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Chant

I. Historique de l'enseignement du chant populaire en France. — Le chant est naturel à l'homme, presque à l'égal du langage. Sans rechercher, comme l'ont fait des philosophes (par exemple Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues), si nos plus lointains ancêtres, représentants de l'humanité primitive, n'auraient pas « chanté avant de parler », il suffit de constater ici qu'il n'est pas au monde un seul peuple, fût-ce le plus sauvage, le plus éloigné de toute influence civilisatrice, qui ne possède des chants appropriés à sa nature et à ses instincts. En Europe, où règne la diversité des classes sociales, tandis que les plus éclairées ont toujours cultivé la musique sous la forme d'un art savant, aux hautes visées, parfois d'une grande complexité de moyens, le peuple ignorant et illettré n'a pas, pour cela, manqué de musique : il s'est formé lui-même son répertoire de chansons populaires, trésor inestimable, dont l'origine reste encore mystérieuse, mais qui, par ses qualités de sincérité, de spontanéité, de grâce native, et son inépuisable vitalité, est, après tant de siècles, un sujet d'admiration toujours renaissante pour ceux qui cherchent à surprendre les manifestations premières de la pensée humaine, et à en découvrir le sens, parfois profond, jusque sous les plus humbles apparences.

C'est là un fait, fait d'observation et d'expérience, auquel tous les raisonnements, favorables ou défavorables, ne changeront rien. La question ne se pose donc pas de savoir si la musique doit être ou ne pas être : elle est. Elle est nécessairement, — presque à l'égal du langage, avons-nous dit. Or, puisque le langage — manifestation primordiale, elle aussi, de l'activité intellectuelle de l'homme — est un des objets les plus légitimes de l'enseignement, cet enseignement ne doit pas manquer non plus à la musique. Nous aurons à exposer plus loin quelles raisons, après celles qu'impose ce principe essentiel, militent en faveur de l'enseignement de la musique parmi le peuple : disons simplement, pour confirmer ces observations premières, que cet enseignement, sous une forme rudimentaire, n'a jamais fait défaut.

De même qu'antérieurement à toute organisation d'instruction publique les gens du peuple, sans savoir lire et écrire, avaient pourtant l'usage d'une langue, dont les enfants, par instinct d'imitation, répétaient les mots et les phrases après les parents, leurs éducateurs naturels et premiers instituteurs, de même les chansons populaires, d'essence purement orale, passaient de bouche en bouche, les nouveau-venus les redisant à la suite de leurs ainés. Les grand-mères qui enseignèrent à leurs petits-enfants les lentes mélopées et les couplets sans fin de nos antiques complaintes — Pernette, Jean Renaud — ou les airs allégrement rythmés des rondes à danser, furent donc les premières institutrices de musique dans le peuple. Ne perdons pas de vue ce début : outre la vitalité qu'il affirme pour l'art populaire, il sera, en dépit du progrès des temps, toujours pour nous un exemple salutaire.

Mais il a toujours été entendu, à tort ou à raison, que l'enseignement donné au peuple doit l'être à l'imitation de celui dont les classes dites supérieures ont fourni les premiers exemples. Examinons donc brièvement comment, en France, les siècles passés avaient compris l'enseignement de la musique.

Ce fut d'abord dans les monastères que l'art et la science de musique furent pris pour objet d'étude, tandis que dans la société profane la pratique en était tout empirique. La nécessité de préparer les exécutions du chant religieux dans les églises fit peu à peu des maîtrises de véritables écoles de musique, d'où sortirent parfois des élèves auxquels furent réservées des destinées toutes profanes. C'est ainsi qu'à l'époque où fut constitué l'opéra français, Lulli, pour former sa troupe, s'en fut d'abord courir les provinces, cherchant dans les églises les chanteurs doués des plus belles voix, et, les ramenant à Paris, transforma en héros de théâtre des gens que leur éducation première avait cru vouer à célébrer les louanges du Seigneur.

Quant aux gens du inonde, ils avaient des maîtres à chanter et à jouer des instruments, dont la profession se multiplia d'autant plus que le goût — ou la mode — de la musique se répandit davantage dans la société des villes. Au reste, il n'y avait là rien encore qui ressemblât à un enseignement régulièrement organisé.

Déjà pourtant, à la veille de la Révolution, la nécessité d'avoir de véritables écoles de musique profane commençait à être ressentie. C'est encore au chant de théâtre que le premier essai fut consacré :

l'Ecole royale de chant et de déclamation, instituée en 1783 sous la direction de Gossec, avait surtout pour but de former des chanteurs pour l'Opéra.

Six ans plus tard, les événements politiques provoquèrent la création, en quelque sorte spontanée, d'une école instrumentale, celle de la musique de la Garde nationale parisienne, constituée, au lendemain de la prise de la Bastille, par les débris de la musique des Gardes françaises ; les meilleurs musiciens de Paris s'étant groupés autour de ce premier noyau, il en sortit, au bout de peu d'années, l'école qui représente actuellement l'enseignement supérieur de la musique : le Conservatoire. Très proche du peuple par ses origines, cet établissement, à ses débuts, lui fut mêlé intimement, ayant eu pour première fonction de faire entendre, dans les fêtes nationales les chants et les hymnes que composait pour lui toute la pléiade des maîtres d'alors : Gossec, son premier directeur de musique, Méhul, Lesueur, Cherubini, etc. Parfois il advint que l'école mêla ses accords aux voix du peuple entier. C'est ainsi que son histoire va nous fournir le premier document connu par lequel il soit fait mention d'un enseignement musical donne, à Paris, aux enfants des écoles primaires.

Deux jours avant la célébration de la fête de l'Etre-suprême, le directeur administratif de l'Institut national de musique (ou Corps de musique de la Garde nationale) avait adressé (18 prairial an II) à quelques sections de la ville la convocation suivante :

« Citoyens,

Nous vous invitons à envoyer les écoles primaires de votre section à celle de l'Institut cet après-midi à trois heures, pour y répéter l'hymne consacré par le Comité de salut public pour être chanté à la fête de l'Etre-suprême.

Salut et fraternité.

SARRETTE. »

Ainsi, c'est aux fêtes de la première République que les enfants des écoles de Paris furent redevables de la première éducation musicale qu'ils aient reçue, et à laquelle présidèrent, en ce jour, les plus grands maîtres. Ils chantèrent, avec tout le peuple, l'hymne de Gossec et des strophes sur l'air de la Marseillaise, appropriées à l'idée de la fête. Quelques semaines après, ils furent encore requis de prendre part à la fête consacrée à la mémoire de Bara et Viala enfants comme eux, et ils durent chanter un nouvel hymne, de Méhul cette fois. Cette dernière fête n'eut pas lieu, empêchée par les événements politiques. Au reste, il faut bien reconnaître qu'un tel enseignement, tout de circonstance, et où l'enthousiasme tenait lieu de toute méthode, ne pouvait pas être longtemps continué. Il fut encore question, dans les années qui suivirent, d'apprendre à chanter aux enfants des écoles des chants d'un caractère national et patriotique : le ministre François de Neufchâteau, sous le Directoire, s'en préoccupa. Mais la République disparut avant d'avoir pu achever son oeuvre, en cela comme pour tant d'autres objets.

C'est pourtant des milieux dans lesquels avaient été tentés ces premiers essais que sortit, quelques années plus tard, l'homme que l'on peut considérer comme le véritable fondateur de l'enseignement populaire de la musique en France.

On le connaît sous le nom de B. Wilhem (son véritable nom était Guillaume Bocquillon). Né à Paris en 1781, fils d'un officier, il fut, dès son enfance, témoin des spectacles héroïques que donnèrent les armées révolutionnaires, car il avait suivi son père dans les premières campagnes de Belgique et de Hollande. Il entra lui-même à l'école militaire de Liancourt, et y devint instructeur. Mais le goût de la musique lui avait été inspiré par l'audition des hymnes de Gossec et autres maîtres de l'art national : à dix-sept ans, sans avoir encore étudié la composition, il avait composé et fait exécuter par ses camarades de l'école de Liancourt un choeur avec accompagnement de musique d'harmonie : « Aux armes, vaillante jeunesse! » Il vint à Paris et se présenta au Conservatoire, où il lut accueilli par Gossec, et travailla sous sa direction et celle de Méhul. Ces noms sont bons à retenir ; ils indiquent que la filiation est directe, et la laissent apercevoir nettement : c'est aux traditions musicales inaugurées par la Révolution française qu'est essentiellement due l'impulsion première qui a donné naissance à l'enseignement populaire de la musique en France. Car Wilhem s'y consacra bientôt exclusivement. Partout où il passait, il s'efforçait de communiquer son enthousiasme, et il sut y parvenir. Rouget de Lisle, Béranger, étaient ses amis. Et quand, en 1819, la Société pour l'instruction élémentaire, association fondée en 1815 sous l'influence de Carnot, décida que l'étude de la musique serait introduite dans les écoles mutuelles de Paris, Wilhem fut désigné pour en prendre la direction. Il se dévoua corps et âme à cette oeuvre de vulgarisation artistique. Ses efforts furent si heureux qu'au bout de quelques années il put, par le groupement des élèves qu'il avait formés et qui lui restaient fidèles, constituer des sociétés chorales dont lé groupement forma bientôt l'institution, quelque temps prospère, de l'Orphéon.

Mais c'est surtout au point de vue de l'enseignement scolaire que l'effort de Wilhem fut efficace et durable, car c'est à lui qu'est dû ce résultat important : pour la première fois, sous son influence, la musique fut comprise au nombre des matières obligatoires enseignées à l'école primaire. La loi du 28 juin 1833, qui réorganisa l'enseignement primaire en France, place, en effet, au programme de l'enseignement primaire supérieur le chant, au même titre que l'histoire, la géographie, les éléments de la géométrie et des sciences physiques et naturelles.

Cinq ans plus tard, dans une décision créant des cours d'adultes dans la Ville de Paris (4 mai 1838), nous pouvons relever un article ainsi conçu: « Le chant continuera à être enseigné sous la direction et d'après la méthode de M. Wilhem ».

Lors donc que celui-ci mourut, en 1842, il put avoir la satisfaction de voir son oeuvre d'éducation populaire, sinon accomplie, du moins en bonne voie d'exécution. On connaît la chanson que, l'année précédente, lui avait adressée Béranger, et où se trouvent les vers fameux :

Les coeurs sont bien près de s'entendre,

Quand les voix ont fraternisé!

A cette époque, le programme d'examen pour le brevet de capacité élémentaire n'indiquait pas le chant pour les instituteurs, mais l'exigeait pour les institutrices (Arrêté du 28 juin 1836). Le brevet de capacité supérieur pour les instituteurs exigeait des connaissances théoriques et pratiques sur la musique et le plain-chant.

La loi du 15 mars 1850 marqua un mouvement de recul. Le chant y fut relégué, avec la gymnastique, au dernier rang des matières facultatives enseignées à l'école primaire, et il ne fut plus fait aucune mention du chant au brevet élémentaire.

En 1865, cependant, un arrêté (du 30 janvier) rendit l'enseignement du chant obligatoire dans les écoles normales, et lui consacra cinq heures par semaine. L'étude du plain-chant et du chant religieux tenait une large place dans les programmes.

Quant à l'école primaire, l'enseignement du chant fut entièrement omis pour elle dans la loi du 10 avril 1867, qui lui imposait quelques nouvelles matières obligatoires (histoire, géographie).

Au reste, même les dispositions favorables des règlements semblaient, à cette époque, n'avoir guère qu'une valeur théorique, et l'on peut dire qu'en réalité l'enseignement de la musique à l'école primaire est resté inexistant jusqu'à l'époque où les lois de la troisième République ont réorganisé l'enseignement général sur des bases entièrement nouvelles.

Ce fut à partir de 1880 que le ministère de l'instruction publique s'occupa d'organiser l'enseignement musical aux divers degrés des études primaires.

Tout étant à créer, il commença par faire appel aux lumières de quelques personnalités compétentes ; à cet effet, il invita des maîtres de l'art et des éducateurs connus par leur zèle pour cette partie de renseignement à lui faire connaître leurs vues à cet égard. Plusieurs rapports furent présentés, réunis plus tard en un volume qui forme un document intéressant au point de vue qui nous occupe ici (Enseignement du chant, travaux de la Commission, 1884). Chaque rapporteur y exprimait, avec l'autorité d'une compétence spéciale, ses idées personnelles ; les moyens préconisés variaient presque toujours d'un rapport à l'autre : mais tous avaient pour lien commun le sentiment très vif du but à atteindre. M. Saint-Saëns louait l'initiative d'une mesure « dont les résultats peuvent être immenses au point de vue de l'élévation du niveau de l'intelligence dans notre pays », constatant que « le développement de la culture musicale est l'indice certain d'une civilisation supérieure ». M. Bourgault-Ducoudray traçait un plan d'études très détaillé, qui, visant essentiellement à créer en France des moeurs chorales dont l'existence dans d'autres pays démontre que la réalisation n'est point impossible, recommandait de faire chanter d'abord aux enfants nos chants populaires et nationaux, pour aboutir, par une progression naturelle, à l'exécution des chefs-d'oeuvre de l’art par le peuple. D'autres, avec de moins hautes visées, s'efforçaient principalement de rechercher les moyens pratiques qui devaient permettre de poursuivre le résultat désiré (Danhauser, G. Chouquet, A. Chevé, A. Dupaigne, etc.). Un rapport général coordonna ces vues diverses, et, le 23 juillet 1883, un arrêté du ministre de l'instruction publique, Jules Ferry, établit les programmes de l'enseignement du chant dans les écoles primaires et les dispositions relatives aux épreuves de chant dans l'examen d'admission aux écoles normales, le programme concernant l'enseignement de la musique vocale et instrumentale dans ces dernières ayant été déjà fixé par un arrêté du 2 août 1881.

A quelques modifications de détail près, ces programmes sont encore en vigueur actuellement.

II. L'enseignement musical actuel dans les écoles publiques : programmes. — Voici, tel que les programmes le prescrivent, l'état de l'enseignement musical dans nos écoles publiques à ce moment (1909).

A l'école maternelle, la maîtresse doit se borner à enseigner aux enfants, par audition, des chants très simples à une voix, associés parfois à des mouvements physiques (marches, danses, jeux, etc.), de façon à développer simultanément en eux le sentiment de l'intonation et celui du rythme.

A l'école primaire, les leçons de chant doivent occuper de une à deux heures par semaine, indépendamment des exercices de chant qui ont lieu tous les jours, à la rentrée et à la sortie des classes.

Ces leçons sont données suivant la progression suivante :

Section enfantine : chants à l'unisson et à deux parties, exclusivement appris par l'audition ;

Cours élémentaire : continuation des chants appris par audition ; lecture des notes ;

Cours moyen : chants d'ensemble à une et à deux voix, appris par l'audition. Connaissance des notes, portée, clef de sol, lecture, premiers exercices d'intonation: durée : ronde, blanche, noires, croches, silences, mesures à deux, trois et quatre temps ; lecture des notes avec la durée en battant la mesure. — Exercices les plus simples de solfège ; dictées orales ;

Cours supérieur : Continuation du cours moyen. — Exercices d'intonation. Clef de sol et clef de fa. Gamme diatonique majeure, intervalles naturels, signes altératifs. Principaux tons majeurs et mineurs. Durée. — Exercices de solfège, dictées orales, exécution de morceaux d'ensemble à une et à deux parties.

A l'école primaire supérieure, le programme consacre au chant deux heures par semaine dans chaque année. Sans entrer dans le détail de renseignement prescrit pour les trois années, disons simplement qu'il continue celui de l'école élémentaire : il comporte chaque année des notions très simples de théorie musicale, et des exercices nombreux (solfège, dictée, chants scolaires, en notation chiffrée et en notation sur la portée) où ces connaissances trouvent de constantes applications : l'enseignement théorique doit rester très élémentaire, et ne doit être à aucun moment séparé des exercices pratiques.

Dans les écoles normales primaires d'instituteurs et d'institutrices, deux heures par semaine pendant les deux premières années, trois heures pendant la troisième sont consacrées à l'étude du chant et de la musique.

Conformément aux prescriptions de l'arrêté du 4 août 1905, lequel a apporté un remaniement complet dans l'économie des études à l'école normale, les deux premières années doivent être consacrées à l'ensemble des matières musicales, théoriques et pratiques, de manière à conduire l'élève-maître à la sanction du brevet supérieur, à quoi aboutit le programme suivant :

« Première année : Théorie élémentaire de la musique. Dictées orales écrites très simples. Exercices rythmés et chantés en clef de sol. Chants scolaires à l'unisson et à deux voix. Choeurs à deux voix. Exercices élémentaires facultatifs de violon ou de piano.

« Deuxième année : Continuation des exercices théoriques et de solfège faciles. Continuation des dictées orales et écrites, quelques-unes avec mesure 6/8. Continuation des lectures rythmées et chantées en clef de sol. Etude de la clef de fa. Chants scolaires à l'unisson et à deux voix. Choeurs, empruntés à divers maîtres, à deux ou plusieurs voix. Choeurs communs aux trois années. Exercices facultatifs de violon ou de piano. »

Une note jointe au programme des deux premières années prescrit en outre la connaissance des principes essentiels de la méthode galiniste ou méthode chiffrée, ajoutant qu'on insistera sur les ressources qu'offre cette méthode considérée comme moyen d'initiation à la notation ordinaire.

Le programme de musique de la troisième année comprend deux parties distinctes : l'une est destinée à continuer l'éducation musicale de l'élève-maître ; l'autre a pour but de lui apprendre à diriger les exercices de musique à l'école primaire. En voici les termes :

« Exercices rythmés et chantés en clef de sol et en clef de fa. Dictées orales et écrites. Chants scolaires. Choeurs à plusieurs voix. Direction des chants, des choeurs et des exercices de solfège. Exercices de violon ou de piano. Pages choisies des grands maîtres de la musique. »

Voici enfin quelles sont les sanctions prévues par les programmes des divers examens en ce qui concerne l'enseignement musical :

Au certificat d'études primaires, il n'est posé aucune question sur la musique ;

Au brevet élémentaire, les épreuves de la troisième série comprennent des questions et des exercices très élémentaires de solfège ;

Au brevet supérieur, les épreuves de la seconde série comprennent une épreuve de musique : dictée musicale suivie de questions théoriques très simples sur le texte dicté.

Le concours d'admission dans les écoles normales comporte une épreuve de musique consistant en une interrogation sur les matières du cours supérieur des écoles primaires, la lecture d'un morceau de solfège facile, et une dictée orale très simple ; il est tenu compte au candidat de l'exécution d'un chant avec paroles et de la connaissance d'un instrument.

Enfin le droit d'enseigner la musique dans les écoles normales est subordonné à la possession du certificat d'aptitude à l'enseignement du chant, dont les épreuves sont subies chaque année à Paris, et qui comporte deux degrés, conformément au programme ci-après:

« Degré élémentaire. — Epreuves écrites : Rédaction sur une question d'enseignement musical (programme des écoles normales) ; dictée musicale. — Epreuves orales et pratiques : Lecture à première vue d'une leçon de solfège (clef de sol) ; exécution d'un morceau de chant classique ; présentation d'une liste de dix chants scolaires, dont un est désigné par la commission pour être chanté de mémoire ; interrogations sur la théorie musicale ; leçon pratique d'enseignement musical ; exécution à première vue, sur le piano ou le violon, d'un accompagnement simple.

« Degré supérieur. — Epreuves écrites : Rédaction sur des questions d'enseignement ou d'art musical, ou d'histoire de la musique ; dictée musicale ; réalisation à quatre parties vocales d'une basse donnée et chiffrée, et composition d'une basse sous un chant. — Epreuves orales et pratiques : lecture à première vue d'une leçon de solfège avec changements de clefs (clefs de sol et de fa) ; lecture à première vue d'un chant scolaire inédit ; exécution à première vue, sur le piano ou le violon, puis transposition, d'un accompagnement simple ; interrogations sur la théorie musicale, sur les éléments de l'harmonie et sur l'histoire de la musique ; leçon théorique et pratique d'enseignement musical. »

Un examen analogue a été créé par la Ville de Paris pour l'obtention du certificat d'aptitude à l'enseignement du chant dans les écoles communales, enseignement donné par des professeurs spéciaux.

III. L'enseignement musical dans les écoles publiques : pratique. — Lorsqu'on a considéré dans son ensemble cet exposé de l'enseignement musical tel qu'il est prescrit par les programmes scolaires, le premier mouvement, certes, est pour s'émerveiller. Eh quoi ! à la fin des études primaires, les enfants de France ayant fréquenté l'école sauraient lire la musique, en connaîtraient la théorie, et auraient pratiqué le chant en choeur ! Les instituteurs, en sortant de l'école normale, ne seraient pas seulement rompus aux difficultés dé la technique élémentaire, mais encore ils auraient des notions d'harmonie, connaîtraient l'histoire de la musique, et seraient familiarisés avec les chefs-d'oeuvre des maîtres par des exécutions chorales dont ils seraient exercés à diriger à leur tour l'équivalent auprès de leurs élèves de l’école primaire! Assurément, si tant de belles choses étaient réalisées, les Français seraient le peuple le plus musical qu'il y ait au monde !

Est-il besoin de dire que, dans la pratique, il n'en est pas tout à fait ainsi, que la distance est grande entre le projet et l'exécution, et qu'il conviendrait de refréner l'optimisme excessif de certaines illusions, si l'on pouvait en conserver encore?

Il faut bien avouer que les programmes montrent le but à atteindre bien plus qu'ils n'en assurent expressément l'exécution. Il y a tant de choses à apprendre à l'école primaire! Et ces matières si diverses, c'est un seul homme (ou une seule femme) qui les doit enseigner, après avoir emmagasiné dans sa mémoire, en quelques années d'études, un véritable résumé de toute la science humaine, où, à côté des notions qui forment la base de toute éducation, doivent prendre place une foule de connaissances spéciales, qu'on n'eût pas songé naguère à trouver réunies dans un même cerveau. Aussi ne saurait-on s'étonner grandement que nombre d'instituteurs et d'institutrices, se sentant insuffisamment préparés à leur mission d'éducateurs musicaux, — subissant d'ailleurs l'influence d'idées courantes et vulgaires qui prétendent réduire la musique au rôle d' « art d'agrément », sans utilité pratique et immédiate, et l'écarteraient volontiers, comme objet inutile, de l'éducation populaire, — négligent, dès leur entrée dans la carrière, cette partie de la tâche qui leur incombe, et omettent de donner au chant, dans leur enseignement, la place réglementaire que les programmes ont prévue pour lui. Aussi bien, il ne s'agit là peut-être encore que d'une situation transitoire. Déjà des progrès ont été constatés, et l'on peut espérer que, dans un avenir prochain, les bonnes intentions manifestées par les rédacteurs des programmes passeront enfin dans le domaine des faits accomplis.

Laissons donc de côté, pour l'instant, ces divers obstacles ; admettons l'hypothèse d'un enseignement musical donné à l'école primaire par un maître bien préparé à remplir son rôle, dans un milieu suffisamment favorable (école d'une petite ville ou d'une bourgade de quelque importance), et voyons ce qu'il en adviendra.

Ecole primaire. — L'enfant entre à l'école. Est-il resté jusqu'à ce jour complètement étranger à la pratique du chant? Point du tout : il a chanté dès le berceau. Puis il a écouté les chansons qu'on chantait autour de lui et en a suivi les rythmes : ne doutons pas qu'il ait cherché maintes fois à mêler sa voix à celle de ses aînés, surtout à s'associer par les mouvements de son corps aux mouvements des danses et des marches. Le chant est donc chez lui une aptitude naturelle, déjà développée par le premier instinct d'imitation. Il s'agit de développer cette aptitude en lui imprimant une direction favorable, ce qui est, d'ailleurs, le but essentiel de tout enseignement élémentaire.

Si l'enfant commence par l'école maternelle, le chant sera pour lui, tout d'abord, presque la principale occupation scolaire, à un âge où l'esprit ne peut être longtemps retenu par des idées sérieuses : est-il en effet meilleure manière de fixer l'attention de l'enfant tout en le récréant, que de lui imprimer les habitudes d'ordre et de rythme qui sont inséparables de toute exécution musicale collective, si simple soit-elle?

Au reste, jusqu'à la fin du cours moyen (c'est-à-dire jusque vers dix ans), les chants, le programme le spécifie, doivent être enseignés simplement par audition, — et cela est fort bon, au moins en principe. S'il fallait attendre, pour faire chanter les enfants, qu'ils sussent la musique, — d'abord ils ne chanteraient jamais ; puis, y parvinssent-ils dans les dernières années d'école, ils en seraient arrivés certainement au point de ne plus le souhaiter, dégoûtés qu'ils seraient du charme d'un art dont on ne leur aurait fait connaître que la technique aride.

Il n'est pas admissible, en effet, que la musique soit enseignée (surtout au peuple) comme une langue morte, par la grammaire, c'est-à-dire par le solfège : elle est chose trop vivante pour ne pas se dérober à un traitement si inhumain! Ce n'est donc pas par la lecture des notes que l'enfant doit apprendre ses premiers chants ; mais, au contraire, le chant pratiqué par lui devra servir de base aux premières observations qui lui seront présentées en matière de théorie et de lecture, — de même qu'il a parlé sa langue natale bien avant qu'on lui ait enseigné les règles auxquelles elle obéit.

Donc, la pratique du chant doit précéder l'étude du solfège. Et c'est là encore une cause d'embarras et de fatigue pour l'instituteur ; car ce chant enseigné par audition, qui donc en donne l'audition, si ce n'est lui-même? Il lui faut, pour remplir sa tâche jusqu'au bout, se transformer à son heure en chanteur, et, quelque voix que la nature lui ait donnée, s'en servir pour répéter aux écoliers, jusqu'à ce qu'ils les aient retenus, les chants qui doivent être confiés à leur mémoire. Cette obligation, qui se présente nécessairement dès le premier instant, est sans doute un des principaux obstacles à l'usage du chant à l'école primaire, peu d'instituteurs étant capables d'ajouter à leurs fatigues ordinaires un effort si exceptionnel et parfois épuisant. Ceux qui ont un instrument de musique à leur disposition ne doivent pas hésiter à s'en servir pour faciliter leur tâche : encore l'instrument ne les remplacera-t-il qu'incomplètement, familiarisant les élèves seulement avec les contours de la mélodie ; mais il faudra bien en revenir à la voix lorsqu'il s'agira d'associer les paroles au chant.

Cette pratique, généralement connue sous le nom peu élégant de « serinage », est l'objet d'un mépris très légitime dans les milieux artistes. Il est évident qu'il faut faire tous les efforts possibles pour diminuer le temps de son emploi à l'école. Cependant, il faut se résigner à ne la voir jamais réduite à zéro, car, quels que soient les progrès accomplis, il est impossible d'espérer que les écoliers, à l'exemple des marquis de Molière qui « savaient tout sans avoir jamais rien appris », parviennent à lire la musique avant un certain âge antérieurement auquel il serait funeste qu'ils fussent privés de l'usage du chant.

Donc, jusqu'à l'âge de dix ans environ, l'enfant chante par le moyen de la tradition orale, le même moyen par lequel ses aïeux ont, depuis les âges primitifs, maintenu constamment l'usage du chant populaire. Il chante en choeur à l'unisson : l'enseignement primaire est, par son principe, essentiellement collectif, et la musique y participe comme toutes les autres branches. Souvent ce chant est associé à des mouvements d'ensemble, marches, jeux, danses ; c'est ainsi que l'entrée et la sortie de la classe peuvent se faire au son d'une chanson dont les paroles comme la musique sont de nature à disposer les écoliers à l'accomplissement de leur tâche.

Mais qu'il s'agisse du chant animé ou du chant immobile, l'instituteur doit veiller, et cela dès le premier jour, à donner aux enfants de bonnes habitudes, et à corriger les mauvaises. Il leur apprendra à bien respirer, largement, en tenant le corps droit, à expirer naturellement et sans secousses, toutes pratiques qui seront aussi favorables à leur santé qu'à leurs progrès dans l'art du chant. Il leur interdira sévèrement de crier, et aura soin que, pour les notes aiguës (dont il se gardera de multiplier l'usage), ils fassent usage de la voix de tête, et non de la voix de poitrine. Il les habituera à ne pas chanter du nez ni de la gorge. Il exigera qu'ils prononcent correctement et distinctement les paroles. Tout cela est primordial, car, en matière musicale, le premier élément à considérer, c'est l'agent sonore, et cet agent, à l'école, c'est la voix, l'instrument humain, délicat entre tous, mais non moins expressif, charmeur et puissant. Il importe donc d'en surveiller et d'en cultiver les qualités avec une sollicitude incessante.

Pour l'enseignement théorique, ce n'est pas ici le lieu de dire en détail ce qu'il doit être : le programme est suffisamment explicite, indiquant que la lecture des notes peut être commencée à l'école élémentaire, pour aboutir, à la fin du cours supérieur, à la connaissance à peu près complète des matières du solfège ; l'instituteur n'a donc qu'à s'y conformer, en faisant usage de quelqu'un des livres, aujourd'hui très multipliés (peut-être même avec quelque excès), que de nombreux auteurs, de compétences diverses, ont consacrés à ce sujet. Qu'il nous suffise de le mettre en garde contre la tentation de faire parade d'une vaine science, en cherchant à éblouir ses modestes auditeurs par un étalage de locutions techniques qui leur paraîtront d'autant plus étonnantes qu'ils les comprendront moins. Il importe au contraire que l'instituteur fasse tout son possible pour être entendu, dût-il pour cela s'expliquer en termes familiers, et prêcher surtout par l'exemple. De fait, deux heures par semaine, pendant les six années prévues par le règlement, doivent certainement permettre, si l'enseignement est bien compris, de donner à l'enfant, à sa sortie de l'école primaire, une connaissance tout à fait suffisante des premiers principes et de la pratique élémentaire de la musique vocale.

L'introduction récente de l'usage de la notation chiffrée dans le programme des écoles normales aura peut-être pour conséquence son utilisation dans les premières années de l'école primaire. Cette méthode, universellement condamnée au point de vue de la pratique de l'art, a paru cependant présenter quelques avantages pour l'enseignement le plus élémentaire. La note du programme qui en a prescrit l'utilisation à l'école normale spécifie qu'elle doit être considérée « comme un moyen d'initiation à la notation ordinaire ». Il est facile de concevoir en effet que des esprits paresseux (ou, si on le préfère, occupés d'autres objets) trouvent, pour commencer, plus de facilité dans l'emploi de signes déjà connus (les chiffres), qui les dispensent de l'effort de se familiariser d'abord avec d autres signes nouveaux pour eux (les notes). Et les enfants de nos écoles ont tant de choses à apprendre que, si la tâche peut leur être facilitée par ce moyen détourné, il ne faut pas craindre d'y avoir recours : on pourra diminuer ainsi le temps consacré au « serinage », et, en attendant la connaissance des notes de la portée, leur apprendre à lire des chants simples à l'aide des chiffres. Qu'il soit bien entendu en tout cas que ce moyen est purement transitoire, que la notation chiffrée ne mène à rien par elle-même et ne représente pas un but à atteindre, ce dernier restant toujours la connaissance de la notation, admirable et parfaite, que dix siècles d'usage (et de chefs-d'oeuvre) ont façonnée pour nous, et qui est à la fois suffisante et nécessaire pour la représentation graphique de toute musique, depuis le chant le plus simple jusqu'à la partition la plus compliquée. Il convient d'ajouter enfin que, avant de se prononcer définitivement sur l'efficacité de cette méthode empirique, il faut attendre que l'expérience en ait démontré la valeur, et que jusqu'ici cette expérience n'a pas été suffisamment généralisée pour qu'on puisse l'affirmer en toute certitude.

Enfin, le couronnement de l'enseignement musical à l'école primaire, c'est l'exécution du chant d'ensemble par toute la collectivité des élèves. Nous reviendrons bientôt, en traitant du chant scolaire, sur cette partie importante de notre sujet.

Le tableau que nous venons de tracer correspond, nous l'avons dit, à la situation d'une école de moyenne importance, à plusieurs maîtres, dont l'un, plus particulièrement qualifié par ses aptitudes, est spécialement chargé de l'enseignement musical, et instruit ainsi tour à tour les élèves des divers degrés, les réunissant, quand il y a lieu, pour l'exécution des chants d'ensemble. Dans certaines grandes villes, particulièrement à Paris, la situation musicale est plus favorable encore: des professeurs spéciaux y sont chargés de diriger, dans chaque école, l'enseignement musical, et les progrès y peuvent être poussés de façon telle que les enfants de ces écoles ont souvent fait leur partie dans de vastes exécutions chorales où furent entendue les plus grandes oeuvres de la musique classique et moderne.

Mais la généralité des écoles primaires ne connaît pas de pareilles ressources. Aussi, trop souvent, dans es écoles de village, l'enseignement de la musique est complètement négligé par l'instituteur, soit qu'il se sente mal préparé à remplir cette partie de ses fonctions, soit qu'il trouve une matière un peu rude et difficile a façonner dans les petits paysans, à demi-sauvages, dont l'instruction est confiée à ses soins, soit qu'il n'ait pas su se dégager des préjugés courants qui représentent la musique comme un élément d'éducation inutile et négligeable, soit peut-être aussi (le cas n'est pas rare) qu'il soit peu encouragé par ses chefs immédiats, dont certains partageraient volontiers eux-mêmes cette dernière façon de voir.

Et pourtant, nous avons vu parfois, dans des écoles de hameaux reculés au fond de la campagne, de modestes instituteurs, de simples institutrices-adjointes, à la tête d'une classe d'une quinzaine d'enfants, s'ingénier, plus peut-être encore par goût personnel que par le seul sentiment du devoir, à satisfaire aux conditions du programme en donnant à leurs élèves, en se donnant à eux-mêmes, la distraction du chant. Un instrument apporté par eux de la ville, dans la pensée de distraire leur isolement, — un violon, une flûte, un harmonium à un jeu, — servait à donner le ton, et, en faisant entendre d'abord le chant proposé, contribuait à procurer aux écoliers attentifs l'impression musicale qu'aucun n'aurait eu l'occasion de trouver ailleurs. Puis, soutenus par le maître, les enfants, de leurs voix grêles ou aigres, pourtant déjà habituées à l'intonation juste, répétaient le chant scolaire, simple et naïf, — parfois une mélodie populaire qui semblait comme un écho harmonieux du passé de leur race ; et ainsi l'école devenait un lieu d'harmonie, où les exécutants, c'est-à-dire les écoliers eux-mêmes, éprouvaient des émotions musicales tout aussi vives que celles qu'en d'autres lieux ressentaient les plus raffinés, et peut-être aucunement inférieures. Pourrait-on trop encourager de si salutaires exemples? C'est d'eux, nous pouvons le croire, que viendra la meilleure part du progrès qui s'accomplira peu à peu dans l'éducation musicale parmi le peuple de France.

Ecole normale. — A l'école normale, l'enseignement est plus particulièrement technique et raisonné. Encore la théorie proprement dite n'y doit-elle pas prendre une place trop prépondérante : son rôle est simplement de diriger, d'expliquer et d'éclairer la pratique. Les directions pédagogiques annexées aux programmes de 1905 le spécifient nettement : « La théorie — disent-elles avec raison — sera élémentaire ; on la réduira aux notions indispensables pour permettre aux élèves-maîtres de lire et d'exécuter correctement les chants scolaires. Le professeur s'abstiendra avec soin de toute recherche des difficultés. »

Le principal effort technique du futur instituteur portera donc sur la lecture de la musique, avec les diverses difficultés de laquelle il fera de son mieux pour se familiariser, tant au point de vue rythmique qu'à celui de l'intonation, les particularités de celle-ci devant toujours être rapportées au sentiment de la tonalité, base de toute musique.

Il complétera cette étude par des exercices de dictée. Ceux-ci forment comme une contre-partie de la lecture, à laquelle ils servent de complément, et, en quelque sorte, de preuve. La dictée a pour but, en effet, de fixer par la notation le rapport exact des sons et des rythmes perçus par l'oreille, tandis que la lecture consiste à reproduire par la voix ces sons et ces rythmes tels que la notation les représente : opération inverse par conséquent.

L'étude de la musique à l'école normale, nécessairement collective comme à l'école élémentaire, se trouve assez généralement embarrassée au début par la différence de préparation des nouveaux élèves. Ceux-ci, provenant d'origines diverses, sont, en musique, de niveaux plus divers encore : les uns, sortis des villes, ont profité de l'enseignement donné, non seulement dans une école primaire bien organisée, mais encore à l'école primaire supérieure, et parfois même ont pu bénéficier d'une instruction particulière ; d'autres au contraire n'ont reçu, en musique, d'autre préparation que celle de l'école de leur village. Il importe donc que le professeur s'applique, dans les premiers mois, à unifier autant que possible l'état des connaissances de ses élèves. Il devra y être parvenu vers le milieu de la première année.

L'étude d'un instrument, quoique facultative, est recommandée. La troisième heure consacrée à la musique pendant la troisième année d'école normale lui est spécialement réservée.

« L'usage d'un instrument de musique — disent les directions pédagogiques — est utile pour un instituteur non seulement comme distraction personnelle, ce qui a son prix dans l'isolement, mais encore comme auxiliaire du chant. »

« L'étude du piano et de l'orgue — dit une autre partie du même document — a disparu à peu près partout du programme, tandis que l'enseignement du violon, si utile à l'instituteur pour l'étude des chants scolaires, a été introduit dans un assez grand nombre d'écoles normales. »

Ce progrès ne peut qu'être favorable au développement du goût musical parmi le peuple. Pourtant il ne nous apparaît pas que l'abandon du piano ou de l'orgue (disons plutôt : de l'harmonium), s'il est réel, soit un si heureux symptôme. Sans doute les raisons qui donnaient autrefois une importance particulière à l'étude de l'orgue, c'est-à-dire le devoir pour l'instituteur de contribuer par ses talents à la célébration des cérémonies religieuses, ne subsistent plus aujourd'hui. Mais l'harmonium est un des instruments les plus susceptibles qui soient d'être laïcisés. Au point de vue pratique même, il est précieux : il existe de petits instruments à un seul jeu, peu coûteux et d'un volume peu encombrant, qui pourraient rendre de réels services à l'école, non seulement par le secours qu'ils prêteraient à l'instituteur ou à l'institutrice en suppléant à l'effort de leur voix, mais encore parce qu'ils permettraient d'accompagner d'une harmonie appropriée les mélodies chantées à l'unisson par les écoliers, et de rehausser ainsi d'une manière sensible l'éclat du concert donné dans l'école

Mais tous ces moyens ne sont qu'un acheminement vers le but final auquel doit tendre cet enseignement : la connaissance des oeuvres et leur exécution.

« Le professeur de chant devra faire étudier et exécuter aux élèves-maîtres :

« 1° Un grand nombre de chants scolaires, à une ou deux voix égales, simples, faciles, populaires, afin que les futurs instituteurs emportent de l'école normale un répertoire choisi et varié de chants qu'ils apprendront plus tard à leurs écoliers ;

« 2° Un certain nombre de beaux choeurs, soit à l'unisson, soit à deux, trois ou quatre voix, avec ou sans accompagnement, pour former leur goût et leur l'aire connaître les oeuvres des grands maîtres de la musique.

« Il indiquera à grands traits l'évolution de l'art musical. »

Tels sont encore les termes des instructions actuellement en vigueur. Et si elles sont suivies (elles commencent à l'être, particulièrement dans certains milieux, et surtout grâce à des concours hautement désintéressés), il n'est pas douteux que l'éducation musicale du peuple de France aura fait un grand pas en avant. Que les instituteurs aient profité de leur passage à l'école normale pour faire connaissance avec les pages chorales de Beethoven, de Mozart, de Gluck et des maîtres modernes, qu'ils y aient acquis des notions sur l'histoire de l'art dans son passé, sur ses formes, ses transformations, la signification de ses chefs-d'oeuvre, et leur culture générale se sera certainement enrichie d'un élément d'essence supérieure.

Sans doute les moyens d'exécution sont bien modestes, trop souvent insuffisants, étant réduits aux seules ressources que représente le groupe des élèves-maîtres : les grands chefs-d'oeuvre leur restent inaccessibles. Encore est-il de certains fragments qui leur permettent d'en approcher. Il a été publié des recueils de choeurs tirés des oeuvres des maîtres (notamment ceux qui sont connus sous le titre de Recueils de Fontenay, ayant été élaborés en premier lieu à l'usage de cette école normale), dont il est facile de faire usage partout.

Le grand obstacle à l'exécution intégrale des oeuvres chorales provient de ce que les maîtres les ont toujours écrites avec toutes les ressources de l'organe humain, c'est-à-dire en réunissant en un ensemble harmonieux les voix de femmes (ou d'enfants) et les voix d'hommes, dont le diapason, personne ne l'ignore, est différent (les voix d'hommes chantant un octave au-dessous de celles des femmes). Mais déjà, secouant d'absurdes préjugés, on a, dans diverses villes (cela, bien entendu, dans des circonstances exceptionnelles), commencé de réunir en un seul choeur tous les éléments scolaires, particulièrement ceux des écoles normales de jeunes filles et des écoles normales de jeunes gens (ceux-ci, généralement en minorité, ont besoin, d'ordinaire, de s'adjoindre quelques éléments étrangers, tels qu'une société chorale) : il a été possible ainsi de confier à des éléments vraiment populaires l'exécution des oeuvres les plus élevées de la musique savante. Que cet effort se généralise, et un grand exemple d'art aura été donné par nos écoles.

Mais ces exécutions, si recommandables soient-elles, resteront toujours à l'état d'exception.

Par contre, le chant scolaire est l'élément principal, et, en vérité, la véritable raison de l'enseignement de la musique à l'école. Car si cet enseignement est donné aux enfants, ce n'est pas dans l'intention de leur apprendre qu'il y a des croches ou des noires, des dièses ou des bémols : c'est pour qu'ils chantent ; c'est à l'exécution du chant scolaire que doit tendre pour ainsi dire exclusivement tout l'effort. Il importe donc que nous insistions d'une façon particulière sur ce genre de musique, d'origine assez récente si l'on n'en considère que la composition systématique, mais dont les ramifications les plus lointaines iront parfois jusqu'à le rattacher aux origines profondes de l'art.

IV. Le chant scolaire. — Ce n'est pas sans de longs tâtonnements que le répertoire du chant scolaire s'est constitué en France. Et pourtant, il fut nécessaire dès le premier jour où l'on songea à enseigner la musique aux enfants du peuple. Cet enseignement (ne nous lassons pas de le répéter) a pour fin principale de faire chanter ces enfants. Mais chanter quoi? Là est l'obstacle contre lequel se sont heurtés longtemps les efforts des mieux intentionnés.

Les formes de l'art moderne, en effet, ont des complexités qui ne permettent pas à de simples écoliers l'ambition d'interpréter les chefs-d'oeuvre. Faut-il donc pour cela tomber dans la niaiserie, la vulgarité et la grossièreté de certaines productions qui, par la vogue dont elles ont parfois joui, seraient malheureusement en droit de prétendre au titre de compositions populaires? Aucun éducateur n'y consentirait. Le chant scolaire doit à la fois avoir la simplicité de forme du chant populaire, et en même temps s'efforcer d'élever son inspiration à la hauteur des chefs-d'oeuvre de l'art, dont il doit être en quelque sorte la réduction, la quintessence. Problème difficile, et dont nous ne saurions dire encore s'il a reçu déjà sa solution définitive.

Si nous nous reportons à l'exposé historique par lequel a débuté cet article, nous relèverons dès le commencement des traces de ces tâtonnements. Les hommes de la Révolution, premiers organisateurs de l'instruction publique, avaient bien vu que tout était à créer, et ils y avaient appliqué leurs efforts ; mais leur oeuvre fut interrompue sans qu'ils pussent l'achever. Pourtant ils voyaient juste, et c'est à leur exemple qu'il en faut revenir. Ils voulaient doter le peuple, par l'école, de chants populaires et nationaux : c'est toujours à quoi nous devons tendre.

Wilhem, qui tenta le premier de réaliser leurs intentions, et y parvint presque, a laissé après lui un témoignage précieux de son activité, et qui peut encore servir d'exemple pour ce qu'il convient de faire : nous voulons parler de sa grande collection de l'Orphéon, comprenant le répertoire des oeuvres chorales qu'il voulut enseigner soit à ses écoliers, soit aux sociétés chorales constituées par le groupement de ses anciens élèves. Il y a un peu de tout dans ces neuf volumes (dont les derniers furent publiés après sa mort). On y trouve des morceaux d'opéras de l'ancien répertoire et de l'époque contemporaine, jusqu'à des pages d'oratorios, telles que d'importants fragments du Judas Macchabée de Hoendel, le grand finale de la Création de Haydn, etc., puis des airs pour une voix seule, des duos, trios, quatuors ; des hymnes de la Révolution, notamment des pages de Gossec ; et encore des choeurs empruntés au répertoire des sociétés chorales et des écoles d'Allemagne et de Suisse ; des exercices de chant, de solfège ; des exemples du style de la musique du seizième siècle ; enfin des compositions nouvelles, parmi lesquelles un assez grand nombre écrites par Wilhem lui-même. Tout cela est pêle-mêle : la plupart des grands choeurs, après avoir été donnés sous leur forme vocale complète (d'ailleurs toujours sans accompagnement instrumental), sont ensuite réduits pour être chantés par des groupes restreints ; d'autres morceaux sont simplement vocalisés sans paroles ; le même air est présenté sous trois ou quatre formes successives ; toutes particularités qui, avec bien d'autres, révèlent des hésitations, bien naturelles dans une oeuvre nouvelle, mais dont il eût été préférable d'épargner la vue au public, et qui, en tout cas, rendent l'usage du recueil moins pratique qu'on ne l'eût pu souhaiter. Il faut avouer, en outre, que la partie littéraire est souvent trop négligée, et que certaines poésies destinées à être chantées sur les harmonies de Gluck et de Mozart évoquent un peu trop souvent le souvenir du mot de Figaro : « Ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante ».

Cependant, malgré ses défauts, le recueil l'Orphéon est un document utile à retenir, dont le point de départ était excellent, et qui, si l'on sait s'y prendre, peut être encore d'un bon exemple. Au point de vue du chant scolaire, il renferme des éléments que ceux qui vinrent après Wilhem surent très bien dégager et dont ils tirèrent parti, soit qu'ils se soient bornés à reproduire tout simplement quelques-uns des choeurs classiques qu'il avait pour la première fois appropriés à l'éducation populaire, soit qu'ils aient cherché aux mêmes sources que lui, c'est-à-dire dans les recueils allemands et suisses auxquels il avait fait les premiers emprunts.

Personne n'ignore, en effet, que la Suisse et l'Allemagne ont dès longtemps devancé la France dans l'oeuvre de l'éducation musicale scolaire et populaire. II était donc tout naturel que les Français se préoccupassent de profiler de l'expérience acquise par leurs voisins. C'est déjà ce qu'avait fait Wilhem en empruntant certaines musiques à leurs recueils pour les adapter à des paroles françaises ; c'est ce que continuèrent ceux qui poursuivirent son oeuvre au point de vue scolaire. C'est ainsi que, dans la ville française des bords du Rhin d'où, en 1792, était sortie, avec l'éclat que l'on sait, l'inspiration de la Marseillaise, Strasbourg, une adaptation analogue fut méthodiquement entreprise par deux hommes appartenant à la carrière de l'enseignement : Delcasso, recteur honoraire, et Gross, professeur de musique à l'école normale de la ville. Leur Recueil de morceaux de chant à l'usage des écoles normales et des écoles primaires, dont le premier volume parut en 1856 (deux autres suivirent en 1859 et 1867), n'est en effet qu'un écho des chants allemands avec lesquels le voisinage avait permis aux auteurs de se familiariser : l'ouvrage se répandit dans les écoles de toute la France, où, pendant quelques années, l'on ne connut guère d'autre répertoire musical.

Un peu plus tard, un éditeur de Paris, sans d'ailleurs rien tenter de vraiment original, s'appliqua à tirer parti des idées qui commençaient à circuler dans le public musical et scolaire, en publiant sous une forme pratique une série de recueils réunissant à la fois les meilleurs choeurs classiques et les adaptations des chants allemands et suisses. Cette compilation, présentée sous un aspect favorable, est connue sous le litre de Recueil Gautier (du nom de l'éditeur) ; elle n'a pas cessé d'être en usage présentement.

Déjà cependant d'autres auteurs, amis de l'enseignement populaire, songeaient à doter les écoles de France de chants faits expressément pour elles. Les meilleurs recueils, parmi ceux qui furent composés d'abord dans cet esprit, furent ceux qui témoignent des moindres prétentions. Nous signalerons par exemple le petit recueil de Laurent de Rillé, dont le caractère enfantin est parfaitement approprié à son objet. A une époque plus récente, quelques auteurs prirent le parti de publier en un seul et même livre, destiné à l'école, la théorie musicale, les exercices de solfège, et les chants scolaires, ces derniers classés dans un ordre progressif. Nous pouvons mentionner en ce genre les volumes de Marmontel et de Claude Augé.

Il convient de citer encore, parmi les recueils qui se sont répandus dans les écoles, les Chansons de l'enfance, poésies de M. Frédéric Bataille, sur des airs populaires arrangés par M. Rougnon.

Après 1870, l'enseignement de la musique à l'école prit peu à peu, et comme spontanément, plus d'extension. Il fut d'abord organisé spécialement à Paris, où, nous l'avons déjà dit, des professeurs spéciaux sont chargés de l'enseignement du chant dans les cours supérieurs à l'école élémentaire. Il en résulta tout naturellement que le répertoire s'enrichit de nouveaux recueils, dus surtout à ceux qui avaient la direction de ces études. Danhauser, inspecteur principal de l'enseignement musical, publia notamment un grand nombre de cahiers de Chants pour les écoles, Chants pour les écoles maternelles, et de choeurs à deux et trois voix. Le progrès qui en résulta fut rapide, et l'on put, dès 1878, voir les enfants des écoles de la ville de Paris se réunir en groupes nombreux pour chanter en choeur, soit dans des réunions organisées pour les faire entendre, soit, publiquement, dans les premières fêtes nationales de la République.

A la vérité, le goût d'un certain éclat factice, propre aux classes semi-populaires qui subissent le contact de la civilisation parisienne, a quelquefois fait dévier ces études de leur véritable but. C'est ainsi qu'à côté des chants vraiment sains et robustes, simples aussi, qui devraient constituer le fond de tout répertoire scolaire, ont pris place trop souvent des compositions prétentieuses, qui ne visent qu'à l'effet, ont pour principal objectif la difficulté vaincue, et dont le but avoué est de valoir à leurs interprètes, au lieu des jouissances intimes que procure la musique, les succès extérieurs, principalement les récompenses dans les concours. Ce n'est pas avoir une ambition moins haute que de souhaiter que le répertoire du chant scolaire ne se trouve pas trop encombré par des productions de cette sorte, car ce serait au grand dommage de l'éducation musicale telle qu'elle doit être donnée au peuple.

Enfin les écoles de toute la France furent appelées à leur tour, par les lois qui organisèrent définitivement l'instruction primaire après 1880, à bénéficier de l'enseignement musical. Nous avons déjà, en quelques lignes de la première partie de cet article, résumé les opinions des hommes qui furent appelés à donner leur avis, et nous avons vu que la question de savoir ce qu'auraient à chanter les enfants des écoles était une de leurs préoccupations dominantes. Ils étaient d'accord sur un point : c'est que tout était à créer. M. Bourgault-Ducoudray, par exemple, exposait des idées que son expérience autant que son sentiment personnel de l'art populaire lui inspirait ; il constatait que le choix des morceaux, pour des enfants qui débutent, a une importance capitale, recommandait aux maîtres de choisir de jolies mélodies pour les faire répéter aux enfants par coeur, à l'unisson, et, précisant sa pensée, disait qu'il faudrait faire figurer dans les recueils enfantins quelques-unes des vieilles mélodies populaires de nos provinces.

Mais, au moment où il traçait ces paroles, où donc était le recueil qui pouvait satisfaire à ces justes prescriptions?

Ce furent des circonstances fortuites qui, plus de dix ans plus tard, permirent de réaliser ce voeu. Il importe de les rappeler brièvement. L'auteur de cet article aura à parler à cette occasion de la composition d'une oeuvre à laquelle il fut associé, avec plusieurs personnes non étrangères à l'élaboration de ce Dictionnaire : il s'efforcera de le faire discrètement et sous la forme la plus impersonnelle possible, désignant chacun par son nom, y compris lui-même.

En 1893, la Correspondance générale de l'instruction primaire avait publié deux articles (dont l'un signé par M. F. Pécaut) où était exprimée de nouveau l'idée qu'un recueil de chants à l'usage des écoles primaires de France était une nécessité qui s'imposait de plus en plus, mais que ce recueil manquait toujours. Vers le même temps, un généreux propagateur de l'idée scolaire, M. A. d'Eichthal, offrit au comité de rédaction de ce périodique une somme d'argent dont il le priait de disposer de la manière qu'il croirait la plus utile pour aider à l'oeuvre de l'éducation morale à l'école. Ce comité, que présidait M. Ferdinand Buisson, résolut de profiter de cette aubaine en ouvrant un concours pour la composition d'un recueil de chants scolaires ; pour l'aider dans sa tâche, il fit appel aux lumières de quelques personnes particulièrement compétentes. Après l'examen de diverses propositions, il s'arrêta à un projet qui lui était soumis par M. Julien Tiersot, et qui consistait (à l'encontre des habitudes des concours analogues, où l'on commence ordinairement par faire composer des poèmes pour les faire mettre ensuite en musique) à faire usage de chants déjà existants, principalement des mélodies populaires des provinces de France, et à y adapter des paroles nouvelles. Cette première matière musicale ayant été préparée par l'auteur de la proposition, le concours fut ouvert, et, à la suite d'opérations qui se terminèrent par une séance à la Sorbonne, sous la présidence de M. O. Gréard, où furent présentés des rapports de MM. Romain Rolland et Lachelier, le prix fut décerné à M. Maurice Bouchor. L'oeuvre ainsi composée devint la première série des Chants populaires pour les écoles (1895), à laquelle s'ajoutèrent deux autres séries (1902, 1907), dues à la même collaboration du poète et du musicien, qui portent à cent le nombre total des morceaux. Les chants sont, en grande majorité (surtout dans les deux premiers volumes), pris au répertoire des mélodies populaires issues du plus profond de l'âme française ; d'autres sont empruntés à des maîtres tels que Méhul, Gossec, Grétry, Rameau, Berlioz, Beethoven même, seul musicien non français qui ait été admis, avec son chant de la Neuvième symphonie, l'Ode à la Joie, celui-ci ayant paru, disait le programme, « ne pas appartenir à une nation déterminée, mais être le chant de l'humanité tout entière ». Enfin quelques chants nouveaux furent composés, dans la forme populaire, par l'auteur de la partie musicale de l'oeuvre : ils figurent dans la deuxième et surtout dans la troisième série. Bien que spécialement destinés à être chantés à l'unisson, tous ces chants ont été écrits et publiés aussi pour être chantés, soit avec accompagnement de piano, soit en choeur à deux ou trois voix égales ; enfin les plus importants ont été transcrits pour choeur à voix mixtes, quelques-uns avec accompagnement soit d'orchestre, soit de musique militaire, et ont pu ainsi avoir les honneurs de l'exécution sait dans les concerts symphoniques de l'Opéra, soit dans des fêtes nationales, réalisant le rêve d'un art intégral, destiné à toutes les classes de la société, depuis les plus éclairées et les plus brillantes jusqu'à celles qui se trouvent être les plus éloignées des centres de l'art et de la civilisation.

La publication de ce recueil a modifié d'une façon assez sensible l'orientation du chant scolaire, et a produit surtout cet heureux résultat que l'on chante aujourd'hui dans les écoles de France plus qu'on ne faisait autrefois. D'autres recueils ont été composés après lui, qui, tout en gardant chacun le caractère particulier qu'ils doivent à la personnalité de leurs auteurs, se sont volontiers inspirés de son exemple. Nous n'en citerons aucun : cette production est trop contemporaine pour pouvoir être considérée dans son ensemble et avec un recul suffisant. Qu'il nous suffise de dire que les élèves de nos écoles ont maintenant à leur disposition un répertoire de chants à leur usage assez abondant et varié pour que l'instruction musicale qui leur est donnée ait un objet direct et facilement réalisable : objet qui n'est pas l'étude d'une froide théorie sans but apparent comme sans emploi immédiat, mais qui consiste à orner leur esprit et enrichir leur mémoire de chants vraiment vivants, capables de leur procurer des impressions musicales salutaires et pures, aussi élevées que possible tout en restant à leur portée, et, s'il se peut, d'en faire rayonner l'influence hors d'eux-mêmes et hors de l'école, dans la famille, jusque dans les réunions populaires et les fêtes publiques, où l'intervention du chant enseigné à l'école ne peut produire que les plus favorables effets.

V. Observations générales. Conclusion. — Ce qui vient d'être dit n'est que l'exposé d'une situation e fait, sans préceptes ni doctrine : on s'est borné à y résumer ce qu'est, à l'heure présente, l'enseignement du chant et de la musique dans les écoles, tout au moins ce qu'il devrait être, et serait en effet, si les programmes étaient suivis. Cette constatation n'est pas inutile, car elle suffit à elle seule à rendre compte des progrès accomplis depuis un nombre d'années en somme assez restreint. On l'observera très distinctement si l'on veut bien comparer cet article, écrit en 1909, avec celui qui fut publié sur la même matière dans la première édition de ce Dictionnaire. Alors, tout était imprécis, par la raison que rien n'existait encore. On y parlait de ce qui se faisait à l'étranger, de ce qui pourrait peut-être un jour se faire en France, du lointain, du passé, de l'avenir ; quant à l'époque contemporaine, elle n'offrait à l'observateur, semblait-il, aucune constatation qui méritât d'être relevée.

Il n'en est plus de même aujourd'hui, on vient de s'en convaincre.

Pour tout dire en deux mots : nous avons pour l'enseignement du chant dans nos écoles des règlements qui sont excellents ; mais il leur manque encore d'être intégralement observés.

La principale difficulté qui s'est opposée jusqu'ici à cette application a été signalée : elle provient de l'instituteur, qui, si dévoué qu'il soit, est trop rarement à la hauteur de sa tâche en ce qui concerne la musique. Nous n'aurions donc, pour l'instant, qu'un seul desideratum à formuler : ce n'est pas qu'il soit fait des réformes, bien que ce soit le grand cheval de bataille du temps présent ; ce n'est pas qu'il soit ajouté de nouveaux règlements aux règlements déjà adoptés, ni qu'il faille renchérir sur aucune des prescriptions en cours : c'est, tout simplement, que les règlements soient suivis. Aboutir à cela serait, soyons-en convaincus, un résultat fort beau, et il ne nous apparaît pas que, pour l'instant, il soit opportun d'ambitionner davantage.

Reviendrons-nous sur la question du principe même qui a déterminé l'introduction de la musique dans l'enseignement à l'école primaire? Ce serait, sans doute, enfoncer une porte ouverte. Non cependant que la nécessité de cet enseignement apparaisse clairement à tout le monde : il ne manque pas, pour la méconnaître encore, de gens qui croient parler au nom de la raison pratique. Pourtant, que l'école ne doive pas se borner à enseigner ce qui est d'une utilité pratique immédiate, c'est ce qui n'a pas besoin d'être démontré ici. « L'homme ne vit pas seulement de pain. — Après le pain, l'éducation est le premier besoin de l'homme. » Ces paroles, d'origines fort diverses en leur quasi-identité (l'une est de Jésus, l'autre de Danton), contiennent le principe de ce que doit être l'éducation intellectuelle et morale donnée au futur citoyen, à quelque classe de la société qu'il appartienne. Or, les arts, ornements de l'esprit, en même temps que représentation pure et désintéressée de l'Idée, doivent en être les facteurs essentiels, — et, parmi les arts, la musique vient la première, parce qu'elle est le plus spontané, le plus directement issu de la nature. Cela est si vrai que l'enfant la pratique instinctivement, la devine, si l'on peut dire, dès ses premiers balbutiements. Nous avons indiqué cela dès les premières lignes de cet article : écoutons maintenant la parole d'un éducateur qui a consacré sa vie à la noble préoccupation de hausser le niveau de l'esprit populaire, M. F. Pécaut. On trouvera ses idées sur cette matière complètement développées dans un autre article (Voir Musique) ; mais nous ne résistons pas au désir d'en reproduire dès maintenant l'énoncé, tant nous le trouvons conforme aux directions que nous voudrions voir donner à l'enseignement général :

« L'enfant chante naturellement ; jusqu'au moment où il entre à l'école. Entre vos mains, hélas! il cesse de chanter ; cette manière d'être, qui était la sienne plus que toute autre, disparaît ; cette expansion libre et spontanée de sa vie s'arrête, et il ne reste plus que le seul labeur de l'intelligence. Qui ne voit le dommage, la perte irréparable? L'école ainsi sevrée de poésie n'est plus qu'un bel atelier d'instruction, où se fabriquent des esprits corrects, mais non des âmes vibrantes. »

Oui, il faut que l'enfant soit admis à se nourrir de cette harmonie qui est un besoin de sa nature, et qui contribuera à façonner son esprit et à le tenir prêt à recevoir les connaissances qui viendront le meubler plus tard. Les chants qu'il apprendra successivement aux différents âges le suivront dans la vie, et ne seront pas sans influence sur la formation de sa personnalité morale.

Des philosophes ont soutenu que la musique est l'essence même de l'âme. Il est bien vrai qu'elle est en contact direct avec elle, et, soit créée, soit perçue, se confond si intimement que la pénétration est souvent parfaite.

Que, d'autre part, elle jaillisse au dehors, et son action sur la collectivité ne sera pas moindre. Tolsteï a défini l'art : « Une des conditions de la vie humaine, — un des moyens qu'ont les hommes de communiquer entre eux ». — « L'art, dit-il en propres termes, est un moyen d'union parmi les hommes, les rassemblant dans un même sentiment, et par là, indispensable pour la vie de l'humanité et pour son progrès dans la voie du bonheur. » Or, il n'est aucun art mieux que la musique auquel puisse s'appliquer cette belle définition, — la musique unie à la poésie, la parole ailée, soutenue par la vibration du chant, et emportant tout à sa suite, comme en un tourbillon.

Car c'est encore un des mérites inappréciables de la musique : non seulement elle vaut par elle-même, mais elle sent sa force redoubler par son alliance avec la poésie, alliance qui est le principe essentiel du lyrisme.

Nulle part son application ne peut être plus méritoire et plus efficace que dans l'éducation de l'enfant.

Le chant est un véhicule d'idées. La parole devient irrésistible quand elle est associée à son accent, à son éclat, à son charme. Les grandes pensées humaines ont toujours trouvé leur expression naturelle en des chants qui souvent ont servi à leur expansion aussi efficacement que des actes. Toutes les religions ont eu à leur usage des hymnes par lesquels la foi s'exprimait et se répandait dans les âmes. D'autres sentiments généreux se sont formulés non moins puissamment dans la langue des sons. Est-il besoin de chercher un autre exemple que celui de la Marseillaise? son rôle dans les combats pour la Liberté n'est point du tout légendaire, car c'est un fait rigoureusement historique que ce chant enflammé eut la plus réelle efficacité pour soutenir les ardeurs et exciter les courages. Et si les accents de l'hymne de guerre, maintenant d'ailleurs transformé en un chant de triomphe, sont devenus hors de saison pour exprimer un nouvel idéal de paix, combien n'en est-il pas d'autres pour remplir le rôle éducatif que nous attendons d'eux? Ce peuvent être des chants où la musique et la poésie s'assortissent pour célébrer l'amour du sol natal, la petite patrie comme la grande, les hommes qui lui ont fait honneur, la beauté de la nature, la noble poésie du travail, — et des sentiments plus intimes, ceux de la famille, l'amitié, la joie intérieure, — sans oublier (car il ne faut pas s'absorber outre mesure dans des contemplations trop austères) de simples chansons de jeu, exprimant le plaisir de vivre, ou tout au moins prenant à tâche de faire oublier pour un temps, à ceux qui peineront, les misères de la vie.

Il est bien vrai que le tableau que nous traçons est fort éloigné de l'idée que trop de gens se font de la nature de l'enseignement musical. Jean-Jacques Rousseau critiquait déjà en son temps ces professeurs pour qui la musique n'est pas l'art des sons, mais « la science des blanches, des noires, des doubles croches ». Hélas! Ils sont devenus légion! Ce n'est pas à ceux-là qu'il faut parler de mélodies populaires: ils les dédaignent bien trop, et disent : « C'est bon pour la province! » Etrange système d'éducation, qui serait risible s'il n'était si fâcheux, et qui ne va pas à moins qu'à croire qu'il y a plusieurs peuples ! Comme si des productions de l’esprit qui, par leurs qualités de vitalité, de sincérité, de franchise, conviennent à l'un ne sauraient être dignes de l'autre !

Il est vrai que l'éclat, si souvent artificiel, de ce qui sort de la capitale a, aux yeux de beaucoup, un prestige éblouissant. Pour ceux-ci, il n'est d'autre musique digne de ce nom que celle qui se chante à l'Opéra ; et si, à leur regret, cette musique est inaccessible à leurs moyens, il faut au moins qu'ils empruntent leur répertoire aux autres théâtres où l'on fait de la musique, lieux d'une civilisation relevée, comme chacun sait. Aussi préféreraient-ils puiser dans les opérettes en vogue les compositions qu'ils destinent à l'éducation populaire ; ou bien, si une certaine respectabilité les retient, ils les demanderont à un répertoire démodé d'oeuvres qui furent à la mode en des temps très lointains, et qui d'ailleurs furent toujours de second ou de troisième ordre.

On sait quel a été le beau résultat de ces idées toutes les fois que des hommes, d'ailleurs pleins de bonnes intentions, s'en sont inspirés pour créer des théâtres populaires. Ils pensaient avoir assez l'ait en mettant le public à l'éducation artistique duquel ils s'intéressaient à même d'entendre des oeuvres portant des noms plus ou moins célèbres, mais usées et abandonnées partout. Ils offraient généreusement au peuple ce qui n'était plus que rebut, et pensaient ainsi contribuer à lui procurer les impressions d'art qui lui conviennent. Est-il besoin d'en dire plus pour faire comprendre que rien n'est plus dangereux et plus condamnable?

Non, l'art destiné au peuple ne doit pas consister en une certaine manière d'accommoder les restes. La vérité, il faut le dire bien haut et ne pas se lasser de le répéter, c'est qu'il n'est rien de trop beau pour le peuple. Son éducation artistique doit être faite dans un esprit très élevé, et ce serait commettre une très grande faute que de venir lui apporter des rognures de notre art, en disant que cela est toujours assez bon pour lui.

Mais, en même temps, il faut bien reconnaître que l'art d'aujourd'hui a des complications qui seraient peu accessibles à des esprits non préparés, et qui, par surcroît, présenteraient pour eux de véritables impossibilités de réalisation. La simplicité des formes est évidemment une condition primordiale de vie pour les oeuvres populaires.

Et c'est là encore que nous nous trouvons en présence d'un nouveau danger. Pour beaucoup encore, la raison d'être de la musique n'est pas d'exhaler, suivant la belle expression de Beethoven, des chants venus du coeur pour retourner au coeur. Son but, d'après eux, serait d'étonner les auditeurs par des prouesses qui leur donnent l'impression de la difficulté vaincue. Nous n'avons pas à rechercher ici si le progrès de la virtuosité est nécessaire au développement de l'art : cela peut être si nous nous plaçons à un point de vue transcendant. Mais nous sommes à l'école élémentaire, où l'enseignement est nécessairement collectif, et d'où les préoccupations de vanité doivent être rigoureusement exclues. Il en faut donc écarter avec soin ces compositions prétentieuses qui veulent passer pour « musique savante », qui en imposent à des auditeurs dont le goût n'est pas suffisamment formé, et ne laissent aucune trace dans l'esprit de ceux qui les chantent. Eh! que nous importe que des enfants soient exercés à des effets de voix, se jouent avec les modulations ou les intervalles compliqués, s'ils n'ont pas à interpréter de vraie musique? Il est vrai qu'avec cette éducation on va dans les concours, et l'on y obtient quelquefois des prix. Mais les concours ont été la perte de l'institution de l'Orphéon, entreprise dans de si bonnes intentions. Que l'école se garde de ce fléau ! Qu'elle laisse résolument de côté tout cet appareil de vanité, qui est de tout point contraire à son principe! Certes, nous ne songeons pas à arrêter dans leur cours les progrès que les enfants peuvent réaliser à l'école dans la technique de la musique. Nous ne savons que trop que ces progrès doivent être poursuivis sans cesse. Mais c'est par les moyens conformes à toute bonne pédagogie qu'ils doivent s'accomplir, c'est-à-dire par l'étude bien entendue de la théorie et du solfège ; quant au chant, il n'en doit être que la résultante et l'application, et devra conserver toujours son caractère désintéressé d'art restant à la portée de ceux auxquels il est destiné.

Sans insister autant, nous voudrions appeler encore l'attention, sinon sur un danger (le mot serait trop fort), du moins sur un défaut d'appropriation auquel on serait tenté de céder en certains milieux, en faisant servir le chant à une sorte d'expérience in animâ vili.

C'est le péché mignon de quelques éducateurs de ne vouloir pas s'en tenir à leur belle tâche, celle de transmettre à leur tour les connaissances qu'ils ont reçues de leurs maîtres, et de prétendre à l'ambition de devenir auteurs. Déjà nous signalions, dans une autre partie de cet article, ce fait qu'après un long temps durant lequel les traités élémentaires de solfège manquèrent complètement, il s'en publie maintenant peut-être en trop grande abondance : cet excès provient de ce que des professeurs de musique pensent se faire honneur en éditant sous leur nom des livres où, il faut bien l'avouer, ils ne font guère que répéter, sous une forme un peu différente, ce qu'ils avaient appris dans les ouvrages de leurs devanciers ; car il n'en peut être autrement, dès qu'il s'agit d'une matière positive et restreinte, dont il n'est pas possible de varier l'exposé à l'infini.

Il en est de même pour le répertoire à chanter. Beaucoup s'ingénient à l'enrichir par leurs productions, si bien qu'en vérité les chants scolaires tendent à devenir les « sonnets d'Oronte » de l'enseignement primaire. Dussions-nous subir le reproche de reprendre pour notre compte le rôle du Misanthrope, nous mettrions, nous aussi, volontiers en garde les auteurs de cette catégorie contre « les démangeaisons qui les prennent d'écrire ». Pour composer même une chanson d'enfants, il faut être poète et musicien : or il est assez rare que nos instituteurs aient acquis ces qualités par une préparation particulière. Qu'ils se gardent de croire que la tâche est facile parce que le résultat doit être simple : on sait de reste que la simplicité, en matière d'art, offre souvent plus de difficultés de réalisation que la plus extrême complexité.

Nous nous reprocherions d'ailleurs de priver des jouissances de la création artistique, fût-elle imparfaite, des personnes assurément de très bonne volonté, si, cette dernière qualité étant généralement plus grande chez eux que le talent, ils ne destinaient leur oeuvre à l'éducation de l'enfance. Il serait à craindre en effet que leur inexpérience en matière de composition se décelât par des hésitations dont il est préférable d'épargner l'embarras aux écoliers.

Donc, il est prudent que, pour la constitution du répertoire vocal de l'école, on s'en tienne essentiellement à la musique des maîtres, autant que celle-ci peut être mise à la portée des élèves à tous les degrés. Cette dernière restriction, il est vrai, diminue considérablement le nombre des oeuvres, signées de noms célèbres, que l'on voudrait pouvoir répandre par l'enseignement populaire. Il n'est que trop certain que les chefs-d'oeuvre de l'art exigent presque toujours pour leur exécution des ressources que ne saurait fournir l'école, même au degré le plus élevé. Les cantates de Bach, basées sur le choral, sont animées d'un souffle tout populaire ; le dernier tableau des Maîtres Chanteurs, de Wagner, avec ses marches de corporations, ses danses, ses hymnes d'enthousiasme et d'allégresse, est un des plus beaux monuments de la lyrique populaire qui aient jamais été construits ; la Neuvième symphonie de Beethoven, avec son finale chanté sur l'Ode à la joie, est un cantique sublime à la fraternité universelle. Mais qui oserait proposer l'exécution dans nos écoles de ces pages immortelles, sous la forme que leur ont donnée leurs auteurs? On ne peut songer à les y faire connaître que par des réductions, dans les cas très rares où ce procédé est applicable.

Et c'est encore un écueil contre lequel on se heurte : n'est-ce pas donner une idée fausse des chefs-d'oeuvre que de les présenter déformés et affaiblis?

Surtout, est-ce rendre un bon office, soit à l'enseignement, soit à la gloire des maîtres, que de chercher à faire connaître ceux-ci en empruntant à leur oeuvre quelques productions secondaires, menue monnaie du génie, n'ayant d'autre qualité que d'être faciles, et ne pouvant donner sur l'art que des idées fausses? Pourtant les recueils scolaires sont pleins de petites compositions, signées des plus grands noms, et qui sont quelquefois authentiques, ou bien d'arrangements qui n'apportent qu'un écho très lointain des originaux D'après lesquels ils sont faits. C'est se payer de mots que de prendre pour du Mozart, du Beethoven, du Gluck, es chansons sous les titres desquelles on lit ces noms, alors qu'il ne s'agit que d'une production d'occasion ou d'un débris arraché a un chef-d'oeuvre. Mieux vaut un chant anonyme apporté jusqu'à nous par une tradition toujours vigoureuse, que tel de ces morceaux à l'apparence trompeuse, et l'enseignement n'a pas à gagner grand chose en répandant ainsi, sous le couvert des grands maîtres, des notions qui, sans être absolument fausses, sont pourtant très éloignées de représenter la vérité dans sa plénitude.

On le voit : les problèmes sont complexes, et innombrables les obstacles qui s'opposent à la réalisation intégrale du programme d'éducation qui voudrait élever le peuple jusqu'à la hauteur des chefs-d'oeuvre. Il ne faut pourtant pas désespérer d'y parvenir. Des efforts redoublés y aboutiront peut-être : la question serait peut-être résolue si, au lieu d'employer vainement ces efforts à la poursuite d'un but toujours lointain, on parvenait à créer le véritable art populaire moderne, inspiré des meilleures traditions de la race, et en même temps adapté à des formes qui, tout en restant accessibles au peuple, ne seraient pas étrangères aux progrès de notre temps.

Qui sait si ce n'est pas de l'école, et de l'enseignement qu'on y donne, que sortira un jour cette rénovation?

En attendant cet avenir, peut-être éloigné, il faut accomplir la tâche quotidienne. Que les enfants de nos écoles apprennent donc de la musique ce que les règlements veulent qu'ils sachent, et qu'ils chantent! Qu'ils aient une provision de chants à leur portée, pour orner et cultiver leur esprit. Car c'est pour eux, ne l'oublions pas, pour eux d'abord, que l'enseignement est donné. Cependant il ne faudrait pas qu'ils jouissent d'un plaisir égoïste : après avoir goûté eux-mêmes aux impressions salutaires que procure la musique, il sera louable qu'ils les fassent partager au dehors. Ainsi, les chants enseignés à l'école pénétreront dans la famille, où ils apporteront un nouvel élément d'harmonie. Enfin, aux jours de fêles publiques, dans les cérémonies nationales et civiques, les voix unies des écoliers s'élèveront en un ensemble à la fois charmant et plein de ferveur, exprimant le sentiment général et collectif, semblant être la voix de la foule, et chantant au nom du peuple entier.

Voilà à quoi doit aboutir l'enseignement du chant à l'école, et cela peut être fait dès aujourd'hui. Quel éducateur, quel citoyen digne de ce nom refusera main tenant de convenir qu'un tel enseignement est bon et salutaire, et ne s'unira à ceux qui ont eu à coeur de l'instituer pour souhaiter qu'il produise le plus promptement possible les heureux résultats que nous augurons pour lui?

Julien Tiersot