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Centrales (École)

 C'est le nom sous lequel furent désignés, de 1794 à 1802, les établissements formant, dans le plan définitivement adopté par la Convention, le second degré de l'instruction publique.

Dès 1792, le girondin Bancal des Issarts avait proposé (discours du 24 décembre) de ne retenir du plan de Condorcet que les établissements du premier degré et ceux du degré supérieur, les écoles élémentaires et les lycées (facultés) ; il voulait qu'on renonçât à créer aux frais de la nation les établissements intermédiaires, écoles secondaires et instituts. Mais tandis que Condorcet n'avait prévu que neuf « lycées » pour toute la France, Bancal voulait qu'il y en eût un dans chaque département, et il lui donnait le nom d'Ecole centrale.

Après le 9 thermidor, le nom proposé par Bancal fut repris par le Comité d'instruction publique, mais appliqué cette fois à des établissements qui correspondaient aux « instituts » de Condorcet. Dans un rapport du 26 frimaire an III, Lakanal exposa le programme de ces écoles : on devait y enseigner la physique, la chimie, l'anatomie, l'histoire naturelle, les belles-lettres, les langues anciennes, les langues modernes, la législation, l'agriculture, le commerce, les arts et métiers, les mathématiques, le dessin : « Voilà, disait-il, les principaux objets d'enseignement qui seront traités avec une certaine étendue dans les nouvelles écoles, que nous nommons centrales, parce qu'elles seront placées au centre des écoles primaires de chaque département et à la portée de tous les enseignés ».

Ce fut le 7 ventôse an III que la Convention adopta le décret relatif aux écoles centrales. En voici le texte :

« CHAPITRE PREMIER. — Institution des écoles centrales.

« ARTICLE PREMIER. — Pour l'enseignement des sciences, des lettres et des arts, il sera établi, dans toute l'étendue de la République, des écoles centrales distribuées à raison de la population ; la base proportionnelle sera d'une école par trois cent mille habitants.

« ART. 2. — Chaque école centrale sera composée :

« 1° D'un professeur de mathématiques ;

« 2° D'un professeur de physique et de chimie expérimentales ;

« 3° D'un professeur d'histoire naturelle ;

« 4° D'un professeur d'agriculture et de commerce ;

« 5° D'un professeur de méthode des sciences ou logique, et d analyse des sensations et des idées ;

« 6° D'un professeur d'économie politique et de législation ;

« 7° D'un professeur de l'histoire philosophique des peuples ;

« 8° D'un professeur d'hygiène:

« 9° D'un professeur d'arts et métiers ;

« 10° D'un professeur de grammaire générale ;

« 11° D'un professeur de belles-lettres ;

« 12° D'un professeur de langues anciennes ;

« 13° D'un professeur de langues vivantes, les plus appropriées aux localités ;

« 14° D'un professeur des arts de dessin.

« ART. 3. — Dans toutes les écoles centrales, les professeurs donneront leurs leçons en français.

« ART. 4. — Ils auront tous les mois une conférence publique sur des matières qui intéressent le progrès des sciences, des lettres et des arts les plus utiles à la société.

« ART. 5. — Auprès de chaque école centrale, il y aura :« 1° Une bibliothèque publique ;

« 2° Un jardin et un cabinet d'histoire naturelle ;

« 3° Un cabinet de physique expérimentale ;

« 4° Une collection de machines et modèles pour les arts et métiers ;

« ART. 6. — Le Comité d'instruction publique demeure chargé de faire composer les livres élémentaires qui doivent servir à l'enseignement dans les écoles centrales.

« ART. 7. — Il sera statué, par un décret particulier, sur le placement de ces écoles.

« CHAPITRE II. — Jury central d'instruction. Professeurs.

« ARTICLE PREMIER. — Les professeurs des écoles centrales seront examinés, élus et surveillés par un jury central d'instruction, composé de trois membres nommés par le Comité d'instruction publique.

« ART. 2. — Le jury central sera renouvelé par tiers tous les six mois. Le commissaire sortant pourra être réélu.

« ART. 3. — Les nominations des professeurs seront soumises à l'approbation de l'administration du département. »

(Les articles 4 à 8 stipulent que, dans le cas de conflit entre le jury et l'administration, le Comité d'instruction publique aura à prononcer.)

« ART. 9. — Le traitement de chaque professeur des écoles centrales est fixé provisoirement à 3000 livres. Dans les communes dont la population s'élève au-dessus de 15000 habitants, il sera de 4000 livres. Dans les communes au-dessus de 60 000 habitants, il sera de 5000 livres.

« ART. 10. — Il sera alloué tous les ans, à chaque école centrale, une somme de 6000 livres pour frais d'expériences, salaire des employés à la garde de la bibliothèque, du cabinet d'histoire naturelle, et pour toutes les dépenses nécessaires à l'établissement.

« ART. 11. — Le Comité d'instruction publique est chargé d'arrêter les règlements sur le régime et la discipline intérieure des écoles centrales.

« CHAPITRE III. — Elèves de la patrie. Prix d'encouragement.

« ARTICLE PREMIER. — Les élèves qui, dans la fêle de la jeunesse, se seront le plus distingués, et auront obtenu plus particulièrement les suffrages du peuple, recevront, s'ils sont peu fortunés, une pension annuelle pour se procurer la facilité de fréquenter les écoles centrales.

« ART. 2. — Des prix d'encouragement seront distribués tous les ans, en présence du peuple, dans la fête de la jeunesse. Le professeur des élèves qui auront remporté le prix recevra une couronne civique.

« ART. 3. — En conséquence de la présente loi, tous les anciens établissements consacrés à l'instruction publique sous le nom de collèges, et salariés par la nation, sont et demeurent supprimés dans toute l'étendue de la République.

« ART. 4. — Le Comité d'instruction publique fera un rapport sur les monuments et établissements déjà consacrés à l'enseignement public des sciences et des arts, comme les jardins des plantes, .les cabinets d'histoire naturelle, les terrains destinés a des essais de culture, les observatoires, les sociétés des savants et artistes, qu'il serait bon de conserver dans le nouveau plan d'instruction nationale. »

Par un arrêté du 22 germinal, le Comité d'instruction publique, interprétant le décret du 7 ventôse, modifia de la sorte les attributions de trois des professeurs établis par ce décret : il arrêta que ce serait le professeur d'histoire philosophique des peuples qui serait chargé de l'enseignement de l'économie politique ; que le professeur de législation enseignerait en outre la morale ; et que le professeur d'hygiène enseignerait en outre l'art des accouchements.

Un décret du 11 ventôse avait ordonné qu'il serait établi cinq écoles centrales à Paris. Le décret du 18 germinal an III détermina le placement des écoles centrales dans le reste de la République, d'après le principe établi par l'article premier du décret du 7 ventôse : une école par trois cent mille habitants. Le département du Nord devait avoir trois écoles ; ceux du Bec-d'Ambès (Gironde), des Côtes-du-Nord, de l'Hérault, de la Manche, du Pas-de-Calais, de Saône-et-Loire, de la Seine-Inférieure et du Var, deux ; et les soixante-dix-sept autres départements, une ; en tout (avec le département de Paris), quatre-vingt-dix-neuf écoles. Un autre décret du même jour décida l'envoi dans les départements de cinq représentants, afin « d'assurer l'exécution des lois relatives à l'instruction publique », c'est-à-dire pour hâter partout la création des écoles primaires et des écoles centrales. Les commissaires, nommés le 21 germinal, furent Barailon, Lakanal, Dupuis, Jard-Panvillier et Bailleul: ils partirent au commencement de floréal, mais, rappelés par un décret du 2 messidor, durent revenir avant la fin de messidor, en sorte que leur mission dura trois mois à peine.

Le jury central d'instruction du département de Paris fut nommé le 10 ventôse par le Comité d'instruction publique, et composé de Laplace, Garat, et l'ex-abbé Barthélémy (remplacé ensuite par Lagrange) ; ce jury élut, dans le courant de germinal, les professeurs affectés aux cinq écoles centrales de Paris ; les locaux destinés à ces écoles, désignés le 8 messidor, furent le bâtiment des Quatre-Nations, le Val-de-Grâce, le bâtiment de la ci-devant Conception Honoré, le ci-devant prieuré Martin, et les ci-devant Jésuites ou Minimes.

Mais, le 6 messidor, Daunou, au nom de la Commission des Onze, lut à la Convention le projet de la nouvelle organisation de l'instruction publique ; ce projet ne prévoyait plus qu'une école centrale pour deux départements : en conséquence, le Comité d'instruction publique fit voter, le 9 messidor, un décret ordonnant que « les travaux relatifs aux dispositions à faire aux bâtiments destinés à recevoir les écoles centrales, et commencés par ordre des représentants du peuple en mission, seraient suspendus ». Le projet du 6 messidor attribuait à chaque école centrale quinze professeurs, et divisait l'enseignement en trois sections ; le jury central d'instruction étant supprimé, les professeurs devaient être nommés et destitués par les administrations de département ; les élèves devaient payer une rétribution annuelle de cent francs, dont moitié devait être répartie entre les professeurs (il n'était pas question d'autre traitement). L'intervention de quelques membres du Comité d instruction publique, de Fourcroy en particulier, réussit à faire modifier, dans un sens plus large, ce projet peu satisfaisant : le jury d'instruction fut rétabli ; un traitement fut attribué aux professeurs ; la rétribution scolaire fut, sinon complètement supprimée, du moins réduite des trois quarts ; enfin, il dut y avoir une école centrale dans chaque département ; en même temps le nombre des professeurs était réduit de moitié (projet du 7 fructidor), mais il fut ensuite fixé à dix (décret du 27 vendémiaire an IV).

L'article 297 de la constitution du 5 fructidor an III s'en tint au principe énoncé dans le projet du 6 messidor ; il est ainsi conçu : « Il y a, dans les diverses parties de la République, des écoles supérieures aux écoles primaires, et dont le nombre sera tel, qu'il y en ait au moins une pour deux départements ».

Le titre II de la loi du 3 brumaire an IV sur l'organisation de l'instruction publique organisa définitivement les écoles centrales. On en trouvera le texte à l'article Convention.

L'article 7 du titre V de la même loi disposa que « la nation accordait à vingt élèves, dans chacune des écoles centrales, des pensions temporaires, dont le maximum serait déterminé chaque année par le Corps législatif ». Ces pensionnaires devaient être nommés par le Directoire exécutif, sur la présentation des professeurs et des administrations de département.

II

Il fallut une année environ, à partir de la promulgation de la loi du 3 brumaire an IV, pour ouvrir dans toute la France les écoles centrales : dans les premiers mois de l'an V (fin de 1796), Paris en possédait deux, et chaque département avait la sienne. Les deux Conseils qui avaient succédé à la Convention s'étaient occupés des moyens pratiques de procéder à l'installation des nouveaux établissements ; par une résolution du 8 messidor an IV, le Conseil des Cinq-Cents avait décidé que les écoles centrales seraient placés dans les bâtiments des anciens collèges, ou, à défaut, dans un local désigné par l'administration départementale au Directoire exécutif. Le Conseil des Anciens sanctionna cette résolution le 25 messidor an IV, après avoir entendu un rapport de Fourcroy, qui avait fait l'éloge de la nouvelle institution en des termes intéressants à reproduire :

« Quatre-vingt-dix écoles centrales semblent tout à coup sortir du néant, et succéder à des collèges où des méthodes encore gothiques se bornaient presque à ressasser pendant de longues années les éléments d'une langue morte, la source, à la vérité, de toutes les beautés littéraires, mais en même temps celle d'une stérile abondance et d'une pédantesque élocution pour le plus grand nombre des jeunes gens qu'on y fatiguait de longues et ennuyeuses répétitions. Ici, au contraire, les langues ne sont qu'un des moindres objets, et peut-être même trop resserrés, de leurs études. On les appelle à des jouissances plus étendues, à des connaissances plus multipliées, à des études plus attrayantes. C'est le spectacle de la nature et de ses créations, c'est la mécanique du monde et la scène variée de ses phénomènes, qu'on offre à leur active imagination, à leur insatiable curiosité. Ils n'auront plus à pâlir sur de tristes rudiments, sur d'insignifiantes et menteuses syntaxes, sur des leçons mille fois rebattues et mille fois oubliées ; on ne bornera plus leurs facultés intellectuelles à la seule étude des mots et des phrases : ce sont des faits, ce sont des choses dont on nourrira leur esprit et dont on ornera leur mémoire. Aux sciences physiques et mathématiques on associera l'exercice si utile qui apprend à représenter sur des plans les objets avec leurs formes, leurs dimensions, leurs positions respective ; on alliera aux langues anciennes l'étude des principales langues vivantes, dont l'insouciante ignorance peut seule méconnaître l'utilité pour le commerce et les négociations. Aux principes et aux exemples de la belle littérature, on associera le mécanisme général des langues ; au lieu de quelques traits de l'histoire grecque et romaine, qui ne donnaient autrefois dans nos collèges qu'une idée confuse de ces deux peuples fameux, et qui semaient dans nos jeunes esprits quelques germes de républicanisme que le despotisme et les habitudes monarchiques devaient bientôt y étouffer ou y comprimer, on offrira à de jeunes républicains là série non interrompue de l'histoire des hommes depuis les temps fabuleux jusqu'aux époques modernes ; on fera germer dans leur âme l'amour de la liberté par les grands exemples des nations qui en ont joui, et l'amour des vertus par ceux des philosophes qui les ont cultivées. La science sociale, l'art de gouverner les hommes par les lois, les rapports des peuples par l'industrie et le commerce, sciences qui se composent réellement de toutes les autres aux yeux des législateurs habiles, feront le complément de cette instruction consacrée à l'adolescence depuis douze ans jusqu'à dix-huit. Tel est l'ensemble de connaissances que doivent embrasser les écoles centrales. Dix professeurs dans chacune sont employés à fournir cette belle carrière, et, en la comparant à celle qu'on faisait naguère encore parcourir aux jeunes gens dans l'âge auquel on veut l'ouvrir aujourd'hui, on reconnaît une grande et utile conception, mise à la place de la mesquine et pédantesque répétition qui caractérisait nos anciens collèges. On conçoit qu'en établissant ces institutions centrales telles que le législateur les a conçues, au lieu de faiseurs d'amplifications, au lieu de présomptueux bavards, ou d ignorants écoliers que nous étions en général en sortant du collège, nos jeunes gens auront l'esprit meublé de connaissances utiles en entrant dans le monde, et qu'ils ne seront plus, comme nous nous rappelons l'avoir été presque tous, obligés de recommencer des études pour rectifier ou perfectionner ce qui était mal appris ou trop superficiellement enseigné. Aussi, sous ce point de vue, la suppression des universités et des collèges qui en dépendaient fut une chose utile, et leur remplacement par les écoles centrales fut une chose grande. »

Cependant, le parti qui regrettait l'ancien régime avait vu d'un mauvais oeil, comme il était naturel, l'établissement des écoles centrales ; et même dans cette partie de la bourgeoisie qui acceptait sans arrière-pensée la constitution républicaine, beaucoup de pères de famille conservaient une certaine défiance à l'endroit de la nouvelle méthode et du nouveau programme d'enseignement. Certains reprochaient aux écoles centrales d'avoir, conformément aux dispositions constitutionnelles sur les cultes, laissé l'instruction religieuse au soin des familles, sans lui faire une place ans le plan d'études ; on regrettait aussi, parait-il, la disparition du système de l'internat, qui était celui des anciens collèges. Quelques-uns trouvaient que la place accordée à l'étude des langues anciennes n'était pas suffisante (Fourcroy l'avait déjà dit), et qu'on les avait sacrifiées aux sciences. On retrouve l'écho de quelques-unes de ces critiques dans une proposition faite au Conseil des Cinq-Cents, au nom de sa Commission d'instruction publique, par Roger-Martin, le 30 floréal an V.

Roger-Martin, qui avait été professeur de physique au collège de Toulouse, proposait une réorganisation du programme des écoles centrales sur les bases suivantes : on eût supprimé les professeurs de langues vivantes, de grammaire générale, et d'histoire ; en retour, trois professeurs, au lieu d'un seul, eussent été affectés à l'enseignement des langues anciennes, ainsi qu'à celui de la langue française, et un professeur à l'enseignement de la logique et de la philosophie spéculative ; en outre, le professeur de législation eût été chargé de faire aussi un cours de morale (c'était un retour à l'arrêté du 22 germinal an III interprétatif du décret du 7 ventôse précédent). La division des cours en trois sections eût été supprimée. On eût établi enfin, auprès de chaque école centrale, un pensionnat où eussent été placés les « élèves de la patrie » ou boursiers, et dans lequel les pères de famille domiciliés dans une commune éloignée auraient pu placer les enfants qu'ils destinaient à suivre les leçons de l'école.

Le projet de la Commission d'instruction publique n'eut pas de suite. Mais, sans qu'une loi eût été votée à cet égard, un certain nombre de départements organisèrent des pensionnats auprès de leur école centrale.

La réaction, sur ces entrefaites, avait gagné du terrain. Le nouveau tiers entré dans les Conseils, à la suite des élections du printemps de l'an V, donna une majorité au parti qui voulait rétablir la monarchie. Pendant quelques mois les institutions républicaines furent sérieusement menacées. Les écoles centrales se ressentirent de cet état de choses : les professeurs furent intimidés ; les familles, s'attendant à chaque instant à voir les écoles fermées, hésitèrent plus que jamais à y envoyer leurs enfants. La journée du 18 fructidor an V délivra enfin la République du complot royaliste, et l'on put espérer que la stabilité du gouvernement républicain, qui semblait désormais assurée, favoriserait la prospérité des écoles centrales : elles achevaient à ce moment leur première année d'existence.

Un curieux article, publié par le Moniteur du 18 brumaire an VI, donne des détails sur la cérémonie de clôture de la première année scolaire des écoles centrales de Paris, qui avait eu lieu le 27 thermidor an V, et sur celle de la réouverture de leurs cours deux mois après, le 1er brumaire an VI. On verra, par les passages de cet article (signé David) que nous reproduisons ci-après, quelle était à ce moment la situation des écoles centrales de la capitale :

« Les écoles centrales [de Paris] ne furent organisées qu'au mois de frimaire an V. Les chaires étaient occupées par les plus habiles professeurs, et pourtant ils ne rassemblèrent autour d'eux qu'un très petit nombre de disciples. N'importe, ils ne perdirent point courage ; ils enseignèrent à quelques jeunes gens les sciences, l'histoire et les belles-lettres, avec autant de zèle qu'ils l'eussent fait pour une nombreuse jeunesse.

« Ces professeurs étaient d'autant plus simples et plus clairs dans leurs leçons, qu'ils étaient plus profonds et plus habiles ; ils créèrent une méthode nouvelle, ou plutôt ils retrouvèrent celle des anciens philosophes qui instruisaient leurs disciples, non par d'ennuyeux sermons, mais par des conversations familières…. Nos professeurs ont senti que l'autorité de ceux qui enseignent nuit souvent à ceux qui veulent apprendre ; et ils se sont dépouillés de cet appareil magistral qui rebute la jeunesse, et qui rend les savants ridicules et leurs leçons inutiles.

« Ce fut le 27 thermidor an V que finit cette première année scolaire, et que l'on distribua les prix. Les deux écoles du Panthéon (depuis le lycée Henri IV) et des Quatre-Nations, les seules en activité jusqu'alors, tinrent à cet effet une séance publique, présidée par les administrateurs du département. Le jury d'instruction, composé des citoyens Lagrange, Laplace et Garat, une députation de l'Institut national, et des membres du Corps législatif, assistaient à cette cérémonie.

« Le président de l'administration centrale ouvrit la séance par un discours sur les bienfaits de l'instruction nouvelle ; mais, comme il était alors [c'est-à-dire dans la période qui précéda le 18 fructidor, lorsque s'étalait au grand jour le complot royaliste] de bon ton de vanter, par-dessus tout, les institutions de nos pères, il fit en passant le panégyrique de l'ancienne Université, que personne ne blâme depuis qu'elle n'est plus, et dont Montesquieu ne faisait point l'éloge dans ses Lettres persanes, lorsqu'elle existait encore.

« Le citoyen Boisjolin (professeur à l'école du Panthéon), nommé par les deux écoles pour faire le discours de clôture, rendit compte de leurs travaux, de la méthode des professeurs et des progrès des élèves. Malgré les circonstances, il n'oublia point qu'il parlait devant des citoyens aux élèves d'une République. L'administration départementale ordonna l'impression de son discours.

« ... Ces premiers succès de l'institution nouvelle laissèrent d'agréables espérances aux amis de la philosophie et de la liberté. Voyons si l'ouverture de la seconde année doit ajouter encore à cet espoir flatteur.

« Une troisième école centrale a été organisée durant l'intervalle des vacances ; et cet accroissement est déjà d'un bon augure, et pour la statibilité de l'institution et pour la propagation des lumières. C'est dans le local de cette nouvelle école [celle de la rue Saint-Antoine, depuis le lycée Charlemagne] que les autres se sont réunies le 1er brumaire, pour célébrer en quelque sorte sa naissance.

« Les autorités constituées, le jury d'instruction, des membres de l'Institut national, les professeurs des écoles centrales, des hommes de lettres, des chefs de pensionnat, des pères de famille, un grand nombre de jeunes gens, étaient réunis dans cette enceinte pour cette cérémonie. »

Le journaliste termine en adjurant les pères de famille, au nom de la République, de recevoir les bienfaits de l'instruction qu'elle leur offre pour leurs fils.

III

Cependant, au sein même du parti républicain, quelques voix adressaient aux écoles centrales le reproche d'être, par l'élévation de leur enseignement, trop éloignées du niveau auquel s'arrêtait l'instruction des écoles primaires. La Commission d'instruction publique du Conseil des Cinq-Cents, dont Roger-Martin était encore le rapporteur, présenta à cette assemblée, en brumaire an VI, un projet instituant des écoles secondaires, intermédiaires entre les écoles primaires et les écoles centrales, et réduisant le nombre de ces dernières à quarante-deux, soit une pour deux départements, ainsi que le permettait le texte de la constitution.

Le représentant Barailon, médecin, ancien conventionnel, prit énergiquement la défense des écoles centrales. Voici les principaux passages de son plaidoyer :

« La Commission objecte, contre les écoles centrales du 3 brumaire, qu'elles n'ont qu'une demi-existence, qu'elles n'ont pu se former ou qu'elles sont peu fréquentées. On se serait épargné ces diverses allégations, si l'on eût bien approfondi notre situation.

« D'abord je me refuse à croire qu'il y ait des départements où elles ne sont point organisées, lorsque de toutes parts on reçoit des témoignages du contraire, lorsque je connais moi-même les travaux et les succès de plusieurs. Il est vrai, à l'égard de certaines, que la malveillance a cherché à les avilir, qu'elle est même parvenue à décourager les professeurs. Il est vrai aussi que dans ces derniers moments des jurys royalistes y ont introduit des ennemis de la constitution, des réfractaires, des ignorants : mais ce n'est là qu'une gangrène partielle, très facile à extirper.

« Reste maintenant à déduire pourquoi elles sont peu fréquentées. Je commence par soutenir que les écoles centrales sont aussi fréquentées qu'elles peuvent l'être, eu égard aux circonstances. » Et Barailon, énumérant les causes qui ont mis obstacle à une plus grande fréquentation, nomme en premier lieu la guerre : « Loin de se fixer sur des livres, les jeunes gens se livraient aux armes ; on ne voyait de toute part que des adolescents, même des enfants, faisant des évolutions militaires ». En second lieu, les pères de famille étaient appauvris, et beaucoup n'ont pu procurer l'instruction à leurs enfants. Troisièmement, les parents n'avaient pas confiance dans l'avenir, « voyant que la faction royale grossissait chaque jour » ils ne voulaient pas faire des frais pour envoyer des jeunes gens à l'école centrale, « sans cesse menacée, et qui sans doute, disaient-ils, n'existera plus dans trois mois ». Enfin, « il faut aussi compter pour quelque chose le peu d'attrait qu'offre toujours un nouveau système d'instruction, surtout quand il est encore peu connu, conséquemment mal apprécié. Il est si difficile de renoncer à ses habitudes, de divorcer avec ses préjugés ! »

Barailon examine ensuite cette autre objection que les enfants ne pouvaient pas être suffisamment préparés à l'école primaire à entrer à douze ans dans la première section de l'école centrale, et argumente ainsi :

« On assure qu'il existe une telle disproportion entre l'école primaire et l'école centrale, que jamais un élève sortant de l'une ne pourra parvenir à l'autre et en suivre utilement les leçons.

« Il ne faut ni beaucoup de savoir, ni un grand effort de génie, pour concevoir que l'enfant qui sait lire, écrire et calculer n'a aucun besoin d'intermédiaire pour apprendre la langue latine, l'histoire naturelle, le dessin.

« Votre Commission ne serait pas mieux fondée quand elle prétendrait que l'élève, âgé de quatorze ans, qui a déjà des notions de la langue latine et de l'histoire naturelle (reçues dans la première section), n'est pas susceptible de comprendre les éléments de mathématiques, de physique et de chimie.

« Enfin la Commission n'oserait prétendre, sans doute, qu'avec toutes les connaissances préliminaires dont on vient de parler, l'élève, alors âgé de seize ans, est incapable de profiter des cours de belles-lettres et de législation.

« Que l'on me démontre donc, s'il est possible, le besoin d'une école intermédiaire entre les primaires et les centrales.

« … Il n'y a donc pas de vide réel entre les écoles primaires et les écoles centrales du 3 brumaire. Les écoles secondaires que l'on présente ne sauraient donc capter les suffrages, ni mériter votre approbation. »

La proposition de la Commission fut effectivement rejetée par les Cinq-Cents (27 brumaire an VI).

Le même jour, le Directoire prenait un arrêté « pour faire prospérer l'instruction publique » : afin de favoriser le recrutement des écoles centrales, cet arrêté stipulait que « tous les citoyens non mariés, et ne faisant point partie de l'armée, qui désireraient obtenir une place ou de l'avancement, seraient tenus de joindre à leur pétition un certificat de fréquentation de l'une des écoles centrales de la République » ; et que « les citoyens mariés qui solliciteraient une place seraient tenus, s'ils avaient des enfants en âge de fréquenter les écoles nationales, de joindre à leur pétition des certificats desdites écoles ».

Il existe dans les papiers de Ginguené (Bibliothèque nationale, département des manuscrits), qui était alors directeur de l'instruction publique, un état des écoles centrales en nivôse an VI.

L'année suivante (19 brumaire an VII), la Commission des Cinq-Cents présentait, par l'organe de Roger-Martin, un nouveau projet, qui maintenait une école centrale dans chaque département, mais qui proposait en même temps, puisque les écoles secondaires avaient été repoussées, d'élever le niveau de l'enseignement dans un certain nombre d'écoles primaires : « Dans quelques points remarquables de chaque département, deux ou trois instituteurs primaires seront réunis dans la même école, afin de donner à leur enseignement un degré d'élévation qu'il ne peut avoir dans les écoles ordinaires ».

Ce projet fut discuté dans plusieurs séances, mais sans que le Conseil prit une résolution. Lorsque l'année suivante le coup d'Etat du 18 brumaire mit fin au régime de la constitution de l'an III, les écoles centrales, qui comptaient alors trois années d'existence, se trouvaient dans la même situation légale qu'au moment de leur première organisation.

IV

Le gouvernement consulaire ne se montra pas d'abord hostile à l'enseignement scientifique et laïque tel que l'avait créé la Convention. Le Conseil d'instruction publique (créé dès le 15 vendémiaire an VII, sous le Directoire, par François de Neufchâteau) avait discuté diverses modifications au plan d'études des écoles centrales, et avait consulté les professeurs de ces écoles à ce sujet : le 16 pluviôse an VIII, il adressa un rapport au ministre de l'intérieur (Lucien Bonaparte) sur le dépouillement de la correspondance des conseils d'administration des écoles centrales. Le plan d'instruction publique présenté au Conseil d'Etat (18 brumaire an IX) par le ministre de l'intérieur Chaptal supprimait il est vrai, les écoles centrales, mais pour les remplacer par 250 écoles d'arrondissement (dites « écoles communales ») ayant à peu près le même programme, et destinées à des élèves de dix à seize ans ; « celles qui existent sous le nom d'écoles centrales, ajoutait le projet, conserveront l'emplacement qui leur est affecté ».

Il est intéressant de connaître le jugement porté par Chaptal sur les écoles centrales. Voici les objections qu'il leur adresse dans l'exposé des motifs de son projet :

« La graduation des études, si nécessaires pour développer par degrés les facultés de l'entendement, n'est point organisée dans les écoles centrales : car on ne peut appeler organisation les dispositions bizarres de la loi qui distribue l'enseignement d'après la seule considération de l'âge.

« L'instruction s'y donne sans surveillance, de sorte que le temps consacré à l'enseignement n'est point tracé ; les élèves n'y sont point soumis à une discipline assez sévère ; et, dans un âge où le besoin de mouvement et l'attrait presque irrésistible des jeux maîtrisent la jeunesse, cette discipline, cette contention forcée, sont la première condition qu'on doit lui imposer pour assurer de bonnes études.

« Les cours des écoles centrales ne sont pas disposés partout d'une manière avantageuse à l'élève, Trop souvent l'heure des leçons et l'époque des cours sont commandées par la seule commodité desprofesseurs. Il en résulte que l'instruction se donne sans ordre et sans suite ; que, dans certaines époques de l'année, les cours sont si nombreux que les élèves ne peuvent pas y suffire, taudis que dans d'autres temps l'école ne présente aucune trace d'enseignement. « L'instruction, telle qu'on la donne généralement, n'est pas proportionnelle à la faiblesse de l'élève, pour qui essentiellement elle est faite. Aussi ne voit-on dans les départements que quelques hommes déjà instruits qui suivent les cours des écoles centrales, de manière que ces écoles sont plutôt des écoles de perfectionnement que des écoles d'instruction première pour les sciences.

« Toutes les parties de l'enseignement n'y reçoivent pas d'assez grands développements. Un seul professeur est destiné à enseigner les langues anciennes, de manière que ses leçons ne peuvent être profitables ni aux personnes instruites qui se perfectionnent dans leurs études, ni à ceux qui commencent. »

Chaptal signale en outre la lacune dont il a déjà été question, et qui paraît avoir été réelle dans la plupart des cas : « Le passage des écoles primaires aux écoles centrales n'est pas rempli par des études intermédiaires, de manière que le jeune homme qui sait lire et écrire ne peut pas profiter de l'instruction qu'on donne dans les écoles centrales ».

Ces remarques sont d'un esprit judicieux, mais elles ne portent pas sur le fond même du système d'enseignement, et il eût été bien facile d'opérer des réformes que demandaient d'ailleurs, avec Chaptal, beaucoup d'amis des écoles centrales, et quelques-uns des professeurs qui y enseignaient, sans supprimer l'institution. On pouvait créer des examens de passage ; les règlements spéciaux, dont la confection avait été laissée par la loi aux administrations de département, pouvaient être révisés de manière à assurer une discipline plus exacte et une meilleure répartition des leçons.

On trouve, par exemple, dans un discours prononcé à la distribution des prix des écoles centrales du département de la Seine, le 29 thermidor an VIII, par Lacroix, membre de l'Institut et professeur de mathématiques à l'école centrale des Quatre-Nations, un examen détaillé des critiques adressées aux écoles, et l'indication des réformes qu'il serait possible d'y introduire.

Dellard, professeur de physique et de chimie à l'école centrale de Seine-et-Oise, proposait aussi, dans une brochure publiée en l'an IX, un certain nombre d'améliorations de détail à opérer ; mais, somme toute, déclare-t-il, l'enseignement des écoles centrales vaut mieux que celui que donnaient les collèges. « Que si l'on reproche à ces écoles un trop grand luxe pour la fin qu'elles doivent atteindre, je répondrai : Lisez ce qu'on a dit plus haut sur les diverses branches d'instruction qu'elles embrassent, et nommez ensuite celle qui vous paraîtra superflue. Que si l'on objecte que la population de chaque département n'est pas assez considérable pour fournir à son école un concours d'élèves qui puisse occuper tous les maîtres, je répondrai encore : Aux élèves de l'école centrale, ajoutez tous ceux que les institutions particulières lui dérobent et vous verrez si, pour lors, celle du plus petit département n'a pas de la peine à suffire pour ses besoins. » Il faut donc, non pas détruire les écoles centrales, mais les perfectionner, les aider à lutter contre la concurrence des institutions particulières. « Je ne puis terminer sans rappeler à ceux qui crient sans cesse contre nos écoles modernes, que, s'il faut en croire la renommée, un roi non moins éclairé que puissant a désiré de voir dans ses Etats l'instruction publique se modeler sur nos lois à cet égard : par quelle fatalité bizarre porterions-nous donc la hache sur des établissements que nos voisins envient? On cherche, dites-vous, vainement autour d'eux les fruits qu'on s'en était promis ; soit, cette infécondité est malheureusement trop réelle en quelques lieux ; mais l'amélioration et non la destruction, voilà ce que la sagesse commande. »

Mais le retour à la tradition d'avant 1789, à la discipline monacale ou militaire de l'internat, à la prépondérance donnée à l'élude du latin, était déjà décidé dans la volonté du Premier Consul ; les écoles centrales, où vivait encore l'esprit des encyclopédistes et de la Révolution, ne pouvaient continuer à subsister sous un régime tel que celui que Bonaparte travaillait à imposer à la France. En l'an X. un nouveau projet de loi sur l'instruction publique fut présenté au Corps législatif et au Tribunat : ce projet instituait les « écoles secondaires » repoussées tour à tour par la Convention et les Cinq-Cents, et créait comme troisième degré d'enseignement, en remplacement des écoles centrales, des « lycées », au nombre de trente. « A mesure que les lycées seront organisés, disait le projet, le gouvernement déterminera celles des écoles centrales qui devront cesser leurs fonctions. »

Dans la discussion du projet au Tribunat et au Corps législatif, la plupart des orateurs, tout en acceptant le projet du gouvernement, payèrent un juste tribut d'éloges aux écoles centrales. Ainsi le tribun Jacquemont, rapporteur, dit au Tribunat : « Le nombre des élèves de ces écoles, dans ces dernières années, s'était considérablement augmenté. L'ordre des études et la matière de l'enseignement s'étaient fixées, et l'administration avait pris d'elle-même une marche exacte et régulière. » Jard-Panvillier, ancien conventionnel, délégué par le Tribunat pour discuter le projet de loi devant le Corps législatif, s'exprima en ces termes au sujet de la « lacune » dont on avait si souvent parlé : « S'il existait, par le fait, une lacune entre les écoles primaires et les écoles centrales, on pouvait facilement la remplir sans créer d'autres établissements que ceux qui avaient déjà été formés par la loi. Il suffisait pour cela d'élever un peu l'enseignement dans les écoles primaires des villes, et de le rendre plus élémentaire dans les écoles centrales. Si cela n'a pas été fait, on ne peut l'imputer qu'à la négligence des administrations de département, qui étaient autorisées par la loi à faire tous les règlements relatifs aux écoles primaires et centrales. » Il manifesta le regret de voir remplacer une centaine d'écoles centrales par trente lycées seulement : « Il en résultera que, dans la plupart des départements, des enfants seront obligés d'aller chercher au loin l'enseignement assez étendu dont les écoles centrales leur offrent aujourd'hui l'avantage. »

Seul le conseiller d'Etat Roederer, directeur de l'instruction publique et l'un des orateurs du gouvernement, osa critiquer la pensée même qui avait donné naissance aux écoles centrales, et faire l'éloge des anciens collèges. « Le système d'instruction publique qui nous a donné, en l'an IV, les écoles centrales, — dit-il dans un discours au Corps législatif, — a fait tout le contraire de ce qu'indiquait la nature des choses. Dans ce système, peu ou point d'enseignement littéraire, partout des sciences. Tandis que, d'un côté, les écoles centrales accordaient à peine un cours à l'étude des langues anciennes, première base de toute éducation libérale, de l'autre elles semblaient avoir entrepris de peupler la France d'encyclopédies vivantes. Il y avait plus de sagesse à cet égard dans le système des anciens collèges ; de ces collèges par où ont passé, d'où nous sont venus tous les grands hommes des deux siècles qui viennent de s'écouler : là le fond de l'instruction était l'étude des langues anciennes, l'art d'exprimer ses pensées en prose, en vers ; l'art de conduire son esprit dans la recherche de la vérité. »

Une des raisons qui avaient éloigné des écoles centrales une partie de la population, c'est que l'enseignement religieux ne figurait pas dans leur programme. Le nouveau projet du gouvernement consulaire ne contenait également aucune disposition relative à l'enseignement de la religion dans les lycées. Sans doute Bonaparte, qui venait de rencontrer une si vive opposition dans les assemblées délibérantes à l'occasion du Concordat, avait voulu éviter de faire publiquement, et dans le corps même de la loi sur l'instruction publique, une nouvelle concession au clergé. Au Tribunat, un membre d'opinion monarchiste, Daru, s'étonna que le projet « ne fit aucune mention des idées de religion à donner aux enfants » ; mais sa voix n'eut pas d'écho.

La loi fut votée par le Corps législatif (11 floréal an X), après que le premier orateur du gouvernement, le conseiller d'Etat Fourcroy, eut déclaré que les écoles centrales auraient, si la difficulté des temps ne s'y fût opposée, « entièrement rempli le but que la philosophie avait marqué dans leur création », et ajouté que « c'était véritablement une amélioration de ces écoles qui se présentait dans les lycées » ; après que Roederer eut rappelé, également au nom du gouvernement, que « l'instruction publique et la religion sont et doivent être deux institutions différentes », et que l'Etat ne pouvait faire donner l'enseignement religieux dans les écoles nationales, parce que « il aurait fallu mettre un enseignement pour chaque culte avoué par l'Etat dans chaque école, et en écarter les enfants dont les parents sont attachés à un autre culte ».

Mais, quelques mois plus tard, un arrêté (19 frimaire an XI) fut pris par les consuls pour régler l'organisation de l'enseignement dans les lycées. L'article 1er disait:: « On enseignera essentiellement dans les lycées le latin et les mathématiques » ; et l'article 28 et dernier était ainsi conçu : « II y aura un aumônier dans chaque lycée ».

V

L'histoire des écoles centrales n'a pas encore été faite, et nous ne pouvons indiquer aucun ouvrage qui mérite d'être consulté sur ce chapitre intéressant de l'évolution de notre instruction publique. Quelques monographies seulement ont été publiées. En outre, la première édition de ce Dictionnaire contenait, dans quelques-uns des articles consacrés aux départements, un certain nombre de renseignements que nous résumons ci-après.

L'école centrale de la Côte-d'Or, à Dijon, fut prospère, comme l'atteste une délibération du Conseil général de l'an VIII, concernant le budget de l'école centrale (dont la dépense s'élevait à 35 075 fr.) ; il y est dit : « Dijon possède une école centrale dont la réputation attire une foule d'élèves des départements voisins ». L'école fut fermée le 1er brumaire an XII et remplacée par un lycée.

Dans le Doubs, un Mémoire statistique rédigé par le préfet Jean De Bry (Imprimerie impériale, an XII), constate que l'école centrale de Besançon, où affluaient de nombreux élèves, a eu le plus grand succès. Le dépôt des livres de Besançon comptait plus de 200 000 volumes imprimés ou manuscrits, provenant des bibliothèques des établissements religieux, des émigrés, etc. ; « et, en attendant le classement de cet immense dépôt, on a établi provisoirement, près de l'école centrale, une bibliothèque composée de 10 000 volumes choisis. ; on en a laissé l'entrée libre au public, trois fois par semaine, le matin et l'après-midi ; elle a été très fréquentée, surtout par les nombreux élèves de l'école centrale. »

L'école centrale de l'Eure, à Evreux, fut au nombre des meilleures de France. On y doit signaler le premier essai, à nous connu, de deux institutions qui, de nos jours, sont entrées dans les moeurs : celle des voyages scolaires et celle des colonies de vacances. Le règlement du pensionnat annexé à l'école disait que « les élèves du pensionnat de l'école centrale qui auront remporté des prix devront parcourir, pendant les vacances, les endroits du département les plus intéressants par leur situation, par l'antiquité des monuments qu'ils renferment, par les manufactures qui s'y trouvent et par le genre de culture dont on s'occupe en ces endroits ». La relation du premier voyage fait par ces jeunes gens, pendant les vacances de l'an VIII, a été publiée en un volume par les soins du Conseil de l'instruction de l'école (Voyage des élèves du pensionnat de l'école centrale de l'Eure dans la partie occidentale du département, pendant les vacances de l'an VIII, avec des observations, des notes et plusieurs gravures relatives à l'histoire naturelle, l'agriculture, les arts) etc. ; Evreux. J.-J.-L. Ancelle, imprimeur, an X ; 1 vol. in-12 de 179 p.). Les touristes étaient au nombre de dix-sept, accompagnés des directeurs du pensionnat, d'un des professeurs de l'école et d'un membre du jury d'instruction. Deux journées de marche les conduisirent sur le territoire de la commune de Conteville, où ils établirent leur campement au confluent de la Risle et de la Seine : ils avaient emporté une tente et quelques instruments destinés à des observations scientifiques. Les élèves visitèrent plusieurs établissements industriels, et se firent expliquer les procédés de fabrication ; ils recueillirent des minéraux, des plantes, des insectes, des animaux marins, pour le musée de l'école ; ils prirent des notes sur les monuments historiques ; ils dessinèrent des sites, des objets d'histoire naturelle, firent des observations barométriques, etc. Après quinze jours employés à des excursions et à des études de divers genres, ils rentrèrent à Evreux, « animés d'un nouveau zèle et pénétrés de reconnaissance », et munis d'un certificat du maire de Conteville attestant que, pendant leur séjour dans cette commune, les élèves de l'école centrale s'étaient conduits « avec honneur et dignité ». En l'an IX, un second voyage fut accompli dans les mêmes conditions et avec le même succès, mais le récit n'en a pas été publié, croyons-nous.

Sur l'école centrale du Lot-et-Garonne, le rapport publié en l'an X sur la situation du département par le citoyen Pieyre fils, préfet, s'exprime ainsi : « L'école centrale occupe l'ancien évêché d'Agen, édifice superbe et vaste ;, l'enseignement est confié à des professeurs d'un talent reconnu et bien capables de remplir les intéressantes fonctions dont ils sont chargés. Les cours de dessin, de mathématiques, d'histoire naturelle et de législation sont les plus suivis. Le nombre des élèves pour toute l'école est en ce moment de quatre-vingts à cent. »

Le préfet de la Lozère, dans un rapport publié en l'an X, constate l'insuccès de l'école centrale dans ce département : « Un établissement d'instruction publique d'un mode supérieur, écrit-il, est en activité depuis quelques années à Mende. Le succès n'a pas répondu aux espérances qu'on en avait conçues ; la plupart des cours ont été déserts ou peu fréquentés ; nombre d'obstacles y ont concouru : 1° Le défaut d'écoles primaires ; ce sont elles qui doivent servir de premier échelon pour arriver aux écoles centrales ; 2° la prévention du public contre ce dernier établissement ; 3° la versatilité dans la législation, relativement au mode d'instruction publique, alternative décourageante pour les professeurs chargés de l'enseignement et même pour les parents. »

En Maine-et-Loire, l'école centrale fut installée, à Angers, dans te bâtiment de l'ancien collège d'Anjou ; elle subsista huit années, avec une moyenne annuelle de 150 à 200 élèves, et fut transformée en lycée en l'an XII.

Le nombre des élèves qui suivaient les différents cours de l'école centrale de l'Oise, à Beauvais, était en l'an IX le suivant : chimie, 25 ; histoire, 2 ; belles-lettres, 6 ; dessin, 60 ; législation, 10 ; mathématiques, 12 ; histoire naturelle, 9 ; langues anciennes, 30 ; grammaire générale, 12.

Sur l'école centrale du Rhône, à Lyon, le préfet Verninac écrivait dans un rapport publié en l'an X : « L'école centrale, de sa nature, doit mettre le sceau à l'instruction ; mais les élèves, en petit nombre, qui la fréquentent/ne sont point assez forts pour recevoir les leçons trop substantielles qu'on y donne, parce qu'ils n'ont point été préparés dans les écoles secondaires. Les professeurs sont pleins de zèle et de lumières, et plusieurs d'entre eux sont des savants et des littérateurs distingués. »

Le département du Tarn nous montre l'école centrale en concurrence avec un établissement particulier d'origine ecclésiastique, l'école de Sorèze. Le préfet, Lamarque, s'exprime ainsi en l'an IX : « Les établissements qui présentent aujourd'hui à l'instruction les ressources les plus étendues sont sans contredit l'école centrale et l'école de Sorèze. L'école centrale ne compta d'abord qu'un petit nombre d'élèves ; en l'an VII elle en avait 200 environ, dont quelques-uns furent reçus à l'Ecole polytechnique. L'école de Sorèze est l'établissement d'éducation le plus considérable qui existe dans les départements méridionaux, et peut-être dans toute la République : il a près de 400 élèves et 60 instituteurs de tout genre ; dans le plan d'instruction qu'on y suit, on embrasse à la fois les sciences, les belles-lettres, les arts et la gymnastique. »

En Vendée, en l'an IX, le Conseil général émet le voeu suivant : « L'école centrale, placée à Luçon, est peu suivie ; quatre chaires seulement sont en activité ; elle ne compte en tout que 50 élèves. La supprimer, et substituer à l'école centrale quatre écoles intermédiaires placées à Fontenay, à Luçon, à Montaigu et aux Sables. »

Enfin, clans la Vienne, en l'an IX, le Conseil général est, au contraire, optimiste : « L'école centrale de Poitiers voit tous les ans augmenter le nombre de ses élèves : il est aujourd'hui de 400. On le doit au zèle et à l'intelligence des professeurs. Elle a fourni des sujets distingués à l'Ecole polytechnique. Les enfants et les parents sont jaloux de l'instruction. »

Après l'adoption de la loi du 11 floréal an X, les écoles centrales disparurent successivement. En ce qui concerne Paris et les départements avoisinants, 1 arrêté qui les supprima est du 23 fructidor an XI (10 septembre 1803) ; il porte ce qui suit : « Dans le cours de l'an XIII, il sera établi à Paris trois lycées à la place des trois écoles centrales actuelles. Les trois écoles centrales de Paris, les écoles centrales de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, d'Eure-et Loir, de l'Yonne et de l'Aube seront fermées à dater du 1er vendémiaire an XIII. Les fonds des écoles centrales supprimées par le présent arrêté seront affectés à l'entretien des lycées de Paris. »

« Les écoles centrales — a dit Eugène Despois dans un livre remarquable (le Vandalisme révolutionnaire) — ont duré trop peu de temps pour qu'on puisse apprécier exactement leur utilité et leurs services. Attaquées avec fureur dès leur début par les ennemis bientôt enhardis de la Révolution, menacées sans cesse dans leur existence, elles ont succombé sous l'accusation de n'avoir pas réussi : ce crime leur a été surtout reproché par ceux qui avaient tout fait pour les empêcher de réussir. A l'époque où cette imputation nouvelle fut dirigée contre elles avec un ensemble et une émulation de haine qui indiquaient assez les vues secrètes de leurs adversaires, au début du Consulat, elles trouvèrent des défenseurs sérieux et convaincus qui montrèrent les résultats obtenus en moins de six années, et prouvèrent qu'indépendamment du mérite des méthodes et des innovations utiles, elles avaient dans bien des villes mieux réussi que les anciens collèges. Ainsi, à Besançon, l'école centrale comptait 500 élèves, tandis que le collège n'en avait jamais eu plus de 300 dans son état le plus florissant. Mais elles étaient condamnées et devaient disparaître pour faire place à une restauration à peu près complète de l'enseignement tel qu'il était avant 1789. Le temps s'est chargé de les justifier, en ramenant lentement, et malgré bien des obstacles, dans l'enseignement des lycées, les éludes diverses que les écoles centrales avaient eu le mérite d'inaugurer les premières, et que la réaction consulaire et impériale avait supprimées. »