire an XIII (8 décembre 1804), où, montrant un monarque

Fidèle sur le trône à la liberté sainte,

il sembla vouloir exhorter Napoléon à conserver l'esprit républicain. « Mais la leçon ne fut point goûtée ; l'empereur n'était guère d'humeur à en souffrir d'aucune sorte ; et, tandis que les allusions courtisanes attiraient à l'auteur la réprobation de ses anciens amis politiques, les courtisans affectèrent de se scandaliser de ses hardiesses » (A. Lieby). Chénier, qui s'était attendu, dit-on, à être nommé" sénateur, s'éloigna de nouveau du maître, le coeur aigri ; et c'est après cette déception qu'au cours de l'année 1805 il écrivit sa célèbre élégie la Promenade, qui est fort belle et qu'il garda en portefeuille comme l'Essai sur la satire, et la mordante Epître à Voltaire, qu'il publia au commencement de 1806. Cette publication lui valut la perte de son emploi d'inspecteur, « la sévérité de telles fonctions ne s'accordant pas avec l'esprit qui avait dicté cette épître », dit le rapport du ministre de la police Fouché. Sans ressources, Chénier écrivit (mars 1806) une lettre à Napoléon pour désavouer les intentions que « la malveillance » avait relevées dans quelques vers sur les conquérants et le pouvoir absolu, et pour demander un secours qui lui permît de vivre, en annonçant « qu'il se résignait désormais à un silence absolu ». Napoléon lui accorda une pension, et, pour augmenter ses revenus, Chénier commença en décembre 1806, à l'Athénée, un cours d'histoire de la littérature française ; il ne l'acheva pas, Daunou ayant obtenu l'autorisation, en 1807, de lui donner un petit emploi aux Archives. Chénier se confina, pendant les quatre dernières années de sa vie, dans des besognes officielles ordonnées par l'empereur : la rédaction, au nom de la classe de littérature de l'Institut, dont il était membre, d'un Tableau des progrès de la littérature française depuis 1789 (publié seulement en 1815), et un rapport sur l'un des prix décennaux à décerner en 1810, prix qu'il fit attribuer à son ennemi La Harpe. Il mourut en janvier 1811, âgé seulement de quarante-six ans.