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Association philotechnique

L'Association philotechnique a été créée le 29 mars 1848, par une réunion de professeurs de l'Association polytechnique, qui crurent devoir se séparer de leurs collègues pour organiser d'une façon un peu différente l'enseignement, qu'ils voulaient rendre plus pratique et, avant tout, professionnel ; d'où le nom de l'association nouvelle. Le différend venait aussi de ce que, si l'Association polytechnique entendait accepter le concours de professeurs non anciens élèves de l'Ecole polytechnique, elle ne consentait pas à les admettre dans son Conseil d'administration. La révolution de 1848 venait de restaurer le suffrage universel : c'était, pour la génération d'alors, une arme inconnue, à deux tranchants, qui pouvait faire les plus dangereuses blessures, si le peuple aux mains duquel elle était remise n'était instruit. L'initiative individuelle pouvait contribuer à hâter la diffusion de cette instruction si nécessaire. Les fondateurs de la nouvelle Association étaient au nombre de dix : Lion-net, Ancelin, Lefèvre, Gallien, de Salve, Claudel, Proal, Laby, Leroyer, Tessereau. Ces dix professeurs ouvrirent dix cours : leur oeuvre en compte aujourd'hui plus de 600 par semaine, dans Paris seulement.

C'est dans les salles de la Halle aux Draps, mises à leur disposition par la préfecture, puis dans les amphithéâtres de l'école Turgot et dans les préaux de l'école primaire de Sainte-Elisabeth, qu'eurent lieu les premiers cours : français, arithmétique, géométrie, algèbre élémentaire, mécanique, dessin linéaire et d'ornement, comptabilité, hygiène.

Pour couvrir ses frais matériels, la nouvelle Association obtint des subventions du ministère et de la Ville de Paris, ce qui lui permit de décerner des récompenses. La première distribution fut présidée par M. de Parieu, ministre, assisté de M. Boulay (de la Meurthe), président de l'Association. M. Salmon, président du comité d'enseignement, rendant compte des travaux de l'année 1848, se félicitait de compter 13 cours et près de 1000 élèves, et il ne croyait pas qu'on pût demander à la fortune de couronner de plus de succès ces généreux efforts. Comme sanction, l'Association délivra, après examen, aux meilleurs de ses élèves, des certificats d'études relatifs aux arts industriels, au commerce, aux sciences mathématiques, aux arts de construction ; le nombre de ces certificats a été considérablement augmenté depuis. Enfin des prix d'honneur de section et des grands prix pour toute l'Association complétèrent et complètent encore le système des récompenses.

En 1864, une crise des plus graves faillit engloutir l'avenir de l'oeuvre. A la suite d'une scission qui amena le départ de 26 membres, la Ville de Paris retira à l'Association sa subvention et ses locaux : sans salles, sans argent, celle-ci n'avait plus, ce semble, qu'à mourir : elle voulut vivre, elle vécut. Elle obtint d'un ministre bienveillant, M. Duruy, les amphithéâtres du lycée Charlemagne et de la Sorbonne, puis elle s'adressa aux chefs d'institution : des hommes de dévouement, MM. Brémant, Kister, Pauliet, Sextius Michel, mirent au service de l'instruction populaire leurs maisons et leurs personnes. Enfin elle trouva de l'argent en intéressant à sa bonne volonté des patrons, des adhérents qui lui refirent un budget. Les professeurs eux-mêmes se cotisèrent pour pouvoir continuer leur enseignement. Le malheur de l'Association tournait à sa gloire. La nécessité de vivre lui donna l'indépendance. Les trois sections de Paris comptaient déjà 70 cours et 2000 élèves. Dès 1856 M. Ancelin avait fondé une association nouvelle à Corbeil. Bientôt Saint-Denis, Puteaux, Boulogne-sur-Seine, Suresnes, etc., ouvrirent successivement des cours, qui tous prospérèrent. Depuis, une Union des Philotechniques relie entre elles ces diverses associations.

Le plus grand honneur de l'Association philotechnique, c'est d'avoir la première ouvert gratuitement des cours du soir pour les femmes, et d'avoir reconnu électeurs, et ensuite éligibles, les dames professeurs que cet enseignement des femmes appelait dans ses sections.

Les institutions libres survivent aux crises les plus redoutables : les cours ne chômèrent pas pendant le siège de Paris en 1870-1871. Le canon tonnait au dehors, sans faire taire les voix qui donnaient l'instruction. Le gaz manqua : on organisa un éclairage au pétrole. Le froid vint à son tour, âpre et prolongé, un froid historique : il gelait dans les salles et on y étudiait ; ni professeurs, ni élèves ne manquèrent à l'appel, jusqu'au 9 janvier, où les obus prussiens, frappant la Sorbonne, firent un devoir d'humanité de fermer les cours.

Depuis lors, l'oeuvre a repris avec une nouvelle énergie. L'Association ne fut pas un des derniers agents dans l'oeuvre pacifique du relèvement de la patrie. En 1872, Jules Simon lui rendit la subvention du ministère et lui fit rendre celle de la Ville, augmentée par le Conseil municipal élu. Aujourd'hui (1908) l'Association compte, à Paris seulement: 7 sections pour les hommes, 10 pour les femmes, 16 mixtes où sont admis les élèves des deux sexes, et 8 groupes de Lectures populaires, que M. Maurice Bouchor a organisés. La moyenne des présences d'élèves et d'auditeurs est de 14 000 environ par semaine.

Sous la direction de M. Maurice Bouchor, l'Association a édité des ouvrages spéciaux pour répandre l'oeuvre des Lectures populaires : 15 volumes ont paru.

Organisation de l'Association. — L'Association se recrute par l'élection, et se régit par des statuts et des règlements volés en assemblée générale. Elle publie chaque année le programme de ses cours et le compte-rendu de ses travaux dans son Bulletin mensuel. Elle se compose de professeurs, de patrons, de membres adhérents. Les patrons paient une cotisation annuelle de 100 francs, et peuvent devenir patrons perpétuels en versant la somme de 1000 francs. Tout membre adhérent paie annuellement 5 francs au moins. L'Association est administrée par un Conseil composé du bureau et de 30 membres professeurs et patrons, des directeurs et directrices de cours. Le président, les deux vice-présidents, le secrétaire général, les 6 secrétaires, le trésorier et le vice-trésorier et un agent général forment le bureau. L'assemblée générale, convoquée deux fois par an, élit le bureau et le conseil ; nomme, après un an de stage, les professeurs titulaires ; ordonne l'ouverture des sections, l'organisation des conférences ; vote sur les modifications aux statuts et règlements ; approuve les comptes.

Les cours comprennent l'écriture, la lecture à haute voix, la langue française, l'arithmétique, la géométrie, la coupe des pierres, la construction pratique, l'arpentage, le nivellement ; des cours d'algèbre, de géométrie descriptive, trigonométrie, mécanique, perspective, qui, écartant la routine, rapprochent 1 ouvrier du savant, le mécanicien de l'ingénieur ; la physique, la chimie, l'étude des matières premières, dont l'importance grandit chaque jour dans l'industrie ; l'histoire naturelle, l'hygiène ; la comptabilité et la tenue des livres ; la législation usuelle ; l'histoire de France ; la géographie, particulièrement la géographie industrielle et commerciale ; le dessin linéaire et d'ornement ; le chant. L'Association philotechnique n'a eu garde d'oublier les langues étrangères : « Celui qui possède deux langues possède deux âmes », disait Bacon. Aussi de nombreux cours d'anglais, d'allemand, d'italien, d'espagnol, de portugais, de russe, ont-ils été ouverts dans la plupart des sections.

Outre son mérite d'initiative privée, l'Association philotechnique, centralisée administrativement, donne aussi de précieux exemples de décentralisation en laissant à ses sections une vie propre. Une partie des professeurs appartient à l'Université ; d'autres, à l'enseignement libre, aux professions libérales ; quelques élèves ont fait assez de progrès pour passer maîtres à leur tour. Un grand nombre d'autres s'inscrivent comme membres adhérents, comme patrons, quand l'aisance a récompensé leurs efforts, payant ainsi en partie l'instruction qu'ils ont reçue jadis gratuitement. Enfin l'Association a créé des sections spéciales professionnelles, depuis 1882, comme celles des mécaniciens, relieurs, électriciens, etc., et des cours professionnels comme ceux de modes, de coupe. Elle y a adjoint un enseignement ménager, des cours de cuisine pratique, de sténographie, de dactylographie, et encore des cours agricoles. Elle a créé, grâce à de généreux donateurs, des bourses de séjour à l'étranger, après concours entre les meilleurs élèves de ses cours de langues vivantes.

Elle organise de nombreuses visites-leçons, des promenades du dimanche. On visite les musées, les usines, les fabriques, les lieux historiques ; les élèves, les membres adhérents s'y rendent avec leurs familles ; les maîtres y trouvent à faire, comme en se jouant, d'utiles leçons : tels élèves, ouvriers de l'usine ou de la fabrique, y sont eux-mêmes à leur tour d'intéressants professeurs et tout pratiques.

L'enseignement à la caserne a attiré la sollicitude de l'Association, qui, dans une seule année, a organisé, pour les militaires, 75 conférences et 20 visites-leçons.

L'Association philotechnique tient à entretenir les meilleures relations avec les Sociétés d'enseignement similaires, à les voir se réunir ; elle a contribué très activement à fonder le Comité consultatif des Associations d'enseignement populaire, dont le président est M. F. Buisson, l'un des anciens présidents de la Philotechnique.

Les noms des principaux présidents de l'Association philotechnique, Boulay (de la Meurthe), Turgot, chez qui l'amour des classes laborieuses était un héritage de famille, Lariboisière, dont le nom à Paris est synonyme de bienfaisance, Jules Simon, le second fondateur de l'oeuvre, Hippolyte Carnot, fils de ce glorieux Carnot qui encouragea en 1815 la Société d'enseignement élémentaire, E. de Pressensé, Laboulaye, F. Arago, L, Bourgeois, Jules Ferry, Berthelot, R. Poincaré, P. Strauss ; tous ces noms sont, en dehors des résultats déjà réalisés, des gages certains de la haute valeur morale d'une oeuvre qui a eu ses jours d'épreuve, mais n'a pas eu une heure de faiblesse, qui a parfois manqué d'argent, jamais de professeurs. Sa devise est le dévouement ; son double ressort, l'esprit d'initiative et l'esprit de persévérance, deux qualités qui doivent désormais être françaises.

Aux grandes assises de l'enseignement populaire, au Congrès du Havre, on l'a vue prendre une part importante au travaux du congrès.

Sa seule ambition est de vouloir que son avenir s'identifie à ce point avec l'avenir de la moralité publique et de l'instruction populaire, que tout bon citoyen, en formant des voeux pour la prospérité de la patrie, soit contraint d'en faire pour elle.

L'Association philotechnique a vu approuver l'ensemble de son oeuvre par des grands prix, non seulement aux Expositions universelles de Paris, mais aussi à celles de Saint-Louis, de Melbourne, de Bruxelles, de Liège, de Milan.

Antoine Pressard et É. Rotival