bannière

b

Barthe

 Félix Barthe, jurisconsulte et homme d'Etat français, né à Narbonne en 1795, a occupé, du 29 décembre 1830 jusqu'en mars 1831, les fonctions de ministre de l'instruction publique dans le cabinet Laffitte, lorsque la retraite de Dupont (de l'Eure), qui fut remplacé au ministère de la justice par M. Mérilhou, ministre de l'instruction publique, rendit vacant le portefeuille de celui-ci. Il entra ensuite dans le cabinet Casimir Perier (13 mars 1831) comme ministre de la justice. Après sa sortie du ministère, en 1834, il fut nommé premier président de la Cour des comptes et pair de France. Sous le second Empire il devint sénateur. Il est mort en 1863.

L'acte principal de M. Barthe, comme ministre de l'instruction publique, fut la rédaction et la présentation d'un projet de loi sur l'organisation de l'instruction primaire. Ce projet, déposé à la Chambre des pairs le 20 janvier 1831, contient déjà en germe la célèbre loi de 1833 ; nous croyons en conséquence devoir en mettre le texte sous les yeux de nos lecteurs :

« ARTICLE PREMIER. ? L'enseignement primaire comprend, outre l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, la langue française, le calcul, le système légal des poids et mesures, le dessin linéaire et l'arpentage.

« Le voeu des pères de famille sera toujours consulté et suivi, en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.

« ART. 2. ? Les écoles primaires situées dans chaque arrondissement de justice de paix seront placées sous la protection et la surveillance d'un comité gratuit composé :

« Du maire de la commune chef-lieu, président ;

« Du juge de paix ;

« Et de notables habitants au nombre de quatre à douze, lesquels seront choisis moitié par le recteur de l'académie, moitié par le préfet du département.

« Les membres autres que les membres de droit seront renouvelés par moitié tous les deux ans.

« Les comités pourront délibérer quand la moitié plus un des membres qui les composent seront réunis.

« ART. 3. ? Le sous-préfet est membre de droit de tous les comités de son arrondissement, et, s'il y assiste, il en prendra la présidence.

« Le préfet aura le même droit pour tous les comités de son département.

« Chacun des maires des communes qui composent un arrondissement de justice de paix aura séance et voix délibérative au comité, pour toute affaire intéressant l'instruction primaire dans sa commune.

« Le président a le droit de convoquer des séances extraordinaires, lorsqu'une circonstance imprévue les rend nécessaires. Ce droit appartient également aux recteurs et aux inspecteurs de l'Université.

« ART. 4. ? Les comités prendront les mesures propres à assurer, dans toutes les écoles primaires de leur ressort, le maintien de l'ordre et des moeurs, les progrès de l'instruction et l'observation des règlements.

« Ils vérifient les titres des candidats qui aspireront aux fonctions d'instituteur communal.

« Ils feront connaître au préfet, au recteur, et à toute autre autorité compétente, les besoins des écoles et des instituteurs.

« Toutes les délibérations des comités seront transmises au recteur.

« ART. 5. ? Les écoles primaires sont ou communales ou privées.

« Tout individu majeur et jouissant des droits civils pourra donner l'enseignement primaire, à charge par lui de déposer entre les mains du maire de la commune où il voudra exercer :

« 1° Un brevet de capacité émané d'un recteur d'académie ;

« 2° Des certificats de bonne vie et moeurs, délivrés par le maire et par trois membres du conseil municipal de la commune ou des communes où il aura résidé depuis trois ans.

« Le maire de la commune où l'instituteur voudra exercer visera le brevet et les certificats, et il donnera aussitôt avis de l'établissement de la nouvelle école au président du comité, au préfet du département, au recteur de l'académie.

« ART. 6. ? Les personnes ou associations qui auraient fondé ou entretiendraient des écoles en auront l'administration et la surveillance immédiate, sans préjudice des droits de l'administration et de la surveillance exercée par le comité.

« Les fondateurs pourront aussi réserver cette administration et cette surveillance à leurs successeurs.

« ART. 7. ? A défaut de fondations, donations ou legs suffisants, toute commune sera tenue de pourvoir ou par elle-même, ou en se réunissant à une commune voisine, à ce que les enfants qui l'habitent reçoivent l'instruction primaire, et à ce que les enfants indigents reçoivent gratuitement cette instruction.

« ART. 8. ? Nul ne pourra être nommé instituteur communal, s'il ne produit le brevet et les certificats mentionnés à l'article 5 de la présente loi. Les instituteurs communaux seront choisis par l'autorité municipale, sauf l'approbation du comité. II sera donné avis de leur nomination au préfet du département et au recteur de l'académie.

« ART. 9. ? Il sera fourni à tout instituteur communal :

« 1° Un local qui sera convenablement disposé, tant pour servir de logement à l'instituteur, que pour recevoir les élèves ;

« 2° Un traitement fixe, dont le minimum sera 200 francs.

« Moyennant le traitement fixe, l'instituteur communal devra recevoir et instruire tous les élèves que le conseil municipal aura désignés comme étant hors d'état de payer la rétribution.

« ART. 10. ? Dans le cas prévu par l'article 7, un local convenable et un traitement fixe d'au moins 200 francs seront fournis à l'instituteur communal, soit aux frais de la commune ou de plusieurs communes réunies, soit aux frais de la commune et du département, en cas d'insuffisance des ressources ordinaires de la commune, soit aux frais de la commune, du département et de l'Etat, si les ressources communales ou départementales ne suffisent point.

« ART. 11. ? Chaque année, la somme nécessaire pour suppléer aux ressources locales, en ce qui touche la maison d'école et les 200 francs formant le minimum du traitement fixe, sera portée au budget de l'Etat.

« Un rapport sur l'emploi des fonds qui auront été alloués l'année précédente, et sur la situation générale de l'instruction primaire, sera annexé à la proposition du budget.

« ART. 12. ? En sus du traitement fixe, les instituteurs communaux recevront, à raison de chaque élève non inscrit pour les leçons gratuites, une rétribution mensuelle dont le taux sera réglé tous les cinq ans par le conseil municipal de chaque commune.

« ART. 13. ? A partir de la publication de la présente loi, les communes verseront annuellement dans les caisses des receveurs d'arrondissement une somme égale au vingtième du traitement fixe de chaque instituteur communal, laquelle sera placée en rentes sur l'Etat, à l'effet d'assurer des pensions de retraite aux instituteurs communaux, soit au bout de trente ans de service révolus, soit après dix ans au moins de service, dans le cas d'infirmités qu'ils auraient contractées pendant leurs fonctions et qui les empêcheraient de les continuer.

« Néanmoins, aucune de ces pensions ne pourra être accordée avant le 1er janvier 1836. A cette époque, leur quotité, en proportion des années de services et des traitements fixes, sera déterminée par une ordonnance du roi.

« Les pensions seront ensuite liquidées par le Conseil de l'instruction publique sur l'avis du comité cantonal de la dernière résidence de chaque réclamant.

« ART. 14. ? Outre les écoles primaires appartenant à chaque commune, il pourra être établi dans chaque académie, aux frais des communes et des départements, après délibération des conseils municipaux et des Conseils généraux, une ou plusieurs écoles normales destinées à former des instituteurs primaires.» Les directeurs de ces écoles seront nommés et rétribués par l'Université.

» Art. 15. ? Selon les ressources et les besoins des communes, et sur la proposition des comités, il pourra être établi des écoles primaires communales de filles.

» Les dispositions de la présente loi sont applicables à toutes les écoles primaires de filles, soit communales, soit privées. Mais le comité pourra faire exercer sa surveillance, à l'égard de ces écoles, par l'intermédiaire de daines inspectrices qu'il aura choisies.

» Art. 16. ? En cas de faute grave de la part de l'instituteur, soit communal, soit privé, le comité pourra, selon les circonstances, et après avoir entendu et dûment appelé l'instituteur inculpé, prononcer contre lui la peine de la réprimande ou de la censure ; il pourra même retirer les certificats de bonne vie et moeurs que l'instituteur avait précédemment obtenus.

» Dans ce dernier cas, l'instituteur aura la faculté de se pourvoir contre la décision auprès du Conseil académique. Le recours devra être exercé dans le délai de trois mois.

» S'il y a urgence, le recteur ou le comité pourra, avant toute instruction de l'affaire, ordonner la suspension provisoire d'un instituteur. Il sera statué définitivement, dans le délai d'un mois au plus, sur l'imputation qui aura motivé la suspension.

» Art. 17. ? Sur la demande du conseil municipal, le comité pourra priver de son emploi un instituteur communal reconnu incapable de remplir ses fonctions ou convaincu de négligence habituelle.

» Art. 18. ? Tout individu qui, sans avoir rempli les formalités prescrites par les art. 5 et 8 de la présente loi, aura ouvert ou tenu publiquement une école primaire, sera poursuivi correctionnellement devant le tribunal du lieu du délit et condamné à une amende de 50 à 100 francs.

» En cas de récidive, il pourra être condamné à une détention de quinze jours à un mois et à une amende double de la première. »

Il est intéressant de comparer ce projet, le premier qui ait été élaboré sur la matière par le gouvernement de Juillet, avec l'ordonnance du 14 février 1830, oeuvre de M. de Guernon-Ranville, et avec les divers projets qui virent le jour de 1831 à 1833, avant l'adoption de la loi organique du 28 juin 1833 : le projet de la Société pour l'instruction élémentaire, publié dans le journal de cette société en janvier 1831, et présenté à la Chambre des députés par M. Emmanuel de Las Cases le 24 octobre de la même année ; celui de M. de Montalivet (24 oct. 1831) ; celui de la commission de la Chambre des députés, dont Daunou fut le rapporteur, présenté le 22 décembre 1831, et qui fut repris l'année suivante par MM. Taillandier, Salverte, Laurence et Eschassériaux, députés (17 décembre 1832). En rapprochant particulièrement le projet Barthe du projet de M. de Montalivet, on constate que ce ministre, qui fut le successeur de M. Barthe, avait repris pour son compte la plupart des dispositions contenues dans le projet élaboré par son prédécesseur.

Le projet de loi de M. Barthe ne reçut pas de la Chambre des pairs un accueil favorable ; aussi fut-il retiré quelques jours plus tard, et une ordonnance royale du 3 février 1831 annonça « qu'une commission serait chargée de la revision des lois, décrets et ordonnances concernant l'instruction publique, et devait préparer un projet de loi pour l'organisation générale de l'enseignement, en conformité des dispositions de la charte constitutionnelle ». Les travaux de cette commission n'aboutirent pas ; le gouvernement de Louis-Philippe s'aperçut bientôt qu'il n'était pas possible de régler par une loi d'ensemble l'organisation de l'enseignement à tous ses degrés, et il fallut se contenter de revenir au plus pressé, à l'élaboration de la loi que réclamait impérieusement l'enseignement primaire.

Ce fut M. Barthe qui fit décider la création d'une école normale destinée à former des instituteurs pour l'académie de Paris (ordonnance du 11 mars 1831). Cette école devait primitivement être placée à Paris ; elle devait recevoir des internes et des externes: les élèves-maîtres ne devaient y être admis qu'à 1 âge de dix-huit ans au moins, et ne devaient y rester qu'une année ; le programme de l'enseignement comprenait, indépendamment de l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, la grammaire française, la géographie, le dessin linéaire, l'arpentage, des notions de physique, de chimie et d'histoire naturelle, les éléments de l'histoire générale et spécialement de l'histoire de France. On sait que l'ordonnance du 7 septembre 1831, rendue sous le ministère de M. de Montalivet, décida que cette école normale serait installée à Versailles.

Mentionnons encore, comme le dernier acte du ministère de M. Barthe, l'ordonnance du 12 mars 1831, modifiant les conditions de l'admission à l'examen qui devait précéder la délivrance des brevets de capacité ; les conditions imposées aux candidats furent limitées aux deux suivantes : 1° justifier qu'ils étaient âgés de dix-huit ans accomplis ; 2° présenter au recteur de l'académie, ou aux examinateurs délégués par le recteur, des certificats de bonne vie et moeurs délivrés par les maires des communes où ils auraient résidé depuis trois ans. Ainsi fut abrogée la disposition de l'ordonnance du 21 avril 1828, qui exigeait, en outre, des candidats de confession catholique, la présentation d'un certificat d'instruction religieuse délivré par un délégué de l'évêque ou, à son défaut, par le curé de la paroisse de l'aspirant.