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Bagnaux (De)

 Joseph-Charles Boyetet de Bagnaux, né à Paris le 28 mars 1831, était fils de M. Léon Boyetet de Bagnaux, sous-chef au ministère des finances. Il fut, de 1841 à 1850, élève du collège Bourbon (lycée Condorcet), où il fit, après de bonnes humanités, de fortes études mathématiques. Une fois bachelier, il suivit comme externe les cours de l'Ecole des ponts et chaussées, puis les cours de l'Ecole de droit, et devint licencié en droit. Il entra ensuite dans l'administration des douanes, où il devait rester plus de vingt-cinq années. Préoccupé de bonne heure de hautes questions scientifiques, politiques ou philosophiques, il occupait les loisirs que lui laissait son emploi administratif à des études sérieuses, et vers l'âge de trente ans il commença à écrire. En 1860 et 1861, il fut le collaborateur d'un petit journal de vulgarisation scientifique ; plus tard, il donna à la Revue de philosophie positive des articles remarquables, notamment, en 1868, une étude sur le conflit entre la France et l'Allemagne déjà imminent. Pendant la guerre de 1870, M. de Bagnaux s'occupa avec zèle de l'installation des cantines et des fourneaux économiques dans le IXe arrondissement de Paris ; entré dans les compagnies de marche, dès leur formation en octobre, on le trouve aux avant-postes et aux sorties, essuyant entre autres le feu des Prussiens, pendant cinq jours, à l'attaque du fort de Montrouge. Après la guerre, il prit une part prépondérante à la formation du Cercle républicain de la Seine (établi d'abord rue de Valois, ensuite rue Vivienne), contribuant ainsi d'une manière active à assurer le succès des principes républicains dont il était un défenseur convaincu.

M. de Bagnaux était sous-chef de bureau au ministère des finances, quand M. Ch ; Lepère, devenu ministre du commerce en février 1879, fit appel à son dévouement et à ses connaissances techniques pour le renouvellement des traités de commerce, et le nomma chef de son cabinet. M. Tirard, ayant bientôt remplacé M. Lepère au ministère du commerce et de l'agriculture, maintint M. de Bagnaux dans ses fonctions de chef du cabinet, et y joignit celles, de directeur du personnel et de la comptabilité, avec le titre de conseiller d'Etat en service extraordinaire. M. de Bagnaux rendit les plus grands services dans l'énorme travail de réorganisation qu'il s'agissait d'accomplir, et ne quitta son poste que lorsque les progrès d'un mal inexorable, dû aux fatigues excessives qu'il s'était imposées, le contraignirent à s'avouer vaincu.

Mais ce n'est pas par sa carrière officielle que M. de Bagnaux nous appartient. Son nom est connu par d'autres titres à la plupart de ceux qui s'intéressent en France aux questions d'éducation. M. de Bagnaux fut en effet l'un des hommes qui, à partir des dernières années du second Empire, ont le plus travaillé pour la cause de l'instruction publique, sans caractère officiel, mais avec d'autant plus d'indépendance et de spontanéité. Dès sa jeunesse il s'était passionnément épris de ce problème à la fois psychologique, politique et social : l'éducation dans la démocratie. Par la lecture, par de solides et libres études philosophiques, par un grand nombre d'expériences et d'observations personnelles, car la méthode expérimentale était pour lui une réalité, M. de Bagnaux s'était fait en ces matières et, en quelque sorte, sans y penser, une compétence et une autorité que ceux-là seuls ont pu complètement apprécier qui l'ont connu de près. Déjà dans les dernières années de l'Empire, il commença à travailler activement à la mise en pratique, par l'action, de son programme théorique ; on le trouvait alors, et on l'a constamment trouvé depuis, dans tous les comités d'étude et dans tous les comités d'organisation de sociétés d'enseignement et d'éducation : les écoles professionnelles de filles fondées par Mme Elisa Lemonnier lui ont dû pendant de longues années une collaboration et des directions précieuses.

Plus tard, il concentra ses efforts sur un projet dont tout autre que lui eût tenu à se faire un titre personnel : c'était lui qui, avec quelques amis, avait eu l'honneur de concevoir le plan et de jeter les bases de l'oeuvre si connue sous le nom d'Ecole Monge. Pendant plusieurs années, avant que cette école naissante eût acquis les ressources et pris les développements qui en ont fait un établissement de premier ordre, ce fut la pensée et l'occupation constante de M. de Bagnaux d'en surveiller les débuts, d'y apporter graduellement, avec la passion d'un véritable éducateur, tous les perfectionnements matériels et pédagogiques dont l'institution était susceptible. L'Ecole Monge, fondée en 1871, n'était à l'origine qu'une bien modeste école, d'une notoriété fort restreinte, établie dans de pauvres locaux ; on ne saura jamais tout ce qu'elle a dû à cet homme qui n'y était rien, qui n'y avait aucune charge ou fonction apparente, mais" qui y venait passer chaque jour le meilleur de son temps, s'ingéniant à corriger le lendemain les erreurs de la veille, à grouper autour de la jeune institution toutes les sympathies et toutes les lumières, faisant entrer dans son comité d'études les esprits les plus libres de notre temps et les plus hautes compétences de notre pédagogie. L'Association pour la recherche, l'application et la propagation des meilleures méthodes d'éducation, créée par les fondateurs de l'Ecole Monge, eut en M. de Bagnaux l'un de ses premiers et de ses plus énergiques initiateurs : ce fut lui qui en rédigea le Bulletin, dont les quelques numéros contiennent tant de précieuses études scolaires.

A mesure que l'Ecole Monge grandit et se suffit, M. de Bagnaux reporta sur d'autres formes du même problème la même ardeur d'investigation et le même dévouement : ce fut surtout la Société des écoles enfantines, dite Société Froebel, qui l'occupa. Cette société, dont les commencements remontent à 1871, entreprenait d'appliquer à l'éducation de la première enfance les méthodes les plus rationnelles. ML de Bagnaux y joua le même rôle qu'il se réservait partout: sans accepter aucun titre, il prenait la part la plus lourde du travail. Grâce à son intervention, le Conseil municipal de Paris s'intéressa aux études de la Société, et autorisa des essais d'application de la méthode Froebel à quelques salles d'asile de Paris. Ceux qui ont assisté aux réunions du comité chargé de suivre ces expériences et de rédiger le programme de la Société reverront toujours M. de Bagnaux apportant les résultats de ses observations et soumettant au comité les réformes à accomplir : c'était à la fois la conscience scrupuleuse du savant, la sagacité du pédagogue, l'ardeur passionnée du patriote qui semblait toujours voir clairement, par dessus les têtes des petits enfants, l'image de la France et de la République demandant des citoyens pour l'avenir. Malgré le soin qu'il mettait à se tenir à l'écart, fuyant les honneurs comme d'autres les recherchent, il était impossible qu'un collaborateur si précieux pour toutes les oeuvres d'éducation libérale ne fût pas un des premiers à qui l'on ferait appel au moment de la rénovation de l'instruction publique dans notre pays. Aussi, dès que la République fut sortie des étreintes de 1' « ordre moral », M. de Bagnaux devint-il en quelque sorte un des conseillers intimes et permanents du ministère de l'instruction publique. Lors de l'Exposition de 1878, M. Bardoux et M. Jean-Casimir Perier lui demandèrent un concours qu'il ne refusait jamais pourvu qu'il n'entraînât pour lui aucune distinction extérieure. Il fut là ce qu'il avait été à l'Ecole Monge, ce qu'il fut partout, l'homme du travail et de l'étude, l'esprit critique et lumineux, l'observateur infatigable. A la fin de l'Exposition, il entreprit, avec quelques-uns de ses collègues, de rechercher patiemment, dans toutes les expositions scolaires, françaises et étrangères, les meilleurs travaux d'instituteurs et d'élèves, et cette recherche acheva de le familiariser avec les questions d'enseignement primaire. Les instituteurs qui l'ont entendu à la Sorbonne en août 1878 se rappelleront avec quelle rigueur minutieuse et quelle richesse d'observations il leur exposait les derniers résultats jusqu'alors obtenus dans la construction du matériel scolaire. (La conférence de M. de Bagnaux a été publiée dans le volume intitulé Conférences pédagogiques faites à la Sorbonne, en août 1878, aux instituteurs délégués ; Paris, Hachette et Delagrave, 2e éd.)

A la même époque, M. de Bagnaux avait pris à coeur deux autres idées auxquelles il donna, comme il savait le faire, sans compter, son temps, son zèle et le puissant appui de sa compétence. Il s'agissait, d'une part, de la création d'un Musée pédagogique, de l'autre, de la publication d'une Revue spéciale destinée à entretenir le goût des études pédagogiques et à en élever le niveau. Ces deux projets devaient se réaliser un peu plus tard, et en grande partie grâce à lui. Aussi sa place était-elle marquée d'avance et dans le conseil d'administration du Musée et dans le comité de rédaction de la Revue pédagogique. Hélas 1 il devait trop tôt la laisser vide, la place qu'il remplissait si dignement dans ces deux commissions, dans celle de l'Ecole normale de Fontenay-aux-Roses, dont il fut aussi l'un des fondateurs, et dans toutes les autres, où Jules Ferry l'avait appelé comme un ouvrier de la première heure ! Miné par une maladie impitoyable, sur l'issue de laquelle il ne se faisait aucune illusion, il fut envoyé à Cannes par les médecins dans l'automne de 1882. C'est là que la mort vint le frapper, le 23 novembre de la même année. Il n'avait que cinquante et un ans.

Le souvenir vénéré de cet homme de bien vivra chez tous ceux qui l'ont connu. Il a laissé un de ces exemples qui ne s'effacent pas ; il a été un des plus excellents parmi ces hommes qui, résolument et sans hésitation, préfèrent l'obscurité a la renommée, qui savent vivre et mourir satisfaits d'avoir combattu le bon combat, heureux d'avoir, de tout leur coeur et de toute leur intelligence, travaillé pour leur cause et pour leur pays, et de s'en aller sans autre récompense que la conscience même de leur absolu désintéressement.