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Apprentissage (École d’)

Nous reproduisons sous ce titre quelques-unes des observations originales que, dans la première édition de ce Dictionnaire, présentait M. G. Salicis. Depuis lors, la question a changé d'aspect, et, pour éviter des redites, nous renverrons au mot Professionnel (Enseignement) l'ensemble du débat sur les questions mi-pédagogiques, mi-économiques que soulève l'organisation des écoles-ateliers ou des ateliers-écoles. Nous nous bornons ici à rappeler la définition de l'école d'apprentissage proprement dite, telle que se la représentait M. Salicis :

« L'école d'apprentissage est très différente de l'école professionnelle, avec laquelle on la confond souvent.

« L'école professionnelle se propose surtout d'augmenter le bagage intellectuel que l'école primaire a pu fournir, et elle y parvient naturellement en complétant les programmes du premier enseignement. Elle est destinée à recevoir les enfants de ces nombreuses familles qui, sans être riches ni même aisées, n'en sont pas réduites cependant à vivre d'un salaire journalier : employés, commerçants, patrons modestes, contremaîtres, etc. Chacune de ces familles vise, pour ses enfants, à une situation qui les affranchisse du travail manuel.

« L'école d'apprentissage, au contraire, sans prétendre cantonner dans le travail manuel une partie de la génération qui grandit et toute sa descendance, doit se proposer de donner à tous les enfants qui vont demander leur vie à un salaire journalier les moyens d'arriver le plus tôt possible à se suffire. Elle est donc différente aussi à ce point de vue, des écoles d'apprentis ou classes d'apprentis, qui ne sont que l'enseignement simplement primaire donné ou continué aux enfants engagés déjà dans un apprentissage quelconque. Il y a lieu enfin, et il est très facile, de la distinguer des écoles techniques, industrielles, des arts et métiers, Realschulen, dénominations qui, avec celle de professionnelle, rentrent toutes plus ou moins les unes dans les autres, et qui, au point de vue de l'apprentissage, expriment un degré à la fois supérieur et insuffisant.

« Si l'école d'apprentissage, sans restreindre les acquisitions intellectuelles, rend l'ouvrier non seulement plus policé, mais encore plus habile, plus épris de son état et par conséquent plus laborieux, elle le rendra du même coup plus moral, plus économe, moins inquiet, plus indépendant ; et ainsi, en même temps qu'elle procure des avantages immédiats à l'énorme population des travailleurs, elle augmente à bref délai le rendement économique dans tout le pays, et y hausse le niveau moral et social par le relèvement des classes ouvrières.

« L'école d'apprentissage doit être une sorte d'institution en quelque sorte parallèle à l'école professionnelle, mais destinée aux enfants qui se préparent non à une profession, expression trop vague, mais à un métier.

« Le programme des écoles d'apprentissage attribuera donc nécessairement, à côté de l'enseignement théorique, une part notable au travail manuel : le même enseignement pédagogique s'appliquant à toutes, mais chacune ayant un programme particulier d'enseignement manuel.

« Un grand nombre d'industriels ont senti l'utilité ou plutôt la nécessité des écoles d'apprentissage, et préparent chez eux leurs futurs ouvriers. Dans plusieurs industries, c'est le syndicat patronal qui se charge d'entretenir l'école dans l'intérêt commun. Ces institutions peuvent se ramener à un petit nombre de types distincts. »

Et M. Salicis énumérait quelques-uns des exemples les plus connus d'écoles d'apprentissage : 1° avec internat ; 2° sans internat. Il citait les fondations de l'initiative privée, comme celle de M. Lemaire, rue Oberkampf, l'école d'imprimerie de M. Chaix, l'école des apprentis bijoutiers, l'école d'horlogerie, les ateliers des Frères dans leur établissement de Saint-Nicolas, et nombre d'autres établissements, jusqu'aux écoles municipales professionnelles de différentes villes et à l'école Diderot, alors dénommée école municipale préparatoire à l'apprentissage.

Et après avoir indiqué les progrès faits dans cette voie par plusieurs pays étrangers, il ajoutait :

«Bien qu'à notre avis la France tienne jusqu'à présent l'avance, grâce aux initiatives privées, elle n'a point à sommeiller si elle veut la conserver. Sans doute, elle a non seulement fait un grand pas, mais franchi un abîme depuis l'époque où, de par maîtrises et jurandes, nul ne pouvait être apprenti s'il n'était enfant légitime et catholique ; s'il ne versait par contrat, inscrit au greffe des apprentissages, de quatre cents à quatorze cents francs à son maître, et ne lui engageait son temps pour trois et même six années. Mais si l'apprentissage libre était incontestablement un progrès sur cet état de choses, il ne faut pas oublier que les meilleurs principes, lorsque l'application n'en a pas été sagement préparée, ont le sort des instruments délicats livrés à des mains grossières, et c'est ce qui se passe ici. L'on se fait difficilement une idée exacte de ce qu'est aujourd'hui, dans un trop grand nombre de cas, l'apprentissage isolé : absence complète de surveillance morale, enseignement nul ; pas de mauvais traitements, peut-être parce que le commissaire de police y mettrait ordre, mais tous les mauvais procédés ; asservissement, et à la fois abandon de l'enfant pendant la durée de son contrat ; le contrat expiré, l'apprenti devient ce qu'il peut.

« C'est là l'histoire de milliers d'enfants, de tous ceux qui n'ont pas l'insigne bonheur d'être placés chez un patron qui soit à la fois capable de bien diriger leur instruction, scrupuleusement consciencieux, et doué par la nature d'un grand fonds de bienveillance.

« L'école d'apprentissage répond à un besoin qu'ont senti, qu'ont exprimé à maintes reprises depuis trente ans les représentants de la classe ouvrière, les industriels, les économistes, les syndicats, les Conseils généraux. L'école d'apprentissage constitue à nos yeux sur l'apprentissage ordinaire, tel que l'a fait la liberté, un progrès au moins égal à celui qu'a réalisé cet apprentissage lui-même sur l'ancien régime. »