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Antialcoolique (Enseignement)

Si l'alcoolisme est un mal individuel et social relativement récent, il a vite ému l'opinion par ses progrès rapides autant que par ses effets meurtriers.

L'Académie de médecine avait dénoncé le danger en 1872, dans un rapport mémorable. En 1887, le sénateur Claude (des Vosges) démontra l'évidente relation de la consommation croissante de l'alcool avec l'augmentation de la criminalité, du suicide, de la mortalité et de la folie.

A la suite d'un retentissant discours prononcé à la Chambre des députés par M. Lannelongue, une commission fut nommée par le ministre de l'instruction publique (arrêté du 29 juillet 1895).

Ses travaux donnèrent lieu à un remarquable rapport de M. Marillier, et aboutirent à des additions aux programmes d'études des divers établissements d'enseignement primaire et secondaire.

Ces additions consistèrent en notions précises sur les dangers de l'alcoolisme au point de vue de l'hygiène, de la morale, de l'économie sociale et politique.

Nous en donnons ci-après la partie essentielle, qui fut ajoutée, par l'arrêté du 9 mars 1897, aux programmes de sciences physiques et naturelles du cours supérieur des écoles primaires (le même texte se retrouve à peu près identiquement dans ceux des écoles normales et des écoles primaires supérieures) :

« Des boissons : 1° L'eau ; 2° Boissons aromatiques (thé, café) ; 3° Boissons fermentées (cidre, bière, vin) ; action des boissons fermentées ; effets nuisibles de l'abus de ces boissons sur la santé ; 4° Boissons distillées (alcool) : effets nuisibles de leur usage habituel ; 5° Boissons distillées additionnées d'essences (absinthe) : graves dangers de leur usage. L'ivresse et l'alcoolisme. Influence de l'alcoolisme des parents sur la santé des enfants. »

On remarquera que les mots soulignés graduent les dangers que présentent les boissons alcooliques : au bas de l'échelle sont les boissons fermentées, dont l'abus seul est condamné ; puis viennent les boissons distillées, nuisibles par leur usage habituel ; enfin l'usage même accidentel des boissons à essences est considéré comme présentant de graves dangers. Dix ans se sont écoulés depuis la publication de ces prescriptions, et les études nombreuses des hygiénistes publiées dans ce laps de temps n'ont fait que confirmer leur valeur scientifique.

Les arrêtés du 9 mars 1897 étaient accompagnés d'une circulaire du même jour précisant le but à viser.

Après avoir rappelé les résultats obtenus en Suisse, en Norvège, au Canada par la lutte contre l'alcoolisme, la circulaire ministérielle ajoutait :

« De telles constatations sont de nature à rendre courage, mais il n'est que temps d'agir énergiquement. J'ai pensé qu'il appartenait à l'Université de donner l'exemple. Elle y est d'autant plus intéressée que son oeuvre serait stérile si, après tant de généreux efforts pour former les intelligences et les âmes des enfants, l'alcoolisme pouvait compromettre chez eux, avec la vie physique, la vie intellectuelle et morale. Il importe de leur signaler de bonne heure le danger, de leur inspirer la crainte et le dégoût de l'alcoolisme, de leur en faire comprendre toutes les conséquences. Les professeurs et les instituteurs s'acquitteront de ce rôle avec la conscience de faire oeuvre de bien public. Je leur recommande de donner ces notions sous la forme la plus simple, la plus familière, et, par suite, la plus pénétrante ; de faire appel à la réflexion des enfants, en un mot de convaincre encore plus que d'enseigner. En dehors du programme, en dehors des heures de classe, je leur serai reconnaissant de tout ce qu'ils pourront faire pour que leurs leçons et leurs conseils soient suivis de résultats : conférences aux adultes, sociétés de tempérance, etc. »

Le 12 novembre 1900, une nouvelle circulaire aux recteurs constatait que si, d'une façon générale, les programmes et les instructions concernant l'enseignement antialcoolique avaient été sérieusement appliqués, il existait cependant encore un assez grand nombre de communes dans lesquelles cet enseignement était à peine ébauché. D'autre part, dans les collèges et lycées, les leçons antialcooliques paraissaient occulter une place insuffisante.

Le ministre ajoutait :

« En présence de la gravité du mal, j'ai tenu à vous rappeler mes instructions antérieures et à les préciser.

« L'alcoolisme est un danger croissant et permanent. Il n'est pas de problème social qui s'impose avec plus de force à l'attention des pouvoirs publics et des citoyens soucieux de l'avenir du pays. Or nul ne peut exercer une action plus efficace que l'instituteur et le professeur dans la lutte contre un fléau dont les effets se font déjà cruellement sentir dans plusieurs régions de la France.

« L'enseignement antialcoolique ne doit pas être considéré comme un accessoire. Je désire qu'il prenne dans nos programmes une place officielle au même titre que la grammaire ou l'arithmétique. Mon intention est de placer la sanction de cet enseignement dans les examens qui terminent nos différents cours primaires et secondaires. »

La même circulaire ajoutait :

« Vous voudrez bien me faire connaître, tous les semestres, jusqu'à nouvel ordre, comment les nouvelles instructions que je vous adresse ont été suivies, et par quelles méthodes les résultats les meilleurs et les plus rapides ont été obtenus. »

Depuis, l'administration, jugeant, avec raison, que des périodes de six mois sont trop courtes pour permettre la constatation de progrès saissisables, a demandé d'être renseignée tous les trois ans seulement.

On a vu plus haut qu'à côté de l'enseignement proprement dit, le ministre recommandait de faire des conférences aux adultes et de créer dès sociétés de tempérance.

Ces conseils ont été suivis.

Les conférences spécifiquement antialcooliques ont été fort nombreuses depuis dix ans, et sur toute la surface du territoire français. Nul doute qu'elles n'aient fortement battu en brèche les préjugés populaires qui font de l'alcool un fortifiant.

Quant aux sociétés scolaires de tempérance, elles se sont beaucoup multipliées. Malheureusement l'expérience a prouvé qu'elles ne sont pas très vivaces. Le plus souvent, issues du zèle convaincu d'un instituteur, elles ne survivent pas à son départ. Leur nombre, en France, reste à peu près, constant, les naissances, ici comme dans le domaine purement démographique, compensant, ou à peu près, les décès.

Etranger. — Beaucoup de nations combattent l'alcoolisme, et quelques-unes — la Suède et la Norvège, par exemple — avec grand succès.

Trois seulement ont introduit dans les programmes un enseignement officiel antialcoolique. Ce sont la Suisse, la Belgique et l'Italie. La première a mis au concours un manuel spécial, la seconde distribue des brochures, fait faire des conférences aux instituteurs et surtout encourage de toutes façons la création de sociétés scolaires de tempérance.

Juste Baudrillard