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Analogie

Ce mot, quoiqu'il soit d'origine grecque, n'a besoin de définition pour personne ; il est d'ailleurs plus difficile à définir qu'à comprendre. Les mathématiciens, qui les premiers en ont fait usage, l'emploient pour désigner l'égalité de deux rapports constituant une proportion ; et c'est bien là la forme rigoureuse de l'analogie. C'est ce qui la distingue de la ressemblance. Les deux ailes d'un oiseau sont semblables l'une à l'autre ; la nageoire du poisson est analogue à une aile, c'est-à-dire qu'elle est pour le poisson ce qu'est l'aile pour l'oiseau.

En philosophie, le raisonnement par analogie est une forme imparfaite ou inachevée du raisonnement par induction.

Deux exemples suffiront à caractériser l'analogie féconde et l'analogie stérile.

Franklin soupçonne un jour que les phénomènes produits par une machine électrique sont de même nature que ceux de la foudre : c'est l'analogie qui le lui a fait supposer : il lui semble que les étincelles de la machine électrique sont en petit ce qu'est l'éclair en grand. Mais il n'en reste pas là ; une suite d'expériences régulières, complètes, rigoureuses, lui permettent de vérifier et de démontrer dans tous les détails l'identité qu'il avait entrevue : il n'y a plus probabilité, il y a certitude. Voilà l'analogie féconde.

Mais si nous disons : « Les planètes sont par leur forme, par leurs révolutions, par leur constitution probable, par leur atmosphère, etc., analogues à la terre : donc elles doivent être habitées comme la terre, » cette analogie ne dépasse pas la simple conjecture, elle n'a pas de valeur scientifique.

En pédagogie, le rôle de l'analogie est d'autant plus grand que c'est de tous les modes de raisonnement le plus facile, le plus spontané, le plus naturel à l'enfance. La circonspection, la méthode, la précision dans l'examen, la réserve dans les conclusions, sont les qualités d'un âge plus avancé ; l'enfant, comme les peuples enfants, va d'un bond, par analogie, aux affirmations les plus téméraires : et le plus souvent il ne voit qu'une gêne inutile dans la lente série de déductions par où on l'oblige à passer pour arriver à une règle d'arithmétique ou de grammaire, qu'il aurait volontiers appliquée pour ainsi dire d'instinct.

De cette disposition naturelle à raisonner par analogie, quel parti doit tirer une saine pédagogie? Convient-il de prémunir de bonne heure l'enfant contre les écarts et les périls de cette méthode primesautière? Nous ne le croyons pas, bien qu'on l'ait maintes fois soutenu. Il nous semble au contraire que, pour développer le jugement chez l'enfant, rien n'est meilleur que de le laisser s'exercer au gré de la nature sous la forme imparfaite, mais vive et hardie, qu'il revêt à cet âge. L'expérience se chargera de réprimer ce premier élan.

La méthode analogique se lie intimement et légitimement à la méthode intuitive. L'analogie est le raisonnement spontané, comme l'intuition est l'observation spontanée. Celle-ci développe les sens, celle-là le jugement. L'une et l'autre valent à l'enfant le plus vif des plaisirs intellectuels à cet âge et à tout âge, celui de la découverte.

C'est surtout dans l'étude pratique du langage et de ses lois qu'il faut se fier à cet instinct d'analogie ; c'est là qu'on peut voir combien il l'emporte sur un instinct d'imitation machinale. Ecoutez parler un enfant de quatre ans, et vous restez confondu de la finesse des nuances que lui a fait saisir la seule analogie. Il y a là des merveilles d'analyse. Ses fautes de français sont autant d'actes de fidélité à la logique, que l'usage a trahie. Quand l'enfant dit : « Ne me disez pas mal, disez-moi une histoire, » est-ce lui qui a tort? Quand il dit : « Nous courirons, nous venirions, » n'est-ce pas la preuve qu'il sait déjà, et mieux peut-être qu'il ne la saura dans quelques années, la loi de la formation des temps? Quand, pour dire le contraire d'approcher, il invente le mot déprocher, ne montre-t-il pas qu'il a déjà le sentiment bien net du sens et de la fonction des préfixes, et qu'il serait capable, au besoin, de créer à nouveau toute la langue, puisqu'il en a saisi non pas seulement les mots, mais les règles et les formes générales, l'esprit même et, comme on dit justement, le génie?

Trop souvent, dans l'ancienne méthode, l'enseignement grammatical scolaire commençait par faire désapprendre à l'enfant cette marche naturelle de la pensée pour lui en révéler une plus rigoureuse, plus didactique. La grammaire ainsi enseignée substituait la règle écrite et apprise par coeur à la règle sentie et devinée par analogie. De nos jours, les réformateurs de l'enseignement grammatical s'appliquent à suivre de plus près la nature et à ne pas étouffer l'esprit d'analogie inné chez l'enfant.

Il en faut dire autant de l'arithmétique. Assurément il appartient aux mathématiques de procéder par un enchaînement rigoureux de déductions ; abréger, ici, ce serait fausser ; mais prenons garde que l'enfant n'est pas l'homme, qu'il y a une transition à ménager entre l'âge où l'on ne sait opérer que sur le concret et cet autre âge où l'on se meut à l'aise dans l'abstraction. C'est précisément le rôle de l'analogie d'être l'instrument de cette transition ; elle initie l'enfant au raisonnement déductif aussi bien qu'au raisonnement inductif. Si notre élève franchit quelque peu légèrement les échelons intermédiaires que nous jugeons indispensables à la sûreté de la déduction, ne nous en inquiétons pas outre mesure : c'est qu'il n'est pas encore capable de l'analyse minutieuse qui nous en fait reconnaître la nécessité. Il a l'esprit aussi juste que nous, mais plus prompt et plus confiant. Ne nous hâtons pas de lui apprendre à douter. Disons-lui, par exemple, qu'on écrit les dixièmes, les centièmes, les millièmes par ordre décroissant à la suite des unités, en les en séparant seulement par une virgule : il n'hésitera pas ensuite, si on le laisse faire, à opérer sur ces nombres décimaux comme il sait opérer sur les entiers : l'analogie l'y porte, et il ne lui faut rien de plus pour le moment. Il ne pourrait pas sans doute rendre raison de ces petits calculs, car il ne sait pas encore la théorie des fractions ; mais provisoirement il peut s'en passer, il n'y a qu'avantage à laisser l'intelligence enfantine pousser cette première reconnaissance dans tous ses futurs domaines avec les seules ressources de l'analogie, cette logique implicite.

Ce que nous disons de la grammaire et de l'arithmétique est vrai, à notre sens, de toute l'instruction primaire. Depuis l'art d'apprendre à lire et à écrire, jusqu'à l'étude de la géographie et de l'histoire, c'est par l'analogie qu'il faut soulager la mémoire et préserver l'intelligence d'un exercice aveugle ou machinal ; c'est elle enfin, elle seule, qui permet de respecter dans l'enfance la condition sine quâ non du développement intellectuel, la spontanéité, l'activité propre, cette sève de l'esprit qui supplée à tout et que rien ne supplée (Voir Activité). Sans doute le règne de l'analogie ne dépasse pas la période de l'enfance, et là même il ne doit jamais être exclusif ; il doit peu à peu se restreindre pour faire place, à mesure que la nature le veut, à des opérations plus sûres, à des procédés plus sévères, à des analyses plus délicates, en un mot aux deux grandes formes définitives du raisonnement, l'induction et la déduction. Mais, loin de retarder l'avènement des facultés supérieures, l'esprit d'analogie, bien dirigé, le prépare et l'assure. La logique naturelle est la meilleure initiation à l'autre.