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Attention

L'attention est la direction de toutes les forces intellectuelles sur un seul objet.

La puissance d'attention varie en intensité et en durée selon l'âge et les facultés de chaque homme. Mais dès les premiers temps où l'enfant commence à apprendre, il doit être exercé à la porter, ne fût-ce que pendant quelques minutes, sur la leçon qu'il entend ou sur le travail qu'il accomplit. C'est la condition indispensable de tout progrès.

Elle n'est pas moins importante au point de vue moral qu'au point de vue intellectuel. Celui qui ne sait pas écouter une recommandation ou un conseil avec attention, c'est-à-dire, selon le sens étymologique, en tendant toutes les facultés de son esprit, sera négligent et relâché dans l'exécution. Enfin, au point de vue pratique, nous avons tous, quelle que soit notre condition, des indications à suivre, des ordres à recevoir, et particulièrement l'écolier, qui dépend de ses parents, de ses maîtres, et qu'au sortir de l'école attend la vie militaire, l'apprentissage d'un état : celui qui ne sait pas écouter avec attention commettra des oublis, des bévues, des fautes, et quoi qu'il ait à faire sera toujours au-dessous de sa tâche.

L'attention se reconnaît chez l'enfant aux yeux qui deviennent plus brillants, à l'attitude plus droite, à l'expression du visage qui reflète l'activité de l'esprit. Aussi le maître doit-il veiller à ces signes extérieurs : une tenue penchée, des yeux vagues, un visage morne

annonçant l'indifférence, ne doivent pas être tolérés. Un autre défaut, c'est la dissipation, c'est-à-dire la dispersion de l'esprit sur plusieurs objets : elle est quelquefois plus difficile à reconnaître, car l'écolier dissipé sait prendre l'apparence du plus vif intérêt aux exercices de la classe ; mais un maître expérimenté ne s'y trompera pas. Des appels réitérés à l'attention ne suffisent point. Le principal moyen de l'obtenir, c'est d'intéresser les esprits.

Il y a toutefois un certain nombre de moyens pratiques suggérés par l'expérience. Le maître, autant que possible, reste en place, tenant la classe sous ses yeux, et exigeant que tous les yeux soient tournés vers lui. L'enseignement ne commence que quand tous les enfants ont pris une attitude droite et recueillie : un coup donné sur la table ou un mot convenu marque le signal que la classe est commencée. Les questions doivent être adressées à la classe tout entière : aussi le maître fera-t-il toujours la question d'abord, puis il laissera la pause nécessaire pour trouver la réponse, et c'est alors seulement qu'il nommera l'élève qui doit répondre. Si l'écolier commence à chercher sa réponse après qu'il est interpellé, c'est preuve d'inattention. La réponse faite par un élève, si elle est correcte, peut être redemandée à un camarade ; si elle est fautive, elle doit être corrigée par lui. Les phrases importantes sont répétées en choeur par toute la classe. Aussitôt que l'inattention se montre, le maître s'arrête. Un moyen de réveiller la classe, mais dont il ne faut pas abuser, c'est de la faire lever et se rasseoir sur un mot de commandement. Les élèves doivent toujours répondre à voix très haute ; au contraire, le maître pourra parler doucement. L'oreille des élèves s'habitue vite aux éclats de voix, qui dès lors ne servent plus à rien.

Mais, nous l'avons dit, |e principal moyen d'obtenir l'attention, c'est de donner l'enseignement de manière à attacher l'auditoire à la leçon. Il faut d'abord que le maître, selon l'expression familière, soit à son affaire, car sa propre indifférence aurait inévitablement pour conséquence celle des élèves. L'intérêt qu'il prend à l'objet de l'enseignement se traduira par l'expression et le geste, ainsi que par un air de contentement et de bonne humeur répandu sur son visage. Il découvrira à l'instant même, et autant que possible en collaboration avec ses élèves, les règles de grammaire ou de calcul qu'il leur enseigne. S'il fait une leçon d'histoire, de géographie, d'histoire naturelle, il commandera l'attention par la sûreté de l'exposition, par le soin avec lequel il mettra en relief les faits importants. Dans les interrogations, il saura rapidement profiter des réponses des enfants, en tirer ce qui est juste, les mettre à sa place, sans se laisser jamais détourner de son sujet, ni entraîner dans les digressions.

Nous devons ici prévenir une erreur où peuvent tomber les jeunes maîtres. Quand nous demandons de rendre l'enseignement intéressant, nous ne voulons pas dire qu'il convienne de dépenser le temps de la classe à des récits de pur amusement, ou d'entremêler les plaisanteries aux choses sérieuses, encore moins qu'il faille omettre les règles épineuses et éluder les exercices difficiles. La classe ne doit pas devenir un lieu de divertissement. C'est le travail qu'il faut faire aimer, et non le plaisir. Le maître qui possède son sujet et qui l'expose avec ordre et avec précision, pourra fixer et retenir l'attention de ses élèves sur une règle de grammaire ou d'orthographe aussi bien que sur un beau chapitre d'histoire. Il faut pour cela qu'il aime son état, et que les élèves sentent qu'il est avec eux de coeur et d'âme.

Il est important de bien disposer les occupations de la classe. On commencera par l'exercice le plus difficile et l'on finira par celui qui demande le moins d'effort. Si la classe dure quatre heures, la première et troisième heure porteront le principal poids du travail. La seconde et la quatrième seront consacrées à des exercices moins absorbants, tels que l'écriture ou le dessin. Même une heure d'attention est une somme difficile à atteindre pour le grand nombre des enfants ; on devra donc varier le mode d'enseignement, en faisant, par exemple, alterner l'exposition et les interrogations. Une condition essentielle pour que l'attention de la classe ne soit pas distraite, c'est que tous les élèves soient à peu près de même force ; les retours en arrière, nécessités par l'ignorance de quelques retardataires, ne sont guère moins nuisibles à l'attention générale qu'une course en avant où le maître serait seulement suivi par le petit nombre. Toutes les fois qu'un point nouveau est exposé devant les élèves, un redoublement d'attention est nécessaire : il faut alors multiplier les exemples, en commençant par les cas les plus simples, en variant les données, faire trouver des exemples aux enfants, rester tout le temps nécessaire sur le même point jusqu'à ce qu'on se soit assuré que la notion nouvelle est entrée dans l'esprit de tous. Le succès de l'enseignement dépend du solide établissement de ces étapes graduelles.

Un autre bon moyen de soutenir l'attention, c'est de montrer de temps en temps aux élèves les pas qu'ils ont déjà faits en avant dans l'étude d'un sujet, et de leur annoncer d'une façon générale ce qui va suivre.

Enfin, et cette dernière remarque doit relever les courages trop prompts à s'abattre, ce qu'on appelle manque de dispositions chez un enfant n'est souvent chez lui qu'un manque d"énergie dans l'attention ou un défaut de l'enseignement chez le maître ; et ce sont là deux causes d'insuccès qu'il dépend presque toujours du maître lui-même de faire disparaître.

Michel Breal