bannière

a

Apprentissage scolaire

 [Sous ce nom, M. G. Salicis avait tenté, il y a trente-sept ans (1872), d'introduire chez nous le travail manuel à l'école primaire. En raison de l'intérêt de cette conception originale, qui, successivement modifiée et précisée, a pris place dans les programmes scolaires de la France républicaine, nous avons tenu à conserver tel quel l'article que, dans sa première édition, le Dictionnaire avait consacré à la question.]

Par le mot apprentissage scolaire, ou par l'expression équivalente l'atelier dans l'école, il faut entendre une organisation des cours de l'école primaire qui ajoute à l'enseignement proprement dit quelques heures de travail manuel. On a en vue non pas un apprentissage défini, mais la préparation à tout apprentissage, l'habitude et le goût pris de bonne heure du travail professionnel.

Dès la fin du dix-huitième siècle, dans les innombrables plans d'éducation qui parurent les uns comme application, les autres comme réfutation de l'Emile, l'idée de joindre l'apprentissage d'un métier à l'éducation intellectuelle est une de celles qui s'expriment le plus fréquemment, bien que sous une forme quelque peu chimérique.

L'exemple même donné par Rousseau, qui faisait apprendre à son Emile l'état de menuisier, ne peut pas être pris sérieusement comme type d'un véritable apprentissage dans les conditions normales de l'éducation populaire. Mais Rousseau avait du moins énoncé une maxime profondément juste : « Le grand secret de l'éducation est de faire que les exercices du corps et ceux de l'esprit servent toujours de délassement les uns aux autres ». A ce titre, les travaux manuels entrèrent dans le programme de plusieurs des éducateurs issus de l'école de Rousseau, de Basedow et de Peslalozzi.

En 1792, le Projet de règlement présenté à la municipalité de Paris par Léonard Bourdon, « l'un des électeurs de 1789 et des représentants de la Commune de Paris », contenait l'article suivant : « Dans douze des" écoles primaires de Paris situées dans les différentes extrémités de la ville, il sera établi des ateliers de divers ouvrages propres à occuper utilement les enfants et à éveiller leur industrie ; les enfants seront nourris sur leur travail, ensuite les meilleurs sujets gagneront tant par jour, qui sera mis en réserve pour les habiller ». Ces cours d'apprentissage devaient avoir lieu trois jours par semaine pour les garçons, trois jours pour les filles.

A la même époque, Mme de Genlis, dans plusieurs brochures, entreprenait de prouver que l'éducation des filles de la classe pauvre pouvait et devait comporter l'apprentissage d'un métier, surtout de la couture et des divers soins du ménage. Dupont (de Nemours) appliquait les mêmes vues, avec une grande justesse de sens pratique, à l'éducation des jeunes paysans (Vues sur l'éducation nationale, par un cultivateur, an H), et il proposait diverses mesures « pour que la première instruction littéraire, patriotique et morale leur fût donnée sans interrompre cette instruction rurale qui a bien son mérite, qui roule sur des connaissances réelles plus importantes peut-être que celles qu'on trouve dans les livres, celles que leur donnent dès leurs premières années la maison, les étables, les champs ».

A mainte reprise, ces idées trouvèrent en France et dans les autres pays des défenseurs convaincus, mais il faut bien convenir qu'elles restèrent presque partout à l'état de voeu stérile ou d'exposé théorique. Les essais qu'on pourrait signaler (Voir La Rochefoucauld-Liancourt et Paulet) n'eurent point d'action sur l'opinion publique.

C'est seulement dans ces dernières années que l'enseignement des travaux manuels a été régulièrement introduit dans quelques pays et dans un petit nombre d'établissements. En France, on peut considérer comme un commencement d'apprentissage scolaire l'introduction des travaux d'aiguille non seulement dans les asiles, les ouvroirs, les orphelinats, mais comme branche obligatoire du programme dans toutes les écoles primaires de filles. Cette adjonction des ouvrages manuels aux études proprement dites est parfaitement entrée dans nos usages. Il n'en est pas de même partout : aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d'Europe, on ne voit pas plus la nécessité d'apprendre aux filles à coudre dans l'école que d'y enseigner aux garçons à manier la scie ou l'étau.

Ailleurs on a fait le raisonnement précisément inverse, et l'on s'est demandé pourquoi les garçons ne seraient pas traités comme les filles, pourquoi eux aussi ne recevraient pas dans l'école les premières leçons de travail manuel. En ont-ils moins besoin que les filles? Leur est-il moins nécessaire de se préparer, de s'aguerrir de bonne heure à ces rudes occupations qui seront celles de toute leur vie? Et ne leur rendrait-on pas un service au moins aussi grand qu'à leurs soeurs en leur apprenant dès l'école « la première pratique des procédés par lesquels l'homme se rend maître de la matière, et le premier maniement des outils généraux »? Il y aurait tout profit à le faire ; on les acheminerait par là vers un apprentissage plus rapide et plus fructueux ; on satisferait mieux que par n'importe quel cours de gymnastique leur besoin de mouvement et d'exercice physique, si méconnu par les programmes actuels ; enfin et surtout on éviterait le plus grave des inconvénients de l'instruction populaire, qui est de préparer si peu les enfants d'ouvriers à la vie d'ouvrier. « Actuellement, on tient pendant quelques années les futurs mécaniciens, charpentiers ou maçons, assis devant une table la plume à la main, comme de futurs bureaucrates » ; on ne fait rien à l'école pour leur inspirer dès l'enfance le goût de leur futur métier ; on les expose par là à tous les dangers de ce brusque passage, fatal à plusieurs, de la vie de l'école à celle de l'atelier : l'une a supprimé pour l'étude tout travail manuel, l'autre supprimera tout vestige d'étude intellectuelle.

Tels sont, résumés en quelques mots, les motifs qui ont déterminé de nos jours quelques remarquables tentatives pour organiser une ébauche d'apprentissage dans l'école primaire de garçons. Une des premières en date fut celle de M. Clauson-Kaas, officier danois, qui a organisé à Copenhague et dans d'autres villes des écoles où quelques heures de travail manuel alternent avec les exercices scolaires. En Autriche, et notamment à Vienne et aux environs, des institutions semblables ont eu pour promoteur dévoué le docteur Erasmus Schwab ; il s'est appliqué à prouver que si, dès le bas âge, la méthode Froebel peut occuper agréablement et utilement les enfants de cinq à six ans à des jeux et à des travaux manuels, il n'y a nulle raison pour ne pas continuer cette éducation de l'oeil et de la main dans les années qui suivent ; et il a tracé à l'usage des écoles primaires tout un plan pratique d'exercices préparatoires à l'apprentissage, qui sont introduits avec succès dans un nombre croissant d'établissements.

Enfin à Paris, à la fin de 1872, la délégation cantonale du Ve arrondissement a organisé dans une école communale de la rue Tournefort une série de cours d'instruction professionnelle qui, sans faire perdre à l'école son caractère primaire, réalisent le programme d'un apprentissage scolaire très remarquable. Le dessin et le modelage sont les deux exercices essentiels qui forment la transition et le lien entre les deux genres d'instruction. « Les apprentis de première année sont exercés en outre, par un enseignement collectif, à travailler au tour, à l'établi, à la forge, à l'étau. A partir de la seconde année, ils se partagent en quatre classes correspondant à ces quatre espèces de travaux, mais une rotation convenablement combinée entretient à titre accessoire l'esprit et la main dans une pratique suffisante des trois autres. »

M. G. Salicis, qui a été le principal auteur de cette organisation et à qui nous empruntons ces détails précis, a rendu compte des premiers succès de l'établissement dans un petit volume de la bibliothèque Franklin : Enseignement primaire et apprentissage (Paris, Sandoz, 1875). Comme le titre l'indique, c'est en même temps un plaidoyer chaleureux en faveur de l'introduction du travail manuel dans l'école primaire.