bannière

c

Charron  (Pierre)

Né à Paris en 1541, mort en 1603. Disciple et ami de Montaigne, dont il a repris les pensées, en les gâtant quelquefois, dans le célèbre Traité de la Sagesse publié à Bordeaux en 1601.

C'est à propos des devoirs des parents envers leurs enfants (liv. III, chap. xiv) que Charron aborda le sujet de l'éducation. Il insiste avec minutie sur les détails du régime qui convient au premier âge. Il est en progrès sur Montaigne quand il déclare que « la mère est conviée et obligée par nature à la charge de nourrice ». Il donne, avec quelque naïveté, des instructions, plus médicales que morales, sur la transmission de la vie et la naissance de l'enfant. Comme Montaigne, il recommande de fortifier de bonne heure le tempérament par une vie sobre, simple et même rude.

Pour faire valoir l'importance des premiers enseignements, Charron a trouvé un aimable langage, « Nourriture passe nature, dit-il. L'âme de l'enfant toute neuve et blanche, tendre et molle, reçoit fort aisément le pli qu'on veut lui donner. » Mais il a le tort de trop admirer l'éducation spartiate, et de vouloir que l'Etat applique uniformément à tous les enfants le même système d'instruction, sans tenir compte de leurs inclinations naturelles et spéciales.

Sceptique, puisqu'il avait pris pour devise : « Je ne sais » ; peu disposé à favoriser l’essor de la raison, puisqu'il loue le gouvernement « de donner à l'esprit humain des barrières étroites », Charron nourrit à l'endroit de la science de singuliers préjugés. Dans une comparaison prolixe entre la science et la sagesse, Charron conclut, au rebours de la vérité, qu'il y a entre elles, non seulement différence, mais incompatibilité : « Qui est fort savant n'est guère sage, et qui est sage n'est guère savant ». C'est parler de la science comme un ignorant de village. Combien avec Charron nous sommes loin de Rabelais, qui dès le seizième siècle avait donné le mot d'ordre de l'éducation moderne en s'écriant : « Je veux que mon élève soit un abîme de science » !

Charron est mieux inspiré lorsqu'il s'attaque non plus à la science en général, mais à la fausse science, au pédantisme, à l'érudition mal digérée. « Les pédants, dit-il, sont comme quelqu'un qui mettrait le pain dedans sa poche et non dedans son ventre : il aurait enfin sa poche pleine, et mourrait de faim. Ainsi avec la mémoire pleine, ils demeurent sots. » C'est avec quelque verve encore qu'il critique la science empruntée et toute de souvenir : « Le faux savant, dit-il, est obligé de mettre sans cesse la main au bonnet pour saluer avec honneur celui auquel il a pris ses pensées ».

A ce compte, Charron a dû souvent ôter son chapeau devant Montaigne. Pour montrer par exemple la supériorité du jugement sur la mémoire, il copie, sans y rien changer, la gracieuse comparaison des abeilles qui s'assimilent le suc qu'elles recueillent de-ci, de-là. Plus loin il copie encore dans les Essais les réflexions sur la nécessité des voyages, et sur ces leçons improvisées qu'un habile homme fait jaillir des moindres circonstances de la vie, « de la sottise d'un laquais, de la malice d'un page ».

Signalons cependant quelques vues plus personnelles, mais moins justes. Charron veut que l'enfant n'accepte aucun enseignement « à crédit et par autorité », qu'il examine tout avec la raison, qu'il choisisse, et, s'il ne sait choisir, qu'il doute.

Il donne une place à l'éducation religieuse. Il faut, dit-il, que l'enfant apprenne à travailler « sous l'infinie et inconnue majesté de Dieu » : mais Charron n'oublie pas que « la nature est l'aînée de la théologie ». Son ut est de former et d'instruire l'homme pour le monde, pour la vie civile, « pour la sagesse humaine et non divine ». Et cette sagesse consiste « à se connaître soi-même, à suivre la nature, à conserver sa liberté, à chercher dans la vertu le vrai contentement ». Ayons donc, malgré tout, quelque estime pour la pédagogie de Charron : comme son maître du seizième siècle, il rompt avec le moyen âge et l'éducation ecclésiastique : il n'admet pas que, pour se tourner tout de suite vers la vie future, l'éducation saute en quelque sorte pardessus le monde et la vie réelle.