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Babil

Nous n'avons à parler que du bavardage des enfants. Il fait souvent, on le sait, la désolation des maîtres, et nous ne songeons point à en prendre la défense. Qu'on nous permette cependant d'appliquer ici une distinction, sur laquelle nous insistons ailleurs (Voir Discipline), entre les deux sortes d'actes à réprimer dans une classe les uns qui sont répréhensibles et mauvais en eux-mêmes, les autres qui, sans être coupables en soi, doivent être empêchés, parce qu'ils gênent, troublent et entravent la leçon : le bavardage est de cette dernière espèce. C'est un fléau dans une classe, mais ce n'est pas un vice chez l'enfant. Il faut donc que la discipline le réprime soigneusement, mais pas de la même façon dont elle punirait le mensonge, par exemple.

Le plus souvent, l'enfant babille pour entendre sa propre voix, comme l'oiseau chante, puis par besoin d'expansion ; épiez-le quand il joue : un animal, une fleur, un objet quelconque lui suffit, il lui parle, fait les demandes et les réponses, sautant d'un sujet à un autre sans s'en apercevoir ; ses idées sont fugitives, il les émet à mesure qu'elles passent : il babille. C'est pour les enfants surtout que le poète a eu raison de dire:

Le babil est le charme et l'âme de la vie.

Il ne faut donc pas perdre de vue qu'obliger les enfants à se taire et à écouter plusieurs heures par jour, c'est leur demander réellement un grand effort ; quoi d'étonnant si quelques-uns cèdent parfois à la tentation? De plus âgés qu'eux n'y succombent-ils pas? Qu'il soit nécessaire de prévenir ces chutes, nous ne saurions le dissimuler ; mais avec quelle douceur, avec quelle patience, avec quel tact, c'est ce que savent tous les bons maîtres.

Rien n'est plus profitable pour l'instruction du maître lui-même que de se rendre compte, quand il le peut, des causes et des formes diverses du babil qu'il doit arrêter : c'est en examinant la nature du mal qu'il trouvera le remède le mieux approprié.

Si l'élève babille parce qu'il a laissé errer son esprit sur des sujets étrangers à la leçon, l'instituteur engagera l'enfant à être moins léger, le reprendra, l'avertira, et, s'il y est forcé enfin, le punira ; mais en même temps il s'interrogera lui-même et se demandera s'il a rendu son enseignement assez vivant, assez varié, assez clair, assez attachant pour captiver l'attention de son petit auditoire.

Si le babil provient de la vivacité d'impressions de l'enfant qui, établissant des rapports entre ce qu'on lui dit et ce qu'il sait déjà, ne résiste pas au désir de communiquer sa découverte à quelque camarade, l'instituteur devra craindre d'émousser la spontanéité de cette intelligence toujours en éveil. Et comme, avec les enfants intelligents, il y a toujours de la ressource, il lui fera prendre l'habitude de s'adresser non aux camarades, mais au maître lui-même quand il aura quelque remarque à faire. Parfois, au début surtout, l'enfant pourra abuser de cette permission, mais il ne sera pas difficile a un maître à la fois doux et ferme de faire sentir les justes bornes où doit s'enfermer cette liberté de parole, de réprimer toute familiarité, d'habituer l'enfant, sans rudesse, à réserver ses observations pour la fin de la leçon.

Quelques minutes à l'issue de chaque classe donneront une suffisante satisfaction à ce besoin d'épanchement sous prétexte ou à propos d'explications demandées.

On peut d'ailleurs poser cette règle générale, en matière de pédagogie primaire surtout : plus les élèves auront la liberté et l'habitude de parler au maître, moins ils bavarderont entre eux. Il faut qu'un enfant cause avec quelqu'un ; si ce quelqu'un est son maître, sa maîtresse, il y a double profit pour le bon ordre de la classe et pour l'instruction de chacun.

Il n'y a qu'un seul genre de babil auquel il faille couper court : c'est celui des enfants gâtés, de ces petits êtres vaniteux qu'on a rendus insupportables en admirant leurs saillies comme autant de traits d'esprit. Ceux-là, du reste, le maître aura peu à faire pour les corriger : les camarades s'en chargeront.