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Athéniens (Éducation chez les)

Les Athéniens n'eurent pas, comme les Spartiates, un système national d'éducation réglé par la loi dans tous ses détails. Le législateur n'avait donné que quelques préceptes généraux ; Solon avait dit : « Les garçons doivent avant toute chose apprendre à nager et à lire ; les pauvres doivent ensuite être exercés à l'agriculture ou à une industrie quelconque, les riches à la musique et à l'équitation, et s adonner à la fréquentation des gymnases, à la chasse, à la philosophie ». Le soin d'élever les enfants était confié aux parents. Bien que, dans la démocratique Athènes, les inégalités de fortune et de position sociale, entre les citoyens de condition libre, fussent moins considérables que dans les Etats modernes, elles existaient néanmoins, et exerçaient leur influence sur le degré d'instruction reçu par les enfants. Le fils d'un artisan ne dépassait guère les connaissances les plus élémentaires en lecture, écriture et calcul ; le fils du citoyen riche, au contraire, ayant à sa disposition tout le loisir et toutes les ressources nécessaires, pouvait remplir dans toutes ses parties le programme d'une éducation complète, développant à la fois le corps et l'intelligence ; lui seul devenait un véritable citoyen, réalisant dans sa plénitude le type de l'Athénien contemporain de Périclès.

Voici ce que les auteurs anciens nous apprennent sur la manière dont se faisait l'éducation d'un jeune Athénien de la classe riche ou aisée.

Jusqu'à l'âgé de cinq ans, selon les uns, de sept ans, selon les autres, l'enfant restait entre les mains des femmes. Il était ensuite placé sous la direction d'un pédagogue ou « conducteur d'enfants », dont les fonctions consistaient, non à instruire lui-même son élève, mais à l'accompagner à la palestre ou aux leçons du grammairien et dû cithariste, et à veiller sur sa conduite. Les écoles de grammaire et de musique étaient des institutions privées : les divers maîtres se taisaient concurrence ; ils attiraient chez eux un nombre plus ou moins considérable d'élèves selon leur habileté, et le prix de leurs leçons variait.

Le grammairien enseignait les premiers éléments de la lecture, de l'écriture et du calcul. L'élève apprenait d'abord le nom des lettres et leur forme : puis la manière de les grouper en syllabes ; puis les noms des parties du discours et les particularités des différentes classes de mots, telles que désinence et flexion, quantité, contraction, accent ; puis venait l'étude de l'écriture et de la ponctuation ; puis celle de la lecture expressive : on insistait sur l'observation exacte de l'accent tonique, de la longueur ou de la brièveté des syllabes, des modulations correctes de la voix. Les élèves apprenaient par coeur des fables d'Esope, et des morceaux tirés d'Homère, d'Hésiode et des poètes lyriques ; pour éviter qu'on leur fit apprendre les passages des poètes qui choquaient la morale, on avait composé, à l'usage des écoles de grammaire, des chrestomathies ou recueils de morceaux choisis. Pour l'enseignement de l'écriture, le maître traçait les lettres avec un poinçon sur des tablettes enduites de cire, et l'élève, prenant ensuite le poinçon, suivait à plusieurs reprises les contours que son maître avait tracés. Quant au calcul, il se bornait aux exercices pratiques les plus simples ; et l'on comprend que le manque d'un bon système de chiffrage fut un grand obstacle à cet enseignement.

Dans l'école de musique proprement dite, dirigée par un cithariste, les enfants apprenaient d'abord à chanter : on leur enseignait à la fois le rythme poétique et la théorie musicale ; et les chants qu'ils apprenaient par coeur étaient choisis de façon à développer le sentiment religieux, patriotique et moral. Ils s'exerçaient en même temps à jouer d'un ou de plusieurs instruments, dont les plus usités étaient la cithare et la lyre. Un Athénien bien élevé, au cinquième siècle avant J.-C, devait pouvoir chanter en s'accompagnant : Thémistocle, qui ne possédait pas ce talent, était regardé comme n'ayant reçu qu'une éducation négligée.

La musique et la grammaire étaient si étroitement liées l'une à l'autre, que le plus souvent c'était le même maître qui était chargé de les enseigner, et qu'on les considérait comme ne formant qu'une seule et même branche de l'éducation, désignée sous le nom général de musique, et embrassant tout ce qui se rapportait au culte des muses, c'est-à-dire à la culture de l'esprit, en opposition à la gymnastique, dont le but était le développement du corps.

L'éducation gymnastique des enfants se faisait dans les palestres (de palê, lutte), établissements généralement construits aux frais de la cité. Les élèves étaient groupés en plusieurs divisions, suivant leur âge. L'un des maîtres, le paeedotribe, présidait aux exercices corporels ; un autre, le sophroniste, exerçait la surveillance morale ; les aliptes ou « oigneurs » étaient des aides dont les fonctions consistaient entre autres à frotter d'huile le corps des jeunes gens. Après avoir passé par un certain nombre d'exercices préliminaires, les élèves apprenaient le pentathle ou le « quintuple combat », qui comprenait le saut, la course, le jet du disque, le jet du javelot, et la lutte. L'entrée des palestres était interdite aux hommes faits.

Là se bornait, dans le « bon vieux temps », regretté par Aristophane, l'enseignement donné à la jeunesse athénienne. Les élèves étaient soumis à une discipline sévère, et battus pour chaque faute ; les chants qu'on leur enseignait avaient un caractère grave et religieux ; la décence était strictement observée ; rien d'efféminé dans le costume, dans la tenue ou le langage n'était toléré. Plus tard, des connaissances nouvelles furent introduites ; les jeunes gens reçurent l'enseignement d'une foule de maîtres spéciaux, l'éducation perdit son austérité, et Aristophane, se faisant l'organe du parti conservateur, put déplorer ce changement dans cette scène célèbre des Nuées, où le Juste s'exprime en ces termes : « Je dirai quelle était l'ancienne éducation aux jours florissants où j'enseignais la justice, et où la modestie régnait. D'abord, il n'eût pas fallu qu'on entendît un enfant murmurer. Les enfants du quartier allaient ensemble chez le cithariste, marchant dans les rues en bon ordre, sans manteau, eût-il neigé à gros flocons. Là, sans qu'on leur permît de croiser les jambes, on leur apprenait l'hymne Redoutable Pallas, destructrice des cités, en conservant l'harmonie telle que les aïeux l'avaient transmise. Si quelqu'un s'avisait de chanter avec des inflexions molles et recherchées, comme celles qui sont à la mode aujourd'hui, il était châtié comme profanateur des muses. A la palestre, si les enfants se reposaient, on les faisait asseoir les jambes étendues, pour que rien dans leur attitude ne pût choquer le regard. A table, on ne leur permettait pas de rien prendre, fût-ce une tête de rave, ni de se servir d'anis ou de persil, réservés aux vieillards, ni de manger des friandises. Voilà l'éducation qui a formé les combattants de Marathon. »

Il y a certainement de l'exagération dans le pessimisme d'Aristophane. Même pour la vigueur physique, les Athéniens de l'époque de la guerre du Péloponèse ne semblent point avoir dégénéré ; Thucydide le constate dans l'oraison funèbre qu'il place dans la bouche de Périclès : « En ce qui concerne l'éducation, lui fait-il dire, si les Lacédémoniens, dès leur plus tendre jeunesse, se soumettent à un exercice fatigant pour parvenir au courage, nous, avec nos habitudes faciles de vie, nous ne sommes pas moins préparés qu'eux pour affronter les périls. Nous combinons l'amour du beau avec la simplicité de la vie, et nous philosophons sans être amollis. »

Outre les palestres ou écoles de gymnastique pour les enfants, Athènes possédait, comme toutes les villes grecques, des établissements appelés gymnases (de gymnos, nu), destinés aux adultes. Les gymnases d'Athènes, entretenus aux frais du public, étaient au nombre de trois : l'Académie, le Lycée et le Cynosarge. Un gymnase se composait de quatre grands portiques formant un carré. Trois de ces portiques étaient réservés aux promeneurs, aux oisifs, qui venaient s'y asseoir, discourir, ou écouter les conversations. Le quatrième portique, du côté du sud, servait aux exercices. Il était divisé en compartiments qui portaient des noms spéciaux suivant leur destination : dans l'un, on quittait ses vêtements ; dans un autre, on se frottait d'huile, pour donner de la souplesse à ses membres ; dans un autre, on se couvrait de poussière, pour que l'adversaire pût les saisir sans glisser ; il y avait encore le bain chaud, le bain froid, et diverses salles consacrées à différents exercices. Le chef du gymnase s'appelait gymnasiarque ; c'était un magistrat important, qui à Athènes était élu chaque année directement par l'assemblée du peuple, et qui portait comme insignes de sa dignité un manteau de pourpre et des souliers blancs. Il avait sous ses ordres toute une hiérarchie d'aides et de surveillants. La police des gymnases était très sévère : tout vol dont la valeur montait à plus de 10 drachmes, commis dans un gymnase, était puni de mort. On ouvrait les gymnases au lever du soleil, on les fermait à son coucher. Le citoyen athénien passait au gymnase une partie de sa journée ; mais c'étaient surtout les jeunes hommes de dix-huit à vingt ans qui le fréquentaient, et qui, après y avoir achevé leurs exercices corporels, trouvaient dans la conversation des citoyens instruits l'occasion de cultiver leur esprit. Cette espèce d'enseignement collectif et anonyme qui se donnait publiquement et gratuitement au gymnase dès l'époque de Solon, et qui devait faire de l'éphèbe un citoyen propre au combat et apte à la discussion des affaires publiques, ne suffit plus lorsque la démocratie se fut développée ; tout jeune homme qui aspirait à exercer un jour quelque influence dans la cité, et même simplement à devenir capable de gérer ses affaires et de faire respecter sa personne, dut se livrer à ces études qu'on désigna sous le nom de rhétorique, dialectique, sophistique, et pour lesquelles il fallait s'adresser à des maîtres spéciaux. « Dans la démocratie athénienne, dit Grote, la justice était rendue par une nombreuse assemblée de dicastes ; tout citoyen devait comparaître devant eux en personne, et y plaider lui-même sa cause. Il n'y avait donc pas d'homme qui ne pût échouer dans un procès, même avec le droit de son côté, s'il ne possédait quelque talent de parole pour expliquer son affaire et pour réfuter son adversaire. »

C'est ce besoin impérieux qui fit peu à peu étendre le sens des mots musique et maître de musique. Vers le milieu du cinquième siècle, certains « maîtres de musique » d'Athènes étaient des hommes dont l'instruction embrassait tout ce qu'on savait alors en astronomie, en géographie et en physique, et en outre capables de soutenir des discussions (dialectique) sur les problèmes philosophiques, politiques et moraux les plus divers. C'est vers le temps de Périclès qu'à ce nom de maître de musique se substitua celui de sophiste, qui ne se prenait point alors en mauvaise part ; ceux-là mêmes que Platon a combattus et persiflés sous ce nom, Protagoras, Hippias, Gorgias, etc., n'étaient que des professeurs qui se chargeaient, comme leurs devanciers, de préparer la jeunesse aux devoirs, aux occupations et aux succès de la vie active, tant privée que publique ; et, pour accomplir leur tâche, ils eurent recours non seulement à un cercle plus large de connaissances, mais à un art oratoire plus perfectionné, plus raffiné, à une habileté plus grande dans le maniement des lieux communs, que leurs disciples devaient apprendre par coeur pour avoir en quelque sorte des discours tout prêts sur tous les sujets possibles.

L'éducation des femmes se faisait à la maison, dans le gynécée. La mère enseignait à sa fille à filer, à tisser, à coudre, l'instruisait dans tous les travaux domestiques. Mais l'éducation intellectuelle des jeunes filles était généralement nulle. Il y avait sans doute, à Athènes, des femmes exercées dans la musique et dans les lettres ; mais elles appartenaient à la classe des hétaïres, ou à celle des musiciennes esclaves, joueuses de flûte, danseuses, etc. Quant aux femmes mariées, de condition libre, on peut juger de ce que devaient être les connaissances qu'elles avaient à acquérir, par ce tableau que trace Xénophon des devoirs d'une maîtresse de maison : « Recevoir et distribuer les provisions, veiller à ce qu'elles soient de bonne qualité, faire faire les vêtements avec la laine des bestiaux, dresser au travail les femmes esclaves, activer leur paresse, mettre de l'ordre dans la maison, serrer et conserver les bijoux, les riches tapis, les ornements de toilette, compter, garder, vérifier les objets qui ne servent qu'aux jours de fête et de gala, avoir l'oeil sur l'unique porte de communication entre l'appartement des hommes et le gynécée, pour éviter les relations intempestives entre les esclaves des deux sexes. » Tel était l'idéal d'une femme athénienne.

Il n'entre pas dans le cadre de cet article de parler des destinées d'Athènes après la perte de son indépendance, lorsqu'elle fut devenue, par les nombreuses écoles qu'y ouvrirent les philosophes et les rhéteurs, et l'affluence des jeunes gens de tous pays, l'équivalent d'une de nos villes modernes d'université. Ernest Renan, dans son Saint Paul, a tracé en quelques pages brillantes le tableau de cette vie d'études qui fit d'Athènes, jusques à Constantin et à Julien, le centre le plus lumineux de la culture antique.

On trouvera, dans des articles spéciaux, un exposé des vues sur l'éducation qui furent propres à quelques Athéniens illustres. (Voir Socrate, Platon, Xénophon. - Voir aussi Spartiates.

James Guillaume