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Apprentissage

La question de l'apprentissage, sans être exclusivement pédagogique, rentre pourtant dans le domaine de ce Dictionnaire.

Elle s'y rattache à trois titres : par l'instruction primaire des apprentis, par leur instruction professionnelle, et par la protection tant matérielle que morale que l'Etat leur doit en raison de leur âge.

C'est à ce triple point de vue que nous nous placerons dans le présent article, laissant de côté les considérations d'ordre proprement économique, qui intéresseraient surtout l'industrie et la richesse nationale.

C'est, bien entendu, la France que nous avons en vue. Mais la « crise de l'apprentissage » est devenue ce qu'on appelle aujourd'hui un fait mondial, et les remèdes proposés, les institutions créées, les lois promulguées, les essais tentés et les résultats obtenus dans les deux hémisphères forment un ensemble qu'il faut présenter ou du moins résumer dans ses traits principaux, pour que chacun puisse faire son profit de l'expérience de tous.

I

Comme introduction générale à ce vaste sujet, nous empruntons une page au magistral rapport que M. Cohendy, professeur à la Faculté de droit de Lyon, président du Conseil de l'Ecole la Martinière, rédigea en 1905, au nom de la commission du Conseil supérieur de l'enseignement technique chargée de l'étude de l'avant-projet qui est devenu le projet de loi du 13 juillet 1905, actuellement soumis aux Chambres.

« C'est, dit M. Cohendy, énoncer une vérité malheureusement incontestable que de dire que l'apprentissage disparaît et n'existe plus guère aujourd'hui que de nom dans un grand nombre d'industries.

« A cet égard les enquêtes ont succédé aux enquêtes depuis plus de quarante ans, et elles aboutissent toutes aux mêmes conclusions.

« En 1863, à la suite des Expositions internationales qui révélaient les progrès continus et menaçants de l'industrie chez les nations étrangères, une grande Commission était constituée, sous la présidence du ministre de l'agriculture et du commerce, à l'effet de procéder à une enquête sur l'enseignement professionnel en France, et elle constatait déjà la décadence de l'apprentissage, et l'abaissement de la valeur professionnelle des ouvriers qui en était la conséquence.

« Quarante ans plus tard, en 1902, la Commission permanente du Conseil supérieur du travail, avec le concours de la Direction du travail, ouvrait une nouvelle enquête sur les conditions de l'apprentissage en France auprès des conseils de prud'hommes, des chambres consultatives des arts et manufactures, des syndicats patronaux, ouvriers, et mixtes, des conseils de travail de Paris, et des associations ouvrières de production. Or les résultats de cette enquête sont à peu de chose près les mêmes que ceux de l'enquête de 1863. C'est, d'une part, qu'on ne forme plus d'apprentis dans un certain nombre d'industries : les ouvriers y sont en général recrutés parmi les auxiliaires de la profession, c'est-à-dire parmi ceux qui ont d'abord été embauchés comme aides des ouvriers en titre. Et c'est d'autre part que, même dans les industries où l'on forme encore des apprentis, l'apprentissage n'est plus ce qu'il devrait être, à savoir la préparation complète, théorique et pratique, à l'exercice de la profession : trop souvent l'apprenti est immédiatement confiné dans une spécialité dont il ne sort plus, et trop souvent aussi il est employé à des besognes domestiques ou autres qui n'ont rien de commun avec sa profession.

« On connaît les causes multiples qui ont contribué à faire disparaître l'apprentissage. Le désir d'un salaire immédiat de la part des enfants et de leurs familles, le développement de la grande industrie qui ne permet plus au patron de s'occuper de ses apprenti, le machinisme, la spécialisation du travail en tâches parcellaires, en une série d'actes tellement simples qu'il suffit de quelques semaines pour savoir conduire une machine ou pour pratiquer la partie du métier qui assure le gagne-pain, toutes ces causes réunies devaient fatalement entraîner la décadence progressive et la disparition de l'apprentissage.

« La disparition de l'apprentissage dans un grand nombre d'industries est donc à l'heure actuelle un fait indéniable, et malheureusement aussi ses conséquences ne sont pas moins certaines.

« La disparition de l'apprentissage, c'est l'abaissement de la capacité technique de l'ouvrier, et, par cela même, son avenir tout entier qui est gravement compromis. Il s'agit de savoir, en effet, si, dans les conditions actuelles, l'enfant qu'on place à l'atelier peut devenir un ouvrier véritable, possédant à fond la technique de son art, aimant son métier, capable de s'élever à de plus hautes situations ou tout au moins de gagner un salaire suffisant et d'obtenir des conditions honorables de travail, ou bien, au contraire, s'il sera condamné à rester toute sa vie un ouvrier incomplet, ou, pour mieux dire, un vulgaire manoeuvre, a la merci des chômages et de l'avilissement des salaires, et trop souvent aussi un de ces incapables prétentieux et toujours mécontents qui errent d'atelier en atelier et qui sèment la discorde partout où ils sont embauchés. Or, à cet égard, les conclusions de l'enquête de 1902 sont d'une netteté qui, malheureusement, ne laisse rien à désirer : dans les industries où l'on ne forme plus d'apprentis la valeur professionnelle des ouvriers décroît, les salaires baissent, les chômages sont plus intenses et plus fréquents.

« La disparition de l'apprentissage, c'est aussi, et par voie de contre-coup, la décadence pour ces mêmes industries. L'enquête de 1902 le constate également d'une manière formelle : d'après la presque unanimité des institutions consultées (six seulement sont d'un avis opposé), les industries qui ne forment plus d'apprentis périclitent : elles ne peuvent pas lutter contre la concurrence des pays étrangers.

« Comment pourrait-il en être autrement, d'ailleurs, dans un pays comme le nôtre, dont la prospérité industrielle et commerciale tient surtout à la perfection et au fini de ses produits ? Chez nous, plus que partout ailleurs, c'est une nécessité primordiale de former et posséder des ouvriers d'élite, parce qu'il existe une connexité étroite, un rapport de cause à effet, entre la valeur professionnelle de ces ouvriers et l'essor de nos industries. Et je ne parle pas seulement, ici, de ces industries si nombreuses telles que la bijouterie, l'ébénisterie, la serrurerie, l'ameublement, l'industrie du livre, etc., qui touchent de si près à l'art et dans lesquelles l'intelligence, le savoir professionnel et le goût jouent un rôle au moins aussi important que l'habileté des mains ou la finesse des outils. Je veux parler aussi des industries mécaniques où, quoi qu'on en ait dit, la machine ne saurait remplacer l'ouvrier. « S'il est exact, en effet, qu'un simple manoeuvre peut surveiller une machine et faire quelques besognes banales et monotones que nécessite son alimentation, il n'en est pas moins vrai que l'intérêt de ces industries exige impérieusement des ouvriers instruits, connaissant à la fois la théorie t la pratique de leur métier, capables de comprendre et d'exécuter les ordres donnés et au besoin même d'y suppléer par leur initiative éclairée. Or ces ouvriers sont de plus en plus rares dans les industries qui ne forment plus d'apprentis. »

Sur cette situation générale et sur la nécessité d'y aviser, les témoignages sont unanimes, unanimes aussi les conclusions.

Une des plus importantes parmi ces enquêtes auxquelles fait allusion M. Cohendy, celle de la Commission permanente du Conseil supérieur du travail, résumée par M. Briat dans son grand rapport de 1902, a montré, malgré la diversité des réponses de détail, que la décroissance, sinon la disparition, de l'apprentissage est un fait qui tend à se généraliser. Presque tous les avis s'accordent à le déplorer. Les effets de ce phénomène sont presque universellement jugés défavorables soit à la marche de l'industrie, soit à la condition de l'ouvrier. On signale comme en étant les conséquences ordinaires la diminution de savoir technique et par suite la diminution des salaires, l'augmentation de durée de la journée de travail, l'extension du chômage, la décadence de la petite industrie au profit de la grande, etc. Aussi l'enquête établit-elle que spontanément, à l'insu même les uns des autres, un grand nombre d'efforts sont faits soit dans l'intérêt du travailleur, soit dans celui de l'industrie, par des initiatives méritoires, souvent généreuses, toujours utiles, même quand elles sont insuffisantes pour transformer la situation.

Tout récemment, une autre enquête, ouverte par le Mouvement socialiste, a présenté des considérations d'autant plus intéressantes qu'elles viennent exclusivement des syndicats ouvriers et même de la fraction la plus avancée du syndicalisme ouvrier. Les déposants sont tous en effet des secrétaires ou des porte-parole de groupes adhérents à la Confédération Générale du Travail. Ils s'accordent à décrire le mal désigné sous le nom équivoque de « crise de l'apprentissage » et qu'ils envisagent, eux, au point de vue de la classe ouvrière. Qu'ils en parlent sur un ton âpre et violent et mêlent à des observations d'une précision cruelle les plaintes ordinaires contre l'exploitation patronale, ce n'est pas là la partie originale de l'enquête. Elle est dans les remèdes qu'ils proposent à la spécialisation à outrance, à cette quasi-impossibilité de former désormais un ouvrier complet dans des industries transformées par le machinisme.

En général, ils réagissent contre l'illusion qui consiste à attendre des écoles professionnelles ou des cours professionnels la formation des apprentis. « C'est, dit Paul Delesalle, à l'atelier, au chantier, à l'usine, sur le terrain même de la production moderne, au milieu des progrès de chaque jour, que l'ouvrier de demain peut apprendre le métier qui le fera vivre ou qui lui permettra d'apporter sa somme de labeur à la collectivité émancipée. »

Faut-il donc viser exclusivement, pour chaque apprenti, à lui faire acquérir au plus vite, dans une spécialité étroite, la plus grande capacité de travail productif? « Non, répondent tous les rapporteurs. Il ne faut pas faire des ouvriers-machines, il faut faire des ouvriers-hommes. Il faut faire faire à tous les fils d'ouvrier le double apprentissage du métier et de la vie. » De là les exhortations adressées dans cette enquête à toutes les familles de travailleurs pour qu'elles ne se laissent pas séduire par l'appât d'un gain rapide et facile, pour qu'elles s'imposent à elles-mêmes et imposent au patron le complet apprentissage d'une profession complète, permettant dans l'avenir au jeune ouvrier de faire face, au besoin, même à des transformations économiques imprévues, en s'adaptant rapidement à des conditions nouvelles.

Autre écueil à éviter : il faut résister aux avances laites à quelques jeunes gens, que le patronat choisirait volontiers, en raison de leurs qualités d'intelligence et de caractère, pour en faire une élite, une pépinière de contremaîtres, de soi-disant « ouvriers supérieurs » qui sépareraient leurs intérêts de ceux de la masse et leur destinée de celle du prolétariat : ce serait un moyen de les «embourgeoiser». (Léon Martin.)

Pour éviter ces déviations, l'enquête conclut à ce que « les syndicats ouvriers prennent en main la direction de l'apprentissage, en règlent les conditions, la forme, les enseignements, la durée, surveillent la rédaction, l'exécution des contrats, s'opposent résolument au pseudo-apprentissage qui fait des ouvriers parcellaires ».

Ce qu'il faut encore, et surtout, conclut un rapporteur, c'est d'élever enfin dans notre France républicaine l'école primaire au rôle qu'elle remplit dans maint pays monarchique : l'instruction limitée à treize ans (en fait à douze, et souvent moins) jette l'enfant dans la vie ouvrière sans préparation, sans défense, et sans aucun profit réel ni pour lui, ni pour la famille, ni pour l'industrie, ni pour la société. Il faut faire comme nos voisins, relever la limite d'âge, prolonger de deux ans l'école en rendant obligatoire ce complément d'instruction professionnelle et pratique en même temps que d'instruction générale. Sacrifice nouveau? Oui, mais « qu'est-ce que ces deux ans à sacrifier pour une oeuvre de vie et d'élévation morale, autrement profitable au progrès et à l'humanité que les deux années de caserne imposées à des hommes de vingt ans que l'on arrache brutalement à la production? » (Raoul Lenoir.)

Cette conclusion de l'enquête ouvrière nous paraît d'ailleurs préciser, corriger et compléter utilement la solution à laquelle s'arrêtait M. Paul Lafargue en terminant l'article Apprentissage dans la Grande Encyclopédie : « Aujourd'hui, disait-il, l'apprentissage abandonne tout à fait son aspect familial et perd presque entièrement son côté instructif. Il n'y a plus guère d'apprentis qui « apprennent ». Lorsque l'apprenti n'est pas simplement le complément indispensable de l'outillage, la suite de la machine, il n'est le plus souvent employé qu'à faire les courses de la maison. Si le travail simplifié mécaniquement amène l'utilisation des enfants comme producteurs, ceux-ci, parvenus à l'âge d'hommes, étaient tout à fait incapables de fournir les ouvriers instruits complètement dans le métier, nécessaires à la direction des ateliers. Les chambres syndicales patronales s'aperçurent du danger les premières et cherchèrent à y remédier en ouvrant des cours du soir. Comme ce palliatif était insuffisant, plusieurs communes et ensuite l'Etat durent à leur tour entrer dans cette voie pour sauvegarder l'industrie nationale. On remplace l'apprentissage sorti de l'atelier par l'éducation ouvrière faite dans les écoles professionnelles, dont le nombre augmente de jour en jour avec bourses, récompenses, voyages instructifs. Ainsi l'apprentissage, qui fut fait d'abord sous la surveillance des corporations, puis laissé un moment à l'initiative individuelle, perd son caractère privé et tend maintenant à devenir une oeuvre sociale accomplie sous la direction de maîtres et de professeurs relevant directement des pouvoirs publics. »

II

La nécessité de restaurer l'apprentissage étant reconnue, quels sont les moyens propres à assurer ce résultat?

Commençons par déclarer qu'il y en a plusieurs : la différence des causes du mal commande celle des remèdes.

Avant tout, c'est de la législation que doivent venir les principes de la réforme. Et nous ne pouvons nous occuper ici que des principes.

A cet égard la France est un des peuples qui ont le plus grand effort à accomplir, étant un de ceux dont la législation est la plus ancienne.

Notre loi sur l'apprentissage est du 22 février 1851.

Nous croyons devoir en reproduire le texte in extenso, pour permettre la comparaison avec les législations étrangères plus récentes :

« LOI RELATIVE AUX CONTRATS D'APPRENTISSAGE DES ENFANTS DANS LES USINES, MANUFACTURES ET ATELIERS. (22 FÉVRIER 1851.)

« TITRE Ier. — Du contrat d'apprentissage. « Section Ire. — De la nature et de la forme du contrat.

« ARTICLE PREMIER. — Le contrat d'apprentissage est celui par lequel un fabricant, un chef d'atelier ou un ouvrier s'oblige à enseigner la pratique de sa profession à une autre personne qui s'oblige, en retour, à travailler pour lui ; le tout à des conditions et pendant un temps convenus.

« ART. 2. — Le contrat d'apprentissage est fait par acte public ou par acte sous seing privé.

« Il peut aussi être fait verbalement ; mais la preuve testimoniale n'en est reçue que conformément au titre du Code civil : Des contrats ou des obligations conventionnelles en général.

« Les notaires, les secrétaires des conseils de prud'hommes et les greffiers de justice de paix peuvent recevoir l'acte d'apprentissage.

« Cet acte est soumis pour l'enregistrement au droit fixe d'un franc, lors même qu'il contiendrait des obligations de sommes ou valeurs mobilières, ou des quittances.

« Les honoraires dus aux officiers publics sont fixés à deux francs.

« ART. 3. — L'acte d'apprentissage contiendra :

« 1° Les nom, prénoms, âge, profession et domicile du maître ;

« 2° Les nom, prénoms, âge et domicile de l'apprenti ;

« 3° Les nom, prénoms, professions et domicile de ses père et mère, de son tuteur ou de la personne autorisée par les parents, et, à leur défaut, par le juge de paix ;

« 4° La date et la durée du contrat ;

« 5° Les conditions de logement, de nourriture, de prix et toutes autres arrêtées entre les parties.

« Il devra être signé par le maître et par les représentants de l'apprenti.

« Section II. — Des conditions du contrat.

« ART. 4. — Nul ne peut recevoir des apprentis mineurs s'il n'est âgé de vingt et un ans au moins.

« ART. 5. — Aucun maître, s'il est célibataire ou en état de veuvage, ne peut loger, comme apprenties, des jeunes filles mineures.

« ART. 6. — Sont incapables de recevoir des apprentis : « Les individus qui ont subi une condamnation pour crime ;

« Ceux qui ont été condamnés pour attentat aux moeurs ;

« Ceux qui ont été condamnés à plus de trois mois d'emprisonnement pour les délits prévus par les articles 388, 401, 405, 407, 408, 423 du Code pénal.

« ART. 7. — L'incapacité résultant de l'article 6 pourra être levée par le préfet, sur l'avis du maire, quand le condamné, après l'expiration de sa peine, aura résidé pendant trois ans dans la même commune.

« A Paris, les incapacités seront levées par le préfet de police.

« Section III. — Devoirs des maîtres et des apprentis.

« ART. 8. — Le maître doit se conduire envers l'apprenti en bon père de famille, surveiller sa conduite et ses moeurs, soit dans la maison, soit au dehors, et avertir ses parents ou leurs représentants des fautes graves qu'il pourrait commettre ou des penchants vicieux qu'il pourrait manifester.

« Il doit aussi les prévenir, sans retard, en cas de maladie, d'absence ou de tout fait de nature à motiver leur intervention.

« Il n'emploiera l'apprenti, sauf conventions contraires, qu'aux travaux et services qui se rattachent à l'exercice de sa profession. Il ne l'emploiera jamais à ceux qui seraient insalubres ou au-dessus de ses forces.

« ART. 9. — La durée du travail effectif des apprentis âgés de moins de quatorze ans ne pourra dépasser dix heures par jour.

« Pour les apprentis de quatorze à seize ans, elle ne pourra dépasser douze heures.

« Aucun travail de nuit ne peut être imposé aux apprentis âgés de moins de seize ans.

« Est considéré comme travail de nuit tout travail fait entre neuf heures du soir et cinq heures du malin.

« Les dimanches et jours de fêles reconnues ou légales, les apprentis, dans aucun cas, ne peuvent être tenus, vis-à-vis de leur maître, à aucun travail de leur profession.

« Dans le cas où l'apprenti serait obligé, par suite des conventions ou conformément à l'usage, de ranger l'atelier aux jours ci-dessus marqués, ce travail ne pourra se prolonger au delà de dix heures du matin.

« Il ne pourra être dérogé aux dispositions contenues dans les trois premiers paragraphes du présent article que par un arrêté rendu par le préfet sur l'avis du maire.

« ART. 10. — Si l'apprenti, âgé de moins de seize ans, ne sait pas lire, écrire et compter, ou s'il n'a pas encore terminé sa première éducation religieuse, le maître est tenu de lui laisser prendre, sur la journée de travail, le temps et la liberté nécessaires pour son instruction.

« Néanmoins ce temps ne pourra pas excéder deux heures par jour.

« ART. 11. — L'apprenti doit à son maître fidélité, obéissance et respect ; il doit l'aider par son travail dans la mesure de ses aptitudes et de ses forces.

« Il est tenu de remplacer, à la fin de l'apprentissage, le temps qu'il n'a pu employer par suite de maladie ou d'absence ayant duré plus de quinze jours.

« ART. 12. — Le maître doit enseigner à l'apprenti, progressivement et complètement, 1 art, le métier où la profession spéciale qui fait l'objet du contrat.

« Il lui délivrera, à la fin de l'apprentissage, un congé d'acquit ou certificat constatant l'exécution du contrat.

« ART. 13. — Tout fabricant, chef d'atelier ou ouvrier, convaincu d'avoir détourné un apprenti de chez son maître, pour l'employer en qualité d'apprenti ou d'ouvrier, pourra être passible de tout ou partie de l'indemnité à prononcer au profit du maître abandonné.

« Section IV. — De la résolution du contrat.

« ART. 14. — Les deux premiers mois de l'apprentissage sont considérés comme un temps d'essai, pendant lequel le contrat peut être annulé par la seule volonté de l'une des parties. Dans ce cas, aucune indemnité ne sera allouée à l'autre partie, à moins de conventions expresses.

« ART. 15. — Le contrat d'apprentissage sera résolu de plein droit :

« 1° Par la mort du maître ou de l'apprenti ;

« 2° Si l'apprenti ou le maître est appelé au service militaire ;

« 3° Si le maître ou l'apprenti vient à être frappé d'une des condamnations prévues à l'article 6 de la présente loi ;

« 4° Pour les filles mineures, dans le cas de décès de l'épouse du maître ou de toute autre femme de la famille qui dirigeait la maison à l'époque du contrat.

« ART. 16. — Le contrat peut être résolu sur la demande des parties ou de l'une d'elles :

« 1° Dans le cas où l'une des parties manquerait aux stipulations du contrat ;

« 2° Pour cause d'infraction grave ou habituelle aux prescriptions de la présente loi ;

« 3° Dans le cas d'inconduite habituelle de la part de l'apprenti ;

« 4° Si le maître transporte sa résidence dans une autre commune que celle qu'il habitait lors de la convention. Néanmoins, la demande en résolution du contrat fondée sur ce motif ne sera recevable que pendant trois mois, à compter du jour où le maître aura changé de résidence ;

« 5° Si le maître ou l'apprenti encourait une condamnation emportant un emprisonnement de plus d'un mois ;

« 6° Dans le cas où l'apprenti viendrait à contracter mariage.

« ART. 17. — Si le temps convenu pour la durée dé l'apprentissage dépasse le maximum de la durée consacrée par les usages locaux, ce temps peut être réduit ou le contrat résolu.

« TITRE II. — De la compétence.

« ART. 18. — Toute demande à fin d'exécution ou de résolution de contrat sera jugée par le conseil des prud'hommes dont le maître est justiciable et, à défaut, par le juge de paix du canton.

« Les réclamations qui pourraient être dirigées contre des tiers, en vertu de l'art. 13 de la présente loi, seront portées devant le conseil des prud'hommes ou devant le juge de paix du lieu de leur domicile.

« ART. 19. — Dans les divers cas de résolution prévus en la section IV du titre Ier, les indemnités ou les restitutions qui pourraient être dues à l'une ou l'autre des parties seront, à défaut de stipulations expresses, réglées par le conseil des prud'hommes, ou devant le juge de paix dans les cantons qui ne ressortissent point à la juridiction d'un conseil de prud'hommes.

« ART. 20. — Toute contravention aux articles 4, 5, 6, 9 et 10 de la présente loi sera poursuivie devant le tribunal de police et punie d'une amende de 5 à 15 francs.

« Pour les contraventions aux articles 4, 5, 9 et 10, le tribunal de police pourra, dans le cas de récidive, prononcer, outre l'amende, un emprisonnement d'un à cinq jours.

« En cas de récidive, la contravention à l'art. 6 sera poursuivie devant les tribunaux correctionnels, et punie d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois, sans préjudice d'une amende qui pourra s'élever de 50 francs à 300 francs.

« ART. 21. — Les dispositions de l'article 463 du Code pénal sont applicables aux faits prévus par la présente loi.

« ART. 22. — Sont abrogés les articles 9, 10 et 11 de la loi du 22 germinal an XI. » En supposant même cette loi pleinement et régulièrement appliquée, les lacunes qu'elle laisserait subsister sont évidentes. Mais, en fait, cette loi même est, pour une grande partie de ses dispositions et pour la grande majorité des industries, devenue lettre morte.

Il en résulte que, suivant l'expression d'un récent rapporteur du budget de l'instruction publique, en France on peut considérer l'adolescence comme moralement abandonnée. Entendons du moins l'adolessence ouvrière, celle qui doit vivre du travail manuel.

Ajoutons que ce jugement est encore beaucoup plus cruellement vrai pour l'adolescence paysanne. Celle-ci, en effet, reste en dehors de l'apprentissage. Tout le monde comprend qu'il convient d'assurer la possession d'un métier défini, d'un art ou d'un talent technique (petit ou grand, rémunérateur ou infime, mais enfin ayant une valeur propre) à l'adolescent qui -devra trouver un emploi dans les plus humbles fonctions de l'industrie ou du commerce. On ne comprend pas la même nécessité pour le jeune villageois, garçon de ferme, valet de basse-cour, manoeuvre et souffre-douleur du dernier étage, qui est par définition sans spécialité, sans talent, sans compétence propre, voué aux basses besognes et à l'abrutissante routine. Nous ne pouvons que signaler en passant cette énorme lacune dans la conception même de l'apprentissage : il semble, à tort, réservé aux emplois industriels et commerciaux. C'est une réforme sur laquelle nous reviendrons dans l'article Professionnel (Enseignement).

On peut ramener à cinq questions ou groupes de questions les dispositions essentielles de toute loi sur l'apprentissage :

PREMIERE QUESTION. — L'apprentissage doit-il être facultatif ou obligatoire ?

Sur cette question, théoriquement, les avis sont partagés, mais sur les conclusions pratiques l'accord est à peu près unanime.

La tendance des pays germaniques est de généraliser l'apprentissage et d'en faire une institution normale, une sorte de condition d'existence et d'entrée dans l'industrie ou le commerce. On vise à lui donner, au moins moralement, le caractère obligatoire.

En d'autres termes, dans les pays qui, comme l'Allemagne, le Danemark, la Hollande, la Suisse, l'Autriche, la Hongrie, cherchent à résoudre le problème ou du moins à en commencer la solution par la voie législative, l'objectif manifestement poursuivi est d'étendre 1 obligation de l'apprentissage au plus grand nombre possible de professions : l'idéal serait de l'étendre a toutes. Aucune espèce, aucune forme de travail ne serait abandonnée aux hasards d'une préparation individuelle empirique et désordonnée. Si humble que soit un métier, il doit s'apprendre. Il exige toujours deux éléments : l'un théorique, l'autre pratique. Lequel des deux l'emportera? La réponse varie suivant les métiers. Mais nul ne devient véritable ouvrier qui n'ait été véritable apprenti.

En vain objecterait-on que, dans les conditions de l'industrie moderne, des milliers, des millions d'ouvriers n'ont plus besoin d'apprendre qu'une partie de métier tellement fragmentaire et tellement spécialisée qu'ils peuvent s'en rendre maîtres en quelques semaines, et qu'ensuite ils n'ont plus qu'à répéter indéfiniment le même geste machinal, qui s'exécute de plus en plus rapidement et automatiquement. D'où l'on conclut qu'un apprentissage complet, méthodique et développé n'a plus de raison d'être.

La réponse se présente d'elle-même à l'esprit. Si l'apprentissage n'est plus indispensable à l'ouvrage ainsi spécialisé, il ne l'est que davantage à l'ouvrier. Supposons même qu'il n'en ait aucun besoin pour accomplir ce simple et monotone mouvement correspondant à une toute petite parcelle du travail de fabrication : il en aura singulièrement besoin le jour, peut-être prochain, où il voudra, où il devra renoncer à cette fraction infinitésimale de la manufacture ou plutôt de la machino-facture, soit qu'avec l'âge la souplesse des muscles diminuée ne lui permette plus d'atteindre le même rendement dû à une rapidité prestigieuse, soit qu'une des innombrables modifications de l'outillage lui ait enlevé son gagne-pain et le force à en chercher un autre. Plus le manoeuvre est enchaîné à un seul genre d'opérations inférieures, plus sa situation est précaire. Il risque de perdre du jour au lendemain ses moyens d'existence s'il ne peut rien y changer, rien y ajouter, quoi qu'il arrive. Par l'apprentissage, au contraire, il se trouverait muni de chances supplémentaires, d'instruments de rechange, d'un surcroît de ressources éventuelles. Par l'apprentissage il aurait acquis une possibilité de plus-value et une probabilité d'échapper au chômage.

On a donc raison de tout faire pour que tout enfant qui devra gagner sa vie par le travail manuel soit, d'office et sans exception, pourvu d'un minimum de savoir professionnel qui, même très restreint, peut lui être précieux. Qui n'a jamais été apprenti a les plus grandes chances de n'être jamais ouvrier.

C'est un acte de prévoyance sociale élémentaire que d'imposer à l'adolescent un minimum d'apprentissage comme on impose à l'enfant un minimum de scolarité. Ces deux mesures protectrices du mineur se font suite, s'appuient et se complètent l'une l'autre. Et en ce sens on peut dire que l'apprentissage obligatoire n'importe pas moins a une démocratie que l'instruction obligatoire.

C'est cette pensée qui avait inspiré un article trop oublié, trop peu remarqué de la constitution de l'an III. Cette constitution, oeuvre de la fraction la plus modérée du parti révolutionnaire, contenait cette étonnante disposition :

«ART. 16. — Les jeunes gens ne peuvent être inscrits sur les registres civiques, s'ils ne prouvent qu'ils savent lire et écrire, et exercer une profession mécanique (les opérations manuelles de l'agriculture appartiennent aux professions mécaniques). Cet article n'aura d'exécution qu'à compter de l'an XII de la République. »

Sans doute, plus d'un siècle après l'an XII, cet article n'est pas encore en vigueur. Pourtant la pensée qui l'avait dicté est bien celle que nous retrouvons dans plusieurs des législations récentes de l'étranger, et elle n'a jamais disparu complètement de la nôtre.

Déjà, en France, dès les débuts de la troisième République s'était affirmée cette préoccupation d'assurer la généralisation de l'apprentissage, en le rattachant à l'enseignement primaire élémentaire obligatoire. De là la création des écoles manuelles d'apprentissage par la loi du 11 décembre 1880.

De là aussi les efforts de M. Salicis, dès 1872, pour mettre en honneur l'enseignement pratique du travail manuel à tous les degrés de l'école, depuis l'école maternelle jusqu'à l'école normale. De là l'institution d'une école normale de travail manuel (1882). De là la fondation de ces grandes écoles nationales professionnelles dont Jules Ferry attendait de si grands services pour l'industrie nationale. Nul ministre du commerce n'attacha plus de prix que ce ministre de l'instruction publique à l'enseignement professionnel sous ses diverses formes, à ses divers degrés. N'est-ce pas Jules Ferry qui, dans son discours de Lyon, justifiait ainsi ces créations : « Apprendre dès l'école primaire au fils de l'ouvrier le travail du fer et du bois, c'est le mettre en état, quand il sera à l'âge d'homme, de choisir sa profession en connaissance de cause, c'est lui fournir le moyen d'échapper à cette spécialisation à outrance qui abaisse et asservit l'ouvrier »?

Mais en France, par le cours même des événements et en particulier par suite de la constitution de ministères spécialement consacrés à l'agriculture, puis au commerce et à l'industrie, puis au travail, le problème de l'apprentissage ou même de la préparation scolaire à l'apprentissage a peu à peu échappé au ministère de l'instruction publique pour devenir, semble-t-il, l'objet propre d'autres départements. Il en est résulté, entre autres conséquences, que la loi du 22 février 1851, malgré ses imperfections, est restée le seul texte en vigueur. Et la grande question de la généralisation de l'apprentissage et de sa transformation, même graduelle, en institution sociale obligatoire a été chez nous moins étudiée qu'ailleurs et est restée, comme il est naturel, sans solution.

Au contraire, dans les pays que nous citions plus haut, il a été fait depuis une vingtaine d'années de remarquables efforts pour l'extension de l'apprentissage en droit et en fait : en droit par la teneur des prescriptions légales, en fait par les encouragements effectifs qui ont stimulé le zèle des patrons, celui des familles et celui des jeunes gens.

Aucun pays n'a formulé une règle telle que celle-ci : « L'apprentissage est obligatoire pour tous les jeunes gens de quatorze à dix-huit ans ». Mais beaucoup s'en rapprochent par des dispositions plus ou moins hardies et habiles, quoique n'atteignant qu'indirectement le but poursuivi.

Tous partent avec raison d'une idée que l'on peut considérer comme sous-entendue, à savoir que partout où il y a métier à apprendre, il y a implicitement et nécessairement apprentissage de fait. Il ne reste donc plus qu'à dire comment seront déterminées par la loi les conditions de cet apprentissage.

Quelques législations, précisément les plus récentes, essaient d'englober énumérativement le plus grand nombre possible d'industries dans l'obligation de l'apprentissage. La loi sur les apprentissages du canton de Berne commence ainsi ses dispositions générales :

« ARTICLE PREMIER. — La présente loi est applicable à tous les métiers, à toutes les professions industrielles et commerciales, ainsi qu'aux débits de boisson et aux pensions, à l'exception toutefois des hôtels dits de saison….

« Lorsqu'il y a doute sur le point de savoir si la loi est applicable à une profession ou à un métier, le Conseil exécutif décide.

« Le Grand-Conseil rendra, immédiatement après l'entrée en vigueur de la présente loi, un décret sur les apprentissages faits dans les études d'hommes de loi et les bureaux d'administration.

« ART. 2. — Est réputée apprenti, au sens de la présente loi, toute personne mineure de l'un ou de l'autre sexe qui veut apprendre, par un apprentissage ininterrompu et de la durée d'usage, une profession déterminée chez un artisan, dans une exploitation industrielle ou commerciale, ou dans l'un des établissements désignés à l'art. 1er ci-dessus, ou bien encore dans une école professionnelle ou un atelier d'apprentissage. En cas de doute, la Direction de l'intérieur décide. »

Dès 1896, le canton de Vaud avait une loi sur l'apprentissage (21 novembre), dont l'article 1définissait la sphère d'action dans les termes suivants : « ARTICLE PREMIER. — La présente loi régit tous les apprentissages d'industrie, de métiers et de commerce. Ses dispositions sont d'ordre public. Il est interdit d'y déroger par convention. » er

Il reste évidemment à savoir qui sera, comme dit la loi bernoise, « réputé apprenti ».

La loi plus récente du Valais (21 novembre 1903) n'a pas hésité à combler la lacune dans ses dispositions générales :

« ARTICLE PREMIER. — L'apprentissage est placé sous la protection et la surveillance de l'Etat.

« ART. 2. — La présente loi régit tous les apprentissages d'industrie, commerce et métiers.

« Ses dispositions étant d'ordre public, il est interdit d'y déroger par convention.

« ART. 3. — Est considéré comme apprenti tout mineur de l'un ou de l'autre sexe, émancipé de l'école primaire et placé chez un patron ou maître d'état pour y apprendre une profession commerciale ou industrielle.

« Tout apprenti devenu majeur demeure lié par le contrat. »

Par un autre biais, la loi hongroise sur l'industrie (21 mai 1884) approchait du même résultat, au moins pour l'avenir. Dans son article 4, elle présuppose l'apprentissage et fait de la justification de l'apprentissage une des conditions d'exercice de l'industrie :

« ART. 4. — Quiconque se propose d'exercer une industrie qui n'est pas soumise à une concession est tenu de déclarer par écrit son intention à l'autorité industrielle compétente ; il doit en même temps justifier qu'il remplit les conditions de capacité personnelle prescrites par la loi. En outre, si le métier qu'il se propose d'exercer est un de ces métiers manuels dont la pratique ne peut, en règle générale, être acquise, à raison de sa nature, qu'après un long exercice, il doit produire son certificat d'apprentissage et justifier qu'après l'achèvement de l'apprentissage il a été chargé de travaux du métier dans un atelier ou dans une fabrique pendant deux ans au moins. Ces conditions remplies, le certificat de l'autorité industrielle constatant la déclaration doit être remis à l'intéressé par l'autorité industrielle dans le délai de trois jours au plus, sinon l'intéressé peut, après l'expiration de trois jours, commencer l'exercice de l'industrie.

« Concurremment avec la déclaration, il doit être versé dans la caisse de la commune, en première ligne pour l'enseignement industriel, et éventuellement pour l'enseignement commercial : à Budapest, dix florins ; dans les villes et communes ayant plus de dix mille habitants, cinq florins ; dans les autres localités, un florin.

« ART. 5. — Le minisire de l'agriculture, de l'industrie et du commerce déterminera et énumérera par voie d'ordonnance les métiers manuels pour l'exercice desquels il doit être justifié de la capacité conformément à l'article 4. »

D'autres dispositions permettent de substituer à l'apprentissage un certificat d'études dans une école professionnelle, et transitoirement le certificat de participation au travail dans les ateliers pendant un temps assez long. Mais cette atténuation n'empêche pas d'imposer à l'industriel non pourvu du certificat d'apprentissage l'obligation d'employer dans son atelier une personne majeure qui en soit pourvue.

Les lois allemandes ont procédé un peu autrement, mais de manière aussi à envelopper d'un réseau de plus en plus étroit les jeunes gens employés dans l'industrie et le commerce en les définissant d'office « apprentis ».

« L'Allemagne, dit M. Cohendy, est entrée la première dans cette voie, et sa législation a suivi à cet égard une évolution caractéristique, s'orientant de plus en plus dans le sens de l'obligation.

« La première loi allemande sur l'industrie (Gewerbeordnung), en date du 21 juin 1869, n'imposait à cet égard au patron, dans son article 120, qu'une obligation restreinte et limitée : elle l'obligeait seulement à laisser à ses apprentis, sur la journée de travail, le temps et la liberté nécessaires pour suivre les cours professionnels, sans l'obliger d'ailleurs à les astreindre à suivre ces cours et à veiller à leur assiduité.

« Plus tard, la loi du 1er juin 1891, modifiant l'article 120 de la Gewerbeordnung, accorda aux Etats particuliers, ainsi qu'aux communes et aux associations de communes, le droit d'imposer cette double obligation aux patrons et d'assurer ainsi d'une manière complète la fréquentation obligatoire par les apprentis des cours professionnels commerciaux ou industriels (kaufmännische und gewerbliche Forbildungsschulen). La plupart des Etats de l'Allemagne, et plus spécialement les Etats de l'Allemagne du Sud, la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade, ainsi que la Saxe, s'empressèrent de profiter de cette disposition nouvelle. En Saxe, notamment, d'après l'article 14 de la loi du 26 avril 1893, les apprentis, après avoir quitté l'école primaire, sont tenus, sous la responsabilité de leur patron et de leurs parents ou tuteur, de fréquenter les Fortbildungsschulen pendant trois ans et au moins deux heures par semaine. Ce n'est là d'ailleurs qu'un minimum, chaque commune pouvant y ajouter ce qu'elle juge nécessaire, jusqu'à concurrence de huit heures par semaine, maximum légal de l'obligation.

« Enfin, comme certains Etats, par exemple la Prusse, avaient maintenu le caractère facultatif de l'enseignement professionnel, la loi du 30 juin 1900 fit alors un nouveau pas dans la voie de l'obligation et ajouta à la Gewerbeordnung un nouvel article, l'article 139-i, aux termes duquel, dans toutes les localités où existe une école professionnelle reconnue par l'Etat ou l'autorité communale, « le patron doit obliger » les aides et apprentis à la fréquentation de cette » école, et doit aussi veiller à l'exactitude de cette » fréquentation ».

« En somme, dans l'état actuel de la législation allemande, l'enseignement professionnel des apprentis est obligatoire, sinon d'une manière absolue, tout au moins dans les Etats particuliers et les communes qui ont établi l'obligation et dans les localités qui possèdent une école professionnelle reconnue. Mais on peut affirmer, étant donné les voeux formulés à diverses reprises par les associations d'ouvriers, de commerçants et d'industriels, que la législation allemande achèvera bientôt son évolution, et que d'ici à peu de temps l'enseignement professionnel deviendra obligatoire, sans exception ni réserve, dans toute l'étendue du territoire de l'Allemagne. »

Depuis que ces lignes ont été écrites, la prophétie qu'elles contenaient s'est réalisée : l'obligation s'est étendue si généralement qu'on peut considérer la transformation comme accomplie. Mais elle ne s'opère que grâce à la désignation d'apprentis donnée aux jeunes gens de quatorze à dix-huit ans. Pour ceux qui ont dépassé cet âge, les cours professionnels, en réalité « cours de perfectionnement de l'apprentissage », restent facultatifs. Et l'un des plus beaux résultats de l'institution nouvelle est précisément de voir, comme à Munich par exemple, cette prolongation volontaire de l'apprentissage, allant jusqu'à de grands développements techniques, accueillie et utilisée avec un extrême empressement par cette catégorie de jeunes ouvriers, désireux de compléter leur éducation professionnelle.

DEUXIEME QUESTION. — Le contrat d'apprentissage doit-il être facultatif ou obligatoire ? Et, dans ce dernier cas, verbal ou écrit ? Ici. encore, malgré d'apparentes divergences, la réponse est, peut-on dire, presque unanime.

Les pays étrangers qui ont récemment refait leur législation sur l'apprentissage ont, en général, entouré le contrat d'apprentissage de toutes les garanties et de tous les encouragements propres à en favoriser l'adoption par tous dans l'intérêt de tous. Certaines législations le considèrent, de piano, comme la forme naturelle, normale et nécessaire de l'apprentissage. Ainsi fait la loi du Valais :

« ART. 7. — Le contrat d'apprentissage est celui par lequel une personne exerçant une profession industrielle ou commerciale prend l'engagement de l'enseigner à une autre qui est tenue en retour à des prestations déterminées.

« ART. 8. — Tout apprentissage doit être réglé à l'avance par un contrat écrit, en trois doubles datés et signés par le patron, l'apprenti et son représentant légal.

« Un double est remis à chacune des parties, et le troisième est adressé, dans la quinzaine et sous la responsabilité du patron, à la Commission cantonale, qui en donne communication immédiate à l'autorité communale.

« ART. 9. — Le père, la mère, ou à leur défaut le tuteur, qui met un enfant ou pupille en apprentissage doit, dans le contrat, se porter garant vis-à-vis du patron du fidèle accomplissement par l'apprenti de ses devoirs légaux et contractuels.

« En cas d'indigence, la commune d'origine, avisée avant la passation du contrat, peut être obligée par lé Département de l'intérieur d'assumer l'obligation imposée aux parents ou au tuteur. Le recours contre les parents est réservé, conformément à la loi du 3 décembre 1898 sur l'assistance. »

Mais la plupart des textes que nous avons sous les yeux se bornent à mentionner le contrat comme le cas général, sans édicter une obligation expresse.

Tous s'accordent pour statuer que, s'il y a contrat, ce ne peut être qu'un contrat écrit. Les abus possibles du contrat verbal, l'infériorité des garanties qu'il comporte soit pour l'un ou l'autre des contractants, soit pour l'intérêt public et pour le bien de l'industrie nationale, n'ont pas permis l'hésitation. Depuis que l'instruction primaire est obligatoire, il n'y a plus 1 ombre d'une raison pour continuer de vieux errements qui, pour être bizarres et parfois pittoresques, n'en ont pas moins l'inconvénient de laisser planer, dès qu'on le voudra, un certain vague et sur les droits et sur les devoirs des intéressés, en y ajoutant de plus, tantôt pour l'un, tantôt pour l'autre, la tentation de se soustraire à des engagements mal définis.

En France comme à l'étranger, la très grande majorité des corporations soit patronales, soit ouvrières, qui ont émis un avis, se prononcent pour la faculté de faire ou non un contrat, mais, s'il y en a un, pour l'obligation de le faire par écrit.

Pour la rédaction de ce contrat, pour les charges relatives à la durée de l'apprentissage, aux conditions du travail journalier, aux obligations réciproques du patron et de l'apprenti, aux cas de rupture du contrat, toutes les législations récentes laissent une grande latitude aux autorités locales, aux municipalités, aux associations professionnelles, aux conseils et tribunaux techniques comme notre conseil des prud'hommes.

Sur l'objet même de l'apprentissage et sur les conditions dans lesquelles il doit se faire, les diverses législations n'ont guère innové. Les termes mêmes de notre vieille loi de 1851 paraissent encore aujourd'hui convenir et suffire : « Le contrat d'apprentissage est celui par lequel [un patron] s'oblige à enseigner la pratique de sa profession à une autre personne, qui s'oblige en retour à travailler pour lui. Le maître doit enseigner à l'apprenti, progressivement et complètement, l'art, le métier ou la profession spéciale qui fait l'objet du contrat. »

TROISIEME QUESTION, — L'apprentissage doit-il et peut-il être surveillé?

Ici, aujourd'hui, l'accord est complet. Les partisans les plus déterminés de la liberté du commerce, de l'industrie et du travail ont renoncé à soutenir la thèse qui était encore en faveur il y a un demi-siècle.

Les législations étrangères sont unanimes pour considérer le temps de l'apprentissage comme une sorte de temps de demi-scolarité. Non-seulement l'apprenti est tenu de suivre au dehors quelques heures d'enseignement complémentaire chaque semaine, sous la responsabilité du patron, mais dans le cours même de l'apprentissage il importe que ni les patrons, ni les parents, ni les adolescents ne s'imaginent être libres de manquer à leurs engagements respectifs. L'autorité publique a le droit et le devoir d'y tenir la main. Les attributions qui lui sont données à cet effet varient suivant les pays. Voici comment la loi bernoise les définit :

« ART. 33. — Les commissions d'apprentissage ont en particulier, chacune dans son arrondissement respectif, les attributions suivantes :

« a) Elles veillent à l'observation de la présente loi et des règlements y relatifs pour les personnes qui y sont soumises ; elles ont à cet effet le droit de visiter en tout temps, dans les ateliers, les apprentis placés sous leur surveillance et d'exercer un contrôle sur la marche de l'apprentissage et les progrès accomplis par l'apprenti ;

« b) Elles veillent à ce que les contrats d'apprentissage soient rédigés et observés conformément aux prescriptions légales ; elles veillent en outre à ce que ces contrats soient enregistrés ;

« c) Elles jugent par arbitrage les différends qui surgissent au sujet du contrat d'apprentissage, si toutefois il n'existe pas de conseils de prud'hommes dans l'arrondissement, ou s'il n'est pas prévu de tribunal d'arbitrage spécial dans le contrat ;

« d) Elles font les requêtes concernant le retrait du droit de prendre des apprentis ou la résiliation du contrat d'apprentissage (art. 4) ;

« e) Elles reçoivent et transmettent les inscriptions des candidats aux examens d'apprentis, et rappellent à leur devoir les apprentis qui négligent de se faire inscrire ;

« f) Elles contrôlent la fréquentation obligatoire des écoles complémentaires professionnelles ;

« g) Elles préavisent sur l'allocation de bourses (art. 29), et elles contrôlent l'emploi des bourses et subsides qui ont été alloués ;

« h) Elles adressent un rapport annuel à la Chambre cantonale du commerce et de l'industrie, en vue d'une statistique des apprentissages. »

On voit bien là que l'organisation de l'apprentissage s'élève au rang d'un service public d'intérêt social. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de la manière dont la même loi compose les commissions :

« ART. 32. — La nomination des commissions d'apprentissage aura lieu par le Conseil exécutif, sur la proposition, sans caractère obligatoire, de la Chambre du commerce et de l'industrie, qui de son côté devra se faire soumettre des propositions par les associations professionnelles intéressées. Chaque commission sera composée d'au moins cinq citoyens actifs, parmi lesquels, dans une proportion équitable, des représentants des commerçants et industriels et des employés et ouvriers, de même que, lorsque les circonstances le justifieront, des représentants du sexe féminin.

« Tout citoyen qui n'a pas dépassé l'âge de soixante ans est tenu d'accepter pour trois ans, à moins que des infirmités corporelles ne l'en empêchent, les fonctions de membre d'une commission d'apprentissage, et de s'acquitter de ces fonctions gratuitement et avec fidélité ; les dépenses personnelles pour déplacement sont remboursées. »

D'après une conception sensiblement différente, la loi valaisane confie la surveillance de l'apprentissage, le contrôle des contrats et la visite des apprentis dans chaque commune, à une commission municipale de trois à cinq membres, rétribuée par la caisse municipale, et, pour le canton, à une commission cantonale de trois à cinq membres nommée et rétribuée par le Conseil d'Etat. Cette commission supérieure joue le rôle d'un véritable tribunal :

« ART. 25. — Cette commission a en particulier les attributions suivantes :

« a) Elle surveille l'application de la loi ;

« b) Elle tranche la question de savoir si une personne y est soumise, sauf recours au Département de l'intérieur ; « c) Elle statue, à titre transitoire et sauf recours, sur la capacité des patrons à recevoir des apprentis ;

« d) Elle établit et soumet à l'approbation du Département de l'intérieur le règlement spécial des examens d'apprentis ;

« e) Elle surveille les écoles et cours professionnels subventionnés par l'Etat et fait chaque année un rapport sur leur marche ;

« f) Elle prononce sans forme de procès et sans appel sur les différends relatifs au contrat d'apprentissage et sur les contestations civiles pouvant résulter de l'article 14 ;

« g) Elle formule des modèles normaux de contrat d'apprentissage ;

« h) Elle examine et enregistre les contrats conclus, qui lui sont transmis par l'intermédiaire des patrons, et les adresse à la commission communale ;

« i) Elle étudie les moyens de relever la valeur des apprentissages et de perfectionner le savoir professionnel ; elle fait, à ce sujet, ses propositions au Département de l'intérieur ;

« j) Elle s'occupe du placement des apprentis, tout particulièrement de ceux qui doivent être formés en dehors du canton dans des écoles spéciales. »

La loi hongroise organise pour le même ensemble de fonctions trois degrés d'autorités ayant des pouvoirs judiciaires et administratifs très étendus. A chaque degré, le juge ou le magistrat municipal est assisté de vingt représentants élus par les industriels et commerçants payant un impôt déterminé. L'élection ne peut être refusée.

Pour la France, la loi de 1851, sans organiser à beaucoup près un service aussi complet de protection de contrôle et de surveillance, renvoyait au conseil des prudhommes, et, à défaut, au juge de paix du canton le règlement de toutes contestations, en particulier les actions en résolution de contrat. Mais le contrat écrit étant devenu chez nous de plus en plus rare, cette juridiction arbitrale a de moins en moins fonctionné.

QUATRIEME QUESTION. — L'apprentissage doit-il, peut-il donner lieu à des examens et à un certificat de fin d'apprentissage ?

Là encore, unanimité, ou très peu s'en faut, des nouvelles législations étrangères.

Par une conséquence naturelle de la conception moderne de l'apprentissage considéré comme une sorte d'enseignement professionnel mi-théorique mi-pratique, on tend à faire terminer chaque année d'apprentissage ou tout au moins l'apprentissage lui-même par un examen probatoire.

A la différence de notre loi française, qui prévoyait un simple congé d'acquit et pour laquelle le contrat d'apprentissage était d'ordre purement privé, à peu près sans intervention des pouvoirs publics, les lois récentes des divers pays ou la réforme de l'apprentissage est accomplie se mettent en devoir de vérifier les effets réels de l'apprentissage, c'est-à-dire les titres du jeune homme à se qualifier ouvrier de tel métier. Le certificat ne lui est délivré qu'après justification non pas seulement du temps passé chez un patron, mais du savoir et du savoir-faire qu'il y a réellement acquis.

On comprend le prix d'un tel certificat du moment qu'il est entré dans les habitudes et dans les moeurs. Non-seulement c'est pour le jeune homme un témoignage de conduite et de travail qui lui fait honneur, et dont l'absence constituerait une présomption morale fâcheuse, mais c'est l'attestation technique, faite par des juges techniques, de sa valeur comme ouvrier dans la profession qu'il a embrassée.

Le porteur est désigné à qui de droit, par son diplôme même, comme « ayant subi avec succès devant la commission instituée par la loi l'examen de sa profession destiné à constater qu'il possède les connais-naissances techniques et les aptitudes professionnelles nécessaires pour 1 exercer » (Certificat de fin d'apprentissage de Genève, loi du 25 novembre 1899). Le récent règlement genevois pour les examens d'apprentis (28 janvier 1908) détermine la nature des épreuves (écrites et orales, théoriques, pratiques, dessin, exécution d'une pièce d'épreuve, etc.), en les appropriant à la spécialité des apprentis et apprenties d'industrie, de banque et de commerce, en donnant une grande liberté au jury et en y faisant une place au délégué de la Commission centrale des prudhommes ainsi qu'au représentant de la Société suisse des commerçants.

Dans chaque canton, d'ailleurs, la spécialisation de ces examens a naturellement correspondu & celle des programmes des diverses catégories d'apprentissages. Pour se rendre compte du degré de précision avec lequel les autorités suivent et jugent le travail des apprentis, il faut voir la multiplicité des ordonnances relatives aux divers corps de métiers, concernant, à Berne par exemple, les apprentissages ci-après : du métier de boulanger, de boucher, de coiffeur, de confiseur, de sculpteur sur bois, de ramoneur, de lithographe, de jardinier ; de commerce, des arts et métiers (plus de 120 spécialités), etc., avec des différences de programme, bien entendu, pour les deux sexes.

CINQUIEME QUESTION. — Quelles sanctions peuvent être établies pour l'observation des lois règlementant l'apprentissage ?

Tous les pays sont d'accord, y compris le nôtre, pour prévoir la résolution du contrat dans le cas où l'un des contractants aurait manqué gravement à ses obligations, notamment si un patron indigne abusait de la faiblesse de l'enfant pour transformer l'apprenti en manoeuvre ou en garçon de courses. Mais la plupart des législations récentes vont plus loin.

En Allemagne, le patron est passible d'amendes assez lourdes toutes les fois que l'apprenti a manqué sans excuse légitime au cours qu'il doit suivre un certain nombre d'heures par semaine.

Dans plusieurs des cantons suisses, le patron qui aura négligé l'apprentissage de ses pupilles, qui aura été reconnu non seulement coupable d'abuser d'eux, mais même incapable de leur faire faire avec succès un apprentissage régulier, peut être l'objet d'une décision qui, d'abord, lui retire ses apprentis, et même lui enlève le droit d'en recevoir d'autres à l'avenir.

Inversement, ceux qui se sont distingués par des services rendus à leurs apprentis peuvent être l'objet (dans le Valais par exemple) de récompenses diverses, dont quelques-unes, d'un caractère purement moral, sont très recherchées. Le simple diplôme attestant qu'un patron a fait ses preuves comme bon maître d'apprentissage est devenu un des titres les plus appréciés par l'opinion publique.

Quant aux apprentis eux-mêmes, les diverses législations que nous passons en revue ajoutent avec plus ou moins de libéralité, à la délivrance du certificat, des primes, des livrets de caisse d'épargne, des bourses pour certains cours supérieurs techniques, des bourses de voyage, etc.

D'une manière générale, on peut dire que la sanction de toutes la plus efficace est celle qui résulte d'un fort mouvement de l'opinion publique en faveur de cette organisation d'un apprentissage éducatif, ou, pour mieux dire, d'un système de formation de l'enfant qui, dès l'école, prévoit l'apprentissage et qui, dans l'apprentissage, continue et parachève l'école. Ainsi entendue, l'instruction professionnelle fait suite à l'instruction primaire élémentaire. La pensée du travail manuel, déjà présente à l'enfant de l'école, va s'accentuant d'année en année, mais sans supprimer celle du travail de l'esprit, qui garde jusque dans l'adolescence ouvrière une place d'honneur.

III

Tel est actuellement l'état de la question de l'apprentissage envisagée au point de vue qui, dans ce Dictionnaire, nous occupe exclusivement.

Il nous reste à faire connaître, pour la France, les seuls documents qui soient en ce moment soumis au Parlement.

C'est la proposition de loi sur le contrat d'apprentissage, présentée à la Chambre des députés par M. Henri Michel et un grand nombre de ses collègues, le 18 août 1904, et reprise le 6 mai 1907 ; et une seconde proposition de loi, complément nécessaire de la première, et due au même député, en date du 10 février 1908, relative au relèvement de l'instruction professionnelle. En voici le texte in extenso :

« PROPOSITION DE LOI « relative au contrat d'apprentissage.

« ARTICLE PREMIER. — Le contrat d'apprentissage est celui par lequel un industriel, un commerçant, un banquier, un chef d'atelier ou un ouvrier s'oblige à enseigner ou à faire enseigner la pratique de sa profession à une autre personne qui s'oblige, en retour, à travailler pour lui ; le tout à des conditions et pendant un temps convenus.

« ART. 2. — Le contrat d'apprentissage est fait par acte authentique ou par acte sous seing privé.

« ART. 3. — En dehors des règles générales édictées par la présente loi et auxquelles ce contrat ne pourra déroger, des stipulations complémentaires pourront donner lieu à des conventions qui, à peine de nullité, devront être écrites.

« Les actes authentiques sont reçus par les notaires, les secrétaires des conseils de prud'hommes et les greffiers de justice de paix. Les honoraires dus à ces officiers publics sont fixés à deux francs.

« Les actes sous seing privé peuvent être rédigés sur papier libre. Ils sont dressés en triple expédition : la première pour le patron, la seconde pour le représentant de l'apprenti, la troisième pour être déposée, par le patron, au secrétariat du conseil de prud'hommes ou, à défaut, au greffe de la justice de paix du canton. Les honoraires dus, pour ce dépôt, au secrétaire du conseil de prud'hommes ou au greffier de la justice de paix, sont fixés à cinquante centimes. Reçu du dépôt est délivré au déposant.

« L'acte d'apprentissage est soumis, pour l'enregistrement, au droit fixe d'un franc, lors même qu'il contiendrait des obligations de sommes ou valeurs mobilières ou des quittances.

« ART. 4. — L'acte d'apprentissage contiendra :

« 1° Les nom, prénoms, âge, profession et domicile du chef d'établissement ;

« 2° Les nom, prénoms, âge et domicile de l'apprenti ;

« 3° Les nom, prénoms, profession et domicile de ses père et mère, de son tuteur ou de la personne autorisée par les parents et, à leur défaut, par le juge de paix ;

« 4° L'indication des cours professionnels que, le cas échéant, le chef d'établissement s'engagera à faire suivre à l'apprenti, soit dans l'établissement, soit au dehors, en stipulant le nombre, les heures et la durée de ces cours ;

« 5° La date et la durée du contrat ;

« 6° Les conditions de logement, de nourriture, de prix et toutes autres arrêtées entre les parties.

« Il devra être signé par le chef de l'établissement et par les représentants de l'apprenti.

« ART. 5. — Nul ne peut recevoir des apprentis mineurs, s'il n'est âgé de vingt et un ans au moins.

« ART. 6. — Aucun chef d'établissement ne peut loger, comme apprenties, des jeunes filles mineures, s'il n'est marié et si sa femme ne dirige effectivement la maison.

« ART. 7. — Sont incapables de recevoir des apprentis :

« Les individus qui ont subi une condamnation pour crime ;

« Ceux qui ont été condamnés pour attentat aux moeurs ;

« Ceux qui ont été condamnés à plus de trois mois d'emprisonnement pour les délits prévus par les articles 388, 401, 405, 406, 407, 408. 423 du Code pénal.

« ART. 8. — L'incapacité résultant de l'article 7 pourra être levée par le préfet, sur l'avis du maire, quand le condamné, à l'expiration de sa peine, aura résidé pendant trois ans dans la même commune.

« A Paris, les incapacités seront levées par le préfet de police.

« ART. 9. — Le nombre des apprentis d'un établissement pourra être réduit :

« 1° Si l'instruction professionnelle des apprentis est compromise par suite de leur trop grand nombre ou en raison de la mauvaise tenue de l'établissement ;

« 2° En cas d'infraction aux autres dispositions de la loi. Dans le cas du paragraphe précédent, le nombre des apprentis pourra, en outre, être limité pour aussi longtemps que subsisteront les faits ayant motivé la réduction.

« ART. 10. — Le droit d'avoir des apprentis peut être retiré, pour un temps ou définitivement :

« 1° A ceux dont les affaires ont été arrêtées trois fois en entraînant la rupture des contrats d'apprentissage ;

« 2° A ceux qui, à plusieurs reprises, ont gravement manqué à leurs devoirs envers les apprentis qui leur sont confiés, ou qui ont à leur charge des faits contraires à la morale et de nature à les faire considérer comme incapables de diriger des apprentis ;

« 3° A ceux qui, par suite d'une maladie corporelle ou mentale, ne sont pas en état d'accomplir convenablement cette tâche.

« ART. 11. — Le chef d'établissement doit se conduire envers l'apprenti en bon père de famille, surveiller sa conduite et ses moeurs, soit dans la maison, soit au dehors, et avertir ses parents ou ses représentants des fautes graves qu'il pourrait commettre ou des penchants vicieux qu'il pourrait manifester.

« Il doit aussi les prévenir, sans retard, en cas de maladie, d'absence ou de tout fait de nature à motiver leur intervention.

« Il n'emploiera l'apprenti, sauf conventions contraires, qu'aux travaux et services qui se rattachent à l'exercice de sa profession.

« Il ne l'emploiera jamais à ceux qui seraient insalubres ou au-dessus de ses forces.

« ART. 12. — L'apprenti doit au chef d'établissement fidélité, obéissance et respect ; il doit l'aider, par son travail, dans la mesure de son aptitude et de ses forces.

« ART. 13. — Le chef d'établissement doit enseigner, progressivement et complètement, l'art, le métier ou la profession spéciale qui fait l'objet du contrat.

« ART. 14. — Le conseil de prud'hommes et, à défaut, des commissions locales composées mi-partie de patrons et mi-partie d'ouvriers, surveillent l'instruction professionnelle des apprentis, soit à l'atelier, soit dans les écoles ou institutions spéciales.

« En cas d'apprentissage insuffisant, le conseil des prud'hommes peut obliger le chef d'établissement à faire suivre des cours professionnels, même pendant les heures de travail. Il peut également prolonger la durée de l'apprentissage pendant un an au maximum, ou rompre le contrat.

« ART. 15. — -L'enfant dont l'apprentissage est achevé passe un examen. En cas de succès, un certificat lui est délivré.

« ART. 16. — Tout industriel, commerçant, banquier, chef d'atelier ou ouvrier, convaincu d'avoir détourné un apprenti de chez un chef d'établissement, pour l'employer en qualité d'apprenti ou d'ouvrier, pourra être passible de tout ou partie de l'indemnité à prononcer au profit du chef d'établissement abandonné.

« ART. 17. — Les deux premiers mois de l'apprentissage sont considérés comme un temps d'essai, pendant lequel le contrat peut être annulé par la seule volonté de l'une des parties. Dans ce cas, aucune indemnité ne sera allouée à l'une ou à l'autre partie, à moins de conventions expresses.

« ART. 18. — Le contrat d'apprentissage sera résolu de plein droit :

« 1° Par la mort du chef d'établissement ou de l'apprenti ;

« 2° Si l'apprenti ou le chef d'établissement est appelé au service militaire ;

« 3° Si le chef d'établissement ou l'apprenti vient à être frappé d'une des condamnations prévues à l'article 7 de la présente loi ;

« 4° Pour les filles mineures, dans le cas de décès de l'épouse du chef d'établissement, ou de toute autre femme de la famille qui dirigeait la maison à l'époque du contrat.

« ART. 19. — Le contrat peut être résolu sur la demande des parties ou de l'une d'elles : « 1° Dans le cas où l'une des parties manquerait aux stipulations du contrat ;

« 2° Pour cause d'infraction grave ou habituelle aux prescriptions de la présente loi ;

« 3° Dans le cas d'inconduite habituelle de la part de l'apprenti ;

« 4° Si le chef d'établissement transporte sa résidence dans une autre commune que celle qu'il habitait lors de la convention. Néanmoins, la demande en résolution du contrat fondée sur ce motif ne sera recevable que pendant trois mois, à compter du jour où le chef d'établissement aura changé de résidence ;

« 5° Si le chef d'établissement ou l'apprenti encourait une condamnation comportant un emprisonnement de plus d'un mois ;

« 6° Dans le cas où l'apprenti viendrait à contracter mariage ;

« 7° Dans le cas où l'apprenti veut embrasser une autre profession, mais à la condition de ne pas reprendre sa première profession pendant neuf mois ;

« 8° S'il est devenu certain que l'apprenti est incapable d'apprendre la profession.

« ART. 20. — Si le temps convenu pour la durée de l'apprentissage dépasse le maximum de la durée consacrée par les usages locaux, ce temps peut être réduit ou le contrat résolu.

« ART. 21. — Le conseil des prud'hommes ou, à défaut, le juge de paix, juge les litiges relatifs à l'application de la présente loi.

« Il applique les articles 9 et 10 sur la proposition de la commission locale professionnelle instituée par l'article 14, quand elle existe, et d'office si elle n'existe pas.

« ART. 22. — Le conseil des prud'hommes peut confier le soin de faire passer les examens prévus par l'article 15 à une section du Conseil du travail ou à une commission mixte de patrons et d'ouvriers pour les professions représentées dans la section ou la commission ; mais lui seul délivre les certificats.

« ART. 23. — Les inspecteurs du travail sont chargés de relever les infractions aux articles 11 (§§ 2 et 3), 12, 13 de la présente loi.

« ART. 24. — Toute contravention aux articles 5, 6, 7, 11 (§§ 2 et 3), 12, 13 et 15 de la présente loi sera poursuivie devant le tribunal de police et punie d'une amende de 5 à 15 francs.

« Pour les contraventions aux articles 5, 6, 11 (§§ 2 et 3), 12, 13 et 15, le tribunal de police pourra, dans le cas de récidive, prononcer, outre l'amende, un emprisonnement de un à cinq jours.

« En cas de récidive, la contravention à l'article 7 sera poursuivie devant les tribunaux correctionnels et punie d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois, sans préjudice d'une amende qui pourra s'élever de 50 à 300 francs.

« ART. 25. — Les dispositions de l'article 463 du Code pénal sont applicables aux faits prévus par la présente loi.

« ART. 26. — Les articles 9, 10 et 11 de la loi du 22 germinal an XI, la loi du 22 février 1851 et l'article 25 de la loi du 2 novembre 1892 sont abrogés. »

« PROPOSITION DE LOI relative au relèvement de l'instruction professionnelle.

« ARTICLE PREMIER. — La fréquentation des cours professionnels pour les enfants de moins de dix-huit ans, employés dans le commerce ou l'industrie, sera obligatoire à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi.

« ART. 2. — Le jeune ouvrier devra suivre des cours professés dans la journée sans qu'il puisse en résulter pour lui une diminution de salaire.

« ART. 3. — Les patrons seront tenus de laisser à leurs jeunes ouvriers, âgés de moins de dix-huit ans, le temps matériel d'assister aux cours professionnels et d'imputer le temps passé à ces cours sur la durée normale de la journée de travail.

« ART. 4. — La présence des ouvriers et apprentis aux cours sera attestée par le visa obligatoire du professeur sur les carnets mis à sa disposition par la commune.

« Le patron devra se faire représenter ces carnets, une fois par semaine au minimum, et les signer.

« ART. 5. — L'ouvrier dont le manque d'assiduité ou de travail aux cours aura été constaté par le patron, pourra se voir d'abord réprimandé, puis exclu de l'atelier. Il ne pourra de ce fait exercer aucune action en dommages-intérêts, s'il est prouvé que le renvoi de l'atelier a été provoqué par son manque d'assiduité aux cours professionnels.

ART. 6. — La durée des cours ne devra, en aucun cas, être inférieure à six heures par semaine.

«ART. 7. — Les Conseils de prud'hommes et, à défaut, des commissions locales composées mi-partie de patrons et mi-partie d'ouvriers surveilleront l'instruction professionnelle des ouvriers, soit dans les écoles laïques ou écoles spéciales, soit à l'atelier.

« ART. 8. — Lorsque le jeune ouvrier a suivi les cours pendant trois années, il subit un examen. En cas de succès, un certificat lui est délivré. S'il échoue, il continue à suivre les cours jusqu'à l'âge de dix-huit ans. A ce moment, il passe de nouveau l'examen.

« ART. 9. — Le Conseil des prud'hommes peut confier le soin de faire passer les examens, prévus par l'article 8, à une section du Conseil du travail ou à une commission mixte de patrons et d'ouvriers pour les professions représentées dans la section ou la commission ; mais lui seul délivre les certificats.

« ART. 10. — Dès la promulgation de la présente loi, le préfet désignera, dans chaque département, les communes dans lesquelles les cours reconnus indispensables seront organisés. Ces désignations seront Faites après entente avec les Conseils des prud'hommes et, à défaut, avec les commissions mixtes dont il est parlé à l'article 7.

« Les cours auront lieu à l'école laïque, là où n'existera pas une école ou institution spéciale.

« ART. 11. — Dans les communes ainsi désignées, les commissions mixtes professionnelles seront chargées de procéder à la détermination et à l'organisation des cours reconnus obligatoires. Ces commissions seront présidées par un fonctionnaire, dont la voix sera prépondérante, en cas de partage. Les décisions de cette commission devront être approuvées par le préfet pour avoir la force obligatoire.

« ART. 12. — La liste du personnel enseignant sera dressée par ces commissions mixtes, qui la présenteront avec leurs observations à la nomination du maire. Les membres de ce personnel peuvent être révoqués par le maire, après avis de la commission mixte professionnelle, sauf recours au préfet, en cas de dissentiment.

« ART. 13. — Le personnel enseignant des cours professionnels sera pris, dans la limite du possible, parmi les ouvriers, employés, contremaîtres, patrons, ouvrières, contremaîtresses, ou patronnes ayant eux-mêmes pratiqué ce métier.

« ART. 14. — Si, dans les communes désignées dans l'arrêté préfectoral, il n'est pas institué de cours professionnels, ou si les cours existants sont jugés insuffisants, les préfets mettront en demeure les communes de créer, après avis des syndicats patronaux et ouvriers intéressés, les cours professionnels jugés nécessaires, et de pourvoir aux dépenses de leur fonctionnement.

« Ces cours pourront être subventionnés par le département et par l'Etat.

« Dans les centres industriels occupant les ouvriers de plusieurs communes, l'arrêté préfectoral peut prévoir le groupement de ces communes pour la création des cours professionnels.

« ART. 15. — Les chefs d'établissements industriels ou commerciaux qui s'obligent à enseigner la pratique de leur profession, et qui à cet effet feront suivre à leurs jeunes ouvriers dans leurs ateliers des cours professionnels ou de perfectionnement, bénéficieront d'une réduction de leur patente.

« Le taux de cette réduction sera le rapport du nombre des enfants occupés dans les conditions ci-dessus au nombre total des personnes employées dans l'établissement, sans que toutefois le montant de la patente puisse être réduit de plus de 20 %. «ART. 16. — Les maires, pour chaque commune où des cours professionnels auront été créés, arrêteront les dépenses nécessitées par ces cours, après avis de la commission mixte professionnelle, et sauf recours des intéressés au préfet, qui règlera définitivement ces dépenses.

« ART. 17. — Ces dépenses auront un caractère obligatoire, et pourront, au besoin, être inscrites d'office au budget communal.

« ART. 18. — Chaque année, un chapitre spécial de la loi de finances déterminera la subvention mise à la disposition des communes par l'Etat. Le ministre du commerce sera chargé de la répartir entre les départements.

« ART. 19. — Les Conseils généraux sont également autorisés à voter des centimes spéciaux pour subventionner les cours professionnels.

« En aucun cas la subvention du département ne pourra être supérieure à celle de l'Etat.

« ART. 20. — Toute contravention aux obligations de la présente loi sera punie d'une amende de 5 francs à 100 francs, et du double en cas de récidive »

En attendant qu'une loi apporte enfin la solution du problème de l'apprentissage, que peut faire l'école primaire pour la préparer ?

Le rapporteur que nous avons cité, M. Briat, répond en demandant « le concours précieux des instituteurs pour la préparation des futurs ouvriers ». Et, comme il juge indispensable que l'apprentissage se fasse à l'atelier, et que durant cet apprentissage des notions professionnelles soient données méthodiquement aux apprentis, il souhaite que, dès l'école primaire, on s'oriente en ce sens, qu'on s'y préoccupe de faire aimer le travail manuel, de tourner la curiosité de l'esprit vers les choses du commerce et de l'industrie au lieu de la concentrer sur des questions abstraites de grammaire, de littérature et d'histoire. Mais jusqu'ici ces voeux n'ont pas pris une forme précise qui se traduise en un programme scolaire bien défini. — Voir les articles Manuel (Travail) et Professionnel. (Enseignement).