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Bouilly (Jean-Nicolas)

Littérateur, né à Coudraye, près de Tours, en 1763, mort en 1842. On cite de lui un trait de grand courage : dans une émeute, à Chinon, il s'opposa énergiquement au massacre des prisonniers ; et, blessé d'un coup de pioche au menton, dit à celui qui le frappa : « Qu'est-ce que cela prouve? » Après le 9 thermidor, il fut employé par le Comité d'instruction publique. « Il contribua beaucoup, dit Michaud, à l'organisation des écoles primaires. »

Comme écrivain, Bouilly mérite de figurer dans ce Dictionnaire. Il occupe une place à lui parmi les conteurs et les instituteurs de l'enfance ; il sert d'intermédiaire entre Berquin et Stahl. Son originalité tient à ce qu'il transporta dans les contes le mouvement et l'art de composition des oeuvres de théâtre. Auteur dramatique très applaudi, il avait déjà obtenu des succès éclatants à la Comédie-Française, au Vaudeville et à l'Opéra-Comique, avec L'Abbé de l'Epée, Fanchon la Vielleuse, et Les Deux Journées, quand un hasard touchant lui mit la plume de conteur à la main. Sa fille, âgée de dix ans déjà, ne voulait pas apprendre l'orthographe. Il imagina de lui dicter chaque matin un fragment de conte où il intercalait adroitement diverses difficultés grammaticales, et il n'achevait le récit que quand l'enfant avait écrit sa dictée sans faute. Elle sut bientôt toutes ses règles ; sa curiosité lui servait de stimulant : c'est la première fois qu'on avait eu l'idée de s'adresser à l'imagination pour enseigner la grammaire. Le succès de l'auteur fut égal au succès de l'élève. Réunis en volumes, les Contes à, ma fille se répandirent par milliers d'exemplaires. Composés pour une enfant, dictés à une enfant, ils se sentaient de la présence de l'enfant. Ce n'était pas un auteur s'enfermant dans son cabinet pour écrire sur l'enfance, c'était bien un père, ayant sa fille sous ses yeux, inspiré par ce petit visage et par ces regards émerveillés, suivant a la trace sur cette physionomie mobile l'effet du récit, averti, guidé par ses rires, par ses larmes, semblable enfin à un auteur dramatique, qui improviserait sa pièce devant le public. De là, sans doute, l'émotion et la vie répandus dans les contes de Bouilly. Le style, sans doute, en est un peu trop fleuri, les personnages sont un peu trop attendris, trop affectueux, ils rappellent l'époque où la sensibilité jouait un si grand rôle dans la littérature ; mais l'invention du sujet, la marche de l'action, la disposition des diverses péripéties, la vérité du dialogue, la composition enfin, donnent à chacune de ces anecdotes l'intérêt croissant d'une petite comédie. Après les Contes à ma fille vinrent les Conseils à ma fille, puis les Jeunes filles, les Jeunes femmes ; après les Jeunes femmes, les Jeunes mères ; puis les Mères de famille, puis les Encouragements de la jeunesse, son meilleur ouvrage, dédié aux jeunes gens. Le maître suivait l'âge de son élève, et il termina sa carrière de conteur par deux volumes écrits, sur la demande de la duchesse de Berry, pour le comte de Chambord et sa soeur, sous le titre de Contes offerts aux enfants de France. La morale non seulement la plus pure, mais la plus élevée, anime chacun de ces récits, qui poussent tous à la générosité des sentiments. M. Bouilly mourut à soixante-dix-neuf ans, entouré de l'estime et de la vénération générales.

Ernest Legouvé