bannière

a

Arabes, Arabie

 On a comparé l'intervention des Arabes dans l'histoire à la floraison subite de l'aloès, plante du désert qui reste grise ou poudreuse pendant cinquante ou cent ans, puis, épanouissant soudain sa large fleur écarlate, illumine la plaine de son éclat. La civilisation arabe fut pour beaucoup de peuples conquis une véritable libération, et coïncida pour nous avec l'apport des manuscrits grecs, avec le renouveau de la science hellénique dans la nuit du moyen âge. Les raisonnements ordinaires sont impuissants à expliquer cet ensemble si éclatant de phénomènes historiques : la brusque apparition des Arabes dans l'histoire générale, comme par une sorte de fulguration, puis leur retour, après quelques siècles, dans l'existence obscure de pasteurs nomades. On a pu dire que les Arabes furent victorieux aussi longtemps que la femme conserva chez eux une position prépondérante dans la famille et une part active à la vie sociale. Leurs royaumes succombèrent dès que la religion eut séquestré la femme dans le harem, où elle n'est désormais qu'une esclave destinée à la seule satisfaction de son seigneur et maître, et dont il se croit tenu de ne parler qu'en termes avilissants. Comment peut se faire, en ces conditions, l'éducation des nouvelles générations!

« …Si les Arabes ont facilement triomphé, c'est que, vis-à-vis des mondes byzantin, persan, et autres, ils représentaient un principe supérieur. A tous les esclaves qui proclamaient avec eux la gloire du Dieu unique, ils apportaient la liberté et, de plus, une égalité religieuse complète et la ferveur fraternelle que donne une foi commune. Aux travailleurs de la terre, privés de leur part légitime du sol cultivable, opprimés par les grands feudataires, pressurés par le fisc, ils octroyaient le droit à la culture et à la récolte. » (Elisée Reclus.)

C'est la religion qui chez les Arabes a créé les écoles. Elles naquirent du libre désir de connaître et de comprendre le Coran. Phénomène curieux, mais qui n'a rien d'étonnant chez un peuple voué à la théocratie, dans un pays où le discours du trône, à l'avènement du khalife, est un sermon qu'il adresse du haut de la chaire à ses nouveaux sujets, où l'on n'a qu'un même mot pour désigner la théologie et le droit.

La fondation immédiate des écoles pour étudier le Coran est un des plus clairs indices du succès soudain de la nouvelle doctrine. Et dès les premiers temps ce n'est pas seulement en Arabie, c'est dans toutes les provinces à peine conquises qu'on voit fleurir les écoles. On rapporte qu'Abou Moslem, un des fondateurs de la dynastie Abbasside (au premier siècle de l'hégire), suivit, enfant, les classes de l'école du Khoraçan. A la fin du deuxième siècle, l'histoire mentionne a Fuster en Perse une école de garçons entretenue par la commune, gratuite pour les pauvres, et dont la fréquentation régulière était devenue obligatoire au point que des parents peu aisés, pour retirer leurs fils avant l'âge de sortie, devaient en demander l'autorisation au maître ; les enfants des deux sexes y entraient à six ans, les esclaves même y étaient admis. Ces écoles élémentaires se répandirent par milliers et exercèrent une immense influence. La discipline y était sévère : aujourd'hui encore en Orient on ne connaît guère d'autre moyen de se faire obéir que le bâton, ce « don du ciel », comme dit un proverbe arabe.

Il ne pouvait être question de méthode, de principes pédagogiques chez un peuple porté par ses croyances fatalistes à nier l'influence de l'éducation. D'ailleurs nulle organisation commune, puisque l'Etat ne s'en occupe pas et que, si l'école est obligatoire, c'est grâce à la seule puissance du sentiment religieux.

C'est aussi la religion qui a déterminé la nature de l'enseignement ; il se borne à l'étude du Coran. « Enseigner le Coran aux enfants, dit un auteur arabe, est une marque de piété que donnent les musulmans dans toutes leurs cités. C'est le Coran qui façonne les jeunes âmes et en développe les diverses facultés. »

Le Coran sert de livre de lecture ; les chapitres les plus importants, les prières journalières en sont appris par coeur. Autrefois, il n'était pas rare qu'un élève intelligent sût le livre entier. Puis on exerçait les enfants à l'écriture, d'où le nom de Mekteb ou Kouttâb (la racine du mot est katab, écrire) donné aux écoles primaires. La peinture et la sculpture étant proscrites par l'Islam, on s'appliqua de bonne heure à l'écriture.

Cet art avait été remarquablement développé dans quelques pays, en Mésopotamie par exemple, et à, l'autre extrémité de l'empire arabe, en Espagne, tandis que, dans l'Afrique occidentale et au Maroc, il ne dépassa jamais les premiers éléments. Les musulmans d'Espagne apprenaient en outre la grammaire et la littérature. Il en était de même en Perse, où la lecture des poètes Sadi et Hafiz faisait partie dès le treizième siècle des études classiques.

Aux écoles proprement dites il faut ajouter, comme moyen d'instruction générale, les pélerinages de la Mecque, inspirés au début par le désir de recueillir les traditions les plus authentiques sur le Prophète et sur son enseignement. Le célèbre Boukhari partit du Turkestan actuel non seulement pour Bagdad, alors le foyer de la civilisation arabe, mais pour le centre de l'Arabie, pour la Syrie et l'Egypte, et revint après seize années de voyages, ayant réuni 60 000 traditions. Un autre savant, Merwasi, se vantait d'en posséder 70 000. Un autre avait retrouvé 1300 sentences authentiques du Prophète, etc. On voit par ces exemples que la mémoire devenait la principale, sinon la seule forme du savoir.

Nous n'avons pas à parler ici des écoles destinées à l'enseignement supérieur des sciences ou plutôt de la science unique, la théologie. Rappelons seulement que la même mosquée abritait souvent les fidèles récitant leurs prières avec la foi la plus aveugle, et de savants docteurs interprétant d'abord le Coran, puis d'autres textes, et traitant même de matières étrangères à la religion. Au neuvième siècle, la philosophie grecque, apportée à Bagdad, se répandit dans tout l'empire arabe, si vaste alors, et l'enseignement y brilla d'un vif éclat, à une époque où il existait à peine en Europe. C'est par les Arabes que la philosophie ancienne a été révélée à l'Occident.

Mais il y avait, dans cette foi même qui avait armé les sectateurs de Mahomet, un principe qui, après les avoir aidés à vaincre, devait paralyser leur élan : c'est le fatalisme, la croyance aveugle à l'inéluctable destin. D'ailleurs, le caractère de l'Arabe n'était point celui du guerrier de profession : après ses triomphes si rapides, du à l'exaltation de la foi religieuse, il ne se trouvait plus dans son rôle naturel au milieu des nations agricoles, et c'est pourquoi, abandonnant les armées, il reprit le chemin de sa patrie. « Deux cents ans après que les paroles brûlantes de Mahomet eurent lancé les Bédouins à la conquête du monde, et lorsque la civilisation dite arabe rayonnait au loin, les vrais fils du désert étaient devenus fort rares dans les armées envahissantes : d'autres races asiatiques les y remplaçaient. La plupart des Arabes que n'avait pas dévorés la guerre triomphante revinrent dans la péninsule d'origine, échappant ainsi au grand Etat mondial pour reprendre la vie libre et fière dans la petite tribu des aïeux. Chacune des peuplades primitives reprit son autonomie, ses traditions. Et de l'immense butin de connaissances et d'idées recueillies dans le monde étranger, les Arabes ne rapportaient rien dans leur patrie : tels ils étaient partis du Nedjed ou du Hedjaz, et tels ils revenaient, insoumis et aristocrates. Ainsi s'explique le fait que la conquête arabe n'eut de durée que dans les pays ressemblant géographiquement à l'Arabie par les monts rocheux, les déserts de sable et de pierre, les eaux rares et les groupes d'oasis : les conquérants ne firent souche et ne se perpétuèrent à l'état de tribus que dans les contrées analogues aux leurs, celles qu'on pourrait appeler les Arabies extérieures. En Perse, en Syrie, en Egypte même, ils ne furent que des étrangers, tandis que, bien loin vers l'ouest, par delà le désert de Lybie et jusqu'à l'Océan Atlantique, il se retrouvèrent chez eux près des dépressions tunisiennes, sur les hauts plateaux qui dominent le Tell algérien et dans les montagnes du Maroc. » (Elisée Reclus.)