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Analyse

Ce mot, venu du grec analysis (décomposition), a un sens primitif et général parfaitement clair ; c'est toujours une opération qui divise, sépare, distingue les objets auxquels elle s'applique. Mais, suivant la nature de ces objets, l'analyse prend des noms et des caractères si différents qu'il est impossible de donner d'elle une définition unique.

En raison de l'importance pédagogique de ce procédé dans ses diverses applications, nous essaierons d'abord de fixer les principaux sens du mot, ensuite de déterminer par rapport à chacune de ces acceptions le rôle de l'analyse dans la pédagogie théorique et pratique, en n'insistant, bien entendu, que sur ce qui intéresse l'enseignement primaire.

1. Divers sens du mot. Analyse. — Analyse réelle ; analyse mentale ; analyse verbale. — Rigoureusement, tous les types de l'analyse pourraient se ramener à deux, car il n'y a que deux grandes classes d'objets sur lesquels elle puisse porter, les uns matériels, les autres immatériels. Si elle s'applique à des corps, c'est l'analyse réelle. Si elle opère sur des idées, sur des conceptions de l'esprit, elle est idéale ou mentale. Dans le premier cas, on analysera l'air, par exemple, en séparant les éléments qui le composent, azote, oxygène, acide carbonique ; dans le second cas, on fera encore une analyse en distinguant les divers groupes de faits psychiques, ce que l'on appelait jadis les « facultés de l'âme », ou encore, dans un même homme, les différentes qualités correspondant aux aspects variés sous lesquels on peut successivement l'envisager.

Mais, pour la facilité des opérations, il convient d'ajouter une troisième forme de l'analyse, qui tient, en quelque mesure, des deux autres : c'est celle qui s'applique au langage ; elle ne porte ni sur des objets exclusivement sensibles, ni sur de pures abstractions, mais sur les mots, qui sont le signe matériel d'une idée immatérielle. C'est l'analyse verbale, dite aussi philologique ou linguistique, et plus ordinairement grammaticale.

A chacun de ces genres d'analyse correspond une synthèse, qui en est l'exacte contre-partie et qui opère sur les mêmes phénomènes d'après les mêmes lois, mais en sens inverse, c'est-à-dire en commençant par où finit l'analyse et vice versâ. La synthèse réelle ou concrète recompose des corps ; la synthèse idéale ou mentale reconstitue et groupe les idées que l'analyse avait séparées ; la synthèse verbale ou grammaticale relie les mots isolés et refait la trame du discours. On verra plus loin de quelle importance il est en pédagogie de ne pas isoler l'une de l'autre ces deux opérations corrélatives, dont le concours est nécessaire à l'équilibre intellectuel.

Principales formes de l'analyse réelle. — Le type le plus parfait d'analyse réelle est l'analyse chimique. La chimie est par excellence l'analyse des corps composés.

Elle comprend l'analyse chimique proprement dite, qui décompose les minéraux ; l'analyse organique, qui distingue, soit les principes immédiats, soit les éléments dont sont formés les produits organiques de toute nature ; l'analyse spectrale, qui, en observant le spectre que donne la flamme d'un corps quelconque, permet de reconnaître, à l'aide de raies caractéristiques, la présence de ses éléments constitutifs.

Les sciences naturelles donnent aussi lieu à des analyses réelles: analyses minéralogiques, botaniques, anatomiques, etc., qui souvent empruntent le secours de l'analyse chimique.

Principales formes de l'analyse idéale. — Cette opération se rattache étroitement à l'abstraction. Il faut que nous ayons la faculté d'abstraire, c'est-à-dire de considérer séparément ce qui en fait ne se présente pas séparément, pour être capables d'analyser un tout par la pensée et de le décomposer en un certain nombre d'idées ou de catégories abstraites. La forme élémentaire de cette opération est l'analyse psychologique, instrument essentiel des sciences philosophiques et morales : c'est, à proprement parler, étude réfléchie de l'âme humaine, considérée successivement sous ses faces diverses et dans les divers caractères qu'elle présente à l'observation. La détermination des facultés, des inclinations naturelles, des formes et des lois de la pensée, du sentiment, de l'activité, sont autant de résultats dus à l'analyse psychologique.

Mais, par une extension naturelle de ce terme, on l'applique en logique à diverses opérations du raisonnement qui consistent dans l'analyse des idées. On considère pour ainsi dire ce qui est contenu dans une certaine notion et l'on s'applique à l'en faire sortir. Ainsi, il est impliqué, dans l'idée même du monde tel que nous le connaissons, que ce monde obéit à certaines lois, est soumis à un certain ordre : de même, il est contenu dans l'idée même du monde qu'il existe une puissance capable d'en régler la marche et d'en maintenir l'ordre. L'analyse d'une seule idée nous a donc permis d'en tirer une suite de propositions.

Les mathématiques tout entières sont l'analyse de quelques idées premières, l'idée de nombre, l'idée d'espace, l'idée de temps : la géométrie analyse et énumère tout ce qui était logiquement contenu dans l'idée d'espace ; la trigonométrie développe tout ce qu'embrassait implicitement la seule définition du triangle, etc. Cependant le mot analyse mathématique ne s'emploie ordinairement que pour les opérations où la déduction se fait en sens inverse ou par régression, c'est-à-dire en remontant de la conséquence au principe, au lieu de descendre progressivement du principe à toutes les conséquences. En effet, il y a deux sortes de démonstration déductive. Pour les distinguer par un exemple sensible, supposons, dit la Logique de Port-Royal, qu'on cherche à prouver qu'une personne descend de saint Louis : « Il y a deux voies à suivre : ou bien on montre que cette personne a tel pour père qui était fils d'un tel, et celui-là d'un autre, et ainsi jusqu'à saint Louis ; ou bien on commence par saint Louis, on montre qu'il a eu tels enfants, et ses enfants d'autres, en descendant jusqu'à la personne dont il s'agit». La première méthode, c'est l'analyse ; la seconde, la synthèse. Dans les deux cas, il y a déduction, mais dans l'analyse la déduction est ascendante, et passe de la proposition qu'il s'agit de prouver au principe général qui la renferme : dans la synthèse, elle est descendante.

L'algèbre facilite tellement cette déduction en sens contraire à la déduction normale ou synthèse/qu'on a pris l'habitude d'appeler l'algèbre elle-même du nom d'analyse.

Il faut remarquer qu'à tous ses degrés l'analyse emporte non seulement l'idée de division et de décomposition, mais aussi celle de recherche et d'invention. Elle est en effet plutôt une méthode de recherche et de découverte ; la synthèse, au contraire, une méthode d'exposition, ou, comme disait Port-Royal, « de doctrine ».

A l'analyse psychologique et à l'analyse mathématique, il faut encore ajouter une dernière forme de l'analyse idéale : c'est l'analyse esthétique, qui sert de fondement à la critique littéraire et à la critique d'art. Ici ce n'est plus le rapport logique des idées que l'on considère, c'est le rapport complexe de l'idée, du sentiment et de l'expression qui constitue le beau. Analyser une oeuvre d'art, c'est se rendre compte de tous les éléments qui la constituent et juger de leur convenance, de leur harmonie, de leur action sur notre esprit, notre imagination ou notre coeur.

Principales formes de l'analyse du langage. — L'analyse des éléments du langage peut se taire : 1° soit en considérant ces éléments, c'est-à-dire les mots, d'une façon isolée, quant à leur forme et à leur nature : c'est l'analyse grammaticale proprement dite ; 2° soit en les considérant par rapport à leur origine et à leur dérivation : c'est l'analyse étymologique ; 3° soit enfin d'après leur fonction dans la phrase et leur rapport avec la syntaxe : c'est l'analyse logique, qui serait peut-être mieux nommée analyse syntactique.

2. Rôle de l'Analyse en pédagogie. — 1° DE l'ANALYSE EN GENERAL DANS L'EDUCATION. — Un des résultats essentiels de l'éducation intellectuelle doit être d'habituer l'esprit à la précision et à la netteté des idées. C'est la première différence entre un esprit cultivé et celui qui ne l'est pas, que celui-ci se contente d'aperçus vagues et fugitifs, confusément saisis par l'imagination, tandis que l'autre a besoin de notions exactes, distinctes, précises et fortement liées les unes aux autres. L'un entrevoit toujours, l'autre se rend compte.

Ce qui donne à l'intelligence ces habitudes de justesse et de rigoureuse exactitude, c'est surtout l'usage constant de l'analyse, analyse des parties matérielles d'un objet concret, ou analyse des conceptions générales étudiées sous tous leurs aspects et dans toutes leurs nuances.

Descartes plus qu'aucun autre penseur a contribué à faire de la précision et de la clarté les qualités françaises par excellence : c'est l'analyse qu'il recommandait comme un instrument principal du développement de l'esprit, quand il formulait la seconde règle de sa méthode: « Diviser chacune des difficultés qu'on examine en autant de parcelles qu'il se peut, et qu'il est requis pour les résoudre ».

Condillac, dans la pédagogie comme dans la philosophie de notre pays, représente tout particulièrement le génie de l'analyse ; mais il avait le tort de vouloir donner pour premier objet aux analyses de l'enfant cet ensemble de facultés et de phénomènes qu'on appelle l'âme humaine. Par une contradiction qui étonne, l'auteur du Traité des sensations, qui fait dériver des sens toute connaissance, demande que l'analyse des opérations intérieures précède l'étude des phénomènes sensibles.

La vérité, c'est qu'il faut premièrement exercer l'enfant à l'analyse des choses qui frappent ses sens. Qu'on ne se contente pas de les lui montrer en gros : qu'on l'exerce le plus tôt possible, comme le voulait Pestalozzi, comme le font jusqu'à l'excès les pédagogues allemands, à en distinguer et à en décrire les parties dans tout leur détail.

On peut dire, pour l'éducation comme pour le développement de la science humaine en général, que tout le mouvement de l'esprit s'accomplit entre ces deux termes : 1° la perception immédiate, qui est une synthèse confuse et vague ; 2° la connaissance définitive, qui est une synthèse réfléchie. C'est par l'analyse que l'esprit va de l'une à l'autre. « Voulez-vous acquérir de vraies connaissances, disait Laromiguière : que tout soit détaillé, compté, pesé. C'est ne rien voir que voir des masses. Divisez votre objet ; étudiez successivement toutes ses propriétés ; donnez votre attention aux moindres circonstances. »

Pour habituer l'enfant à l'analyse, il ne faut donc pas attendre l'âge de l'instruction scientifique : si l'on veut lui assurer un esprit droit et solide, il est bon que, dès les premières années, dans les images qu'il regarde avec attention, ou dans les objets eux-mêmes, il soit exercé à considérer non seulement le tout, mais les parties et leurs rapports. De même, mais beaucoup plus tard, quand commencera son éducation littéraire, il faudra exiger de lui non pas seulement qu'il sente confusément les beautés du texte, mais qu'il analyse, dans la mesure du possible, les éléments de son admiration.

Ce qu'il faut se rappeler surtout, c'est que le langage lui-même, qui est le premier degré de l'éducation de l'enfant, constitue un excellent instrument d'analyse. Le mot célèbre de Condillac, répété par Laromiguière, « les langues sont des méthodes analytiques de la pensée », n'exprime pas seulement une idée philosophiquement vraie, il explique aussi pourquoi l'on a raison dans l'enseignement élémentaire de tenir à l'étude de la langue. Si l'on apprend aux enfants la grammaire, ce n'est pas seulement en vue de l'orthographe pratique, c'est aussi pour développer en eux cet esprit d'analyse, d'observation et de raisonnement qui trouve une de ses applications les plus naturelles à la fois et les plus délicates dans la distinction des éléments du langage. Discerner et désigner par des noms distincts les différentes parties de la pensée et du discours, c'est opérer à peu près comme le chimiste qui isole et place dans des éprouvettes distinctes les éléments de l'air et de l'eau. L'enfant qui sait parler, sait analyser : il fait sans cesse des analyses inconscientes. Un maître habile lui apprendra seulement à s'en rendre compte. Et en l'habituant à analyser son langage, il l'habituera par là même à analyser sa pensée, c'est-à-dire à réfléchir et à raisonner. — Voir Analytique (Méthode).

[G. COMPAYRE.]

2° ANALYSE LITTERAIRE. — « On ne comprend les prodiges de l'horlogerie, dit M. Dupaty, qu'après en avoir démonté les rouages : de même, c'est par l'analyse que l'on apprend à juger les ouvrages des grands maîtres, à les admirer, à les imiter. » L'analyse littéraire a pour objet de faire connaître une oeuvre de littérature, d'abord en rendant compte du sujet qu'elle traite, ensuite en donnant l'idée des qualités qui la distinguent.

Avant de décider dans quel esprit et d'après quelles méthodes cet exercice doit être fait à l'école primaire, on peut se demander si, comment, et à quelles conditions, il y peut entrer.

Que l'analyse littéraire soit du domaine des études primaires ou tout au moins des études préparatoires de l'instituteur primaire, c'est ce qui est aujourd'hui généralement admis. Presque tous les pays ont reconnu la nécessité de donner à leurs instituteurs quelques notions littéraires, dont l'exercice de l'analyse est à peu près le seul moyen de contrôle.

Dans les écoles normales allemandes, l'analyse des poèmes de Schiller, de Goethe, de Klopstock, de Lessing est un exercice obligatoire, semi-mensuel dans certains établissements, hebdomadaire dans d'autres. Les institutrices anglaises et américaines ne sont ni moins fréquemment ni moins sérieusement exercées à l'étude de Shakespeare, de Milton, de Pope, de Dryden, et même de poètes et de romanciers contemporains. Les examens du brevet de capacité ne laissent pas de doute sur le rôle assigné à l'analyse littéraire dans la plupart des pays où l'instruction est florissante.

Chez nous, l'analyse littéraire fait partie de l'examen du brevet supérieur.

Nous n'hésitons pas à accorder à l'analyse littéraire la place qui lui convient ; mais, d'autre part, nous ne nous dissimulons pas les difficultés qu'elle rencontre dans l'enseignement primaire. Il manque à la plupart, à la presque totalité de nos élèves-maîtres une culture esthétique, une initiation littéraire suffisantes pour apprécier pleinement les beautés des oeuvres qu'on leur demande d'analyser. C'est là l'écueil inévitable ; plus qu'aucune autre en Europe, notre littérature nationale est imprégnée, pénétrée, inspirée des souvenirs classiques ; elle perd beaucoup de son charme et de son sens pour qui n'a pu passer par l'école de la Grèce et de Rome ; or nos instituteurs ne savent et ne sauront jamais ni latin ni grec : il ne faut donc pas se flatter de pouvoir les mettre en état de saisir et de goûter le parfum classique de notre littérature.

Mais est-ce à dire qu'avec une bonne culture moyenne, avec un développement suffisant de l'imagination, de la raison et du goût, les chefs-d'oeuvre de Corneille ou de Racine, de Bossuet ou de La Bruyère, de La Fontaine ou de Boileau seront pour eux lettre close? C'est au contraire la gloire de nos grands écrivains de s'être assez rapproches de la nature pour être éternellement compris et aimés de tous. Il ne faut que la rectitude de l'esprit et du coeur pour les lire avec émotion, avec admiration.

Aussi, que doit être l'analyse littéraire dans notre enseignement primaire? Non pas une oeuvre d'érudition, une ostentation de connaissances littéraires, une imitation toujours maladroite de ce qui ne convient qu'à l'enseignement secondaire, mais l'expression simple, saine et vraie de ce qu'on a compris et senti à la lecture d'un chef-d'oeuvre.

En d'autres termes, trois points nous paraissent importer également pour que l'analyse littéraire soit accessible et soit profitable à nos jeunes instituteurs : 1° le choix des sujets : ne faire analyser que des oeuvres susceptibles d'entrer dans l'éducation populaire, les plus simples, les plus humaines, les plus naturelles de toutes ; 2° l'analyse consciencieuse et la revue méthodique des parties dont l'oeuvre se compose : exercer les jeunes gens à voir comment se développe le sujet, dans quel ordre se suivent les faits ou les idées ; 3° l'appréciation des qualités non d'après des règles convenues, mais d'après leur propre sentiment : leur demander de dire sans emphase quelles parties de l'oeuvre, quelles idées, quelles qualités les ont personnellement frappés ou émus, et pourquoi.

Un élève-maître à qui l'on donnera pour sujet l'Art poétique de Boileau, qui se perdra en phrases vagues sur ce poème au lieu de le suivre point par point, qui, au lieu de dire ce qu'il y a remarqué, croira mieux faire de répéter les louanges banales qu'il a lues à l'adresse de Despréaux dans un manuel, celui-là n'aura rien appris.

C'est pour avoir vu trop de candidats donner sur cet écueil que de bons esprits vont jusqu'à condamner comme exercice pédagogique l'analyse littéraire. Ils auraient raison s'il était impossible de la faire simple et populaire, si les maîtres, si les commissions d'examen demandaient aux aspirants de se déguiser en élèves de rhétorique, de parler de ce qu'ils ne savent pas et de ce qu'ils ne sentent pas. Mais qu'on prenne soin de les habituer à lire par eux-mêmes et à juger par eux-mêmes, qu'on les traite seulement comme faisait Molière pour sa servante, premier juge de ses chefs-d'oeuvre, qu'on les mette en contact immédiat avec le beau sans passer à travers une rhétorique de convention, sans vouloir leur faire faire des parallèles avec l'antiquité classique, sans les rebuter par un excès de détails dans la recherche des finesses, des nuances, des subtilités littéraires qui ne sont point faites pour eux ; à ces conditions, l'analyse littéraire sera un excellent exercice : par le fond, elle formera leur raison, leur jugement, leur coeur ; par la forme, elle éveillera leur imagination, l'ornera de morceaux précieux, et lui communiquera, sans qu'ils y songent, la qualité par excellence de notre littérature, le goût.

Ajoutons qu'il faut que l'instituteur ait été familiarisé avec l'analyse littéraire telle que nous venons de l'esquisser pour être capable à son tour de faire ana lyser à ses élèves dans le même esprit, sans pédanterie et sans affectation, les petits morceaux de littérature qu'il leur fera apprendre, une fable de La Fontaine, une page de Buffon.

[B.]

3° ANALYSE DU LANGAGE. — Nous réunissons sous ce titre les trois sortes d'analyses que comporte l'étude de la langue : l'analyse grammaticale, l'analyse logique et l'analyse étymologique.

L'analyse grammaticale consiste à décomposer les phrases selon les espèces de mots qu'elles contiennent, et à faire connaître les rapports que les mots ont entre eux.

L'analyse logique a pour objet de distinguer et de déterminer les différents termes des propositions, de reconnaître la nature, le nombre de ces propositions et les rapports qu'elles ont entre elles.

L'analyse étymologique décompose les mots au point de vue de leur formation et de leur origine, afin de les classer par familles, comme primitifs, dérivés ou composés.

Ces moyens d'enseignement ne sont pas de bien ancienne date dans le' programme de nos écoles primaires ; et cependant ils ont donné lieu déjà à de nombreuses et vives discussions. D'abord complètement inconnue des maîtres d'école, puis imposée aux aspirants au brevet de capacité par les règlements de 1833, étudiée depuis lors avec cette fièvre qu'apportent les candidats à la préparation des matières obligatoires, l'analyse grammaticale et logique tendit bientôt à prendre dans l'enseignement primaire sinon un développement démesuré, du moins des formes et des allures trop techniques, trop pédantes, trop subtiles. C'est ce qui arrive toujours quand on se jette avec plus de bon vouloir que d'expérience dans une voie nouvelle. Plusieurs circulaires ministérielles combattirent cet abus. Mais il est plus facile de s'élever en termes éloquents contre « la scolastique grammaticale et ses théories subtiles », contre « ces analyses prétendues grammaticales ou décorées du nom de logiques, et bonnes seulement à faire prendre en dégoût' l'enseignement de la langue », que d'indiquer avec précision les moyens d'accomplir la réforme pédagogique qu'on a si justement en vue.

D'abord, il ne peut être question de supprimer purement et simplement l'analyse : ce serait ramener l'enseignement du français, sous prétexte de simplification, à cent ans en arrière. S'il ne faut pas de métaphysique, il ne faut pas non plus de routine aveugle dans l'étude des langues, de la langue maternelle surtout, et l'analyse n'est autre chose qu'un ensemble de procédés imaginés pour que l'enfant arrive à se rendre compte des lois les plus simples du langage, de celles qu'il applique naturellement tous les jours.

Il ne reste donc qu'une question de mesure : sous quelle forme et jusqu'à quel point peut-on faire entrer l'analyse dans l'enseignement primaire?

II est manifeste que l'ancienne théorie grammaticale, celle des logiciens du moyen âge, n'est pas celle qui convient à nos écoles, bien qu'on en retrouve encore les traces dans certaines parties de l'enseignement grammatical, de l'analyse logique en particulier. Nous n'en sommes plus sans doute, comme au temps de Port-Royal, aux dix catégories de propositions composées : disjonctives, conditionnelles, causales, relatives, discrétives, exclusives, exceptives, comparatives, inceptives, désitives ; mais beaucoup de nos manuels de grammaire élémentaire contiennent encore un trop grand nombre de ces définitions contradictoires ou tout au moins inutiles, de ces distinctions incompréhensibles pour de jeunes intelligences, de ces recettes pour expliquer l'inexplicable, qui sont les restes de l'ancienne tradition d'analyse logique fondée sur des données fort délicates de logique, sinon de métaphysique.

Si ce sont là des abus regrettables, c'en serait un autre non moins fâcheux de vouloir à tout prix épargner aux enfants tout effort de réflexion, toute idée abstraite, tout terme technique. Les instructions ministérielles prescrivent d'amener l'enfant à « se rendre compte du rôle que chaque mot joue dans la phrase ». Mais il faut bien pour cela qu'il analyse le mot et sache ce qu'est une phrase. Vous reculez devant les appellations de verbes transitifs et intransitifs : comment expliquer sans elles, comment rappeler brièvement que j'aime a un complément direct et que je meurs n'en a pas? On a épuisé tous les traits de la raillerie sur les « compléments circonstanciels » et les « propositions incidentes », termes barbares, si l'on veut, mais dont l'enfant s'effraie beaucoup moins que nous et qu'il est bien peu pratique de remplacer par de longues circonlocutions : est-il donc si difficile de montrer à l'élève qu'une incidente se rattache à un nom, de la même façon qu'un adjectif ou un participe, et que l'on dit un homme qui a de l'argent ou un homme qui a faim comme on dit un homme riche ou un homme affamé?

Ce qu'il faut condamner, en définitive, ce sont des procédés défectueux d'analyse, et non l'analyse elle-même. Renonçons, cela n'est que trop juste, à en faire un long et monotone exercice technique ; ne la séparons pas de l'étude vivante de la langue, qui elle-même ne se sépare pas de l'étude de la pensée. De la sorte on passera naturellement, aisément, de l'analyse logique à l'analyse grammaticale et de celle-ci à l'analyse étymologique.

On remarquera que nous plaçons l'analyse logique très élémentaire au début des études grammaticales, bien que cette méthode puisse, à première vue, déconcerter d'anciennes habitudes. C'était celle du Père Girard, c'est celle qui s'impose à qui veut suivre la marche de la nature. « Dans le développement progressif de la raison, dit excellemment M. G. Marcel (L'étude des langues ramenée à ses véritables principes, t. II, p. 28), la perception d'un objet précède toujours la considération de ses parties ; nous arrivons à l'intelligence de notre langue en passant de la phrase aux mots. » Et Mme Pape-Carpantier [Manuel de l'instituteur, 2e année, p. 47) : « Pour faire l'analyse d'une forme du langage, il faut d'abord faire l'analyse de la pensée qu'elle exprime ; en d'autres termes, une analyse logique, c'est-à-dire simplement l'étude des idées et de leurs rapports, doit précéder l'analyse grammaticale proprement dite, c'est-à-dire l'étude de la forme des mots et de la contexture ». Gela est si vrai, que la définition même de certaines espèces de mots, comme la conjonction ou la préposition, ne peut s'entendre clairement que si l'on a au moins une idée de la proposition et des termes qui la composent.

L'analyse étymologique, plus récemment introduite que les deux autres, leur fait suite et les complète. Elle n'a pas non plus échappé à la critique. Un ministre libéral et éclairé trouvait étrange qu'on enseignât, « dans une école normale de l'Est, des aperçus sur la terminaison des substantifs et des adjectifs et sur les rapports de cette terminaison avec le sens ou le genre des mots ». Il est possible que cet enseignement ait été fait, là ou ailleurs, sous une forme trop savante ; mais, en le supposant donné avec sagesse et à-propos, ne serait-il pas à sa place dans la préparation de nos instituteurs ? Si je lis : « Cette action est condamnable, cette situation est risible, ce sel est soluble, » est-il extraordinaire que je fasse remarquer à des élèves d'école normale le sens qu'ont toujours ces trois désinences d'adjectifs, able, ible, ublet.

Et, même à l'école primaire, les enfants ne trouveront-ils pas intérêt et profit à remarquer le sens et le genre de tous les mots terminés par teur ou par ment, la signification particulière de ceux qui commencent par pré ou par re, la valeur négative des prépositions in ou dé, et une foule d'autres notions tout aussi usuelles, tout aussi simples? Il est bien entendu que, là aussi, le maître s'interdira tout ce qui n'est que curieux, comme les recherches sur l'origine des mots, des terminaisons, des particules composantes ; mais il s'attachera, sans aucun scrupule, à déterminer l'idée que vient ajouter à un radical une terminaison ou une particule composante ; à reconnaître, quand cela est possible, dans des mots divers, l'identité ou la parenté de radicaux plus ou moins transformés ; à constituer ces familles de mots dont la recherche est si attrayante, dont la constatation est, à part ses autres résultats, si profitable pour le développement de l'esprit d'observation et de comparaison.

Il ne faut jamais oublier d'ailleurs que notre langue a pris au latin la plus grande partie de ses éléments lexicologiques et syntaxiques ; que, de plus, il y a eu entre elle et le latin une sorte de langue intermédiaire, cet idiome mal défini du moyen âge sur lequel l'esprit populaire s'est donné carrière, pendant plusieurs siècles, en créant de toutes pièces, avec les matériaux qu'il avait sous la main, des locutions et des tours libres et spontanés, logiques sans doute à leur façon, mais d'une logique qui n'est ni celle de la langue primitive, ni celle non plus de notre langue définitive et classique du dix-septième siècle. De là la plupart de ces gallicismes que l'analyse grammaticale ou logique, dans l'enseignement primaire surtout, aurait tort de prétendre disséquer et expliquer rigoureusement.

C'est sous ces réserves et avec cette double attention à ne la laisser dégénérer ni en exercice mécanique ni en étude savante, que l'analyse du langage dans ses différentes applications nous semble devoir garder la place qu'elle occupe dans nos écoles primaires.

Il nous reste à examiner les procédés scolaires les plus convenables pour l'enseignement de l'analyse.

Les notions qui doivent servir de point de départ sont celles qui concernent le nombre et le genre, appliqués d'abord aux noms, puis aux adjectifs qualificatifs. Dès que l'enfant connaît le verbe être, on peut lui donner l'idée de la proposition simple, et c'est, sans qu'il le sache, sans qu'on ait besoin de le lui dire, sa première leçon d'analyse logique.

Ces premiers exercices doivent se faire de vive voix. Toutes sortes de raisons obligent le maître à préférer l'analyse orale à l'analyse écrite pour les petites classes : elle permet de soutenir plus aisément l'attention des jeunes enfants, de leur donner les incessantes explications qui leur sont nécessaires, d'éviter la sécheresse d'un exercice qui, écrit tout au long, les rebuterait ; enfin et surtout, d'intercaler, suivant le besoin et l'à-propos, quelques attrayantes leçons de choses parmi ces leçons sur les mots. Peu à peu on passera à l'exercice écrit, qui sera d'abord et le plus longtemps possible préparé par l'exercice au tableau noir ; mais ici deux précautions sont essentielles : d'une part, éviter le plus possible d'employer le temps de l'élève en écritures inutiles, en répétition fastidieuse des mêmes formules ; d'autre part, joindre souvent à l'analyse la synthèse, les petites phrases à inventer, à retourner, à modifier, les noms et les épithètes à changer de forme, de nombre, de genre, de place.

Diverses manières de procéder à l'analyse écrite sont usitées. La plus employée consiste à écrire dans une colonne verticale les mots de la phrase et à écrire en regard l'énoncé de ses caractères grammaticaux. Encore diffère-t-on dans l'extension à donner à cet énoncé ; certains maîtres, et non des moins compétents, M. B. Jullien, par exemple, veulent qu'on écrive tout au long : « substantif, masculin, singulier, » etc. ; la plupart conseillent des abréviations : sing. ou sg. ou s. ; nous avons vu des cahiers entiers d'analyse rédigés d'après ce système d'initiales, comme n. c. m. p. (nom commun masculin pluriel). Se représente-t-on à quel point une pareille besogne est propre à développer l'intelligence, à éveiller l'esprit, à captiver l'imagination!

Un autre procédé consiste à tracer sous les mots eux-mêmes un certain nombre de signes de convention désignant leur nature, leur nombre, leur genre, leur rôle dans la proposition. Les systèmes les plus répandus sont, croyons-nous, ceux qu'ont employés Mme Pape-Carpantier dans son Cours d'éducation et d'instruction primaire et M. Aug. Grosselin dans son Manuel de la méthode phonomimique. Chaque maître du reste peut en imaginer d'autres, suivant les besoins de sa classe. Et quels que soient les procédés qu'on adopte (et il est peut-être bon de leur faire une part à tous), l'important est de ne jamais perdre de vue le véritable but de l'analyse logique ou grammaticale. Nous nous rendons pleinement à cette pensée de M. E. Grosselin : « L'analyse doit être considérée avant tout comme une précieuse gymnastique intellectuelle ».

Charles Defodon