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Chaptal

Jean-Antoine Chaptal est né à Nogaret (Lozère), le 4 juin 1756, et mort à Paris le 30 juillet 1832. Nous n'avons à raconter ni la carrière du grand chimiste qui, dans sa fabrique de Montpellier comme dans sa chaire à l'Ecole polytechnique, eut l'honneur de faire, un des premiers, passer la science du domaine théorique dans celui des applications usuelles, ni le rôle de l'homme politique qui ne sortit de prison, en 1793, que pour diriger à Grenelle la fabrication du salpêtre et contribuer à sauver la patrie ; ni même ses trois ans et demi de ministère, — du 15 brumaire an IX (6 novembre 1800) au 30 thermidor an XII (18 août 1804), — dans lesquels il commença ou accomplit tant de réformes. Au seul point de vue de l'enseignement populaire, le nom de Chaptal mérite d'être cité avec reconnaissance pour plus d'un motif : c'est lui qui créa notre première « école spéciale d'arts et métiers » (à Compiègne, 6 ventôse an XI ; transférée à Châlons en 1806) ; c'est lui qui donna au Conservatoire des arts et métiers son double caractère d'école et de musée ; c'est lui qui fit rédiger par le baron Costaz la première loi pour la protection des apprentis (loi du 22 germinal an XI) ; qui organisa les expositions de l'industrie, cette grande école mutuelle des arts et métiers ; qui créa l'enseignement populaire de l'arboriculture dans la pépinière du Luxembourg ; qui organisa la protection des orphelins et des enfants abandonnés et leur éducation à la campagne.

II avait été chargé, dès le 3 nivôse an VIII, comme conseiller d'Etat, de l'administration de l'instruction publique. Devenu ministre en remplacement de Lucien Bonaparte, il présenta au Conseil d'Etat un rapport et un projet de loi sur l'instruction publique, que le Moniteur publia en entier, « pour répondre à l'impatience avec laquelle il était attendu et prévenir les fausses idées que pourraient en donner des extraits infidèles » (Note du Moniteur, n° 49, an IX). « A la veille de la Révolution, disait le rapport, la nature de l'instruction publique exigeait quelques réformes, mais on ne peut pas nier que la méthode d'enseignement fût excellente. — Le système d'instruction publique qui existe aujourd'hui est essentiellement mauvais. : l° les écoles primaires n'existent presque nulle part. ; par conséquent les écoles centrales, qui supposent des études premières, ne servent qu'à un petit nombre d'individus ; 2° le passage des écoles primaires aux écoles centrales n'est pas rempli par des études intermédiaires ; 3° la gradation des études, si nécessaire pour développer par degrés l'entendement, n'est pas organisée dans les écoles centrales ; une disposition bizarre de la loi distribue l'enseignement d'après la seule considération de l'âge ; 4° l'instruction s'y donne sans surveillance. ; 5° les cours ne sont pas partout distribués d'une manière avantageuse. ; 6° l'instruction n'y est pas proportionnée à la faiblesse de l'élève. ; 7° toutes les parties n'y reçoivent pas d'assez grands développements. — Pour présenter aujourd'hui un bon système d'instruction publique, il faut donc se placer entre ce qui existe et ce qui était avant la Révolution ; il faut étudier dans le passé, comme dans le présent, les leçons de l'expérience, pour former de tous les faits qu'elle nous fournira les éléments de notre éducation nationale. C'est la marche que j'ai constamment suivie dans le projet que je soumets au Conseil. » — Dans la pensée de Chaptal, l'instruction peut être regardée comme l'effet et le besoin de la civilisation, elle doit être proportionnée à son état et à ses progrès. Elle doit placer la génération qui s'avance au moins au niveau des connaissances de celle qui finit. Dans un gouvernement représentatif, on éprouve partout le besoin de l'instruction ; tous en effet sont appelés à voter pour l'élection des magistrats : or, celui qui ne sait ni lire ni écrire est dans la dépendance de celui qui possède ces arts. Lire, écrire, chiffrer, et les premières notions du pacte social, telle est l'instruction commune et générale, que le gouvernement doit à tous ; elle est pour tous une nécessité absolue, c'est donc une dette publique, que la société a le devoir d'acquitter. Le père de famille aussi a droit au respect, il faut entourer d'une protection presque illimitée cette première magistrature. L'Etat a le droit et le devoir de créer partout des écoles publiques, mais « il appartient au droit d'un chacun d'ouvrir une école libre ; gloire, intérêt, amour-propre, cette rivalité met en jeu tous les ressorts ». Dans l’état actuel de la France, on peut réduire à trois degrés tout le système : 1° les écoles municipales ; 2° les écoles communales ; 3° les écoles spéciales. (L'analyse du projet de loi de Chaptal se trouve à l'article Consulat.)

Ministre de l'intérieur, Chaptal déploya la plus louable activité pour améliorer l'agriculture, l'industrie, la santé publique et surtout l'enseignement, depuis l'école primaire jusqu'aux applications scientifiques les plus élevées. On peut consulter avec fruit ses instructions, ses circulaires relatives au recensement de la population (30 fructidor an X), — au perfectionnement des livres élémentaires, — aux comités de bienfaisance de Paris, — à l'emploi des nouvelles mesures, — à la rédaction d'un annuaire, confiée aux professeurs et aux bibliothécaires des écoles centrales, — et surtout celle qu'il adressa aux préfets, le 25 ventôse an IX, pour demander aux Conseils d arrondissement les renseignements nécessaire à une statistique scolaire.

Dans cette circulaire du 25 ventôse an IX, le ministre s'exprime ainsi : « Pour ne plus rien donner à la théorie trompeuse des illusions et assurer à la jeunesse une instruction convenable et pourtant appropriée aux moyens, aux besoins, aux convenances, aux localités, je vous invite à me fournir une réponse prompte et exacte aux questions suivantes :

« 1° Quel était le nombre des établissements d'instruction publique, dans l'arrondissement, avant la révolution?

« 2° Quel était le nombre des maîtres et maîtresses pour chacun?

« 3° Quel était le genre d'instruction qu'on y donnait?

« 4° Quelles étaient les ressources ou les revenus de chaque établissement?

« 5° Existe-t-il encore, de disponibles ou de non aliénés, des bâtiments autrefois consacrés à l'instruction publique, et quel est leur état?

« 6° Existe-t-il encore des revenus affectés à ces établissements?

« 7° Les anciens professeurs ou maîtres de l'enseignement vivent-ils encore, et quel est leur état actuel ?

« 8° Quelle est l'opinion du Conseil d'arrondissement sur les avantages de ces maisons d'éducation?

« 9° Quelles ressources offre-t-il pour en faciliter le rétablissement?

« Aussitôt que chaque Conseil d'arrondissement vous aura fait connaître son opinion, vous me la transmettrez, dans le plus bref délai, avec votre avis motivé. »

Les rapports des préfets en réponse à cette circulaire sont dispersés dans les archives ; il serait intéressant de les rechercher et de les publier, car ils renferment les éléments les plus sérieux pour apprécier l'état de l'enseignement avant 1789. (On trouve, dans la collection des monographies départementales imprimées de l'an IX à l'an XIII, connues sous le nom de Statistique des préfets, et relatives à quarante-quatre départements, quelques-uns des résultats de l'enquête faite en l'an IX sur la situation de l'instruction publique.)

Chaptal était encore ministre, lorsque Bonaparte songea à la création d'un corps enseignant. Le ministre de l'intérieur lui proposa à cet effet, en 1803, la reconstitution des anciennes congrégations enseignantes (Voir l'article Napoléon Ier) mais le premier consul n'accepta pas ce projet. C'est sous l'administration du successeur de Chaptal, le comte de Champagny, que devait être fondée l'Université impériale.

Louis Maggiolo