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Allizeau

« Marchand d'objets d'histoire naturelle et de curiosités, quai Malaquais, n° 15, à Paris » (ancien numéro 15 supprimé par la construction du Palais des Beaux-Arts).

En dehors de son négoce, Allizeau était un savant et un inventeur. Il composa, de 1812 à 1820, trois séries de jeux instructifs, dont les deux premières portent le titre de Métamorphoses ou amusements géométriques. Elles sont composées de quinze petites plaquettes en bois de noyer, taillées régulièrement, de formes et de grandeur variées. Le jeu consiste à composer, avec ces plaquettes, diverses figures géométriques, que l'on transforme successivement en d'autres figures par le déplacement calculé de quelques pièces ; on fait ainsi des étoiles, des polygones, des parquets, des grecques, des dentelures, etc., variés presque à l'infini.

Les deux petits volumes qui accompagnent ces séries contiennent des planches gravées donnant des exemples pour la composition des figures : dans le premier, 57 objets familiers, tels que vases, meubles, chaises, bancs, tables, lits, escaliers, portes, fenêtres, façades, etc. ; dans le second, 53 figures de géométrie très élémentaire ; 19 représentations d'outils, scie, compas, maillet, équerre, etc., et 31 édifices, palais, églises, tours, colonnes, ponts, etc. En tout, 160 figures formées avec les plaquettes.

Le troisième jeu a pour titre : L'Architecture amusante ou suite des Métamorphoses géométriques. Il se rapporte aux solides, comme les deux premiers aux surfaces. Il est formé d'un parallélipipède divisé en quinze parties rectilignes, différentes et inégales. Ce sont des cubes divisés suivant la diagonale. Le tout est renfermé dans une petite boîte à coulisse de 8 centimètres sur 6.

Avec ce troisième jeu, on fait non plus seulement des façades ou des surfaces, mais des constructions élevées, avec leurs épaisseurs proportionnelles et leurs principaux accessoires. Les meubles ont une profondeur, les maisons ont des cours, les châteaux des tourelles. Le livret donne 38 exemples de constructions ou « élévations perspectives», plus le plan géométral représentant les fondations et exécuté au moyen des surfaces empruntées aux premières séries.

Ce qui caractérise les jeux d'Allizeauet les distingue essentiellement de ces jouets d'architecture très dispendieux qui nous viennent d'Allemagne, c'est la préoccupation visible d'instruire tout en amusant, d'instruire par le charme que trouve naturellement l'esprit à créer sans cesse et par lui-même des combinaisons nouvelles. Les jouets allemands offrent à l'enfant des pièces toutes faites, — colonnes tournées, frontons, entablements, — auxquelles le joueur n'a point travaillé. Après vingt-quatre heures de possession l'enfant en a assez, il est dégoûté de ce jouet invariable,

Allizeau, qui à cet égard devance Froebel de longtemps, veut exercer 1 instinct créateur de l'enfant. « J'ai composé ces jeux, dit-il, de manière à laisser aux joueurs le plaisir de chercher des combinaisons différentes des miennes : ils se prêtent à un grand nombre de sujets, que chacun pourra imaginer et varier à son gré. »

Ces jeux d'Allizeau, comme plus tard les dons de Froebel, familiarisent l'oeil et l'esprit de l'enfant avec la régularité, la symétrie des formes géométriques. « J'ai combiné les figures, dit-il, de manière à représenter le plus possible des objets réguliers. Ce genre d'amusement pourra donner du goût pour les premiers éléments de l'architecture et de la géométrie, dont la connaissance est indispensable dans la pratique des arts. » Allizeau pense aussi à l'indispensable auxiliaire de la construction : la coupe des pierres. Quatre pièces de chacun de ces jeux sont taillées en pierre d'angle, de sorte que l'enfant acquiert tout en jouant une idée exacte des conditions d'assemblage des pierres.

Parmi les figures de la deuxième série, 28 présentent de petits problèmes de géométrie très élémentaires. Ces figures — nouvelle analogie avec les procédés de Froebel — sont quadrillées, c est-à-dire recouvertes d'un réseau de petits carrés égaux. Le nombre de ces petits carreaux permet aux enfants de se rendre compte, par un calcul facile, de la grandeur comparative des surfaces et de leurs rapports entre elles. Ainsi la démonstration du théorème relatif au carré de l'hypoténuse est rendue évidente par le seul aspect des carrés élevés sur les trois côtés du triangle rectangle. Le grand carré de l'hypoténuse est recouvert de 25 carreaux ; les deux autres carrés, moyen et petit, présentent, l'un 16, l'autre 9 de ces mêmes carreaux ; 16 + 9 = 25, donc le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés.

Ainsi les conditions essentielles de l'éducation des sens et même de toute éducation, amusement, instruction, stimulant intellectuel, variété dans les moyens, tout se trouve réuni dans cette oeuvre sérieuse, bien que sans prétention scientifique ou pédagogique, elle devrait d'autant moins être oubliée chez nous, qu'une méthode étrangère ramène aujourd'hui dans nos classes enfantines quelques-uns des ingénieux procédés de notre compatriote.

Marie Pape-Carpantier