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Carnot (Lazare Hippolyte)

 Fils du précédent, né à Saint-Omer le 18 thermidor an IX. En 1815, il suivit son père en exil, et il ne rentra en France qu'en 1823. Il s'était destiné au barreau, mais renonca à cette carrière à cause de l'obligation du serment de fidélité à la dynastie. Il prit place dans les rangs de l'opposition qui luttait contre les Bourbons, et fut l'un des rédacteurs de la Revue encyclopédique, le recueil libéral fondé par Jullien (de Paris). Devenu membre de l'école saint-simonienne, il collabora au Producteur, puis au Globe ; mais, en 18.31, il se sépara d'Enfantin, avec Jean Reynaud, Edouard Charton et quelques autres. Il a expliqué ainsi cette rupture : « Attachés au saint-simonisme pendant sa première période, on nous y qualifiait de chrétiens, de républicains, parce que nous protestions sans cesse contre l'exagération du principe d'autorité tel que le comprenait cette société ; nous avons brisé avec elle lorsque les droits de la famille et de la propriété nous ont semblé n'y pas être assez respectés ». Il continua d'abord à écrire dans la Revue encyclopédique, dont il devint le directeur, voyagea à l'étranger, puis entra dans la vie politique en 1839 comme député de Paris. Réélu en 1842 et en 1846, il fit partie de l'opposition radicale. Toutefois, en 1847, on le vit disposé à des concessions : dans une brochure, Les Radicaux et la Charte, il recommanda un rapprochement entre l'opposition républicaine et la gauche dynastique. Lorsque le gouvernement de Louis-Philippe eut été renversé par une révolution populaire, son esprit de conciliation ne l'abandonna pas ; il a raconté lui-même que le 24 février, ayant rencontré Odilon Barrot au ministère de l'intérieur, il chercha à le persuader d'accepter un siège dans le gouvernement provisoire : « Pénétré d'estime personnelle pour le chef de la gauche dynastique, et plein de confiance dans la loyauté de sa parole, j'insistai vivement auprès de lui pour le rattacher à la cause qui venait de triompher ». Odilon Barrot refusa, alléguant qu'il ne serait pour le nouveau gouvernement qu'un obstacle : « Laissez-moi, dit-il, rentrer dans l'obscurité, au moins pour quelque temps » (on sait qu'il devait reparaître en scène dix mois plus tard comme garde des sceaux du président Louis Bonaparte).

Le gouvernement provisoire qui venait de se constituer à l'hôtel de ville offrit à Hippolyte Carnot le ministère de l'intérieur ; il refusa, mais accepta celui de l'instruction publique, auquel on joignit les cultes, qui jusqu'alors avaient relevé du ministère de la justice. Le nouveau ministre appela auprès de lui, comme ses principaux collaborateurs, Jean Reynaud et Edouard Charton, deux anciens saint-simoniens comme lui : Charton devint son secrétaire général ; Reynaud, refusant toute fonction officielle, se contenta de consacrer à la République « l'abondance de ses vues ». Les trois amis considéraient la Révolution de février comme « un triomphe nouveau du spiritualisme, entrant dans la pratique sociale par le règne des grandes maximes de liberté, d'égalité, de fraternité ». Si Carnot avait souhaité que les cultes fussent réunis à l'instruction publique, c'est que non seulement il n'avait aucun sentiment d'hostilité à l'égard de l'Eglise, mais qu'il croyait voir dans une étroite alliance de la République et du clergé la meilleure garantie du progrès. « J'ai moi-même, a-t-il écrit, le sentiment religieux trop profondément gravé au coeur pour ne pas être et pour ne pas vouloir que l'on soit autour de moi plein de déférence à l'égard des ministres de toutes les religions. » Et encore : « Mes efforts constants ont eu pour but de rattacher le clergé inférieur à la République. Le ministre de la religion et le maître d'école sont à mes yeux les colonnes sur lesquelles doit s'appuyer l'édifice républicain. » A l'égard du socialisme, qui, de février à juin 1848, joua le premier rôle dans les préoccupations publiques, il s'exprime ainsi : « Nous repoussons les systèmes socialistes comme erronés et dangereux, au risque d'être accusés de pur libéralisme, parce que, selon nous, ils font de l'homme un esclave de l'Etat: mais, au risque d'être appelés socialistes à notre tour, nous voulons que l'Etat agisse en père de famille à l'égard de tous ses enfants qu'il leur donne éducation et assistance ». Et plus loin : « Peut-être avons-nous entrevu plus rapidement que d'autres le danger des conférences du Luxembourg, par l'habitude que nous avions des questions sociales. Reynaud en fut frappé tout d'abord, et il alla plusieurs fois trouver Louis Blanc pour essayer de le retenir sur cette pente dangereuse. Mais ses représentations furent vaines : le navire était lancé, un naufrage seul pouvait désormais l'arrêter. »

Dès le 27 février, dans une circulaire aux recteurs, Carnot marquait l'intention d'améliorer la condition du personnel enseignant primaire : « La condition des instituteurs primaires est un des objets principaux de ma sollicitude... C'est à eux que sont confiées les bases de l'éducation nationale. Il n'importe pas seulement d'élever leur condition par une juste augmentation de leurs appointements ; il faut que la dignité de leur fonction soit rehaussée de toute manière... Il faut qu'au lieu de s'en tenir à l'instruction qu'ils ont reçue dans les écoles normales primaires, ils soient constamment sollicités à l'accroître... Rien n'empêche que ceux qui en seront capables ne s'élèvent jusqu'aux plus hautes sommités de notre hiérarchie. Leur sort quant à l'avancement ne saurait être inférieur à celui es soldats ; leur mérite a droit aussi de conquérir des grades... Mais, pour que tous soient animés dans une voie d'émulation si glorieuse, il est nécessaire que des positions intermédiaires leur soient assurées. Elles le feront naturellement par l'extension que doit recevoir dans les écoles primaires supérieures l'enseignement des mathématiques, de la physique, de l'histoire naturelle, de l'agriculture. Les instituteurs primaires seront donc invités, au nom de la République, à se préparer à servir au recrutement du personnel de ces écoles. Tel est un des compléments de l'établissement des écoles normales primaires. L'intérêt de la République est que les portes de la hiérarchie universitaire soient ouvertes aussi largement que possible devant ces magistrats populaires. »

Une circulaire du 28 février exposa, dans ses grandes lignes, le programme du ministre et de ses collaborateurs ; elle « déroule les principes généraux de notre entreprise », dit Carnot. On y lisait : « Les lois de l'instruction primaire nous sont toutes tracées dans les immortelles déclarations de nos pères. L'instruction primaire embrasse toutes les connaissances nécessaires au développement de l'homme et du citoyen. La définir ainsi, c'est dire combien elle doit s'élever au-dessus de son état actuel. C'est assez dire aussi que la République ne saurait souffrir sans dommage qu'un seul de ses enfants en fût privé. Elle est donc gratuite dans toute son étendue. — Il est nécessaire, dans l'intérêt de la société, qu'un certain nombre de citoyens reçoive des connaissances plus étendues que celles qui suffisent pour assurer le développement de l'homme. C'est à quoi répondra l'établissement de l'instruction secondaire. Le gouvernement républicain se propose de recruter ces agents si essentiels dans la masse du peuple. Il faut donc veiller à ce que les portes de l'instruction secondaire ne soient fermées à aucun des élèves d'élite qui se produisent dans les établissements primaires. Toutes les mesures nécessaires à cet égard seront prises. — C'est dans les écoles supérieures seulement que le principe de la spécialité, prudemment préparé dans les autres, doit se dessiner tout à fait. L'accès aux leçons de ces écoles ne peut être défendu à personne ; mais c'est en vue des élèves dignes de servir aux intérêts généraux qu'elles doivent être instituées. Il n'y a que la décision des examens qui puisse y conférer tous les droits. — Un des devoirs nouveaux les plus considérables que la révolution qui vient de s'accomplir impose désormais à notre ministère, c'est la formation des administrateurs et des hommes d'Etat. Il est essentiel à la République que…. ses administrateurs et ses hommes d'Etat soient formés aussi par une éducation spéciale. D'ailleurs, sous le régime de l'égalité, il ne saurait y avoir d'autre titre aux fonctions publiques que le mérite. Il faut donc que ce mérite soit mis en demeure de se produire dès l'ouverture de la carrière, et qu'il en soit justifié publiquement par des examens. »

Le 5 mars, un décret fixa au 9 avril la convocation des assemblées électorales pour la nomination, par le suffrage universel, de l'Assemblée constituante. « Chacun des ministres dut aussitôt, dans la sphère de ses attributions, travailler à éclairer les citoyens sur l'exercice de leurs droits » ; et H. Carnot, dans une circulaire aux recteurs datée du 6 mars, dit comment il comprenait, en cette circonstance, le rôle auquel étaient appelés les instituteurs. Aucune partie de l'instruction primaire, écrit-il, n'a été plus négligée, sous les précédents gouvernements, que la formation des enfants comme citoyens. Aussi, beaucoup des électeurs que le décret du gouvernement provisoire vient d'investir du droit de suffrage ne sont-ils pas, surtout dans les campagnes, suffisamment instruits des intérêts de la chose publique ; il importe de remédier promptement à ce grave défaut, et le ministre espère y réussir, avec le concours des recteurs : « Excitez autour de vous les esprits capables d'une telle tâche à composer en vue de vos instituteurs de courts manuels, par demandes et par réponses, sur les droits et les devoirs des citoyens. Veillez à ce que ces livres parviennent aux instituteurs de votre ressort, et qu'ils deviennent entre leurs mains le texte de leçons profitables. C'est ce qui va se faire à Paris sous mes yeux ; imitez-le. Que nos 36 000 instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l'instruction publique devant la population des campagnes. Puisse ma voix les toucher jusque dans nos derniers villages! Je les prie de contribuer pour leur part à fonder la République. Il ne s'agit pas, comme du temps de nos pères, de la défendre contre le danger de ses frontières, il faut la défendre contre l'ignorance et le mensonge, et c'est à eux qu'appartient cette tâche. Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France. Une révolution ne doit pas seulement renouveler les institutions, il faut qu'elle renouvelle les hommes. On change d'outil quand on change d'ouvrage. C'est un principe capital de politique. » Mais les instituteurs ne doivent pas seulement, en éclairant les électeurs, leur enseigner à choisir les représentants les plus capables de consolider le régime démocratique ; ils peuvent faire davantage : « Pourquoi nos instituteurs primaires ne se présenteraient-ils pas, non seulement pour enseigner ce principe, mais pour prendre place eux-mêmes parmi ces hommes nouveaux? Il en est, je n'en doute pas, qui en sont dignes : qu'une ambition généreuse s'allume en eux ; qu'ils oublient l'obscurité de leur condition ; elle était des plus humbles sous la monarchie ; elle devient, sous la République, des plus honorables et des plus respectées... Qu'ils viennent parmi nous, au nom de ces populations rurales dans le sein desquelles ils sont nés, dont ils savent les souffrances, dont ils ne partagent que trop la misère. Qu'ils expriment au sein de la législature les besoins, les voeux, les espérances de cet élément de la nation si capital et si longtemps délaissé. Tel est le service nouveau que, dans ce temps révolutionnaire, je réclame du zèle de Messieurs les instituteurs primaires. »

C'étaient là des paroles comme la France n'en avait pas entendu depuis l'an II. Elles causèrent une émotion profonde ; elles mirent la flamme au coeur de tout ce qu'il y avait de jeune et de généreux dans le personnel enseignant primaire, en même temps qu'elles produisaient dans le camp des conservateurs la plus vive irritation. Léon Faucher écrivait, le 7 mars, à un ami : « Lisez la circulaire de Carnot aux recteurs. C'est le chef-d'oeuvre de la folie! »

L'appel du ministre pour la composition de manuels sur les droits et les devoirs du citoyen fut entendu. Dans plusieurs académies, les recteurs firent rédiger et publier des catéchismes d'enseignement civique. A Paris, l'historien Henri Martin fit paraître un Manuel de l'instituteur pour les élections ; le philosophe Charles Renouvier publia, sous les auspices du ministre, un Manuel républicain de l'homme et du citoyen: ces deux ouvrages furent envoyés d'office aux recteurs, et distribués par leurs soins.

Le 8 mars, un décret du gouvernement provisoire créa, sous le nom d'Ecole d'administration, l'institution qu'avait annoncée Carnot dans sa circulaire du 28 février ; elle fut installée dans l'ancien collège du Plessis ; les élèves furent tenus de suivre les cours du Collège de France, répétés ensuite et commentés par des maîtres de conférences. Cette école ne survécut pas au ministre qui l'avait fondée.

En vue de la préparation d'une nouvelle loi sur l'instruction primaire, et de la recherche des solutions à apporter aux questions nouvelles qui surgissaient, Carnot institua une Haute Commission des études scientifiques et littéraires, dont la présidence fut donnée à Jean Reynaud, et où il fit entrer « les hommes les plus notables et les plus amis du progrès dans les sciences, dans les lettres, dans l'administration, et surtout dans l'enseignement ». Parmi les noms des quarante-cinq membres de cette Commission, on peut relever ceux de Béranger, de Boussingault, de Burnouf, de Cochin, de Cormenin, de Cournot, de Drouin de Lhuys, d'Elie de Beaumont, de Guigniaut, de Leclerc, de Henri Martin, de Pompée, de Poncelet, de Quicherat, d'Edgar Quinet, de Charles Renouvier, de H. Sonnet.

En préparant le projet de loi sur l'instruction primaire, la Haute Commission jugea qu'il était à propos de n'y pas faire entrer ce qui touchait aux salles d'asile. Un rapport de son président au ministre, du 25 avril, dit à ce sujet : « La Haute Commission ne se dissimule pas la profonde différence qui doit séparer ce genre d'institution de celui des écoles primaires. La charge de l'Etat, en ce qui concerne l'instruction publique, doit aller sans cesse en augmentant, tandis qu'à l'égard des salles d'asile, dans l'opinion de la Haute Commission, la charge de l'Etat devrait tendre au contraire à aller sans cesse en se restreignant. Mais, en attendant, il faut bien s'appliquer à ce qui n'a que le caractère de remède avec le même zèle qu'à ce qui est revêtu d'un caractère organique définitif. Nous souhaiterions qu'on pût considérer les salles d'asile comme le domicile de la meilleure des mères. Aussi, renonçant bien volontiers à ce nom de Salle d'asile, qui semble rappeler des idées de misère et d'aumône, la Haute Commission vous recommande-t-elle unanimement le nom si doux d'Ecole maternelle, où se peint si bien l'esprit nouveau, et que vous aviez vous-même relevé avec satisfaction dans une lettre de Mlle Marie Carpantier. C'est assez vous dire que la Haute Commission vous adresse toutes les assurances de son zèle à vous seconder dans une entreprise aussi utile que le perfectionnement de ces petites écoles, et particulièrement dans tout ce qui concernera l'Ecole spéciale de perfectionnement que vous vous proposez d'instituer à Paris. »

A la suite de ce rapport fut pris l'arrêté du 28 avril, qui fit des salles d'asile, « improprement qualifiées établissements charitables par l'ordonnance du 22 décembre 1837 », des établissements d'instruction publique sous le nom d'écoles maternelles, et qui institua à Paris une « Ecole maternelle normale », recevant des élèves âgées de vingt à quarante ans.

Carnot avait été élu le 23 avril membre de l'Assemblée constituante. Lorsque la Commission exécutive eut remplacé le gouvernement provisoire (10 mai), il conserva son portefeuille ; mais la Commission, « afin de renforcer l’élément révolutionnaire », lui adjoignit Jean Reynaud, élu aussi représentant, comme sous-secrétaire d'Etat : « Je connaissais la modération réelle de ses principes, écrit Carnot ; il connaissait la fermeté des miens ; nous rîmes ensemble du rôle qu'on prétendait lui assigner ». Charton, devenu également membre de l'Assemblée, donna sa démission de secrétaire général ; mais il continua ses bons offices sans titre officiel.

Parmi les actes de Carnot dans cette seconde période de son ministère, il faut mentionner le dépôt, le 3 juin, d'un projet de décret ouvrant un crédit de 995 000 francs, destiné à augmenter, pour le second semestre de 1848, le traitement de ceux des instituteurs primaires dont le traitement fixe et éventuel demeurait inférieur à six cents francs ; et un second crédit, de 105 000 francs, destiné à secourir, dans le courant de 1848, les institutrices communales dont les traitements fixe et éventuel demeuraient inférieurs à quatre cents francs (le décret fut voté le 7 juillet). Citons aussi l'arrêté du 8 juin, qui institua à Paris des lectures publiques du soir, « destinées à populariser la connaissance des chefs-d'oeuvre de notre littérature nationale». Elles devaient avoir lieu deux fois par semaine, « dans différents locaux situés, autant que possible, au sein des quartiers les plus populeux de Paris » ; les lecteurs désignés par l'arrêté furent Stanislas David, Jacques, Feugère, Girard, Riaux, et Emile Souvestre.

La rédaction de la loi d'instruction primaire se poursuivait avec activité dans le sein d'une réunion peu nombreuse, chargée de coordonner les travaux préparés par la Haute Commission. Elle fut achevée dans le courant de juin ; mais le dépôt du projet, retardé par les événements, ne put avoir lieu que le 30 juin. L'exposé des motifs s'exprime ainsi :

« Citoyens représentants, la différence entre la République et la monarchie ne doit se témoigner nulle part plus profondément, dans le domaine de l'instruction publique, qu'en ce qui touche les écoles primaires. Puisque la libre volonté des citoyens doit désormais imprimer au pays sa direction, c'est de la bonne préparation de cette volonté que dépendront à l'avenir le salut et le bonheur de la France.

« Le but de l'instruction primaire est ainsi nettement déterminé. Il ne s'agit plus seulement de mettre les enfants en mesure de recevoir les notions de la lecture, de l'écriture et de la grammaire ; le devoir de l'Etat est de veiller à ce que tous soient élevés de manière à devenir véritablement dignes de ce grand nom de citoyen qui les attend. L'enseignement primaire doit, par conséquent, renfermer tout ce qui est nécessaire au développement de l'homme et du citoyen, tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir. En même temps qu'il faut introduire dans cet enseignement une plus grande somme de connaissances, il faut aussi le faire concourir plus directement à l'éducation morale, et particulièrement à la consécration du grand principe de la fraternité que nous avons inscrit sur nos drapeaux et qu'il est indispensable de faire pénétrer et vivre partout dans les coeurs pour qu'il soit véritablement immortel. C'est là, citoyens, que l'enseignement primaire vient se joindre à l'enseignement religieux, qui n'est pas du ressort des écoles, mais auquel nous faisons un appel sincère, à quelque culte qu'il se rapporte, parce qu'il n'y a point de base plus solide et plus générale à l'amour des hommes que cette qui se déduit de l'amour de Dieu.

« L'établissement de la République, en donnant à l'enseignement primaire cette tendance nouvelle, commandait aussi, comme conséquences naturelles, deux mesures importantes, qui sont de rendre cet enseignement gratuit et obligatoire. Nous le voulons obligatoire, parce qu'aucun citoyen ne saurait être dispensé, sans dommage pour l'intérêt public, d'une culture intellectuelle reconnue nécessaire au bon exercice de sa participation personnelle à la souveraineté. Nous le voulons gratuit, par là même que nous le voulons obligatoire, et parce que sur les bancs des écoles de la République il ne doit pas exister de distinctions entre les enfants des riches et ceux des pauvres.

« Nous vous demandons de proclamer la liberté de l'enseignement, c'est-à-dire le droit de tout citoyen de communiquer aux autres ce qu'il sait, et le droit du père de famille de faire élever ses enfants par l'instituteur qui lui convient. Nous considérons la déclaration de ce droit comme une des applications légitimes et sincères de la parole de liberté que notre République a jetée au monde avec enthousiasme,... Il nous a même semblé que ce ne serait pas un des moindres moyens de relever les écoles publiques que de laisser un plein essor aux écoles privées, à condition que dans cette carrière d'émulation il ne manquât aux premières aucune chance favorable…. En un mot, citoyens, l'idée d'après laquelle nous nous sommes dirigés a été l'union continuelle du principe de l'autorité avec celui de la liberté….. C'est dans cette conciliation entre deux principes également respectables que consiste tout l'esprit de la loi que nous avons l'honneur de vous soumettre. »

Voici le texte du projet de loi :

« PROJET DE LOI

« sur renseignement primaire.

« TITRE Ier. — Dispositions générales.

« ARTICLE PREMIER. — L'enseignement primaire comprend :

« 1° La lecture, l'écriture, les éléments de la langue française, les éléments du calcul, le système métrique, la mesure des grandeurs, des notions élémentaires sur les phénomènes de la nature et les faits principaux de l'agriculture et de l'industrie ; le dessin linéaire, le chant, des notions élémentaires sur l'histoire et la géographie de la France ;

« 2° La connaissance des devoirs et des droits de l'homme et du citoyen ; le développement des sentiments de liberté, d'égalité, de fraternité ;

« 3° Les préceptes élémentaires de l'hygiène, et les exercices utiles au développement physique.

« L'enseignement religieux est donné par les ministres des différents cultes.

« ART. 2. — L'enseignement primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes.

« ART. 3. — Il est donné dans les écoles publiques, dans les écoles privées, et dans l'intérieur des familles.

« ART. 4. — Les écoles primaires publiques sont celles où l'enseignement est donné par l'Etat.

« ART. 5. — Les écoles privées sont celles qui sont établies librement par les particuliers.

« ART. 6. — Dans les écoles publiques, l'enseignement est gratuit.

« TITRE II — De la condition des instituteurs et institutrices.

« ART. 7. — Dans toute école publique, l'instituteur est nommé par le ministre de l'instruction publique, sur la présentation du conseil municipal.

« Le conseil municipal choisit le candidat qu'il présente sur une liste de trois candidats désignés par le Comité central.

« Si les formalités ci-dessus n'ont pas été accomplies dans le délai d'un mois, le ministre nomme d'office sur l'avis du recteur.

« ART. 8. — Nul ne peut être nommé instituteur s'il n'est âgé de dix-neuf ans accomplis, et pourvu d'un certificat d'aptitude.

« ART. 9. — Il y a quatre classes d'instituteurs.

« La promotion d'une classe à l'autre peut avoir lieu sans que l'instituteur change d'école. Elle est arrêtée par le ministre, en considération du mérite et de l'ancienneté, sur le rapport du recteur.

« Dans chaque département, sur 100 instituteurs,

10 sont de 1re classe

20 — 2e

30 — 3e

40 — 4e

« ART. 10. — Le traitement de l'instituteur est payé par l'Etat. « Il est ainsi réglé :

4° classe…………………………600 francs

3° classe…………………………800 —

2° classe………………..………1000 —

1re classe………………….……1200 —

« Dans les communes au-dessus de 5000 âmes, l'instituteur reçoit, en outre, une indemnité basée sur le chiffre de la population, dans les proportions ci-après :

De 5000 à 10 000 âmes. . 200 francs

De 10 000 à 20 000 âmes. . 400 —

De 20 000 à 40 000 âmes. . 800 —

De 40 000 à 60 000 âmes. . 1200 —

De 60 000 et au-dessus. . 1800 —

« ART. 11. — L'instituteur a droit à une pension de retraite, calculée sur le traitement, dans les mêmes conditions que les autres fonctionnaires de l'instruction publique.

« ART. 12. — Tout citoyen nommé instituteur ou instituteur adjoint est dispensé du service militaire, s'il contracte l'engagement de se vouer à l'instruction primaire pendant dix ans.

« ART. 12 bis. — Nul instituteur ne peut exercer d'autres fonctions, sans l'autorisation du recteur.

« ART. 13. — L'instituteur ne peut être suspendu ou révoqué que dans les cas et aux conditions indiquées ci-après.

« ART. 14. — L'instituteur adjoint est nommé directement par le ministre.

« Il doit remplir les conditions d'âge et d'aptitude mentionnées dans l'article 8. Il a droit au traitement d'instituteur de 4e classe.

« ART. 15. —Les articles 7, 8, 9, 11, 13 et 14 sont applicables aux institutrices et institutrices adjointes.

« Les traitements, pour les institutrices, sont fixés ainsi qu'il suit :

4e classe……………………...……500 francs.

3e classe………………………...…700 —

2e classe………………………...…800 —

1re classe…………………………1000 —

« L'indemnité allouée à l'institutrice dans les communes au-dessus de 5000 âmes est égale aux deux tiers de celle qui est accordée à l'instituteur.

« TITRE III. — Des écoles primaires. « CHAPITRE I". — Des écoles primaires publiques.

« ART. 16. — Il y a, dans toute commune dont la population excède trois cents âmes, au moins une école primaire publique.

« Toute école de plus de cent cinquante élèves peut être divisée ou recevoir un ou plusieurs instituteurs adjoints ou institutrices adjointes.

« Le ministre en décide sur le rapport du Comité central.

« ART. 17. — Dans les communes où l'école des garçons n'est pas séparée de l'école des filles, les travaux spéciaux aux filles se font sous la direction d'une maîtresse désignée et révocable par le Comité central. Il est alloué à cette maîtresse une indemnité annuelle de cent francs.

« ART. 18. — Les communes doivent fournir et entretenir, tant pour la tenue des écoles que pour le logement des instituteurs ou institutrices, des locaux conformes aux règlements de salubrité, arrêtés par l'autorité publique.

« Un préau et un jardin sont joints à chaque école.

« ART. 19. — Les communes dont la population n'excède pas trois cents âmes peuvent être autorisées par M. le ministre de l'instruction publique à se réunir à une ou plusieurs communes voisines pour entretenir une école.

« En cas de contestation sur celle des communes où l'école doit être placée, le préfet décide, sur l'avis du Comité central.

« ART. 20. — Le matériel des écoles, le chauffage, l'éclairage, les livres et les fournitures scolaires sont à la charge des communes et mises au nombre de leurs dépenses obligatoires.

« CHAPITRE II. — Des écoles privées.

« ART. 21. — Toute personne, pourvue du certificat d'aptitude, qui veut diriger une école primaire privée en fait la déclaration au recteur de l'académie et au maire de la commune, qui accusent réception dans les huit jours. L'école ne peut être ouverte qu'un mois après la déclaration faite à la mairie.

Cette déclaration doit contenir les nom, prénoms, âge de la personne qui veut ouvrir l'école, l'indication des professions qu'elle a exercées depuis dix années et des localités où elle a résidé dans le même intervalle.

« Elle demeure affichée, pendant trois mois, à la mairie de la commune.

« ART. 22. — Aucune école privée ne peut réunir des enfants des deux sexes.

« ART. 23. — Toute école privée qui aura été ouverte sans la déclaration préalable prescrite par l'article 21, ou à la suite d'une déclaration fausse, sera immédiatement fermée et ne pourra être ouverte de nouveau sans l'autorisation expresse du recteur. "

« Il en sera de même de toute école privée dont l'entrée aura été refusée à un inspecteur de l'instruction publique, à un membre ou à un délégué des Comités.

« Toute école où les règlements de salubrité, arrêtés par l'autorité publique, ne seront pas observés pourra être fermée.

« ART. 24. — Toute personne tenant une école privée pourra être, sur la demande du recteur ou du Comité central, traduite, pour cause d'inconduite ou d'immoralité, devant le tribunal civil de l'arrondissement et interdite de l'exercice de l'enseignement, à temps ou à toujours.

« L'appel devra être interjeté dans le délai de dix jours, à compter de la notification du jugement ; il ne sera pas suspensif.

«ART. 25. — Nul ne peut tenir école s'il a été condamné à des peines afflictives ou infamantes ; s'il a été condamné pour vol, escroquerie, banqueroute, abus de confiance ou attentat aux moeurs, ou s'il a été privé par jugement de tout ou partie des droits civils, civiques ou de famille.

«Nul ne peut, sans l'autorisation du ministre, tenir école dans la commune où il a été révoqué comme instituteur d'une école publique.

« TITRE VI. — De l'obligation.

« ART. 26.— Tout père, dont l'enfant âgé de dix ans accomplis est signalé par la notoriété publique comme ne fréquentant aucune école et ne recevant pas l'instruction primaire, est tenu, sur l'avertissement du maire, de le présenter à la commission d'examen scolaire.

« ART. 27. — Si l'enfant n'est pas présenté, ou s'il est constaté qu'il ne fréquente aucune école et ne reçoit aucune instruction, le père pourra être cité, à la requête de la commission d'examen, devant le juge de paix et condamné à la réprimande. Le jugement sera affiché à la mairie pendant un mois.

« ART. 28. — Si la commission d'examen constate, l'année suivante, qu'il n'a pas été tenu compte de la réprimande, le père sera cité devant le tribunal civil de l'arrondissement et pourra être condamné à une amende de vingt francs à cinq cents francs et à la suspension de ses droits électoraux, pendant un temps qui ne pourra être inférieur à un an ni excéder cinq ans.

« La peine cessera de droit lorsque la commission aura constaté que l'enfant a reçu l'instruction primaire.

« ART. 29. — Les mêmes dispositions sont applicables aux tuteurs.

« TITRE V. — Des autorités préposées à l'instruction primaire.

«ART. 30. — La surveillance des écoles est exercée :

« 1° Par un comité communal ;

« 2° Par un Comité central placé au chef-lieu d'arrondissement ;

« 3° Par un Conseil de perfectionnement placé au chef-lieu du département ;

« 4° Par les inspecteurs de l'instruction primaire.

« CHAPITRE Ier. — Des Comités et du Conseil de perfectionnement.

« ART. 31. — Le comité communal est composé du maire de la commune où l'école est située, président de droit du comité, et de quatre membres au moins ou douze au plus. Le nombre des membres est déterminé par le préfet.

« Ces membres sont élus, moitié par le conseil municipal ou les conseils municipaux des communes réunies, moitié par le Comité central.

« L'instituteur ne peut faire partie du comité communal.

« ART. 31 bis. — Le comité est renouvelé en même temps que le conseil municipal de la commune.

« Il se réunit au moins une fois par mois.

« Le comité s'adjoint, pour les affaires relatives à l'enseignement des filles, une ou plusieurs déléguées qui, pour ces affaires, assistent aux séances avec voix délibérative.

« ART. 31 ter. — Le comité communal veille à la bonne tenue et à la salubrité des écoles publiques, et fait connaître au Comité central leur état et leurs besoins.

« Il surveille les écoles privées.

« Il tient la liste des enfants de la commune en âge de recevoir l'instruction primaire.

« ART. 32. — Le Comité central est composé du préfet ou du sous-préfet, présidents de droit, et de dix membres nommés moitié par le Conseil général du département, moitié par le ministre de l'instruction publique.

« Le Comité est renouvelé en même temps que le Conseil général.

« Le Comité nomme dans chaque canton au moins un délégué permanent, et désigne un médecin chargé de la surveillance sanitaire des écoles du canton. Il peut aussi, pour des missions spéciales, nommer des délégués ou déléguées. Tout délégué a droit d'assister aux séances avec voix délibérative pour les affaires concernant sa mission.

« ART. 33. — Le Comité central concourt à la nomination des instituteurs et institutrices, conformément a l'article 7. « Il prend part à leur jugement selon le mode indiqué ci-après.

« Il surveille les écoles de l'arrondissement et adresse, chaque année, un rapport sur les écoles au Conseil de perfectionnement.

« ART. 34. — Le Conseil de perfectionnement est composé du préfet, président, de deux membres du Conseil général désignés par ce Conseil, de l'inspecteur supérieur délégué par le recteur, des inspecteurs d'arrondissement, du directeur de l'école normale, d'un délégué de chaque Comité central.

« Le Conseil de perfectionnement se réunit tous les ans sur la convocation du préfet.

« ART. 35. — Le Conseil de perfectionnement délibère sur les moyens de perfectionner l'enseignement primaire dans le département.

« Il adresse, chaque année, au ministère et au Conseil général du département, des rapports détaillés sur l'état des écoles de son ressort.

« CHAPITRE II. — Des inspecteurs de l'instruction primaire.

« ART. 36. — Il y a, dans chaque arrondissement, au moins Un inspecteur primaire nommé par le ministre.

« Les inspecteurs primaires d'arrondissement sont de trois classes.

« Sur 10 inspecteurs,

2 sont de 1re classe

3 — 2e

5 — 3e

« Leur traitement est ainsi réglé :

3e classe…………………………1500 francs

2e classe…………………………1800 —

1re classe…………………………2000 —

« Il leur est accordé, dans les villes au-dessus de 40 000 âmes, une indemnité ainsi réglée :

De 40 000 à 60 000. . …… 500 francs

De 60 000 et au-dessus. . 1000 —

A Paris…………………..1500 —

« Il leur est alloué, en outre, des frais de tournée. Ils ont droit à la retraite.

« Les inspecteurs de 3e classe sont exclusivement choisis par le ministre parmi les instituteurs de 1re classe, les divers fonctionnaires de l'instruction publique, ayant au moins cinq années de service, les citoyens ayant appartenu, pendant cinq ans au moins, à un Comité central comme membres ou comme délégués, les instituteurs privés ayant dix ans d'exercice.

« Les inspecteurs des deux autres classes sont choisis parmi les inspecteurs de la classe immédiatement inférieure.

ART. 37. — Les inspecteurs d'arrondissement doivent visiter, deux fois par an au moins, toutes les écoles de leur ressort.

« Ils ont droit d'assister à tous les comités, et ces comités peuvent être convoqués extraordinairement sur leur demande.

« ART. 38. — Il y a, dans chaque académie, au moins un inspecteur supérieur de l'instruction primaire.

« Les inspecteurs supérieurs sont assimilés aux inspecteurs d'académie.

« Le ministre les choisit exclusivement parmi les inspecteurs d'arrondissement et les directeurs d'école normale.

« Ils sont chargés de l'inspection supérieure de l'instruction primaire, dans le ressort de l'académie. « ART. 39. — Il y a, près le ministre de l'instruction publique, quatre inspecteurs généraux de l'instruction primaire.

« Ils sont assimilés aux inspecteurs généraux de l'instruction publique « Ils sont choisis, moitié au moins, parmi les inspecteurs supérieurs de l'instruction primaire.

« Chaque département sera visité, tous les ans, par un inspecteur général au moins.

« Les inspecteurs généraux sont chargés de faire un rapport au ministre sur l'état de l'instruction primaire dans la République. Ils lui signalent les enfants dignes d'être adoptés par l'Etat.

« CHAPITRE III. — Des Commissions d'examen.

« ART. 40. — Une ou plusieurs commissions sont instituées dans chaque département pour examiner les aspirants au certificat d'aptitude exigé par l'article 8.

« Ces commissions sont composées du recteur ou d'un inspecteur supérieur de l'instruction primaire désigné par lui, président, et de huit membres nommés pour trois ans, moitié par le ministre de l'instruction publique, moitié par le Conseil général du département.

« Les examens ont lieu publiquement et à des époques déterminées par le ministre de l'instruction publique.

« Pour l'examen des aspirantes, la commission s adjoint deux examinatrices qui ont voix délibérative.

« Les aspirants ou aspirantes peuvent choisir la commission devant laquelle ils se présentent.

« ART. 41. — Une commission d examen scolaire se réunit tous les ans dans chaque commune. Elle est composée du maire, président ; des membres du comité communal, du délégué cantonal, et de l'inspecteur de l'instruction primaire de l'arrondissement ou d'un examinateur spécial désigné par le recteur.

« Cette commission est chargée de délivrer à tous les enfants qui en sont jugés dignes les certificats d'instruction primaire.

« TITRE VI. — Des peines et des récompenses.

« ART. 42. — Les peines des instituteurs sont :

« 1° La réprimande simple ;

« 2° La réprimande avec privation d'une partie du traitement ;

« 3° La révocation.

« L'instituteur, après trois ans d'exercice, n'est passible de ces peines que dans les cas et avec les formes qui suivent.

« ART. 43. — En cas de faute grave ou de négligence habituelle, l'instituteur peut être cité devant le Comité central, soit d'office, soit sur la plainte d'un inspecteur ou du comité communal.

« Le Comité central, après avoir instruit l'affaire, peut le condamner à la réprimande ou le renvoyer devant le Conseil académique, s'il est d'avis qu'une peine plus grave doit être appliquée.

« L'instituteur condamné à la réprimande avec privation d'une partie du traitement ou à la révocation a toujours droit de se pourvoir, dans le délai d'un mois, devant le ministre, qui prononce en dernier ressort, en Conseil de l'instruction publique. Le pourvoi n'est pas suspensif.

« ART. 44. — L'instituteur, pendant les trois premières années d'exercice, et l'instituteur adjoint, sont révocables par le ministre, sur la plainte du Comité central ou celle du recteur.

« ART. 45. — Les récompenses des instituteurs sont :

« 1° La promotion à une classe ou à un emploi supérieurs ;

« 2° Les distinctions honorifiques décernées par le ministre, sur le rapport du Conseil de perfectionnement.

« ART. 46. — Les mêmes dispositions sont applicables aux institutrices et institutrices adjointes.

« TITRE VII — Mesures transitoires.

« ART. 47. — Le ministre de l'instruction publique, dans le délai de trois mois, présentera à l'Assemblée ou déterminera par des règlements, dans la limite de ses attributions, toutes les mesures transitoires nécessaires à l'exécution de la présente loi. » Ce projet fut renvoyé à une Commission spéciale, composée de Jules Barthélémy Saint Hilaire, président, Jules Simon, secrétaire, d'Aragon, Boulay (de la Meurthe), de Charençay, Conty, Th. Dufour, Gavarret, Lagarde, Landrin, Rouher, Salmon, Germain Sarrut, Sauvaire-Barthélemy, Wolowski.

C'était au lendemain des sanglantes journées de Juin que Carnot parlait à l'Assemblée du « grand principe de la fraternité ». Il avait approuvé sans réserve toutes les mesures de répression prises contre le prolétariat de Paris. Dans la brochure apologétique qu'il a consacrée à son ministère (août 1848), après avoir rappelé qu'il avait voulu accorder une « récompense morale » à l'Ecole normale supérieure en faisant endosser à ses élèves un uniforme, « un vêtement moitié civil, moitié militaire, en harmonie avec nos moeurs nouvelles qui font de chaque citoyen un soldat de la liberté », il ajoute : « L'Ecole normale a dignement inauguré son nouvel uniforme par son zèle pour la défense de l'ordre en juin », Néanmoins, lorsque le général Cavaignac, devenu chef du pouvoir exécutif, dut former son ministère, la majorité qui l'avait porte au pouvoir chercha à éliminer Carnot. Mais le nouveau président du Conseil invita le ministre de l'instruction publique à conserver son portefeuille, en lui disant : « Il ne me convient pas de faire une concession à un parti qui veut décimer les républicains ».

Quelques jours plus tard, toutefois, la réaction trouva le moyen d'éloigner un ministre qui la gênait. Le 5 juillet, le représentant Bonjean (plus lard président de chambre à la Cour de cassation sous l'Empire) interpella le ministre de l'instruction publique au sujet du Manuel de Charles Renouvier, publié sous ses auspices, et prétendit que cet ouvage prêchait le communisme. « Ce livre — a écrit H. Carnot — contenait, en effet, quelques phrases malsonnantes. Il fut aisé de les mettre en saillie devant une assemblée qui ne connaissait pas le reste, et de lui faire croire que l'ouvrage entier était rempli de pareilles phrases. C'est ainsi que l'on fit passer pour communiste un travail très opposé au communisme, ce que les auteurs de l'accusation devaient savoir parfaitement. » (Voir Renouvier.) L'Assemblée vota, à onze voix de majorité, un blâme au ministre, et Carnot remit sa démission à Cavaignac, qui le remplaça par Achille de Vaulabelle. « Quand je déposai ma démission entre les mains de Cavaignac, — raconte Carnot, — il me dit de son accent ferme et loyal : « Vous serez remplacé par un « ministre qui marchera sur la même ligne, ou je me « retire avec vous ». Il a tenu parole. » Ainsi, s'il fallait s'en rapporter au jugement de Carnot lui-même, rien n'aurait été changé par sa retraite et par la nomination de Vaulabelle.

La Commission à laquelle avait été renvoyé le projet Carnot fut amenée, au cours de son examen, à le remplacer par une proposition de loi beaucoup plus étendue, en cent et un articles, qui porte la date du 15 décembre 1848. Mais M. de Falloux ayant retiré, le 4 janvier 1849, le projet Carnot, la Commission fut dissoute le même jour. Son président, Barthélémy Saint-Hilaire, publia toutefois au Moniteur (21 avril 1849), en la faisant précéder d'un volumineux rapport, la proposition de loi qu'elle avait élaborée. (Voir Barthélémy Saint-Hilaire.)

Hippolyte Carnot échoua aux élections générales de mai 1849 ; il entra néanmoins à l'Assemblée législative lors d'une élection partielle, le 10 mai 1850. Après le coup d'Etat de Louis Bonaparte, il fut élu en février 1852 au Corps législatif comme député de Paris, avec Cavaignac : mais tous deux refusèrent le serment. Elu de nouveau à Paris en juin 1857, il continua à s'abstenir ; mais en juin 1863, élu pour la troisième fois, il consentit à prendre part, comme les autres députés de l'opposition, aux travaux parlementaires. Aux élections générales de 1869, il échoua contre Gambetta, dont la candidature lui fut opposée ; aux élections complémentaires de novembre, il échoua encore contre Rochefort.

Le 8 février 1871, il entra à l'Assemblée nationale comme député de Seine-et-Oise, et le 16 décembre 1875 fut nommé par cette assemblée sénateur inamovible : il siégea au Sénat sur les bancs de la gauche républicaine. En 1886, il fut appelé à la présidence de la Commission instituée par René Goblet, ministre de l'instruction publique, pour la publication des documents inédits relatifs à l'histoire de la Révolution française. Il est mort à Paris, le 16 mars 1888.

Hippolyte Carnot a laissé un certain nombre d'écrits, dont la plupart sont relatifs à la Révolution française. Il a été l'éditeur des Mémoires de Grégoire (2 vol., 1837) et des Mémoires de Barère (4 vol., 1842-1843) ; il a écrit des Mémoires sur Carnot, par son fils (2 vol., 1861-1864), et une petite histoire de la Révolution, La Révolution française, résumé historique (1 vol., J.-B Baillière, nouv. éd., 1883). Il a publié, en août 1848, en une brochure de 68 pages, l'histoire de son ministère, sous ce titre : Le ministère de l'instruction publique et des cultes, depuis le 24 février jusqu'au 5 juillet 1848, par H. Carnot, représentant du peuple (Paris, Pagnerre).