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Bouquier

Gabriel Bouquier, né à Terrasson en 1739, était fils d'un commissaire de l'intendance de Guyenne. Après avoir fait de bonnes études au collège de Brive, il se consacra tout entier à la poésie et à la peinture, et fit, à partir de 1765, deux séjours assez longs à Taris, où il se lia avec Joseph Vernet et Greuze. Il voyagea ensuite en Italie de 1776 à 1779, s'y occupa d'archéologie, y devint l'ami de David, et se fit recevoir membre de l'Institut de Bologne et de l'Académie des Arcades de Rome. Rentré dans sa ville natale en 1780, il se maria, et fut nommé subdélégué de l'intendance de Guyenne, sans cesser de s'occuper de beaux-arts ; l'Académie de peinture de Bordeaux l'admit dans son sein en 1787. Dès le début de la Révolution, il prit chaleureusement parti pour la cause populaire : ce fut lui qui rédigea, en mars 1789, le cahier des « plaintes, doléances et remontrances des habitants de Terrasson ». En 1791, il écrivit un mémoire sur l'injuste assiette de l'impôt, et publia un Poème séculaire dédié aux amis de la constitution. Le suffrage de ses concitoyens l'appela aux fonctions de juge du canton de Terrasson ; et en septembre 1792 il fut élu l'un des dix députés de la Dordogne à la Convention, où dès le premier moment il siégea parmi les Montagnards, à côté de son ami David. Il vota la mort du roi. Lorsque David eut peint le tableau célèbre de « Marat assassiné », Bouquier composa un quatrain pour mettre au bas de la gravure de ce tableau. Il entra au Comité d'instruction publique lors du renouvellement intégral de ce Comité, le 15 du premier mois (6 octobre 1793), et on le vit, au moment où Romme venait d'achever (19-27 brumaire) le travail de la « revision des décrets », apporter à ses collègues, le 11 frimaire, un nouveau « plan d'instruction publique », dont le Comité, après avoir limité son examen à la partie relative à la première instruction (c'est-à-dire aux trois premiers titres du projet), décida l'impression et la présentation à la Convention en concurrence avec le « décret revisé ». La Convention, à la suite d'un débat qui occupa plusieurs séances et auquel prirent part Romme, Bouquier, Fourcroy, Thibaudeau, Petit, Jay, accorda la priorité au plan de Bouquier (21 frimaire).

Ce plan nouveau était-il l'oeuvre personnelle de Bouquier seul, ou celui-ci n'était-il — comme en juin Lakanal — que le porte-voix d'une ou de plusieurs personnalités influentes? Il est assez difficile de répondre à cette question. Les idées qui sont à la base du projet de décret de Bouquier ne lui appartiennent sans doute pas en propre, et l'écho qu'elles trouvèrent aussitôt dans la majorité de la Convention montre assez qu'elles étaient, en quelque sorte, dans l'air ; mais nous sommes porté à croire qu'il eut le mérite d'en trouver la formule, qui se résume en ces quatre dispositions fondamentales : « L'enseignement est libre. — Il est fait publiquement, sous la surveillance des autorités et des citoyens. — Les citoyens et citoyennes qui se vouent à l'enseignement sont salariés par la République, à raison du nombre des élèves qui fréquentent leurs écoles. — Ils sont tenus, pour le premier degré d'instruction, de se conformer dans leur enseignement aux livres élémentaires adoptés et publiés' par la représentation nationale. » Le 26 frimaire, Bouquier était élu président des Jacobins pour une période de quinzaine (il succédait, dans cette présidence, à Fourcroy et à Anacharsis Cloots) : le choix fait de lui par les Jacobins atteste que son plan répondait bien au sentiment alors dominant. Les trois premiers titres du projet furent seuls discutés par la Convention, qui y ajouta une disposition relative à l'obligation, en décrétant que les parents et tuteurs « seraient tenus » d'envoyer leurs enfants et pupilles aux écoles du premier degré d'instruction ; ces trois titres devinrent le décret du 29 frimaire an II sur l'organisation de l'instruction publique et le premier degré d'instruction ; et le 4 ventôse la Convention édicta une pénalité contre ceux des administrateurs chargés de l'exécution de ce décret qui n'auraient pas organisé les écoles primaires conformément à cette loi avant le 15 germinal.

Le 19 pluviôse, Bouquier, qui avait donné de nouveaux développements à la seconde partie de son plan, relative au « dernier degré d'instruction », présenta au Comité cette seconde partie, composée de six sections. Ce second projet de décret fut imprimé, et présenté à la Convention le 24 germinal ; l'assemblée ne s'en occupa pas, et il est probable que la publication des Courtes observations sur le projet de décret présenté au nom du Comité d'instruction publique sur le dernier degré d'instruction, par Boissy d'Anglas (28 germinal), fut une des causes — et non la moindre — qui contribuèrent à faire ajourner indéfiniment la discussion de ce projet.

Le 29 pluviôse, le Comité chargea Bouquier de préparer « une instruction sur l'exécution de la loi qui établit l'instruction publique des enfants » ; le 11 germinal, il lui adjoignit Thibaudeau « pour travailler à l'instruction qui doit suivre le décret sur les écoles primaires » ; le 24 floréal, Coupé fut encore adjoint à Bouquier et à Thibaudeau, et le Comité arrêta que ces trois commissaires « présenteraient à la prochaine séance un projet de décret tendant à propager l'instruction publique sur le territoire entier de la République par des moyens révolutionnaires semblables à ceux qui ont été déjà employés pour les armes, la poudre et le salpêtre ». En effet, le 1" prairial, le Comité entendit et adopta un Projet de décret tendant à révolutionner l'instruction, c'est-à-dire à former promptement des instituteurs au moyen d'un cours normal temporaire, d'une durée de deux mois, à ouvrir à Paris, et qui serait suivi d'autres cours, également de deux mois, à ouvrir dans tous les districts, et où les élèves du premier cours normal transmettraient aux citoyens et citoyennes qui voudraient se vouer à l'instruction « la méthode d'enseignement qu'ils auraient reçue à Paris ». Ce projet de décret fut transmis au Comité de salut public ; mais celui-ci devait attendre quatre mois encore avant de le proposer à la Convention. Le 5 prairial, Bouquier présenta au Comité l'« instruction » qu'il avait été chargé de préparer, sous la forme d'un Projet de décret servant à résoudre les principales questions faites au Comité d'instruction publique sur la loi du 29 frimaire, projet qui contenait « des dispositions relatives aux locaux et au traitement des instituteurs ». En ce qui concerne les locaux, il est probable qu'il s'agissait d'une disposition assurant aux communes, pour leurs écoles, la propriété d'un édifice dans lequel pourrait être logé l'instituteur ; et quant au traitement, il n'est pas invraisemblable que le projet remplaçait les émoluments de vingt et quinze livres par élève, établis par le décret du 29 frimaire, par un traitement fixe de douze cents livres : cette modification avait été demandée par di -verses pétitions. Ce second projet de décret fut également envoyé au Comité de salut public.

Bouquier était devenu, au printemps de l'an II, rapporteur de la commission des fêtes nationales ou fêtes décadaires : après l'adoption du décret du 18 floréal, il prépara un rapport sur l'organisation des fêtes décrétées, et le 7 fructidor il fut invité à le lire dans la plus prochaine séance du Comité. L'avant-veille, 5 fructidor, le Comité avait nommé une commission chargée « de présenter sans délai le tableau de toutes les pétitions et adresses relatives au décret sur l'organisation des écoles primaires » ; les trois membres de cette commission furent Bouquier, Lakanal et Petit. Mais le 9 fructidor Bouquier était désigné par le sort comme l'un des six membres sortants ; la majorité thermidorienne ne le réélut pas. Il ne put donc ni présenter le rapport qu'il avait préparé sur les fêtes décadaires, ni participer aux travaux de la commission chargée de s'occuper de ce qui touchait à l'organisation des écoles primaires. On put croire d'abord que le décret du 29 frimaire demeurerait intact, à part les modifications que Bouquier lui-même avait déjà indiquées comme nécessaires ; lorsque Lakanal lit part à la Convention, le 26 fructidor, du programme adopté par le Comité d'instruction publique renouvelé, il parla seulement de « mesures supplétives propres à mettre en activité les écoles primaires ». Mais bientôt, à la suggestion de Sieyès et de Garat, Lakanal changea d'idée ; le 22 vendémiaire an III, tandis que le Comité s'occupait de l'examen des « articles additionnels à la loi concernant les écoles primaires », il apporta « un nouveau projet de décret qui présentait un plan absolument nouveau », projet qui fut adopté en lieu et ; place des articles additionnels : ce revirement soudain fut la contre-partie, à dix mois de distance, du coup de théâtre qui avait substitué le plan de Bouquier aux décrets de brumaire.

Pendant la dernière année de la session conventionnelle, on n'entend plus parler de Bouquier, que son jacobinisme avait fait mettre à l'index ; il ne fut toutefois pas proscrit, comme le furent la plupart des autres Montagnards en vue. Il ne fut pas élu au Conseil des Cinq-Cents, et vécut dès ce moment dans la retraite à Terrasson. Dans sa vieillesse, sous l'influence de son entourage, il désavoua ses anciennes opinions, devint un fervent catholique, et flétrit dans un écrit posthume cette Révolution qu'il avait servie, la comparant « à ces torrents fougueux qui renversent tout ce qu'ils rencontrent, inondent les campagnes, les couvrent de décombres et de débris, et finissent par demeurer à sec ». Il est mort à Terrasson en 1810, à l'âge de soixante et onze ans.

James Guillaume