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Arriérés (écoles et classes d’)

En langage scolaire, que faut-il entendre par arriérés ? Ce sont les écoliers qui, pour une cause quelconque, se trouvent notablement en retard, dans leurs études, sur leurs camarades de même âge.

L'arriération peut avoir des causes accidentelles : entrée tardive à l'école, fréquentation irrégulière, maladie prolongée, changements répétés d'instituteur ou de régime, etc. Elle peut aussi résulter de troubles ou d'insuffisances psychologiques : il y a des anormaux, des infirmes de l'intelligence, comme il y a des anormaux, des infirmes du corps ou des sens.

L'hospice attend les idiots, les épileptiques, tous les anormaux incurables ou d'une amélioration douteuse. Des asiles-écoles sont ouverts aux aveugles, aux sourds-muets, qui, par leur infirmité même, exigent une éducation spéciale. Que doit-on faire des arriérés ?

La plupart d'entre eux, semble-t-il, resteront avantageusement dans les classes ordinaires. On leur accordera plus de vigilance qu'aux autres écoliers ; ils seront l'objet de soins particulièrement assidus, d'une sollicitude toujours en éveil ; et la présence de condisciples en avance relative sera de nature à les stimuler, à les entraîner, à régulariser leurs progrès : l'émulation ne peut que les aider à rattraper le temps perdu.

D'autres, au contraire, alourdissent la classe de façon désespérante. Ils y végètent péniblement ; ils n'y vivent jamais. Impuissants à travailler avec fruit par les méthodes consacrées, à suivre un programme qui n'est point fait pour eux, ils s'éternisent au même degré d'enseignement. Le maître, découragé, et que d'autres besognes talonnent, finit souvent par renoncer à une oeuvre ingrate, sans issue ; il se borne à subir l'arriéré et à s'en plaindre : c'est évidemment un médiocre moyen de l'améliorer.

Les élèves encombrants dont il s'agit peuvent être groupés sous deux rubriques : 1° les déficients intellectuels, dont les facultés sont plus ou moins engourdies, atrophiées, déséquilibrées ; 2° les instables, chez qui le tempérament inquiet, la susceptibilité nerveuse, le constant besoin d'agitation, s'accommodent fort mal du travail et de la discipline. Déficients et instables sont inconnus dans les cours supérieurs de nos écoles primaires, leur tare les ayant empêchés d'y parvenir. On les rencontre dans le cours moyen, mais surtout au cours élémentaire, qu'ils peuvent rarement dépasser. Ils forment toute une série de transitions entre l'enfant normal et le client désigné de l'hospice ou de l'asile ; mais, pour la période scolaire, la distance qui sépare les deux degrés extrêmes d'arriération n'est pas très considérable : de six ou sept, les étapes du développement intellectuel se réduisent à trois au plus, et c'est une considération que doivent faire entrer en ligne de compte toutes les tentatives d'organisation visant les arriérés.

Si l'on pouvait réunir en groupes peu nombreux et suffisamment homogènes ces écoliers exceptionnels, si l'on parvenait à leur appliquer des procédés et des méthodes bien en rapport avec leur état et avec leurs besoins, les chances et les possibilités d'améliorations en seraient beaucoup augmentées. Ce serait rendre service aux enfants, aux familles, à la société. Tel est le problème posé depuis longtemps déjà, en France comme partout, problème dont la solution délicate et complexe se heurte à des obstacles de toute nature, sans compter l'incertitude des données.

Et tout d'abord, s'il faut une éducation et une instruction pour les arriérés, comment déterminer ceux qui en auront le bénéfice? Des statistiques fort divergentes ont été publiées: les unes prétendent établir un pourcentage moyen de 5 pour 100 ; les autres atteignent seulement 1 pour 100 ; et il y a des intermédiaires. M. Alfred Binet propose des vérifications rigoureuses, qui ajoutent au contrôle d'un retard d'instruction d'au moins trois années, comme en Belgique, une réelle investigation du degré d'intelligence ; si l'on appliquait sa méthode, le taux le plus faible, 1 pour 100, apparaîtrait sans aucun doute comme un maximum, sensiblement variable, d'ailleurs, de quartier à quartier, de ville à ville, de région à région, et profondément influencé par le milieu économique et social. D'ores et déjà, nous pouvons admettre que 10000 enfants d'âge scolaire donneraient au plus, dans l'ensemble, 100 anormaux d'école.

En pratique, des essais de classes d'anormaux se poursuivent à Paris, et ailleurs, sous le nom un peu voilé de classes de perfectionnement : il faut ménager les susceptibilités ! Dans un arrondissement de Paris — le 10° — qui compte 150 000 habitants et qui correspond à une moyenne des conditions d'existence de la capitale, il a été ouvert, en 1907, une classe pour les garçons et une pour les filles. L'effectif complet, fixé à vingt pour chacune, n'a pu encore être atteint, en dépit des recherches successives et minutieuses faites dans toutes les écoles publiques de l'arrondissement. Il en serait autrement, cela va sans dire, si la porte des classes d'essai était franchissable sans précautions et sans garanties. Certains établissements présentent trois ou quatre candidats pour un que la règle permet d'accueillir.

D'après les prévisions les mieux établies, une classe pour chaque sexe, annexée à des écoles bien réparties sur les territoires urbains, suffirait largement aux besoins démontrés d'une population de 50000 habitants. Dans les villes moindres, la création d'une classe mixte pourrait tirer d'embarras. Il y a donc, en ce qui concerne les agglomérations de quelque importance, une solution simple et peu coûteuse. L'internat, qui n'est, en toutes circonstances, et ne saurait être ici, qu'un pis-aller, n'entrerait en cause que pour les arriérés des bourgs et des villages. Comment une forme d'éducation qu'on a pu qualifier d'anormale passerait-elle avant tout et par-dessus tout lorsqu'il s'agit d'anormaux? Nombre d'écoles rurales, d'ailleurs, ont un effectif extrêmement réduit qui permet, dans une grande mesure, le meilleur et le plus efficace de tous les traitements, le traitement individuel. Puis, un petit pensionnat annexé à une école d'arrondissement, par exemple, éviterait les énormes dépenses de l'internat généralisé, et n'aurait pas l'inconvénient douloureux de condamner les arriérés à l'isolement total.

Des élèves, avait-on d'abord imaginé, qui sont, pour leur propre classe, un poids trop lourd, un péril menaçant, apporteront falalement, dans l'école où on les réunira, des complications et des embarras insurmontables. L'expérience ébranle avec force cet à-priori ; elle montre qu'il y a beaucoup à gagner, non-seulement à ne pas faire de la classe de perfectionnement une sorte de lazaret, mais à la munir de nombreuses échappées sur la vie, à l'associer étroitement au fonctionnement de l'école. Il n'est pas bon qu'un déficient ou un instable ait perpétuellement et à peu près exclusivement sous les yeux le spectacle de l'anomalie dont il souffre. Il faut, au contraire, multiplier ses points de contact avec l'enfance normale, pour qu'il y trouve exemple et secours. Des constatations précises et réitérées, des résultats probants, fournissent un argument de grande valeur à ceux qui ne se font pas de l'internat d'arriérés un idéal à atteindre. Ici, les grandes filles du cours complémentaire travaillent à la décoration de la classe spéciale, à la documentation des exercices ; chacune des anormales a deux tutrices, ses deux petites mères, qui veillent sur elle, au déjeuner, à la récréation ; qui, de temps à autre, la dirigent dans son travail ; qui correspondent avec elle pendant les vacances, etc. Là, chez les garçons, les arriérés ont également leurs protecteurs, dont l'action, moins maternelle, reste tout aussi variée et touchante. On pourrait même citer l'intervention des Amicales, la création d'une caisse de bienfaisance, d'autres initiatives profitables à ceux qui donnent comme à ceux qui reçoivent.

Le système des classes annexes se prête moins que l'internat à la continuité nécessaire de la surveillance médicale ; mais il ne serait pas très difficile de préciser et détendre le rôle des médecins-inspecteurs ou des dispensaires gratuits.

Qu'ils soient dispersés dans les petites écoles, groupés par classes spéciales, concentrés dans de vastes établissements, les déficients et les instables ne sauraient être traités comme les normaux. De même qu'il leur faut des soins médicaux de tous les jours, ils ne peuvent se passer d'une pédagogie appropriée. À l'examen, il est vrai, le problème se simplifie un peu, puisque les degrés d'enseignement se réduisent à trois au maximum ; et néanmoins, nombre de questions cherchent et chercheront longtemps peut-être leur réponse. Emploi du temps, programmes, méthodes, tout est à étudier, tout est à créer. Déjà, l'on a essayé de varier les exercices plus que de coutume, de faire une très large place à a vie pratique et professionnelle ; déjà, l'on a songé à une orthopédie sensorielle et mentale : si les difformités du corps ne sont pas toujours sans remède, pourquoi ne trouverait-on pas quelque moyen de corriger ou d'atténuer les difformités de l'esprit? Presque tous les arriérés pèchent par une attention insaisissable ou sans consistance, par une volonté des plus fragiles : est-il illusoire de travailler, par des exercices ad hoc, à fortifier cette attention, à discipliner cette volonté ? Les exercices gradués d'immobilité, de silence, de vitesse, d'adresse, ne contribueront-ils pas à rendre les esprits plus dociles et plus souples, les applications et les énergies moins rebelles ou moins intermittentes? En pareille matière, rien ne vaut les faits.

L'éducation des arriérés ne sortira de la période des tâtonnements que si on l'examine sans parti pris, sans théories préconçues, à la lumière de l'expérience et de la recherche scientifique, avec le fervent désir d'être utile à l'une des causes les plus angoissantes que soulève l'éducation du peuple.

Auguste Belot