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Caractère

 Ce mot a deux acceptions, dont l'une dérive de l'autre : au sens moral et intellectuel comme au sens littéral, le caractère est ce qui distingue, ce qui fait remarquer un être entre plusieurs ; c'est sa marque propre. Le caractère d'un homme, c'est l'ensemble des dispositions et des penchants, des aptitudes et des habitudes qui le font généralement agir d'une manière plutôt que d'une autre, de telle sorte que, sachant son caractère, on peut prévoir avec une certaine vraisemblance ses déterminations.

Ces prédispositions peuvent être plus ou moins accusées ; ainsi est-on arrivé à dire d un homme qu'il a plus ou moins de caractère, ou, absolument, qu'il a du caractère. De là ce sens dérivé : caractère signifiant volonté, énergie, force d'âme.

Dans les deux acceptions, la pédagogie a beaucoup à s'occuper du caractère. On peut réduire à quelques principes les règles fondamentales de l'éducation en ce qui touche ce sujet à la fois si grave et si délicat.

1° L'éducation doit-elle tenir compte des caractères et de leur diversité? — Non, disait l'ancienne école, qui avait pour idéal l'uniformité dans les moyens comme dans les résultats de l'éducation. Aujourd'hui encore, dans la pratique, sinon en théorie, le premier mouvement de tous ceux qui abordent la tâche de l'enseignement sans une suffisante préparation est de faire abstraction des individualités et des différences individuelles, d'établir un commun niveau, une règle sans variation à laquelle se plieront les caractères aussi bien que les intelligences. Et ce n'est ni la paresse, ni la routine qui est la raison de cette tendance : c'est que celui qui enseigne ne voit rien de mieux pour l'enfant que ce qui lui apparaît à lui-même comme étant le bien. Sans s'en rendre compte, il conçoit un type abstrait de l'idéal pédagogique et il en rapproche par la pensée les enfants qui lui sont confiés : vont-ils plus vite ou plus lentement que la marche moyenne qu'il a prise pour mesure? sont-ils irréguliers dans le travail, inégaux dans le bon vouloir, capricieux et oublieux, tantôt abattus et mornes, tantôt vifs et pétulants, les uns sensibles aux reproches, les autres rétifs à la censure, ceux-ci trop mous, ceux-là trop obstinés, tous trop étourdis? Le maître, que l'expérience n'a pas mûri, blâme tous ces excès, et n'y voit de remède que dans la conformité à la règle. Plus avancé dans la carrière, mieux exercé à gouverner des enfants, père de famille lui-même, le bon instituteur découvrira tout seul ce principe de pédagogie : qu'il ne faut vouloir ni élever, ni même instruire tous les enfants de la même manière ; que, l'enfant n'étant pas parfait, l'art de l'éducation consiste, non pas à lui donner le meilleur des caractères, la réunion harmonique de toutes les qualités du coeur et de l'esprit, mais à lui faire acquérir et développer le plus possible celles de ces qualités qui sont compatibles avec son caractère, à lui faire surtout combattre et vaincre graduellement les défauts particuliers inhérents à ce même caractère. La diversité des caractères est un élément de la psychologie vraie ; admettre cette diversité comme un fait naturel, normal, inévitable, c'est une des premières conditions de la pédagogie rationnelle.

2° Par conséquent, soit qu'il s'agisse d'un élève, soit qu'il s'agisse d'une classe, l'élude du caractère de l'enfant ou des enfants qu'on entreprend d'élever n'est pas seulement recommandable, elle est nécessaire si l'on veut réellement procéder à une éducation.

Nous savons bien qu'il serait chimérique de demander à nos maîtres et à nos maîtresses d'école primaire de traiter chacun de leurs élèves comme Rousseau veut qu'on traite son Emile : une analyse psychologique approfondie et minutieuse qui ferait découvrir dans le vif détail les nuances de chaque caractère serait précieuse peut-être, mais elle est absolument impossible. En restant dans la limite des efforts qu'on peut raisonnablement attendre de l'instituteur et de l'institutrice, que leur demande-t-on ? D'observer leurs élèves, de les connaître assez pour approprier au besoin les procédés de discipline ou d'enseignement aux traits essentiels du caractère de chaque enfant. Qu'on ne s'imagine pas que c'est chose secondaire ; qu'on ne voie pas dans cet effort que nous demandons aux maîtres un excès de zèle, une sorte de superflu. Il y va du succès de l'éducation intellectuelle et morale. On serait effrayé si l'on pouvait se rendre compte du nombre d'éducations manquées, dans les classes populaires surtout, par ce seul fait que l'on ne s'est pas préoccupé du caractère de l'élève, que, comme le dit une expression vulgaire, on n'a pas su le prendre. Tel n'avait besoin que de stimulants, l'amour-propre eût triomphé de la paresse : les pensums et les retenues ont échoué là où quelque adroite parole d'encouragement aurait fait merveille. Tel autre est accessible au raisonnement ou aux bons sentiments, mais se fait un point d'honneur de braver les punitions ; il dépend de vous d'en faire le pire des élèves ou le meilleur, suivant que vous le gouvernerez en raison ou au rebours de son caractère.

Une chose que savent les maîtres expérimentés, c'est que, de tous les moyens pour acquérir de l'ascendant sur les élèves, le plus infaillible, c'est de les connaître et de leur prouver qu'on les connaît à fond. On ne saurait croire, si l'on n'a pas eu à gouverner ce petit peuple, à quel point un maître a prise sur eux, quand d'un mot il peut montrer à chacun qu'il lit dans son coeur, qu'il a le secret de ses faiblesses, qu'il pourrait prédire à coup sûr ses actes, ses choix, ses fautes ; en un mot, qu'il a la clef de son caractère. L'effet que cette découverte produit sur l'enfant est infaillible : d'abord il est surpris que le maître en sache si long et le connaisse si sûrement ; c'est une supériorité qui lui inspire le respect, cette condition préalable de toute éducation ; et puis l'enfant, comme l'homme, est toujours enchanté de voir qu'on s'est occupé de lui, qu'on s'est donné la peine de l'étudier, de l'analyser, de le critiquer même : il aime mieux être blâmé qu'ignoré. Pourvu que le maître n'y mette ni amertume, ni raillerie, une critique portant juste, une allusion directe et précise au défaut dominant est considérée par l'enfant comme une marque de bienveillance, parce qu'elle s'applique à lui, parce qu'elle lui prouve qu'il a été l'objet d'une attention spéciale, qu'il n'est pas un numéro dans la classe, mais qu'il est quelqu'un et qu'on l'aime tel qu'il est, tout en le souhaitant meilleur.

Sans doute cet art de gouverner les enfants en faisant, d'une seule discipline et d'un même enseignement, des applications diverses aux divers caractères, ne s'apprend pas sur les bancs de l'école normale. Il y faut la maturité de l'âge et de l'expérience ; mais cette maturité même, on risque de ne jamais l’acquérir si l'on n'a pas de bonne heure l'attention éveillée sur cette partie si délicate de l'éducation. Dès l'école normale, il faudrait cultiver cette aptitude, en somme assez rare, qui consiste à savoir juger les caractères.

On veut, avec raison, que nos élèves-maîtres sachent observer et décrire les objets pour faire de bonnes leçons de choses ; ils n'ont pas moins besoin d'apprendre à observer, dans ses aspects mouvants, cette chose insaisissable qu'ils auront à manier toute leur vie : l'âme des petits enfants. Il serait bon de les y exercer non seulement par des données générales et théoriques de psychologie, mais par des expériences pratiques faites sur le vif, à l'école annexe, comme y sont faites leurs leçons d'essai. Il serait bon de les inviter à observer les élèves tantôt dans leurs jeux, tantôt dans les heures de travail ; de leur faire noter et rapprocher ces observations, de les amener à en tenir compte eux-mêmes quand ils retourneront faire la classe à ces enfants, de leur montrer en l'ait sur tel et tel enfant de l'école annexe à quel point diffèrent les résultats intellectuels et moraux qu'on a pu obtenir du même élève, suivant la manière dont on l'a gouverné. Le sens psychologique fait défaut à beaucoup de maîtres, d'ailleurs instruits et dévoués : l'école normale doit le développer avec autant de soin, tout au moins, que les autres aptitudes professionnelles.

3° Une dernière recommandation. Ce n'est pas assez d'admettre la diversité des caractères et d'en conclure à la diversité des procédés pédagogiques : il faut de plus encourager chaque caractère à se montrer librement, franchement, ouvertement. C'est le seul moyen de les réformer, quelquefois, et de les former toujours.

Tout dans l'école concourt à l'éducation, et, s'il en est besoin, au redressement du caractère, quel qu'il soit, quels que soient ses défauts propres : le contact des élèves entre eux, la présence, les leçons et les exemples du maître, les lectures, les devoirs, les chants, les jeux, les punitions, les récompenses, toute la trame enfin de la vie scolaire.

Mais pour que ces innombrables influences soient toujours saines, efficaces et profitables, il faut que le maître, qui les dirige et les résume en quelque sorte, ait horreur de tout ce qui émousse, de tout ce qui déprime et de tout ce qui fausse les caractères. Il faut que, dans son coeur, en regardant travailler ou jouer sa petite troupe d'enfants, il leur dise tout bas : « Epanouissez-vous ». Il faut que ses paroles, ses actes, ses sévérités même aient toujours pour effet d'encourager le libre et confiant déploiement de la personnalité. Que chaque enfant soit lui-même et trouve tout naturel de se manifester ainsi ; qu'on ne lui demande jamais, même par écrit, d'exprimer ce qu'il est convenable de sentir ou de penser, mais bien ce qu'il sent ou pense réellement ; qu'on lui fasse prendre, en la limitant sagement, et rien n'est plus facile, l'habitude de quelque liberté, de quelque initiative même dans l'enseignement, qu'on l'encourage à dire tout haut : « Je ne sais pas » quand il ne sait pas, à redemander une explication quand il ne l'a pas comprise ou l'a oubliée, à poser une question s'il a quelque curiosité à satisfaire ; qu'on lui témoigne plus de mépris pour la moindre feinte, pour le plus léger mensonge, que pour une faute, même grave, si elle est avouée et suivie de repentir ; en un mot, et par-dessus tout, qu'on l'accoutume à se regarder toujours, partout, comme l'arbitre de sa conduite, comme un être faible, sans doute, mais intelligent et responsable, comme une volonté libre, capable de bien, de mieux et de pis, suivant le degré d'énergie qu'elle saura s'imposer ; qu'on l'y accoutume, dis-je, en s'accoutumant soi-même à le traiter en conséquence, en lui prouvant tous les jours qu'on croit profondément à sa liberté, à sa responsabilité, — il n'en faut pas davantage, mais il ne faut rien de moins pour assurer chez l'enfant de toute classe, de tout sexe et de tout âge, l'éducation du caractère.

Voir les articles Activité, Volonté. On trouvera d'intéressantes monographies sur des questions se rapportant au caractère des enfants dans le Bulletin de la Société libre pour l'étude psychologique de l'enfant. On peut consulter aussi Queyrat, Les caractères et l'éducation morale, ainsi que les ouvrages plus généraux : A. Fouillée, Tempérament et caractère ; Fr. Paulhan, Les caractères.