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Association polytechnique

L'Association polytechnique, société qui a pour objet l'instruction gratuite et publique des ouvriers, a été fondée en 1830 par des élèves de l'Ecole polytechnique : de là son nom ; elle est reconnue d'utilité publique depuis le 30 juin 1869. Le but qu'elle s'est proposé dès l'origine est de faire des ouvriers « plus habiles, plus à l'aise et plus sages », de moraliser par la science et par l'enseignement professionnel. Par les journées des 27, 28 et 29 juillet 1830, la France venait de rompre définitivement avec l'ancien régime, de reprendre ses couleurs nationales, de rendre à jamais impossible le retour des privilèges, et les manifestations les plus généreuses se produisaient en faveur de la classe ouvrière. L'Association est donc née au lendemain d'une des batailles de la liberté, dans laquelle les élèves de l'Ecole polytechnique et les ouvriers luttèrent à côté les uns des autres, pour la défense des droits du peuple. Restés frères d'armes après la lutte, ils se retrouvèrent dans les premiers cours d'adultes de l'Association, ceux-là comme professeurs, ceux-ci comme auditeurs, et, après avoir combattu vaillamment ensemble pour faire la démocratie victorieuse, ils travaillèrent courageusement à l'instruire pour son rôle futur de souveraine.

Les cours furent immédiatement organisés, et un premier bureau fut constitué. Il était composé de M. de Choiseul-Praslin, duc et pair de France, président ; de MM. Victor de Tracy, Auguste Comte, Vauvilliers, Larabit, vice-présidents ; Thuringer, trésorier ; Menjaud, Gondinet, Perdonnet, Meissas, secrétaires : tous étaient anciens élèves de l'Ecole polytechnique.

Les noms qui viennent d'être cités sont d'autant plus importants à rappeler, qu'ils montrent, mieux que toutes les explications, l'immuable esprit de suite de l'Association polytechnique ; c'est, en effet, parmi les membres de ce premier bureau qu'elle choisira successivement quatre de ses présidents, de sorte que, trente-sept ans après, en 1867, c'est encore un de ses fondateurs, Perdonnet, qui préside aux destinées de l'Association.

Suivons maintenant le développement de cette oeuvre, qui a été si justement qualifiée d'oeuvre de concorde et de paix sociale.

Dès 1830, 14 cours sont professés gratuitement chaque semaine ; puis le nombre en est de 24 en 1835, de 33 en 1840, de 27 en 1848. C'est à ce moment qu'une scission se produit : quelques professeurs se détachent pour fonder une autre société (29 mars 1848), qui prendra le nom d'Association philotechnique, qui poursuivra le même but, et dont l'action identique sera parallèle à celle que l'Association polytechnique suivait déjà avec des résultats très appréciés depuis dix-huit années.

Le nombre des cours professés reste alors à peu près stationnaire jusqu'en 1858, mais il reprend bientôt sa marche ascendante. En 1860, 1 Association compte 55 cours chaque semaine, puis 77 en 1865, et 151 en 1869, lorsqu'un décret du 30 juin en fait un établissement d'utilité publique.

En 1870, un long et pénible arrêt se produit : la guerre funeste avait éclaté qui devait être suivie de l'invasion laissant de si tristes souvenirs ; nos champs furent dévastés, nos armées décimées, nos villes détruites, Paris assiégé ! Un certain nombre de professeurs étaient allés dans les armées de province défendre pas à pas notre territoire, d'autres étaient restés pour soutenir la capitale menacée par l'ennemi. Le personnel enseignant était donc dispersé ; d'ailleurs, nos revers, à l'étranger, à nos portes, nos douleurs publiques, nos misères privées, tant de tristes causes obligeaient l'Association polytechnique qui, depuis quarante ans, s'était faite sans interruption l'institutrice du peuple, à différer sa réouverture, de sorte que le diagramme de ses cours montre une lacune pour cette terrible année.

Mais, en 1871, dès que le canon eut cessé de gronder, maîtres et élèves se réunirent de nouveau, les uns pour instruire, les autres pour apprendre. Plus que jamais, le travail, travail acharné, sans trêve, sans repos, apparaissait comme une suprême consolation, comme le seul honorable moyen de nous relever et de réparer rapidement les ruines accumulées. L'oeuvre interrompue fut reprise, et elle ne devait plus s'arrêter dans sa marche constamment ascendante.

Aux 86 cours réorganisés dès l'hiver de 1871, nous voyons se succéder :

174 cours professés chaque semaine en 1875 ;

285 — — 1880.

C'est alors qu'en fêtant le cinquantième anniversaire de la fondation de l'Association, Gambetta, dans un magnifique mouvement de merveilleuse éloquence, disait aux professeurs réunis : « Continuez votre belle oeuvre, travaillez, jetez vos filets, vous êtes des pêcheurs d'hommes ».

Enfin 909 cours sont professés chaque semaine en 1906-1907, donnant un chiffre de plus de 19 000 leçons faites gratuitement, réunissant un nombre total de 360 000 présences d'élèves pendant le dernier hiver', et cela sans y comprendre les très nombreux auditeurs des conférences faites pendant la même période par les professeurs et conférenciers de l'Association dans les locaux qui lui sont réservés, ni faire entrer en ligne de compte les cours professés dans les associations de banlieue, de province, des colonies et de l'étranger.

L'Association polytechnique compte maintenant (1908) 31 sections à Paris et de nombreux groupes dans les communes suburbaines. Elle a organisé et elle patronne diverses sociétés similaires à Paris, dans les départements, aux colonies et à l'étranger.

Ses cours publics et gratuits du soir ont pour objet la vulgarisation des connaissances utiles, professionnelles, techniques, et constituent un ensemble complet d'instruction générale. Ils s'adressent aux ouvriers, aux employés du commerce et de l'industrie, aux commerçants, à tous ceux qui n'ont ni le temps, ni les moyens d'étudier ailleurs.

Quant aux professeurs de l'Association, ils se recrutent dans toutes les professions : ce sont des ingénieurs, anciens élèves de l'Ecole polytechnique ou de l'Ecole centrale, des avocats, des médecins, des hommes de lettres, des artistes, des commerçants, des comptables, des publicistes, des fonctionnaires, qui tous, unis dans une même pensée de progrès, viennent donner à cette oeuvre de réparation sociale leur contingent de savoir et de dévouement.

Ces professeurs sont d'ailleurs heureux de penser qu'en contribuant ainsi à l'enseignement du peuple, ils ont apporté leur part d'influence, non seulement dans l'établissement et la consolidation du régime républicain, mais dans la prospérité générale de la patrie.

Alphonse Malétras