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Assemblée constituante de 1789

Ce fut le 17 juin 1789 que les députés du Tiers-Etat, réunis à Versailles depuis le 5 mai, décidèrent de prendre le nom d'Assemblée nationale, auquel fut ajouté plus tard l'épithète de constituante. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, votée par cette assemblée du 20 au 26 août 1789, et restée inachevée, ne contient pas de disposition relative à l'instruction publique. Camus, dans sa Notice des principaux décrets sur l'éducation et l'instruction publique (rédigée en 1792), dit: « M. Gossin [député de Bar-le-Duc], le premier, présenta à l'Assemblée une Motion sur la nécessité d'établir des écoles nationales » (Imprimerie nationale, in-8°, 8 p., s. d.). En 1789 et 1790, divers plans pour la réforme de l'éducation furent adressés à la Constituante par leurs auteurs : ce sont entre autres le Nouveau plan d'éducation et d'instruction publique, par Villiers, de Saumur ; le Plan d'éducation présenté au nom des instituteurs publics de l'Oratoire, oeuvre de l'oratorien Daunou ; un écrit d'un autre oratorien, Delas, intitulé De l'éducation publique ; un mémoire sur les principaux objets de l'éducation publique, publié par Bonnefoux, général de la Doctrine chrétienne ; un projet sur l'instruction publique, envoyé au Comité de constitution, et le Tableau d'un collège en activité, par Major, professeur au collège de Bar-le-Duc ; un mémoire sur l'éducation nationale française, par l'abbé Audrein, vice-gérant du collège des Grassins.

Le décret du 22 décembre 1789, portant constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives, remit aux directoires de département la nomination aux places de professeurs et autres vacantes dans le département de l'instruction publique ; toutefois celles des municipalités qui nommaient à ces places, en vertu de titres constatés, conservèrent ce droit (Décret du 15 avril 1791).

Le décret du 13 février 1790 supprima les ordres religieux, mais en stipulant que, pour le moment, « il ne serait rien changé à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité ».

Le décret du 20 avril 1790, en même temps qu'il donna aux directoires de département et de district l'administration des biens déclarés à la disposition de la nation, excepta de ce décret (art. 4) les collèges et maisons d'instruction, ainsi que les maisons de religieuses occupées à l'éducation publique ; la surséance de la vente des biens appartenant aux établissements mentionnés dans le décret du 20 avril 1790 fut confirmée par le décret du 23 octobre 1790.

Un décret important, rendu le 13 octobre 1790 sur le rapport de l'ancien évêque d'Autun, Talleyrand, chargea le Comité de constitution de recueillir toutes les vues présentées à l'Assemblée sur l'éducation, et d'en faire son rapport ; et en même temps l'Assemblée déclarait ? « afin de prévenir l'incohérence qui se trouverait un jour dans l'ensemble, si l'on souffrait qu'on proposât partiellement des décrets qui n'auraient pas une liaison nécessaire entre eux » (Camus) ? qu'elle ne s'occuperait d'aucune des parties de l'instruction jusqu'au moment où le Comité lui présenterait son travail relatif à cette partie de la constitution. Le second article du décret portait qu' « afin que le cours d'instruction ordinaire ne fût pas arrêté un seul instant, le roi serait supplié d'ordonner que les rentrées dans les différentes écoles publiques se feraient comme de coutume » (un second décret semblable fut rendu, le 26 septembre 1791, pour la rentrée de 1791).

Le 1er janvier 1791, l'Assemblée plaça les bases de l'éducation nationale au nombre des objets dont elle décréta de s'occuper sans interruption dans ses séances du matin ; ce décret resta lettre morte. Un rapport de Talleyrand, membre du Comité de constitution, avait été annoncé au commencement de 1791 : « Mais l'importance de la matière, et le développement que M. de Talleyrand donna à son plan d'éducation, en retardèrent la publication. Ce ne fut qu'au mois de septembre 1791, les 10, 11 et 19, que le rapport fut fait à l'Assemblée et imprimé par son ordre. » (Camus.)

Un mois avant le dépôt du rapport de Talleyrand, Thouret, au nom des deux Comités de constitution et de revision, avait présenté, le 5 août 1791, la rédaction du projet de constitution ; le titre I" (Dispositions générales) contenait un article ainsi conçu : « Il sera créé et organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division du royaume ». Cet article fut adopté le 9 août 1791.

Le volumineux rapport de Talleyrand était suivi de dix-sept projets de décret, formant un total de 221 articles. Le rapporteur résumait de la façon suivante le plan qu'il proposait au nom du Comité de constitution :

« Dans son organisation, l'instruction publique doit se combiner avec celle du royaume ; de là, écoles primaires, de district, de département, et enfin Institut national ; mais elle doit se combiner avec liberté ; car ses rapports ne peuvent s'identifier en tout avec ceux de l'administration ; de là aussi des différences locales, déterminées par l'intérêt de la science et par le bien public.

« Les écoles primaires introduisent, en quelque sorte, l'enfance dans la société.

« Les écoles de district préparent utilement la jeunesse à tous les états de la société.

« Les écoles de département forment particulièrement l'adolescence à certains états de la société. Dans ces écoles on enseignera la théologie, la médecine, le droit, l'art militaire. Mais la théologie, il a fallu la circonscrire ; la médecine, il a fallu Ta compléter ; le droit, il a fallu l'épurer ; l'art militaire, il a fallu le faciliter à tous.

« L'Institut national réunit tout, perfectionne tout ; donc il était nécessaire d'en assortir toutes les parties, de leur montrer un but, jamais un terme, et de leur imprimer, au milieu de tant de mouvements divers, une direction ferme et rapide. »

Dans les écoles primaires, on devait enseigner, pour le « développement des facultés intellectuelles » (art. 4 du premier décret) : 1° à lire ; 2° à écrire ; 3° les premiers éléments de la langue française ; 4° les règles de l'arithmétique simple ; 5° les éléments du toisé ; 6° les noms des villages du canton ; ceux des cantons, des districts et des villes du département ; ceux des villes hors du département, avec lesquelles leur pays a des relations plus habituelles ; ? pour le développement des facultés morales (art. 5) : 1° les principes de la religion ; 2° les premiers éléments de la morale ; 3° des instructions simples et claires sur les devoirs communs à tous les citoyens et sur les lois qu'il est indispensable à tous de connaître ; 4° des exemples d'actions vertueuses qui les toucheront de plus près, et, avec le nom du citoyen vertueux, celui du pays qui l'a vu naître ; ? pour le développement des facultés physiques (art. 6) : dans les villes et bourgs au-dessus de mille âmes, on enseignera aux enfants les principes du dessin géométral ; pendant les récréations, on les exercera à des jeux propres à fortifier et à développer le corps.

Dans les écoles de district, on enseignerait : les principes de la religion, la morale, les langues (latine, française, grecque, une langue vivante), l'art de raisonner, l'art oratoire, la géographie, l'histoire, les mathématiques, la physique. On formerait les jeunes gens aux exercices du corps. Les élèves seraient admis à l'âge de huit à neuf ans, et l'enseignement durerait sept ans dans celles des écoles de district où le cours d'études serait complet. Il comprendrait : un cours de grammaire, de deux ans (histoire sacrée et mythologie ; déclaration des droits de l'homme, morale en action ; éléments des langues latine et française ; abrégé de géographie ; jeux et exercices physiques, arts d'agrément, comme musique, dessin, danse, etc.) ; un cours d'humanités, de deux ans (constitution française ; histoires grecque et romaine ; langues latine et française, explication des poètes, historiens et moralistes, versification latine et française ; exercices physiques, arts d'agrément, natation) ; un cours de rhétorique et de logique, de deux ans (époques de l'histoire de France, comparaison des principes des gouvernements anciens avec la constitution française ; principes de la logique, de la métaphysique, de l'art oratoire ; compositions, exercices d'éloquence, discussions ; langue grecque, ou une langue vivante ; maniement des armes, natation, etc.) ; un cours de mathématiques et de physique, d'un an (géométrie, algèbre, mécanique, physique, éléments de chimie et de botanique ; exercices militaires).

Les écoles de département seraient de quatre sortes : 1° des écoles pour les ministres de la religion ; « chaque département jugera s'il lui est utile d'avoir un séminaire particulier, ou s'il n'est pas meilleur pour lui de s'associer à un département voisin ; les séminaires métropolitains pourront servir pour tous les diocèses de leur ressort » ; 2° des écoles de médecine, à savoir quatre grandes écoles nationales, à Paris, Montpellier, Bordeaux et Strasbourg, et, dans chaque département, des écoles secondaires, auprès des hôpitaux ; 3° des écoles de droit, au nombre de dix ; 4° des écoles militaires, savoir une école de division dans chacune des vingt-trois divisions militaires, et six grandes écoles militaires dans les places frontières les plus importantes.

L'Institut national devait être composé « de l'élite des hommes reconnus pour être les plus distingués dans tous les genres de savoir, et dont les uns se réuniraient à des jours marqués pour conférer ensemble sur la manière de hâter les progrès de leurs travaux, tandis que les autres enseigneraient ces divers arts ou sciences à ceux qui désireraient s'instruire dans ce que ces connaissances offrent de plus difficile et de plus élevé ». Il serait divisé en deux sections : 1° sciences philosophiques, belles-lettres et beaux-arts ; 2° sciences mathématiques et physiques, et arts, dont chacune serait composée de dix classes.

Pour la nomination des maîtres d'école primaire et d'école de district, il devait être fait, à la suite d'examens, une liste d'éligibles dans laquelle les maîtres seraient choisis. Les maîtres d'école primaire seront nommés par les directoires de district, parmi tous les éligibles du royaume ; les maîtres d'école de district seront nommés par les directoires de département, également parmi tous les éligibles. Les professeurs des séminaires seront nommés par le directoire du département, conjointement avec l'évêque ; les chaires de toutes les écoles de médecine seront données au concours ; les professeurs des écoles de droit seront choisis par les directoires de département ; quant aux professeurs des écoles militaires, le projet ne parle pas de leur nomination. Les membres de l'Institut national, pour celles des classes qui correspondent aux académies et sociétés savantes existantes, seront les membres mêmes de ces académies et sociétés, replacés dans ces classes respectives, jusqu'à concurrence du nombre des places, dans l'ordre de l'ancienneté de réception ; pour les classes de création nouvelle, les membres en seront nommés, pour la première fois, par les commissaires de l'instruction ; ensuite, l'Institut se recrutera par cooptation.

L'enseignement des écoles primaires est gratuit : « c'est une dette qui sera acquittée entièrement par la société ». Dans les écoles de district, les élèves paieront une rétribution annuelle (24 livres pendant les quatre premières années, 36 livres pendant les trois dernières) dont le produit, partagé entre les professeurs, formera la partie variable de leur traitement. Dans les écoles de département, les élèves paieront aussi une rétribution, affectée à la partie variable ou casuelle du traitement des professeurs. Il y aura, dans les écoles de district et de département, des bourses accordées à un certain nombre d'élèves. L'enseignement des chaires de l'Institut national sera public et gratuit.

Le traitement des maîtres d'école primaire sera gradué selon les localités : le maximum sera de 1000 livres, avec un local pour l'école ; le minimum de 400 livres. Les maîtres d'école de district auront un traitement fixe, gradué, allant de 1400 à 1800 livres, et un traitement variable provenant de la rétribution des élèves. Tout maître d'école primaire aura, après vingt ans d'exercice, son traitement pour retraite ; un maître d'école de district aura pour retraite, après vingt ans d'exercice, la totalité de son traitement fixe. Les professeurs des séminaires seront logés et nourris ; le maximum de leur traitement fixe sera de 1000 livres, le minimum de 600 ; ceux qui ne voudront pas être nourris dans le séminaire auront les mêmes appointements que les professeurs de logique des écoles de district ; au bout de vingt ans, les professeurs obtiendront la pension d'émérite, qui sera, pour les uns et les autres, de la totalité des appointements fixes attribués aux professeurs externes. Le projet ne parle pas du taux des traitements des professeurs des écoles de médecine et des écoles militaires ; quant aux professeurs des écoles de droit, leur traitement fixe sera de 3000 livres à Paris et de 2400 livres dans les départements ; leur pension de retraite, au bout de vingt ans, sera des deux tiers du traitement fixe. Les honoraires attachés à chacune des chaires de l'Institut national seront de 4000 livres ; des pensions variables seront attachées à chacune des places des diverses classes de l'Institut.

Il sera établi à Paris une administration centrale sous le nom de Commission générale de l'instruction publique. Ses membres seront au nombre de six et auront le titre de commissaires de l'instruction publique ; il sera établi, sous chaque commissaire, un inspecteur. Les commissaires et les inspecteurs seront nommés par le roi, qui aura le droit de les suspendre ; mais ils ne pourront être destitués que par le Corps législatif. Le traitement des commissaires sera de 15000 livres, celui des inspecteurs de 8000 livres.

Des trois grands principes qui sont à la base de l'enseignement primaire public dans la société moderne, la laïcité, la gratuité et l'obligation, Talleyrand ignorait le premier : la religion figure au nombre des matières d'enseignement, et la faculté d'enseigner dans les écoles publiques doit appartenir à tous les citoyens indistinctement, qu'ils soient laïques ou ecclésiastiques. A ce moment, il ne s'agissait pas encore de laïciser l'enseignement et d'en exclure les ecclésiastiques, mais seulement d'obtenir pour les non-ecclésiastiques la participation au droit d'enseigner. Pendant longtemps, l'enseignement avait été regardé comme un privilège réservé aux seuls ecclésiastiques : Talleyrand réclame en faveur des laïques « le droit de concourir à répandre l'instruction », car « un privilège en matière d'instruction serait odieux et absurde ». Quant à la gratuité, la question avait été tranchée par la constitution : elle avait déclaré que l'instruction publique serait « gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes ». Pour l'obligation, Talleyrand ne veut pas l'inscrire dans la loi : « Vers l'âge de sept ans, dit-il, un enfant pourra être admis aux écoles primaires. Nous disons admis, pour écarter toute idée de contrainte. La nation offre à tous le grand bienfait de l'instruction, mais elle ne l'impose a personne. Elle sait que chaque famille est aussi une école primaire, dont le père est le chef. ; elle pense, elle espère que les vrais principes pénètreront insensiblement de ces nombreuses institutions [les écoles publiques] dans le sein des familles, et en banniront des préjugés de tout genre qui corrompent l'éducation domestique. ; elle se contentera d'inviter les parents, au nom de l'intérêt public, à envoyer leurs enfants à l'instruction commune, comme à la source des plus pures leçons, et au véritable apprentissage de la vie sociale. » Mais, s'il déclare vouloir « respecter les droits de la paternité », il se préoccupe surtout de fonder un système dans lequel nul enfant ne soit exclu du bénéfice de l'enseignement national ; l'instruction doit devenir le patrimoine de tous : « Elle doit exister pour tous ; car, puisqu'elle est un des résultats, aussi bien qu'un des avantages, de l'association, on doit conclure qu'elle est un bien commun des associés ; nul ne peut donc en être légitimement exclu, et celui-là qui a le moins de propriétés privées semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune ».

Tout en organisant un enseignement public national, Talleyrand n'a pas voulu constituer un monopole au profit de l'Etat. L'avant-dernier article de son projet (p. 196) dit à ce sujet : « Il sera libre à tous particuliers, en se soumettant aux lois générales sur l'enseignement public, de former des établissements d'instruction ; ils seront tenus seulement d'en instruire la municipalité et de publier leurs règlements ».

Dans quelques ouvrages modernes, la signification véritable du plan présenté par Talleyrand à la Constituante a été méconnue : on a prétendu que Talleyrand avait voulu abandonner l'enseignement à l'industrie privée, avec la concurrence entre les maîtres. On est allé jusqu'à écrire : « C'était là pour l'Etat un moyen beaucoup plus économique que d'établir lui-même les écoles, de les outiller et de les soutenir ; et si les constituants l'ont préféré, c'est pour cette raison. Par ce régime, ils se sont dérobés au service et aux charges de l'instruction nationale. La liberté d'enseignement apparut ainsi dans l'histoire par un calcul, et pour dispenser l'Etat de la tâche que la Révolution semblait lui imposer. »

L'analyse que nous avons donnée du projet de Talleyrand montre que rien n'est moins exact qu'une semblable affirmation. Jamais le rapporteur du Comité de constitution n'a songé à dispenser l'Etat de sa tâche ; s'il a fait une réserve théorique pour sauvegarder la liberté de l'enseignement, il n'a point voulu que la nation se déchargeât sur l'industrie des particuliers du soin d'instruire la jeunesse, et son plan, au contraire, nous montre l'Etat enseignant dans toute la force de l'expression.

La Constituante décréta, le 25 septembre 1791, que l'Assemblée qui la remplacerait se réunirait le 1er octobre ; il était donc évident que le temps lui manquerait à elle-même pour discuter et voter, avant la fin de sa session, les nombreux articles du projet d'organisation de l'instruction publique. Mais Talleyrand lui demanda, dans cette même séance du 25 septembre, d'adopter au moins les « bases principales » de cette organisation, résumées par lui en un projet de décret qui ne comprenait plus que 35 articles. Buzot, par motion d'ordre, proposa l'ajournement à la prochaine législature ; l'Assemblée n'avait plus le temps, dit-il, de s'occuper d'un travail qui exigeait de profondes méditations ; le plan du Comité devait entraîner de grandes dépenses, à cause de la multitude d'établissements qu'il proposait, et il importait de laisser les finances le moins surchargées possible ; enfin, « fallait-il décréter de confiance un plan qui mettait entre les mains du pouvoir exécutif [c'est-à-dire du roi] la direction de l'instruction par la nomination des personnes qui exerceront sur cette partie une influence immédiate? » Talleyrand expliqua qu'il ne s'agissait pas de décréter tous les détails contenus dans les projets de décret imprimés à la suite de son rapport, mais seulement quelques bases : « Je vous propose de décréter qu'il y aura des écoles primaires distribuées dans les cantons, ayant chacune à leur tête un maître, avec tant d'appointements : vous aurez donc à décréter, non pas les détails de l'instruction de ces écoles, mais leur existence. J'ajoute que les établissements d'écoles de district ne peuvent pas être effrayants par leur nombre, puisqu'il n'y aura d'instruction complète que dans les districts où les administrations de département l'auront jugé convenable. Je ne demande pas que l'Institut national soit décrété dans tous ses détails ; mais je demande qu'il soit décrété qu'il y aura un Institut national, et quels seront ses éléments. Je ne propose à l'Assemblée que des décrets infiniment courts, infiniment simples, mais en même temps infiniment pressants. M. Buzot a voulu vous effrayer sur les frais du plan d'éducation publique que nous vous proposons. Je vais vous montrer que l'instruction nationale coûtera, au contraire, beaucoup moins qu'autrefois. A Paris, les écoles primaires coûtaient 120 à 130 mille livres ; dans la même ville, le nouvel établissement des écoles primaires ne coûtera que 60000 livres. Quant aux universités, la Faculté des arts recevait du trésor public 300 000 livres sur le revenu des postes, et 6000 livres qu'elle avait en rentes sur l'Hôtel de Ville : les six collèges de district que nous établissons dans ce département ne coûteront que 116 000 livres. Ce qui appartenait à la médecine coûtait à peu près 320000 livres ; ce que nous établissons en remplacement ne coûtera que 240 000 livres. Quant à la théologie, les dépenses des établissements conservés par la constitution civile du clergé n'équivaudront pas à la trentième partie des dépenses des anciens séminaires. Les revenus des sociétés savantes fourniront en entier aux frais de l'Institut national. »

Beaumez insista pour la discussion et l'adoption des bases essentielles auxquelles Talleyrand avait réduit son plan : « Il s'agit, dit-il, de savoir si l'Assemblée nationale actuelle peut se séparer avant d'avoir donné quelques soins à l'instruction publique. Je crois, moi, que nous finirions mal notre carrière si nous ne donnions à l'égalité politique que nous avons établie la première et la plus solide garantie qu'elle puisse recevoir : je veux dire si nous ne fondions les bases d'un système qui mette toutes les parties de l'instruction publique à la portée de tous les hommes. »

Prieur (de la Marne) protesta contre la hâte avec laquelle on voulait forcer l'Assemblée à trancher une question si grave. « Je demande à prouver, dit-il, que l'éducation publique est un objet trop important pour n'avoir pas besoin des plus profondes méditations. Nous devons avoir assez d'estime pour nos successeurs pour ne pas tirer du plan immense qui vous est proposé quelques articles, parce qu'ils sont importants, et ne leur laisser ensuite que les règlements à faire. J'interpelle mes collègues de dire s'ils ont lu ce plan volumineux dans son entier. (Plusieurs voix : Oui, oui!) Eh bien, je soutiens qu'ils n'y ont rien entendu. »

Un grand nombre de membres ayant demandé la lecture des articles que Talleyrand proposait de soumettre à la discussion, l'Assemblée décréta que cette lecture serait faite. Talleyrand lut en conséquence les 3b articles qu'il avait extraits de son projet d'ensemble. Mais il ne devait pas avoir gain de cause. La lecture faite, Camus prit la parole et dit : « Je crois qu'il n'y a aucun intérêt à décréter isolément ces articles, mais qu'au contraire ils ne peuvent être décrétés qu'avec les articles intermédiaires qui doivent en faire la liaison. Il y a d'ailleurs parmi ces articles plusieurs dispositions qui peuvent donner lieu à la plus longue discussion ; l'établissement d'une Commission de l'instruction publique nommée par le roi est, par sa nature, un établissement infiniment dangereux ; c'est une corporation qui mettrait l'instruction publique hors de la disposition de la nation. J'insiste donc sur l'ajournement du projet de M. Talleyrand à la prochaine législature. L'Assemblée décréta l'ajournement.

Biot, dans son Essai sur l'histoire générale des sciences pendant la Révolution française, parlant de cet ajournement du plan de Talleyrand, ? qui fut en réalité un enterrement, car le Comité d'instruction publique de l'Assemblée législative n'eut rien de plus pressé que de l'écarter pour en élaborer un autre, ? dit : « A cette époque, l'Assemblée constituante touchait à sa dissolution. Les partis qui la divisaient étaient trop occupés de leurs intérêts présents pour songer à ceux de l'avenir ; ils étaient peu portés à établir, avec quelque apparence de stabilité, un édifice que tous, par des motifs divers, se promettaient intérieurement de détruire. L'organisation de l'instruction publique fut donc renvoyée à l'Assemblée législative ; on ne voulut pas même décréter l'existence des écoles primaires : les motifs apparents de cet ajournement furent l'importance de 1 objet et les méditations profondes qu'il exige. Les véritables étaient la crainte de laisser ce moyen d'influence entre les mains du pouvoir exécutif que l'on voulait abaisser. »

Daunou, dans un rapport fait à la Convention le 23 vendémiaire an IV, a jugé le plan de Talleyrand en ces termes : « Le projet d'instruction publique présenté à l'Assemblée constituante à la fin de sa session est un monument de littérature nationale, qu'un même siècle est fier d'offrir à la postérité à côté du Discours préliminaire de l'Encyclopédie ; c'est un frontispice aussi vaste, aussi hardi, des connaissances humaines, quoique d'une architecture plus jeune, plus variée et plus éclatante. Mais si ce travail est un magnifique tableau de l'état des lumières nationales, et une sorte d'itinéraire de leurs progrès futurs, le projet de décret qui le termine ne présente pas aussi heureusement un bon système législatif de l'organisation matérielle de l'instruction. Trop de respect pour les anciennes formes, l'idée d'entourer les instituteurs de liens et d'entraves, le désir de multiplier les places sans fonctions et les bureaux ministériellement littéraires, tout a trompé dans les conclusions l'attente de l'esprit étonné par les plus majestueux préliminaires. »

A l'article Lavoisier, on trouvera une appréciation du plan de Talleyrand écrite par l'illustre savant, en réponse à une lettre que Talleyrand lui avait adressée en octobre 1791.

A l'article Talleyrand, on lira quelques détails sur l'accueil qui fut fait à ce plan par la presse,