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Bert (Paul)

 Né à Auxerre le 19 octobre 1833, mort à Hanoï le 11 novembre 1886. Nous n'avons pas à retracer, ici la biographie du savant ni de l'homme politique. Il n'appartient à ce Dictionnaire que de rappeler ce que Paul Bert a fait pour l'instruction publique.

Lorsque Paul Bert entra à l'Assemblée nationale, en 1872, comme député de l'Yonne, il y arrivait, à l'âge de quarante ans, avec la double autorité que lui donnaient ses titres scientifiques et les services déjà rendus au pays pendant la période de l'invasion allemande. Sa place y fut tout de suite marquée aux premiers rangs de ceux qui voulaient travailler à la régénération de la France par une refonte complète de notre éducation nationale.

On sait qu'un projet de loi sur l'instruction primaire obligatoire avait été présenté le 15 décembre 1871 par Jules Simon, alors ministre de l'instruction publique. Ce projet, renvoyé à l'examen d'une commission dont M. Ernoul fut rapporteur, n'aboutit pas ; la commission s'était prononcée contre le principe de l'obligation ; les efforts de la minorité républicaine, dont Paul Bert faisait partie, ne purent triompher du mauvais vouloir d'un parti qui invoquait contre l'obligation le respect d'une prétendue liberté. En 1872, ce même parti voulut, toujours au nom de la liberté, assurer à l'Eglise une position privilégiée sur le terrain de l'enseignement supérieur, et la faire participer, conjointement avec l'Etat, à la collation des grades : Paul Bert présenta, en janvier 1873, un contre-projet créant des universités dans lesquelles la liberté complète des professeurs eût été assurée ; cette organisation, imitée de celle des universités allemandes, devait, selon lui, « réaliser la vraie liberté de l'enseignement supérieur ». Sans s'arrêter à l'éloquent discours qu'il prononça le 3 décembre 1874, l'Assemblée vota le projet de sa commission, qui devint la loi du 12 juillet 1875. Dans la question de la réorganisation du Conseil supérieur de l'instruction publique, Paul Bert s'était fait aussi le défenseur des droits de l'Etat et de la société civile: il avait présenté, le 14 janvier 1873, un amendement qui excluait du Conseil supérieur les évêques, et y assurait la majorité aux membres de l'enseignement public. « Tout le monde comprend, disait-il à cette occasion, que pour parler guerre, finances, marine, il faut être du métier ; tandis que, permettez-moi cette comparaison, il en est de l'instruction publique comme de la médecine et de la politique: parce que tout le monde s'en sert et en a besoin, tout le monde s'y croit compétent et se croit apte à émettre un avis autorisé. Cela tient à ce que la pédagogie est chose à peu près inconnue en France. Voyez, ce mot seul suscite des exclamations, comme s'il avait quelque chose de ridicule, et comme si la pédagogie était nécessairement une science abstraite, sèche, fatigante et réservée pour quelques gens frottés d'algèbre et de latin. La pédagogie, messieurs, dans les pays où l'enseignement a la part qui lui convient, est une des sciences les plus cultivées, les plus importantes. On sait le temps qu'il faut pour l'apprendre ; et alors on ne voit pas, comme en France, ? ce qui est l'étonnement des gens qui, ayant passé leur vie à apprendre quelque chose, savent en même temps ce que c'est qu'ignorer ? chacun se croire apte à déterminer les règlements universitaires. » L'Assemblée nationale passa outre, et vota la loi du 25 mars 1873. Mais Paul Bert devait avoir la satisfaction, en 1879, de voir le Conseil supérieur réformé selon les règles qu'il avait indiquées.

A la Chambre des députés, qui succéda à l'Assemblée nationale et où les électeurs de l'Yonne l'envoyèrent siéger sans interruption de 1876 jusqu'à la fin de sa trop courte carrière, Paul Bert allait trouver une majorité républicaine disposée à marcher en avant. Dès le 20 mars 1876, il y présenta une proposition de loi modifiant les conditions du recrutement et du fonctionnement des instituteurs et institutrices primaires, c'est-à-dire supprimant la lettre d'obédience, et remettant la nomination du personnel enseignant primaire au recteur ; quelques jours plus tard, il la faisait suivre d'une autre proposition concernant les pensions de retraite des instituteurs et des inspecteurs primaires (6 avril 1876). La seconde de ces propositions est devenue la loi du 17 août 1876, qui élevait à 600 francs pour les instituteurs et 500 francs pour les institutrices le chiffre minimum de la pension de retraite. Quant à la proposition sur le recrutement et le fonctionnement des instituteurs, renvoyée dès le printemps de 1876 à une commission spéciale, elle fut l'objet d'un rapport rédigé par l'auteur même de la proposition : ce document, déposé sur le bureau de la Chambre le 18 mai 1877, est le premier en date de cette série de rapports où les questions relatives à l'éducation nationale ont été traitées avec tant d'autorité par le député de l'Yonne, devenu le rapporteur-né de toutes les commissions d'instruction publique. Mais la dissolution de la Chambre, à la suite du 16 mai, empêcha la proposition d'aboutir.

Après la réélection des 363, une proposition de M. Barodet, présentée une première fois le 19 mars 1877, et renouvelée par son auteur et par cinquante députés républicains le 1er décembre de la même année, fut renvoyée à l'examen d'une commission présidée par Paul Bert. C'est cette proposition qui allait ' devenir le point de départ de la proposition de loi organique de l'enseignement primaire, élaborée par la commission de la Chambre et présentée seulement deux ans plus tard.

Dans l'intervalle, Paul Bert soumettait à la Chambre, le 14 janvier 1878, une proposition de loi sur l'établissement obligatoire des écoles normales primaires, et cette proposition devenait la loi du 9 août 1879. Il était le rapporteur du projet déposé par M. Waddington, ministre de l'instruction publique, en mars 1877, et qui créa une caisse pour la construction des maisons d'école (loi du 1er juin 1878). Il défendait avec énergie le nouveau projet de loi sur l'enseignement supérieur élaboré par Jules Ferry, et particulièrement ce fameux article 7 qui interdisait l'enseignement public et privé aux membres des congrégations religieuses non autorisées. La France n'a pas oublié le discours célèbre dans lequel, aux applaudissements de tout le parti républicain, il flagella si rudement l'odieuse morale des jésuites (5 juillet 1879).

Ce fut le 6 décembre 1879 que Paul Bert déposa, au nom de la commission qu'il présidait, son volumineux rapport sur la proposition Barodet, rapport qu'accompagnait un projet en 6 titres et 109 articles. Ce projet était une refonte complète de toute la législation de l'instruction primaire : il consacrait le triple principe de l'obligation, de la gratuité, de la laïcité, substituait à l'autorité des préfets celle de directeurs départementaux de l'enseignement primaire, modifiait la composition et les attributions des Conseils départementaux, assurait aux instituteurs des traitements plus élevés et des garanties nouvelles, et préparait l'élimination graduelle du personnel congréganiste. Jules Ferry était ministre de l'instruction publique depuis dix mois lorsque la Chambre fut saisie du rapport Paul Bert. Le ministre, d'accord avec le rapporteur sur toutes les questions de principe, estimait toutefois qu'un projet aussi étendu et aussi complexe aboutirait difficilement à une solution, étant donné le mécanisme de notre organisation parlementaire, la courte durée des sessions, et l'antagonisme assez prononcé à cette époque de la Chambre et du Sénat. Il jugea plus pratique de s'attaquer d'abord aux questions les plus urgentes et, à cet effet, présenta successivement à la Chambre trois projets distincts : celui sur les lettres d'obédience et le brevet de capacité (présenté déjà le 20 mai 1879), puis ceux sur la gratuité absolue de l'enseignement primaire et sur l'instruction primaire obligatoire (20 janvier 1880). Ces projets sont devenus les lois du 16 juin 1881 sur les titres de capacité, du 16 juin 1881 sur la gratuité, et du 28 mars 1882 sur l'obligation ; pour cette dernière, la commission avait ajouté au projet du ministre la laïcité des programmes. La commission de l'instruction primaire se décida elle-même à suivre l'exemple donné par le ministre ; en 1881 elle détacha du projet d'ensemble présenté par elle les dispositions relatives au classement et aux traitements des instituteurs et institutrices, et en fit une proposition de loi spéciale, qui fut discutée et adoptée par la Chambre, le 28 juillet 1881, dans une des dernières séances de la législature. A la rentrée suivante, le Sénat décida de ne garder à son ordre du jour que les projets de loi déposés par le gouvernement ; la loi sur les traitements, émanant de l'initiative parlementaire, se trouva caduque, et aucune suite ne lui fut alors donnée.

N'oublions pas la part prise par Paul Bert à la discussion de la loi Camille Sée sur l'enseignement secondaire des jeunes filles ; ce fut lui qui fit adopter à la Chambre la disposition portant que des internats pourraient être annexés aux établissements secondaires qu'il s'agissait de créer (séance du 20 janvier 1880).

L'activité qu'il déployait à la tribune parlementaire et dans les délibérations de la commission qu'il présidait ne suffisait pas à Paul Bert. Il se prodiguait avec un zèle d'apôtre dans des conférences données dans toutes les régions de la France, dans des discours publics où il échauffait de son enthousiasme les tièdes et les indifférents, dans des écrits de polémique ou de propagande. Il obtint un de ses plus grands succès et prononça un de ses plus chaleureux, de ses plus émouvants discours, dans le banquet que lui offrit, le 18septembre 1881, une délégation d'instituteurs représentant soixante départements. Qu'il nous soit permis de rappeler qu'il fit à deux reprises, au Dictionnaire de pédagogie, l'honneur de sa collaboration : la première édition du Dictionnaire lui doit l'article Directeurs départementaux (dans la I" PARTIE) et l'article Physiologie (dans la IIe PARTIE).

Cependant un nouveau ministère, présidé par Gambetta, avait été constitué le 14 novembre 1881' : Paul Bert y reçut le portefeuille de l'instruction publique. Pendant les onze semaines qu'il fut au pouvoir, il n'eut pas le temps d'attacher son nom à des réformes importantes. La question de la réorganisation de l'enseignement secondaire commençait à le préoccuper ; mais il ne lui fut pas donné d'y travailler. On trouve un résumé de ses idées sur cette grave question dans un discours de distribution de prix prononcé au lycée Fontanes (Condorcet) le 5 août 1879 ; nous en détachons la page essentielle :

« Les sciences, disait-il, voudront à coup sûr, et avec raison, occuper dans l'enseignement secondaire un rang qui leur a été trop longtemps disputé. Elles viendront, et montreront avec un légitime orgueil la sûreté de leurs méthodes, la grandeur de leur but, la puissance de leurs résultats. Et quand elles auront ainsi parlé, nul doute qu'elles ne remportent la victoire. Eh bien, moi, leur humble, mais enthousiaste sectateur, je n'ai qu'une crainte, c'est de les voir en abuser. Ce que je redoute, ce à quoi je m'opposerais de toutes mes forces, c'est que, envahissant à l'excès un domaine où on leur a jusqu'ici trop parcimonieusement mesuré la place, elles ne prennent sur l'enseignement des lettres une revanche funeste. Cette tendance réactionnelle, je la sens grandir dans les assemblées délibérantes, et peut-être les justes réclamations de mes amis et les miennes ont-elles contribué à lui donner sa puissance croissante. Mais, parce que de grandes fautes ont été commises, qu'on n'en commette pas de plus grandes encore. Et pour tout dire en un mot: parce qu'on a trop négligé l'utile, qu'on n'arrive pas à dédaigner l'idéal. Il ne suffit pas que nos jeunes citoyens aient, pour emprunter l'expression du vieux moraliste, « la tête bien « pleine et bien faite », il faut qu'elle soit habituée à regarder en haut ; il faut que l'éducation allume dans les âmes le désir ardent de se servir de la science pour quelque but élevé ; il faut que le Sursum corda frémisse au fond de tout enseignement ; il faut que le culte du beau, que le respect du non-utile, que l'amour de l'idéal imprègnent fortement les jeunes esprits. Or, à ce résultat nécessaire peut seule conduire une haute culture littéraire. L'élude des lettres peut seule donner à la pensée ce désintéressement sublime qui fait apprendre, réfléchir, s'émouvoir, pour la pure satisfaction de savoir, de comprendre, de jouir ou de pleurer. On a dit, et peut-être avec raison, que les études littéraires à l'exclusion des sciences ne prépareraient qu'une nation de rhéteurs ; prenons garde que des études scientifiques exclusives ne préparent une nation de contre-maîtres. La vraie grandeur des peuples se mesure à celle de leur idéal. Les Grecs ont eu pour idéal le beau, le vrai, la liberté ; les Romains, la domination. Ceux-là ont légué à l'humanité des modèles dont elle s'enorgueillira éternellement ; ceux-ci ont laissé le souvenir d'une immense puissance écroulée. Il est des nations, à notre âge, qui semblent avoir repris la devise romaine : Regere imperio populos ; soyons, nous, les héritiers des Grecs, et, si nous savons ce dont ils furent incapables, si nous savons rester unis, nous hériterons de leur gloire sans redouter leurs revers. »

L'oeuvre principale à laquelle Paul Bert s'attacha pendant son court passage au ministère fut l'élaboration d'un projet de loi sur l'organisation de l'instruction primaire. Les lois sur les titres de capacité, la gratuité, et l'obligation, n'avaient pas touché à un certain nombre de questions fort importantes, qui se trouvaient comprises dans le projet d'ensemble présenté en 1879 au nom de la commission parlementaire. Ce sont ces diverses dispositions du projet de 1879, non encore consacrées par le vote du Parlement, que Paul Bert voulut réunir dans une loi nouvelle destinée à compléter les lois déjà promulguées ou en cours de délibération ? cela devait permettre d'arriver à l'abrogation définitive de la loi du 15 mars 1850 en ce qui regarde l'instruction primaire.

Après la retraite du cabinet du 14 novembre, Paul Bert présenta ce travail à la Chambre, le 7 février 1882, comme député, sous la forme d'une proposition de loi. Jules Ferry, qui avait repris le portefeuille de l'instruction publique le 30 janvier 1882, soumit de son côté à la Chambre, le 16 février, un projet de loi relatif à la nomination et au traitement des instituteurs et des institutrices et aux conseils départementaux et cantonaux de l'instruction primaire. Ces deux projets, renvoyés à l'examen d'une commission, dont Paul Bert fut de nouveau le président et le rapporteur, donnèrent lieu à l'élaboration, par cette commission, d'une proposition de loi sur l'organisation de l'enseignement. Cette proposition, discutée par la Chambre dans ses sessions de 1883 et de 1884 et votée par elle le 18 mars 1884, puis remaniée par le Sénat en 1886, est devenue la loi du 30 octobre 1886, qui a établi la laïcité du personnel enseignant primaire. Paul Bert ne put en suivre la discussion jusqu'à la fin. En janvier 1886, il avait accepté la mission d'aller organiser l'administration française au Tonkin en qualité de résident général ; et quelques jours après l'adoption de cette loi mémorable, à laquelle son nom restera attaché, arrivait à Paris la nouvelle de sa mort survenue à Hanoï le 11 novembre 1886.

Il nous reste à parler de ceux des ouvrages de Paul Bert qui appartiennent à notre sujet. Nous ne ferons que mentionner son volume de Discours parlementaires (Charpentier, 1881), où il a recueilli les plus importants des discours prononcés par lui à la Chambre sur les questions d'instruction publique, et son choix de Leçons, discours et conférences (Charpentier, 1881), qui contient tant de pages d'une excellente pédagogie. Mais nous rappellerons que ce savant n'a pas dédaigné d'écrire pour les « enfants de France » ? pour nous servir d'une expression qu'il aimait à employer ? des livres d'école dont plusieurs sont de petits chefs-d'oeuvre. L'un des premiers en date est son manuel d'instruction civique, l'Instruction civique à l'école (Picard-Bernheim, 1882), qui a soulevé de si violents orages, mais qui n'en a pas moins marqué une grande date dans nos annales scolaires ; ce petit livre a eu de nombreuses éditions. Viennent ensuite ses Lectures sur l'histoire naturelle des animaux (Hachette, 1882) et son Anatomic et physiologie animales (Masson, 1883), qu'avaient précédées les Premières notions de zoologie, pour la classe de huitième des lycées (Masson, 1881). Le plus remarquable peut-être de ces ouvrages élémentaires est La première année d'enseignement scientifique (Armand Colin, 1882), où l'auteur, avec cette simplicité lumineuse qui n'appartient qu'aux maîtres, a exposé les premières notions des sciences physiques et naturelles. Ce livre excellent a obtenu un succès mérité, et a été traduit en plusieurs langues. Enfin, au moment même où il s'embarquait pour le Tonkin, Paul Bert mettait la dernière main à deux volumes scolaires : une Petite géométrie expérimentale (Delagrave), dont la préface est datée de février 1886, à bord du Melbourne, et des Lectures et leçons de choses (Picard-Bernheim), où les notions scientifiques sont ingénieusement mêlées à la trame d'un récit propre à intéresser les élèves.

Nous n'ajouterons rien à ce rapide et sec résumé de quinze années d'activité ininterrompue au service d'une cause à la fois politique et scolaire, la cause de l'enseignement laïque et national. Les faits tout seuls parlent assez haut. L'homme qui a tenu, pendant ces années critiques, si haut et si ferme le drapeau de l'émancipation scolaire, qui a été, dans les bons comme dans les mauvais jours, le champion ardent des écoles et celui des instituteurs laïques, qui a représenté avec tant de véhémence et tant d'éclat devant l'opinion, devant la Chambre, dans l'Université et hors d'elle, le programme républicain en matière d'éducation, sans en rien retrancher, sans en rien abandonner, sans en rien ajourner, qui, après avoir passé d'abord pour un utopiste ou un fanatique d'extrême gauche, a eu l'honneur et le bonheur de voir peu à peu son programme tout entier passer dans la loi, en attendant qu'il passe dans les moeurs, cet homme-là laisse un nom ineffaçable dans les annales de l'instruction publique en Fiance, et il a, en particulier, des titres impérissables à la reconnaissance de tous les amis de l'enseignement primaire.