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Algérie

Législation. — De 1832 à 1848, le service de l'instruction publique, en Algérie, était dirigé par un inspecteur primaire, qui releve successivement de l'intendant civil de la région d'Alger et du directeur général des affaires civiles. Dans cette première période, employée à la conquête, l'enseignement primaire reçut peu de développements.

Après la soumission entière du pays, en 1848, l'académie d'Alger fut constituée sous la direction d'un recteur, placé sous les ordres du ministre de l'instruction publique et assisté d'un Conseil académique ; deux inspecteurs d'académie à Alger, et un inspecteur primaire par province, étaient chargés de l'inspection. Cette organisation subsista même après la promulgation de la loi de 1850 ; en attendant une législation spéciale, l'administration se rapprocha le plus possible des lois et règlements métropolitains ; néanmoins la nomination et le changement des instituteurs étaient prononcés par le recteur, et nulle école française ne pouvait s'ouvrir sans son autorisation.

A partir de l'année 1872, des améliorations importantes et dès longtemps réclamées se produisirent : un troisième inspecteur d'académie et trois nouveaux inspecteurs primaires furent nommés, ce qui permit de placer au chef-lieu de chaque département un chef de service et de multiplier dans tout le pays les écoles.

Les décrets des 15 août 1875, 13 et 16 février 1883, 1er février 1885 et 16 octobre 1886 vinrent successivement combler les lacunes de la législation algérienne et la mettre en harmonie avec les nouvelles lois scolaires.

Enfin la loi du 30 octobre 1886, consacrant la plupart des dispositions antérieures, étendit à l'Algérie l'organisation générale de notre enseignement primaire public. Le décret du 8 novembre 1887 en a réglé la mise au point en ce qui concerne les écoles destinées aux enfants d'Européens, tandis que le décret du 18 octobre 1892, complétant et revisant ceux du 13 février 1883 et du 9 décembre 1887, a achevé de règlementer l'enseignement primaire des indigènes.

Le décret du 18 octobre 1892 a lui-même été modifié par le décret du 15 décembre 1906.

Après avoir énuméré les lois et décrets qui ont progressivement constitué la législation scolaire algérienne, nous exposerons brièvement l'état actuel de cette législation.

ENSEIGNEMENT DES EUROPEENS. — La loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire, la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité, la loi du 28 mars 1882 sur l'obligation scolaire, les articles 8, 9 et 18 de la loi du 20 mars 1883, relative à l'obligation de construire des maisons d'école dans les chefs-lieux de commune et dans les hameaux, la loi du 20 juin 1885 sur les constructions scolaires, le décret du 7 avril 1887 et la loi du 10 juillet 1903 sur la construction d'office des maisons d'école, sont applicables à l'Algérie.

Toutefois les conditions de cette application sont déterminées par des règlements spéciaux, dont nous avons à faire connaître ici l'économie en signalant les points sur lesquels cette règlementation diffère de celle qui est en vigueur dans la métropole.

I. Attributions du recteur. — En Algérie, les attributions conférées aux préfets par la loi du 30 octobre 1886 en ce qui concerne la nomination, le déplacement et la révocation des instituteurs appartiennent au recteur de l'académie ; elles s'étendent aux trois départements (Loi du 30 octobre 1886, art. 68).

II. Délégations cantonales. — La division des arrondissements en cantons n'existant pas pour le territoire de l'Algérie, les délégations cantonales n'y sont pas instituées (Décret du 8 novembre 1887, art. 13).

III. Obligations des communes. — Toute commune de plein exercice, c'est-à-dire administrée par un maire et des conseillers municipaux élus comme en France, ou mixte, c'est-à-dire placée sous l'autorité d'administrateurs nommés par le gouverneur général, doit être pourvue au moins d'une école primaire publique.

Le gouverneur général de l'Algérie est chargé, par délégation du ministre de l'instruction publique, de statuer sur les délibérations des Conseils départementaux portant création ou suppression d'emplois et d'écoles élémentaires pour les Européens dans les diverses communes de l'Algérie (Décret du 3 avril 1906).

Lorsque l'école ou la classe à créer n'est pas de celles dont l'établissement donne lieu à une dépense obligatoire, le préfet ne peut saisir le Conseil départemental que sur la demande de la commune ou des communes intéressées, et après avis conforme du recteur (Décret du 8 novembre 1887, art. 5).

La loi du 20 juin 1885, sur les constructions scolaires, a été modifiée, en ce qui concerne la proportion suivant laquelle le budget spécial de l'Algérie pourra contribuer aux dépenses de construction des écoles primaires, par les articles 14, 15 et 16 de la loi de finances du 30 décembre 1903, et, en ce qui concerne les écoles primaires supérieures, par l'art. 15 de la loi du 29 décembre 1907, ainsi conçu :

« ART. 15. La proportion suivant laquelle le budget spécial de l'Algérie pourra contribuer au paiement des dépenses résultant de la construction, de l'acquisition et de l'aménagement des bâtiments scolaires destinés aux écoles primaires supérieures, est fixée uniformément à 80 % du montant réel de la dépense reconnue nécessaire. Une subvention de 80 % pourra aussi être allouée aux communes sur les loyers des immeubles loués par elles en vue de l'installation d'écoles primaires supérieures, mais par mesure transitoire et pour une durée de trois ans au maximum, la commune devant installer son école dans un immeuble lui appartenant.

« Le tarif de la pension des élèves internes sera fixé par le gouverneur général.

« Dans le cas où l'internat sera au compte du directeur ou de la directrice, le chef de l'établissement versera à la commune une redevance de 50 à 100 francs par élève interne. Le taux en sera fixé dans chaque école par le gouverneur général.

« Le produit de cette redevance sera affecté exclusivement par la commune aux dépenses de l'enseignement professionnel ou agricole, ou à celles de l'éducation ménagère dans les écoles primaires supérieures de filles.

« Les indemnités du personnel de l'enseignement professionnel, agricole ou ménager (maîtres ouvriers, chefs de travaux pratiques, chefs d'atelier) seront au compte du budget spécial de l'Algérie. »

IV. Fréquentation et obligation scolaires. — Dans les communes de plein exercice et dans les communes mixtes, l'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus, quelle que soit la nationalité des parents. Elle peut être donnée, comme en France, soit dans les établissements d'instruction publics ou privés, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie.

Cette obligation n'est applicable à la population indigène musulmane, même dans les communes de plein exercice, qu'en vertu d'arrêtés spéciaux du gouverneur général. (Décret du 8 novembre 1887, art. 14.)

Les commissions scolaires se composent : du maire ou d'un adjoint délégué par lui, d'un délégué de l'inspecteur d'académie, et de membres délégués par le conseil municipal en nombre égal, au plus, au tiers des membres de ce conseil.

Le jury chargé d'examiner les enfants qui reçoivent l'instruction dans la famille est composé de l'inspecteur primaire ou de son délégué, président, et de deux personnes munies d'un diplôme universitaire ou d'un brevet de capacité, choisies par l'inspecteur d'académie. Pour l'examen des filles, une de ces personnes doit être une femme. (Même décret, art. 13.)

Des arrêtés du gouverneur général, rendus sur le rapport du recteur, après avis des Conseils départementaux, déterminent chaque année les communes ou les fractions de communes dans lesquelles, par suite des distances, de l'insuffisance des locaux scolaires ou des difficultés de communication, des dispenses d'assiduité peuvent être accordées aux enfants en âge scolaire. (Même décret, art. 17.)

Les écoles primaires publiques de tout degré sont ouvertes aux enfants indigènes d'âge scolaire qui demandent à y être admis, à la condition que ces enfants aient été vaccinés, s'ils n'ont pas eu la petite vérole, et qu'ils se soumettent aux mêmes règles d'hygiène, de propreté et d'assiduité que les élèves européens. (Même décret, art. 15.)

Dans les écoles mixtes, les garçons de race indigène (arabe ou kabyle) ne peuvent être admis que jusqu'à sept ans, qui est l'âge le plus élevé des classes enfantines, à moins d'une autorisation spéciale de l'inspecteur d'académie, délivrée exceptionnellement sur la demande de l'instituteur ou de l'institutrice, après avis de l'autorité locale. (Règlement scolaire approuvé par le ministre le 25 mars 1889.)

La liberté de conscience des élèves indigènes est formellement garantie ; ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion.

Sur la demande des parents, ils peuvent être dispensés par l'inspecteur d'académie de l'obligation d'assister à l'école aux jours considérés dans leur religion comme jours fériés. (Même décret, art. 15.)

V. Ecoles normales. — Un décret en date du 9 août 1888 a déclaré applicables à l'Algérie les articles 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 9 août 1879 relative à l'obligation pour les départements d'être pourvus d'une école normale d'instituteurs et d'une école normale d'institutrices suffisantes pour assurer le recrutement de leurs instituteurs communaux et de leurs institutrices. Toutefois il n'existe d'écoles normales d'instituteurs qu'à Alger et à Constantine. Une école normale d'institutrices est installée à Miliana et une autre à Oran. Une troisième fonctionne à Constantine depuis le 1" octobre 1908.

En vue de préparer les indigènes aux fonctions d'enseignement, des cours normaux sont annexés aux écoles normales d'instituteurs d'Alger et de Constantine. (Le cours normal d'Alger seul fonctionne actuellement.) La durée des études v est de trois années. (Décret du 18 octobre 1892, art" 44.)

Tout candidat indigène admis à suivre les cours normaux doit s'engager à servir pendant dix ans dans l'enseignement public.

Il est établi en outre, à l'école normale d'Alger, une section spéciale destinée à former des instituteurs français pour l'enseignement des indigénes. (Même décret, art. 45.)

Les élèves de cette section se recrutent parmi les instituteurs français ayant déjà exercé des fonctions d'enseignement, ou, à défaut, parmi les candidats pourvus du brevet supérieur ou du brevet élémentaire. Ils ne peuvent y entrer qu'après avoir été libérés du service militaire. Pendant leur séjour, d'une durée d'un an, ils reçoivent 400 fr. et sont nourris et logés.

VI. Rétribution des instituteurs et des institutrices. — Les traitements des instituteurs et des institutrices des écoles d'Européens en Algérie sont fixés ainsi qu'il suit par l'art. 31 de la loi des 19 juillet 1889-25 juillet 1893, modifié par l'art. 17 de la loi du 14 décembre 1905 :

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Les instituteurs et institutrices peuvent recevoir, en outre, une prime pour la connaissance des langues arabe et kabyle. Cette prime est de 300 fr. poulies instituteurs et institutrices qui possèdent le brevet de langue arabe ou de langue kabyle, et de 500 fr. pour ceux qui sont pourvus du diplôme de langue arabe, ou du diplôme des dialectes berbères (décret du 24 juillet 1900).

Dans toute école, les instituteurs et institutrices d'Algérie ont droit au logement ou à une indemnité représentative, et à une indemnité de résidence dans les conditions de l'art. 12 de la loi du 19 juillet 1889.

L'avancement est soumis aux mêmes conditions que pour les instituteurs et institutrices de la métropole : Voir Classement et avancement.

Dans les écoles mixtes dirigées par des instituteurs, les indemnités des maîtresses de couture sont fixées par le préfet, suivant le nombre des élèves inscrits, sur la proposition de l'inspecteur d'académie. Elles ne peuvent dépasser 300 francs par an. (Décret du 8 novembre 1887, art. 10.)

Enfin, par un privilège spécial, tout instituteur ou institutrice qui aura fait recevoir dix élèves à l'école normale ou dix indigènes au cours normal, à l'examen des bourses d'enseignement primaire supérieur ou secondaire, peut obtenir, en dehors des contingents ou conditions règlementaires, soit la mention honorable, soit la récompense honorifique immédiatement supérieure à celle qu'il possède (Même décret, art.12).

En ce qui concerne le droit à la retraite, les services des instituteurs et institutrices qui ont été envoyés de France en Algérie, comme ceux de tous les fonctionnaires exerçant hors d'Europe, sont comptés, en vertu des dispositions de l'art. 10 de la loi du 9 juin 1853, pour moitié en sus de leur durée effectuée, sans toutefois que cette bonification puisse réduire de plus d'un cinquième le temps de service effectif exigé pour constituer le droit à pension.

Outre l'avantage dont ils jouissent, comme tous les instituteurs, de voyager à demi-tarif sur les lignes de chemin de fer, les instituteurs et institutrices exerçant en Algérie peuvent obtenir des passages gratuits sur les paquebots assurant la correspondance entre la France et l'Algérie, lorsqu'ils se rendent à leur poste, en vertu d'une nomination, lorsqu'ils ont obtenu un congé de maladie ou de convalescence, lorsqu'ils sont admis à la retraite, ou lorsqu'ils sont appelés, d'Algérie à un emploi en France.

Les femmes, enfants, pères et mères des instituteurs, ainsi que des autres fonctionnaires de l'enseignement primaire, ont droit à la même faveur lorsqu'ils les accompagnent dans les cas indiqués ci-dessus, ou lorsqu'ils rentrent en France dans le cas de décès d'un fonctionnaire en activité de service.

Des permis de passage peuvent également être accordés aux instituteurs et à leurs familles lorsqu'ils se déplacent à l'époque des vacances. Mais il ne peut, dans ce dernier cas, être accordé de permis (aller et retour) que tous les deux ans au maximum. (Arrêté du 3 juin 1898.)

Les autorisations de passage sont délivrées par le recteur (Décision du gouverneur général du 15 février 1901).

ENSEIGNEMENT DES INDIGENES. — Ainsi que nous l'avons dit plus haut, les enfants indigènes d'âge scolaire peuvent être admis dans les écoles de tout degré ouvertes aux élèves français ou étrangers.

D'autre part, toute commune d'Algérie doit être pourvue d'écoles en nombre suffisant pour recevoir tous les garçons indigènes d'âge scolaire. Ces écoles sont d'ailleurs ouvertes aux élèves européens qui désirent les fréquenter. (Décret du 18 octobre 1892, articles 2 et 3.)

Les indigènes ne sont soumis à l'obligation que dans les communes ou fractions de communes désignées par arrêtés spéciaux du gouverneur général.

L'obligation ne s'applique qu'aux garçons d'âge scolaire. L'arrêté du gouverneur général détermine les conditions dans lesquelles des dispenses d'assiduité individuelles ou collectives peuvent être accordées, outre les vacances règlementaires.

L'inscription à la porte de la mairie, prévue par l'art. 13 de la loi du 28 mars 1882, est remplacée, pour les indigènes, par un blâme infligé, après décision de la Commission scolaire, par le maire, l'administrateur, le commandant de cercle ou d'annexe. Les autres sanctions prévues par la loi du 28 mars 1882 sont applicables aux indigènes.

Dans toute localité possédant une école spécialement destinée aux indigènes, la Commission scolaire est composée de notables indigènes, dont trois désignés par le préfet et trois élus par les indigènes dans des conditions déterminées par arrêté du gouverneur général.

Ces commissions sont présidées par le maire ou un de ses adjoints dans les communes de plein exercice, par l'administrateur ou un de ses adjoints dans les communes mixtes, et par le commandant de cercle ou d'annexe, ou un officier délégué par lui, dans les communes indigènes. L'instituteur chargé de la direction de l'école est convoqué aux séances, et remplit l'office de secrétaire avec voix consultative. (Même décret, articles 5 à 8.)

Les Commissions scolaires ont mission, sous le contrôle de l'inspecteur primaire, de dresser la liste des enfants d'âge scolaire et de se concerter sur les meilleurs moyens d'assurer la fréquentation de l'école. Elles se réunissent à des époques déterminées par le préfet, sur la proposition de l'inspecteur d'académie, suivant les besoins locaux. (Même décret, articles 8 et 10.)

Les écoles destinées aux indigènes se divisent en trois catégories, savoir :

Principales, comprenant au moins trois classes et ayant à leur tète un directeur français ;

Elémentaires, comprenant moins de trois classes et ayant à leur tête un instituteur français ;

Préparatoires, comprenant une seule classe et confiées à des adjoints indigènes ou, provisoirement, à des moniteurs.

Les écoles préparatoires sont placées sous la surveillance des directeurs d'écoles principales ou des instituteurs d'écoles élémentaires situées dans le voisinage.

Dans toutes les écoles fréquentées principalement par des indigènes, l'enseignement est donne suivant des programmes spéciaux, approuvés par le ministre de l'instruction publique. Les livres, cartes et images à mettre en usage dans les écoles sont choisis par le recteur, sur la proposition des inspecteurs d'académie.

L'agriculture pratique et le travail manuel sont enseignés dans toutes les écoles. Des cours d'apprentissage, confiés à des maîtres ouvriers, peuvent être annexés aux écoles principales ; ils sont alors placés sous la surveillance des directeurs de ces écoles.

Des écoles enfantines ouvertes aux enfants des deux sexes, et des écoles de filles, sont établies dans les centres européens ou indigènes, lorsqu'elles sont demandées par l'autorité locale, d'accord avec la majorité des membres musulmans de l'assemblée municipale.

Dans les écoles de tilles, les élèves consacrent la moitié du temps des classes à la pratique des travaux d'aiguille et des soins de ménage. Les écoles enfantines et les écoles de filles sont confiées, soit à des institutrices françaises, ou aux femmes, soeurs, filles ou mères des instituteurs français, soit à des monitrices ou adjointes indigènes, placées sous la surveillance des institutrices françaises les plus rapprochées.

Par délégation du ministre de l'instruction publique, le gouverneur général a la haute direction du service de l'enseignement des indigènes, pour tout ce qui concerne les créations d'écoles et d'emplois, la répartition des écoles, la construction des locaux scolaires et l'emploi des crédits inscrits au budget pour les traitements, allocations ou indemnités au personnel. Il statue sur la proposition du recteur de l'académie. (Décret du 18 octobre 1892, articles 13 à 21.)

Le gouverneur fixe lui-même le montant de la subvention à allouer aux communes pour construction d'écoles d'indigènes, dans les limites de 40 à 80 % de la dépense normale, sans être astreint à l'application du barême établi pour les écoles d'Européens (Art. 68 de la loi de finances du 26 janvier 1892, et art. 3 du décret du 29 avril 1892).

Pour ce qui concerne la création et l'organisation des écoles primaires publiques destinées aux indigènes, le Conseil de gouvernement possède les attributions conférées aux Conseils départementaux par l'art. 13 de la loi du 30 octobre 1886. Toutefois ceux-ci doivent être préalablement consultés. (Décret du 18 octobre 1892, art. 21.)

La procédure suivie pour la création et la suppression d'écoles et d'emplois est analogue à celle qui est en vigueur pour les établissements de la métropole.

Quelques différences sont à signaler en ce qui regarde les obligations des communes. C'est ainsi qu'aucun projet d'installation d'école n'est approuvé s il ne comprend le logement de chacun des maîtres français ou indigènes attachés à cette école, ainsi que leur mobilier personnel. En fait, le mobilier personnel a cessé d'être fourni dans les centres européens, où les instituteurs des écoles d'Européens ne jouissent pas de cette faveur. L'entretien du mobilier scolaire et du mobilier personnel des maîtres constitue une dépense obligatoire pour la commune.

Les maîtres français des écoles indigènes, instituteurs et institutrices, sont divisés en stagiaires et titulaires. Les prescriptions de la loi du 30 octobre 1886 relatives à l'admissibilité aux fonctions de l'enseignement leur sont applicables. Ils ne peuvent être nommés titulaires que dans les conditions prescrites par ladite loi. (Décret du 18 octobre 1892, art. 29.)

Les titulaires sont répartis en trois classes, suivant les règles de classement et d'avancement établies pour le personnel des écoles destinées aux Européens. Toutefois la proportion des promotions au choix est calculée, dans chaque classe, sur le nombre des maîtres remplissant les conditions requises pour obtenir une promotion au choix. (Décret du 15 décembre 1906, art. 30.) — Voir Classement et avancement.

Un tableau de classement unique est dressé pour l'ensemble des trois départements de l'Algérie.

Les traitements des titulaires sont fixes ainsi qu'il suit :

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Les titulaires chargés de la direction d'une école de plus de deux classes et de plus de quatre classes jouissent des suppléments de traitement fixés à l'art. 8 de la loi du 19 juillet 1889.

Dans les écoles qui comprennent une classe d'enseignement primaire supérieur dite « cours complémentaire », le maître chargé de cette classe reçoit un supplément de traitement de 200 francs.

Les instituteurs ou institutrices qui, chargés d'un cours d'apprentissage ou d'un ouvroir comprenant l'enseignement des travaux artistiques indigènes, possèdent le certificat d'aptitude à l'enseignement du travail manuel dans les écoles normales et les écoles primaires supérieures, reçoivent aussi un supplément de traitement de '200 francs, soumis aux retenues pour la caisse des pensions civiles. Au bout de dix ans, ce supplément peut être porté à 500 francs. Ces instituteurs ou institutrices reçoivent en outre l'indemnité de résidence des maîtres chargés d'un cours complémentaire.

Le traitement des instituteurs et des institutrices stagiaires est de 1500 francs par an.

A défaut de titulaires, des stagiaires peuvent être temporairement délégués à la tête d'une école. Ils ne reçoivent, pendant la durée de cette délégation, que le traitement normal des stagiaires.

Les instituteurs français des écoles indigènes situées dans les centres européens des communes de plein exercice reçoivent, sur les fonds communaux, les mêmes indemnités de résidence que les instituteurs des écoles destinées aux Européens.

Les titulaires et stagiaires français qui exercent dans des communes mixtes, dans des communes indigènes, et dans des localités indigènes des communes de plein exercice, reçoivent, sur le budget de l'Algérie, suivant l'importance du poste et la difficulté des approvisionnements, des indemnités spéciales tenant lieu d'indemnités de résidence, et fixées, sur la proposition du recteur, par arrêté du gouverneur général. (Décret du 18 octobre 1892, articles 30 à 35, modifiés par le décret du 15 décembre 1906.)

Les instituteurs français placés à la tête des écoles principales ou élémentaires reçoivent en outre une indemnité annuelle de 100 francs par école préparatoire soumise à leur surveillance.

La même disposition est applicable aux institutrices françaises chargées de la surveillance d'écoles enfantines ou d'écoles de filles dirigées par des maîtresses indigènes.

Les instituteurs français des écoles indigènes jouissent des mêmes primes et allocations que les autres instituteurs publics de l'Algérie, et obtiennent dans les mêmes conditions des récompenses et distinctions honorifiques. (Décret du 18 octobre 1892, articles 36 et 37.)

Tout titulaire qui passe des écoles indigènes dans les écoles européennes, ou inversement, est rangé dans la classe correspondante à celle où il était placé, et n'a droit qu'au traitement de cette classe.

Tout stagiaire qui, soit d'office, soit sur sa demande, est nommé dans une école européenne, n'a droit qu'au traitement règlementaire attaché à ses nouvelles fonctions.

Les adjoints et adjointes indigènes sont soumis aux mêmes conditions de capacité que les adjoints français stagiaires. Ils sont répartis en quatre classes, dans chacune desquelles les traitements sont fixés ainsi qu'il suit :

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Des indemnités spéciales de résidence, fixées, dans les limites de 100 à 200 francs, par le gouverneur général sur la proposition du recteur, sont allouées, sur les fonds du budget de l'Algérie, aux adjoints et aux adjointes indigènes exerçant dans les villes importantes ou dans certaines localités des territoires du Sud et des hauts plateaux où la vie est particulièrement chère.

Les adjoints et adjointes indigènes sont promus à l'ancienneté de classe et au choix dans les mêmes conditions que les instituteurs français. Ils peuvent également recevoir des récompenses et des distinctions honorifiques.

Un adjoint indigène remplissant les conditions règlementaires de stage et de capacité peut être nommé titulaire, mais il doit s'être préalablement fait naturaliser Français.

Les monitrices françaises, les moniteurs et monitrices indigènes, doivent être pourvus du certificat d'études primaires et âgés de seize ans au moins. Ils reçoivent une indemnité fixe annuelle de 800 francs, pouvant s'élever, par augmentations successives de 100 francs tous les deux ans, jusqu'à 1200 francs. Cette indemnité n'est pas passible de retenue pour pensions civiles.

Ceux qui exercent dans certaines localités des territoires du Sud et des hauts plateaux peuvent recevoir, comme les adjoints indigènes et les adjointes, une indemnité spéciale de résidence. (Décret du 18 octobre 1892, articles 38, 39 et 40, modifiés par le décret du 15 décembre 1906.)

Les maîtres et maîtresses des écoles indigènes, titulaires et stagiaires, adjoints et adjointes, français ou indigènes, sont nommés ou délégués par le recteur.

Les peines disciplinaires prévues par la loi du 30 octobre 1886 à l'égard des instituteurs de la métropole sont applicables, dans les mêmes conditions, aux instituteurs français, ainsi qu'aux adjoints indigènes.

Les peines disciplinaires applicables aux moniteurs et monitrices indigènes sont la réprimande, la suspension avec privation de traitement, pour un temps dont la durée ne pourra excéder six mois, et la révocation.

La réprimande est prononcée par l'inspecteur d'académie, la suspension et la révocation par le recteur, sur la proposition de l'inspecteur d'académie.

En ce qui concerne le maintien de l'ordre public, les écoles publiques spécialement destinées aux indigènes sont soumises à, la surveillance du gouverneur général de l'Algérie, qui peut suspendre les instituteurs placés à la tête de ces écoles ou les adjoints et moniteurs qui y sont attachés. (Décret du 18 octobre 1892, articles 41, 42 et 43.)

Inspection. — L'inspection des écoles primaires publiques ou privées spécialement destinées aux indigènes est exercée :

1° Par les inspecteurs généraux de l'instruction publique ;

2° Par le recteur et les inspecteurs d'académie ;

3° Par les inspecteurs de l'enseignement primaire des indigènes et les délégués à cette inspection ;

4° Par le maire, l'administrateur ou le commandant de cercle, chargés de veiller à ce que les enfants inscrits sur les listes dressées par les commissions scolaires aillent régulièrement à l'école ;

5° Au point de vue médical, par les médecins-inspecteurs communaux ou départementaux.

Nul ne peut être nommé inspecteur de l'enseignement primaire des indigènes s'il n'est pourvu du certificat d'aptitude à cette inspection, obtenu à la suite d'un examen spécial subi à Alger devant une commission présidée par le recteur, d'après un programme analogue à celui du certificat d'aptitude à l'inspection primaire déterminé par le règlement organique du 18 janvier 1887.

Tout candidat à cet examen doit être Français, âgé de vingt-cinq ans au moins, et avoir fait un stage de deux années en qualité de délégué à l'inspection de l'enseignement des indigènes.

Les délégués à l'inspection sont désignés par le ministre, sur la proposition du recteur d'Alger, et choisis soit parmi les maîtres adjoints des cours normaux, soit parmi les directeurs d'école indigène, anciens élèves de la section spéciale de l'école normale d'Alger, ou comptant au moins cinq années d'exercice dans l'enseignement des indigènes et possédant une connaissance suffisante de la langue arabe et de la langue kabyle.

Les inspecteurs primaires en exercice qui postulent le certificat spécial dont il est question ci-dessus sont dispensés du stage et d'une partie de l'examen. Ils doivent seulement justifier devant la commission d'une connaissance suffisante de la pédagogie des écoles indigènes, de la langue arabe, de la langue kabyle, et des moeurs et coutumes des indigènes. (Décret du 18 octobre 1892, articles 57, 58 et 59.)

Le traitement des délégués à l'inspection est fixé à 3500 francs.

Les inspecteurs de l'enseignement primaire des indigènes sont répartis en quatre classes, dont les traitements sont fixés ainsi qu'il suit :

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Les délégués à l'inspection et les inspecteurs reçoivent, en outre, à titre d’indemnité spéciale de résidence non soumise à retenue, une indemnité égale au quart du traitement afférent à leur classe personnelle. (Décret du 18 octobre 1892, art. 60, modifié par le décret du 15 décembre 1906.)

La classe est attachée à la personne et non à la résidence. Nul ne peut obtenir une promotion de classe qu'après trois années au moins passées dans la classe inférieure.

Les promotions sont accordées au 1er janvier, sur la proposition du recteur, après avis conforme des inspecteurs généraux.

Indépendamment du traitement qui leur est alloué, les inspecteurs et les délégués ont droit à une indemnité dite départementale qui ne peut être inférieure à 200 francs.

Placés sous l'autorité immédiate de l'inspecteur d'académie, les délégués et les inspecteurs ne reçoivent d'instructions que de lui, ou du recteur, des inspecteurs généraux et du ministre. (Décret du 18 octobre 1892, articles 61, 62 et 63.)

Ils exercent leurs attributions dans les mêmes conditions que les inspecteurs primaires de la métropole (Voir Inspecteurs de l'enseignement primaire). Un inspecteur de l'enseignement primaire des indigènes est mis à la disposition du recteur pour l'organisation de cet enseignement. Il conserve le traitement de sa classe et prend le titre d'inspecteur principal. Il peut être envoyé en mission dans les trois départements pour instruire, de concert avec l'inspecteur de la circonscription, les projets de création et de construction d'écoles, les affaires concernant les rapports des instituteurs avec la population indigène ou avec l'autorité municipale, pour inspecter les écoles publiques indigènes désignées par le recteur, et pour visiter des écoles privées.

Les inspecteurs de l'enseignement primaire des indigènes reçoivent, pour frais de tournée, une indemnité calculée à raison de 10 francs par jour en sus de leurs frais de transport. (Même décret, articles 65 et 66.)

Ecoles privées. — Les écoles privées fondées par des Européens et destinées à donner l'instruction primaire aux indigènes doivent satisfaire aux prescriptions édictées par la loi du 30 octobre 1886 pour les écoles privées ordinaires : Voir Privées (Ecoles). Elles ne peuvent être ouvertes qu'en vertu d'une autorisation spéciale du gouverneur général.

Elles sont placées sous la surveillance règlementaire des autorités scolaires et, en outre, sous la surveillance spéciale du gouverneur général, qui peut les faire fermer dans l'intérêt de l'ordre public.

Les cours d'adultes portant sur une ou plusieurs des matières de L'enseignement primaire sont assimilés aux écoles.

Les écoles privées musulmanes dites écoles coraniques (m'cid, zaouias, kouttabs), et les écoles privées israéliles dites midrashim, sont soumises à la surveillance et à l'inspection des autorités énumérées par la loi du 30 octobre 1886 : Voir Autorités scolaires.

Cette inspection porte exclusivement sur la moralité, l'hygiène, la salubrité, et sur l'accomplissement des obligations énumérées ci-dessous. Elle ne peut porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il n'est pas séditieux, ou contraire à la constitution, aux lois et à la morale publique.

Aucune école privée ne peut être ouverte avant que le choix du local n'ait été approuvé par le maire, 1 administrateur ou le commandant de cercle ou d'annexe.

La fermeture de ces écoles par mesure de police générale peut, comme nous l'avons dit, être prononcée par le gouverneur général et, en cas d'urgence, par le préfet ou le général commandant la division, sauf approbation ultérieure du gouverneur général.

Aucun maître musulman ou israélite ne peut prendre la direction d'une des écoles dont il s'agit sans une autorisation du préfet, en territoire civil, ou du général commandant la division, en territoire militaire.

Cette autorisation n'est accordée qu'après avis de l'inspecteur d'académie et de l'autorité municipale de la commune où l'école doit s'ouvrir, et sur le vu d'un certificat délivré par le maire, l'administrateur ou le commandant de cercle de la dernière résidence du postulant, constatant qu'il est citoyen ou sujet français et de bonne vie et moeurs. Le postulant doit produire, en outre, un extrait de son casier judiciaire et l'indication des localités où il a déjà enseigné, ou bien, s'il débute, l'indication des écoles dont il a été l'élève.

Le maître de chaque école tient, en français, un registre sur lequel sont inscrits les noms des élèves, la date de leur naissance, l'époque de leur entrée à l'école, le nom et le domicile de leur père.

Les châtiments corporels sont interdits. Les locaux doivent être aérés et tenus en état de propreté. Les enfants atteints d'une maladie contagieuse doivent être provisoirement éloignés de l'école. Tous les élèves n'ayant pas eu la petite-vérole doivent être vaccinés.

En cas de faute grave dans l'exercice de ses fonctions, d'inconduite ou d'immoralité, le maître placé à la tête de l'école peut, sur la proposition de l'inspecteur d'académie, ou sur celle de l'autorité municipale après avis de l'inspecteur d'académie, se voir retirer à temps ou à toujours l'autorisation d'enseigner par le préfet ou le général commandant la division.

Dans toute localité, chef-lieu ou fraction de commune, soumise à l'obligation, où se trouve, à une dis tance ne dépassant pas 3 kilomètres, une école primaire publique de garçons, les écoles privées destinées aux indigènes ne peuvent recevoir d'enfants d'âge scolaire pendant les heures de classe de l'école publique. (Décret du 18 octobre 1892, articles 47 à 56.)

[A. WISSEMANS.]

L'enseignement en Algérie. — Etat actuel et statistique. — L'instruction publique de l'Algérie comprend les trois ordres d'enseignement :

L'enseignement supérieur, représenté par les Ecoles de droit, de médecine, des sciences et des lettres d'Alger ;

L'enseignement secondaire, représenté par le lycée d'Alger avec ses deux annexes de Mustapha et de Ben-Aknoun, les lycées de Constantine et d'Oran, les collèges de Blida, de Médéa, de Sétif, de Philippeville, de Bône, de Mostaganem et de Tlemcen, les collèges de jeunes filles d'Oran et de Constantine, et les cours secondaires de Bône et de Philippeville: il faut y ajouter l'école secondaire subventionnée de jeunes filles de la Ligue de l'enseignement d'Alger, qui compte plus de 450 élèves ;

L'enseignement primaire, avec ses écoles normales et ses cours normaux, ses écoles primaires supérieures et ses cours complémentaires, ses écoles primaires d'Européens et d'indigènes, dont l'organisation et le caractère seront l'objet principal de cet article.

Le groupe des écoles supérieures d'Alger, créé par la loi du 20 décembre 1879, a fait preuve de vitalité. L'Ecole de droit compte jusqu'à 600 élèves, se préparant soit à la licence, soit aux certificats d'études de législation algérienne et de droit musulman. L'Ecole de médecine est devenue école de plein exercice, et forme des docteurs spécialement préparés à la connaissance des particularités de la pathologie de l'Afrique du Nord, mais elle n'a pas le droit de faire subir les derniers examens ni la soutenance de la thèse. Depuis 1905 il a été organisé à cette école une préparation d'auxiliaires médicaux indigènes ; on y compte quelques jeunes Marocains entretenus par le ; Comité de patronage des étudiants étrangers.

Les Ecoles des sciences et des lettres donnent l'enseignement des principales licences, lettres, histoire, allemand et anglais, sciences physiques et naturelles, mais elles ne sont pas autorisées à faire subir les examens qui s'y rapportent. L'Ecole des lettres confère toutefois le diplôme d'études historiques et les brevets et diplômes spéciaux d'arabe, de kabyle, de dialectes berbères. L'Ecole des sciences peut conférer un certificat de sciences appliquées à l'agriculture et aux industries agricoles. Une préparation au professorat des écoles normales et des écoles primaires supérieures est organisée dans les deux Ecoles.

Un projet de transformation des écoles supérieures d'Alger en université, voté par les assemblées financières de l'Algérie en 1907, est actuellement à l'étude.

L'enseignement secondaire est en faveur auprès des familles algériennes. Il compte plus de 4000 élèves, proportion considérable par rapport à la population française qui presque seule alimente les lycées et collèges de l'Algérie, et qui, au dénombrement de 1906, ne s'élevait qu'à 449 420 habitants, c'est-à-dire à peu près le chiffre d'un département de la métropole. Il faut remarquer que, jusqu'en ces derniers temps, l'enseignement secondaire offrait à peu près seul aux familles algériennes le complément d'instruction qu'elles pouvaient désirer. Les écoles primaires supérieures sont récentes, et ne sont encore qu'au nombre de cinq. Les écoles professionnelles sont très rares : on ne compte qu'une école de commerce à Alger, une école d'agriculture à Maison-Carrée, une école d'horticulture à Philippeville, une école d'apprentissage à Dellys, et ces écoles ne sont pas toutes très fréquentées.

Mais la situation va changer, les délégations financières algériennes ayant voté, à partir de 1908, les crédits nécessaires pour la création et la construction, dans un délai de cinq ans, de 25 écoles primaires supérieures de garçons et de filles, qui toutes devront comprendre, à côté de l'enseignement général, un enseignement agricole, commercial ou industriel adapté aux besoins des diverses régions.

Les assemblées financières algériennes, fidèles aux traditions du pays, qui a toujours été favorable aux progrès de l'enseignement, ne reculent devant aucun sacrifice pour le développement de l'instruction publique. Dans un laps de sept ans, de 1901 à 1908, elles ont élevé le budget de ce service de 6 millions à 10 millions.

Les indigènes musulmans profitent de toutes les institutions d'enseignement : cinq ou six se préparent actuellement au doctorat en médecine ou à la licence en droit ; 129 suivent les classes des lycées ou des collèges ; mais on n'en compte presque pas, jusqu'à présent, dans les écoles primaires supérieures, pas plus, d'ailleurs, que dans les écoles professionnelles.

Ils possèdent une institution spéciale, celle des médersas, où ils entrent en qualité de boursiers, à la suite d'un concours, après avoir obtenu le certificat d'études primaires. Les médersas sont au nombre de trois, celles d'Alger, de Constantine et de Tlemcen. Elles comprennent chacune quatre années d'études arabes et françaises, mais celle d'Alger possède en outre une division supérieure comportant une 5me et une 6me année d'études, où sont admis ceux qui ont fait preuve des aptitudes nécessaires dans la division inférieure des trois médersas.

Les médersas sont destinées, en principe, à préparer aux fonctions du culte musulman et de l'enseignement des mosquées, comme à celles de la justice musulmane. En fait, elles ne fournissent guère de candidats qu'à la justice. Les élèves formés par elles ne recherchent pas les emplois du culte. Mais quelques-uns deviennent professeurs de mosquée, ou mouderrès, fonctions qui, d'ailleurs, en vertu de la loi de séparation, appartiendront désormais à l'enseignement, et non plus au culte.

Les élèves des médersas ont été au nombre de 219 pendant l'année 1906-1907, savoir : 60 à Constantine, 57 à Tlemcen et 102 à Alger.

L'enseignement public de l'Algérie, placé sous l'autorité du ministre de l'instruction publique par des ordonnances et arrêtés du pouvoir exécutif de 1848, maintenu sous cette autorité par le décret du 15 août 1875, et, en ce qui concerne spécialement l'enseignement primaire des Européens comme des indigènes, par la loi du 18 octobre 1886, dépend toujours du ministre de l'instruction publique.

L'instruction publique musulmane, qui ne comprend que les médersas, et l'instruction privée musulmane, qui comprend les écoles coraniques (zaouias, m'cids, kouttabs), sont seules placées sous l'autorité du gouverneur général par le décret du 23 août 1898.

Le recteur de l'académie d'Alger a les mêmes attributions que ses collègues de la métropole ; il possède en outre le droit de nomination du personnel de l'enseignement primaire, qui n'a jamais appartenu aux préfets en Algérie.

Il administre les médersas sous l'autorité du gouverneur général.

ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. — Actuellement, chaque département possède son inspecteur d'académie comme en France. Le département d'Alger compte trois inspecteurs primaires, deux à Alger et un à Blida, et en outre deux inspecteurs spéciaux de l'enseignement des indigènes. Le département de Constantine possède aussi trois inspecteurs primaires, deux à Constantine et un à Bône, et deux inspecteurs spéciaux de l'enseignement des indigènes. Enfin le département d'Oran compte quatre inspecteurs primaires, un à Oran, un à Mostaganem, un à Sidi-bél-Abbès et un à Mascara, chargés de l'enseignement des indigènes comme de celui des Européens. Mais le budget algérien de 1909 comporte les crédits nécessaires pour la création de deux nouveaux emplois d'inspecteur primaire, dont l'un pour l'enseignement des indigènes du département d'Oran.

Les écoles normales sont maintenant au nombre de cinq, deux pour les instituteurs, à la Bonzaréa près d'Alger et à Constantine, et trois pour les institutrices, à Miliana (Alger), à Oran et à Constantine. Chaque département possède ainsi ses deux écoles normales, sauf celui d'Oran qui reste dépourvu, jusqu'à présent, d'une école normale d'instituteurs. Ces écoles sont organisées comme celles de la métropole ; mais l'école normale de la Bouzaréa comprend en outre un cours normal, destiné à préparer des instituteurs adjoints arabes ou kabyles pour les écoles d'indigènes, et une section spéciale, où des instituteurs français sont particulièrement formés pendant une année à la pratique de l'enseignement des indigènes. C'est un établissement d'une importance considérable, puisqu'il reçoit 175 élèves (25 pour chacune des trois années de l'école française, 20 pour chacune des quatre années du cours normal, et 20 pour la section spéciale). L'école normale d'instituteurs de Constantine doit aussi être agrandie de façon à recevoir 20 élèves par promotion ; les trois écoles normales d'institutrices en recevront chacune 25 par promotion à dater de 1909.

Ce recrutement est entièrement assuré dans la colonie pour ce qui concerne les aspirantes. Il l'est presque entièrement aussi pour les aspirants. Mais lorsque quelques places restent vacantes, et que l'administration est obligée de faire appel à la métropole, elle y trouve facilement des candidats.

L'effectif des écoles normales de l'Algérie est composé en grande majorité de Français d'origine ; les étrangers ou israélites naturalisés y sont très rares ; mais ce ne sont pas les éléments les plus mauvais ; quelques-uns même sont devenus des maîtres d'élite et des Français de coeur comme les autres. Plusieurs indigènes musulmans sont entrés aussi par la voie régulière du concours dans les écoles normales, et en sont sortis dans un très bon rang, munis du brevet supérieur.

La première école primaire supérieure de l'Algérie a été celle de garçons de Sidi-bel-Abbès (Oran), vers 1882. Sont venues ensuite celles de garçons et de filles de Constantine, en 1885 ; enfin celle de garçons de Boufarik (Alger) et celle de filles de Blida (Alger), en 1903 et 1904. Toutes sont prospères, toutes ont réclamé des agrandissements pour pouvoir recevoir les nombreux élèves qui se présentaient. Les écoles primaires supérieures ont un succès assuré en Algérie. Unissant aux connaissances générales une instruction pratique et professionnelle adaptée aux besoins particuliers des différentes régions, elles conviennent admirablement à un pays neuf où une population intelligente, entreprenante, réalise un progrès économique rapide.

Les assemblées financières algériennes, ainsi qu'il a été dit plus haut, ont voté les crédits nécessaires pour la création, la construction et le fonctionnement de 25 nouvelles écoles primaires supérieures de garçons et de filles, dans un délai de cinq ans, à partir de 1908. Pour faciliter la tâche des communes, elles ont proposé une loi, qui a été adoptée, d'après laquelle le budget de l'Algérie prendra à sa charge 80 % de la dépense de construction et d'installation reconnue nécessaire par le gouvernement général. Les maîtres ouvriers et tout le personnel de l'enseignement professionnel seront rétribués sur ce même budget. Enfin, si les communes restent chargées des fournitures de matériel et de matières premières, elles perçoivent pour cet objet une redevance payée par le directeur ou la directrice, à raison de 50 à 100 fr. par élève interne.

Les communes s'empresseront de profiter de ces conditions avantageuses. Déjà celles d'Alger, d'Oran, de Miliana, de Mostaganem, de Philippeville, de Sétif, de Guelma, ont présenté ou préparé des projets qui ne tarderont pas à être exécutés.

Vingt-cinq cours complémentaires (15 pour les garçons, 10 pour les filles), dont quelques-uns avec internat, ont fonctionné pendant l'année scolaire 1906-1907, et préparent la voie aux écoles primaires supérieures. Cinq de ces cours (Alger, Constantine, Tizi-Ouzou, Médea, Tlemcen) sont spéciaux aux indigènes et destinés à les préparer au cours normal, aux médersas, aux études de l'auxiliariat médical, au commerce, etc. Ils reçoivent des boursiers qui ont obtenu le certificat d'études dans les écoles rurales, et qui, moyennant une somme de 250 francs que leur alloue le gouvernement général sur la proposition du recteur, peuvent se loger et se nourrir dans la ville où existe le cours complémentaire indigène.

Mais il n'y aura pas d'écoles primaires supérieures spéciales aux indigènes, pas plus qu'il n'y a de collèges spéciaux, depuis que l'amiral de Gueydon a fait supprimer les collèges arabes-français d'Alger et de Constantine. On pense avec raison que pour préparer un rapprochement entre Français et Arabes ou Kabyles, le meilleur moyen est de leur donner l'éducation en commun lorsque rien ne s'y oppose.

Ecoles primaires d'Européens. — L'idéal serait de n'avoir en Algérie qu'une seule espèce d'écoles primaires publiques, où seraient élevés en commun les enfants de toutes les races et de tous les cultes. Cet idéal est maintenant réalisé en ce qui concerne les Français, les étrangers d'origine européenne, et les israélites, qu'ils soient d'origine française ou d'origine algérienne ou naturalisés. Il ne l'est qu'en partie pour ce qui regarde les indigènes musulmans.

Un certain nombre de garçons et de fillettes arabes ou kabyles fréquentent les écoles ordinaires des centres français, qui, d'ailleurs, leur sont légalement ouvertes. Mais dans les tribus, où il n'existe pas d'Européens, on a dû créer des écoles spécialement destinées aux enfants indigènes. On a dû en créer même dans les centres français, particulièrement dans les villes, soit sur le désir des populations, soit surtout parce que l'instruction des indigènes exigeait des programmes mieux adaptés à leurs besoins et des méthodes particulières. Mais si la séparation existe, elle n'est pas absolue. De même que les élèves indigènes sont admis dans les écoles d'Européens, lorsqu'ils désirent les fréquenter, de même aussi les enfants européens sont reçus dans les écoles indigènes lorsqu'ils s'y présentent.

Il existe même dans un grand nombre de localités un système mixte qui offre des avantages : une ou plusieurs classes spéciales d'indigènes sont annexées à une école d'Européens, et, lorsque les jeunes Arabes y ont appris la langue française et y ont acquis une instruction préparatoire d'après des méthodes appropriées, ils sont admis à passer dans les classes d'Européens, où ils complètent leur éducation, mélangés aux jeunes Français.

Occupons-nous d'abord des écoles d'Européens ; nous exposerons ensuite l'organisation des écoles d'indigènes.

Les écoles primaires d'Européens de l'Algérie ont les mêmes programmes que celles des départements français, parce qu'il importe que les petits Français de l'Algérie reçoivent les mêmes éléments de culture générale que leurs camarades de la métropole. Toutefois les instituteurs sont invités à faire une part assez large à l'histoire et à la géographie de l'Algérie, sans négliger, bien entendu, l'histoire et la géographie de la France. Ils enseignent avant tout la langue française ; cependant ils ont le devoir d'enseigner aussi à parler la langue arabe usuelle, afin de faciliter les relations entre Français et indigènes.

En Algérie comme en France on s'efforce de donner, dans les écoles rurales, des notions d'agriculture ; on commence à donner, dans les écoles de filles, une éducation ménagère pratique ; enfin les instituteurs des localités du littoral essaient d'enseigner les éléments de la pêche maritime.

Les écoles sont facilement fréquentées. Les familles françaises apprécient l'instruction ; les familles israélites la recherchent avec ardeur ; les étrangers mêmes, Italiens ou Espagnols, entraînés par notre exemple et par le désir de ne pas rester inférieurs à nous, envoient leurs enfants à l'école avec un empressement qu'ils sont loin de manifester dans leur propre pays.

Il y a cependant des abstentions, dues en partie à l'insouciance de quelques étrangers, et surtout à l'insuffisance des locaux scolaires.

D'après le recensement de 1906, la population française ou européenne de l'Algérie comprend 449 420 Français, 64 645 Israélites naturalises et 166 198 étrangers.

La proportion des enfants d'âge scolaire par rapport à la population est en moyenne de 16 % pour les Européens (Français ou étrangers) et de 18 % pour les indigènes (israélites ou musulmans). Le nombre des enfants algériens d'âge scolaire, non compris les musulmans, peut ainsi être évalué à 110 000. Or, sur ce chiffre, 90 000 environ ont fréquenté les écoles publiques et privées en 1906-1907, plus environ 12 000 en dehors de l'âge scolaire. Il faut en conclure que 20 000 enfants de six à treize ans ne vont pas à l'école. Si l'on déduit de ce chiffre celui des malades et des infirmes, on peut affirmer que 10 000 enfants français ou européens, qui pourraient fréquenter les écoles si leurs parents les y envoyaient et si la place n'y faisait pas défaut, ne les fréquentent pas.

L'écart entre le chiffre des enfants de six à treize ans et celui de l'effectif scolaire avait frappé, il y a quelques années, les délégations financières algériennes. Un des premiers usages qu'elles ont fait de leur autonomie budgétaire a été de voter les sacrifices nécessaires pour mettre les écoles primaires en état de recevoir toute la population enfantine européenne. Les crédits inscrits au budget jusqu'en 1901 ne permettaient la création et la construction que de 38 classes par an. Les délégations ont augmenté ce chiffre de 75 à dater de 1903, et ont décidé que cette augmentation serait maintenue pendant une période de cinq ans. Cette période expire en 1908, mais, comme le nombre des écoles est encore inférieur aux besoins, il est probable qu'après nouvel examen les assemblées financières algériennes s'empresseront de voter encore les crédits nécessaires.

Le nombre total des écoles primaires publiques d'Européens a été, en 1906-1907, de 955, dont 318 de garçons, 326 de filles, et 311 mixtes ;

Celui des écoles privées, de 112, dont 25 de garçons (11 laïques, 14 congréganistes), 78 de filles (15 laïques, 63 congréganistes) et 9 mixtes (toutes laïques) ;

Celui des écoles maternelles, de 128, dont 83 publiques laïques et 45 privées congréganistes.

Les écoles primaires et maternelles, publiques ou privées, destinées aux Européens, comptaient 2799 classes.

L'oeuvre de l'école se prolonge, en Algérie, comme dans la métropole, par l'action d'associations qui font preuve d'une initiative heureuse sous les formes les plus variées, telles que celles de Ligues de l'enseignement, de sociétés de lecture, de sociétés d'anciens élèves, de patronages scolaires, d'universités populaires, etc. Sur ces associations se greffent, d'autres oeuvres dont l'utilité est de plus en plus appréciée, les cantines scolaires, les sociétés de tir, de gymnastique, de protection des animaux, des amis de l'arbre ; les bibliothèques pédagogiques et les bibliothèques scolaires fonctionnent avec activité, les caisses d'épargne et les mutualités scolaires se multiplient ; les cours et conférences d'adultes s'adaptent aux besoins des diverses localités.

Les instituteurs et institutrices sont les principaux promoteurs de cette activité intellectuelle et sociale, et le dévouement dont ils font preuve leur gagne l'estime et la sympathie de tous.

Ecoles primaires d'indigènes. — Nous désignons sous ce nom les écoles spéciales instituées, soit dans les villes, soit dans les douars (sections indigènes des communes rurales, tribus ou fractions de tribus), pour donner, en français, aux élèves indigènes, une instruction primaire élémentaire adaptée à leurs besoins.

Il existe bien aussi en Algérie une sorte d'enseignement musulman, qui s'est maintenu à peu près tel qu'il était avant la conquête. On comptait à cette époque, au degré inférieur, un grand nombre de petites écoles coraniques, appelées m'cids, mektebs, kouttabs, où des enfants reunis sous la surveillance d'un moueddeb (instituteur) ou d'un taleb (savant) apprenaient à écrire sur des planchettes de bois les versets du Coran, à les lire et à les réciter. A un degré plus élevé, il y avait l'enseignement des zaouias (espèces de monastères), des médersas (écoles musulmanes supérieures), et celui des mosquées, où la grammaire, la littérature arabe, le droit musulman, a théologie, venaient s'ajouter sous une forme plus ou moins élémentaire ou plus ou moins complète à l'enseignement du Coran. Toutes ces écoles, où le caractère religieux était prépondérant, étaient entretenues par la générosité des fidèles, au moyen de fondations pieuses, des revenus des biens habbous.

Elles ont subsisté après la conquête, mais, les biens habbous ayant été incorporés au domaine de l'Etat, le gouvernement français s'est chargé de l'entretien des principales écoles musulmanes. A ce titre, il rétribue le personnel enseignant des mosquées (les mouderrès) et celui des trois grandes médersas d'Alger, de Tlemcen et de Constantine, qui sont devenues des établissements officiels, dirigés, administrés et entretenus par le gouvernement général de l'Algérie. Quant aux petites écoles coraniques, elles sont d'ordre privé ; le taleb ou moueddeb, placé à la tête de chacune d'elles, est rétribué par les parents des élèves ; l'autorité n'intervient que pour éliminer certains maîtres, fermer certaines écoles au point de vue de la police. Les petites écoles coraniques sont encore actuellement au nombre de près de deux mille. Les tolba (pluriel de taleb) qui les dirigent sont peu favorables, en général, à l'action française ; aussi est-il question de modilier leur recrutement et de les rattacher plus étroitement à l'enseignement des professeurs de mosquée (mouderrès) et à celui qu'on reçoit dans les médersas, c'est-à-dire à l'enseignement officiel musulman.

Le développement de l'instruction française des indigènes a présenté, depuis la conquête jusqu'à présent, trois périodes distinctes :

1° De 1830 à 1880, les généraux et commandants militaires procèdent à des essais peu méthodiques, mais qui dénotent beaucoup de bon vouloir et qui parfois donnent de bons résultats, comme les écoles de Colombo à Biskra, de Depeilhe à Alger et, plus tard, de Delord à Oran, de Destrées à Mostaganem, de Décieux à Tlemcen. C'est l'époque des écoles arabes-françaises et aussi des collèges arabes-français d'Alger et de Constantine. A la fin de l'empire, on comptait 66 de ces écoles, L'insurrection de 18 1 marqua leur déclin ; en 1880, il n'en subsistait plus que 16. D'autre part, les collèges arabes-français avaient été supprimés en 1872.

2° De 1880 à 1892, le gouvernement métropolitain se préoccupe de développer l'enseignement des indigènes. En 1880, après les missions de Masqueray en Kabylie, Jules Ferry, dans une lettre au gouverneur, M. Tirman, signale la nécessité de faire plus d'efforts pour instruire tout d'abord les Kabyles. Il fait construire aux frais de l'Etat les quatre grandes écoles de Djamaâ-Saharidj, Tizi-Rached, Mira et Taourirt-Mimoun. Après une vaste enquête faite par M. Stanislas Lebourgeois et surtout par M. Ferdinand Buisson, le décret du 13 février 1883 est publié ; il fait, dans son titre IV, une part à l'enseignement des indigènes, dont il règle pour la première fois l'organisation. L'objet des études est fixé, les catégories d'écoles sont déterminées, les cours normaux destinés à la préparation des maîtres indigènes sont établis, les traitements du personnel sont réglés. La loi du 30 octobre 1886, qui s'applique à l'Algérie (art. 68), consacre cet état de choses et prévoit que cette organisation pourra être complétée, dans des conditions déterminées, par de simples décrets. Le décret du 9 décembre 1887 trace un premier plan d'application de cette Loi aux écoles d'indigènes. Ces établissements se multiplient. Le nombre des élèves musulmans, qui n'était que d'environ 3000 en 1882, s'élève à plus de 12 000 en 1892.

3° De 1892 à 1908, une impulsion nouvelle est donnée. La Commission sénatoriale d'études sur l'Algérie, présidée par Jules Ferry, montre que la question de l'instruction des indigènes est une de celles auxquelles elle attache une importance capitale. Elle délègue en Algérie une sous-commission qui visite de nombreuses écoles. M. Combes, qui en fait partie, est chargé du rapport. De son côté, M. Burdeau, rapporteur du budget de l'Algérie à la Chambre des députés, étudie la question sur place. Enfin M. Léon Bourgeois, alors ministre de l'instruction publique, se rend à son tour en Algérie et se rend compte des résultats obtenus et de ceux qu'il est possible d'obtenir. Ces études aboutissent au vote d'un nouveau projet et de nouveaux crédits au Sénat et à la Chambre des députés, et enfin, le 18 octobre 1892, paraît un décret spécial qui est resté jusqu'à présent le véritable code de l'enseignement primaire des indigènes de l'Algérie. Il n'a été modifié qu'en ce qui concerne les traitements du personnel, par un décret complémentaire du 15 décembre 1906.

Le décret du 18 octobre 1892 a provoqué une rénovation de l'enseignement des indigènes de l'Algérie, et a facilité les progrès considérables accomplis pendant les quinze dernières années.

Une préparation spéciale des maîtres est organisée à l'école normale de la Bouzaréa, celle des instituteurs français dans une section spéciale, et celle des maîtres indigènes dans un cours normal. Les instituteurs de la section spéciale, au nombre de vingt chaque année, sont recrutés par le recteur dans les divers départements de la métropole et de l'Algérie, parmi les instituteurs bien notés, anciens élèves d'école normale ou pourvus du brevet supérieur ; les études durent un an et ont pour objet la pédagogie spéciale de l'enseignement des indigènes, l'agriculture, le travail manuel, l'hygiène et la médecine usuelle, la langue arabe et kabyle et les moeurs et coutumes des indigènes de l'Algérie. Les élèves du cours normal sont recrutés au concours parmi des candidats arabes ou kabyles pourvus du certificat d'études primaires. Ils sont au nombre de vingt chaque année, et passent quatre ans au cours normal. Ils y complètent leur instruction primaire et agricole ou manuelle, et s'exercent à la pratique de l'enseignement dans la classe indigène de l'école annexe. Ils obtiennent en général le brevet élémentaire à la fin de leur troisième année. Leur éducation n'a rien de livresque ; elle est fondée avant tout sur l'observation et la démonstration expérimentale.

Ces maîtres musulmans, ayant reçu au cours normal de la Bouzaréa une préparation sérieuse, pourvus de bonnes directions, de bonnes habitudes, et animés, en général, d'un bon esprit, sont d'utiles collaborateurs des instituteurs français dans l'oeuvre d'instruction et de civilisation des indigènes.

Français et indigènes sont guidés par des programmes spécialement adaptés au genre d'instruction qu'il paraît utile de donner à nos sujets musulmans. A part la nécessité de préparer des candidats pour le cours normal, pour les médersas, pour le corps des auxiliaires médicaux et pour quelques emplois indigènes de l'administration communale, il s'agit de ne pas pousser les élèves vers les fonctions publiques, ni les jeunes gens des tribus vers les villes. Il importe de ne pas faire de déracinés, qui seraient un danger pour tous. L'instruction doit être élémentaire et pratique, réglée de manière à élargir l'horizon intellectuel, à former le jugement, mais en se bornant aux connaissances réellement utiles à un indigène dans l'exercice de sa profession agricole, industrielle ou commerciale, et dans ses relations avec les autorités et avec les habitants français de l'Algérie.

C'est dans cet esprit qu'ont été rédigés les programmes spéciaux de 1890, puis, avec plus de précision et une adaptation plus complète résultant de l'expérience ; ceux de 1898.

Ils comprennent, d'abord, l'enseignement du français, qui seul peut faciliter des relations et un rapprochement entre nos sujets musulmans et nous-mêmes et faire pénétrer dans leur esprit quelques éléments de notre civilisation ; mais cet enseignement est réduit à la langue usuelle, il est donné surtout oralement par la méthode directe, et n'est complété par des exercices écrits que dans la mesure nécessaire pour fixer les résultats des leçons orales et provoquer le travail personnel de l'élève.

La grammaire ne s'apprend que par l'usage et dans les limites les plus simples. Il n'y a pas d'enseignement grammatical distinct ni de livre de grammaire placé entre les mains des élèves. D'ailleurs, il n'y a pas non plus de livres d'arithmétique, ni d'histoire, etc. ; le seul livre en usage dans les écoles d'indigènes est le livre de lecture. C'est une mesure que l'administration académique s'est décidée à prendre autant par raison d'économie que pour éviter les complications et les inconvénients de 1 enseignement livresque.

Mais comme la lecture est un excellent moyen d'instruction pour les grands élèves et les adultes, des bibliothèques ont été fondées dans presque toutes les écoles ; elles contiennent des ouvrages français et arabes utiles.

A côté du français, une place est faite au calcul et au système métrique, à des notions historiques, géographiques et administratives très réduites sur la France et l'Algérie, qu'il n'est pas possible de laisser ignorer à nos sujets musulmans, à des leçons de morale enseignée sous une forme vivante et concrète, à des éléments de dessin, et à des leçons de choses destinées à donner, sous le nom de connaissances usuelles, des indications pratiques sur l'hygiène et les besoins de la vie de chaque jour.

L'école d'indigènes a un caractère à la fois éducatif et pratique ; elle est, suivant les vues de Jules Ferry, de Burdeau, de MM. Combes et Léon Bourgeois, approuvées par le Parlement français, un petit foyer de civilisation. Mais elle ne se propose pas de transplanter les musulmans de leur civilisation dans la nôtre ; elle les prépare seulement à évoluer dans la leur, en les faisant participer lentement et prudemment à notre progrès économique. A cet effet, une place importante a été donnée, dans le plan d'études, au travail manuel et agricole. A un certain nombre d'écoles indigènes importantes ont été annexés des cours d'apprentissage, où des élèves sont exercés pendant plusieurs années à la sculpture sur bois, à la marqueterie, à la gravure et au repoussage du cuivre, à la broderie sur cuir, et dans quelques localités, suivant les besoins locaux, à la poterie, à la sparterie, à la tannerie, à la confection des chaussures.

Dans les écoles rurales, l'enseignement agricole se développe d'une façon plus ou moins pratique, suivant que des jardins ou des champs de culture sont mis à la disposition des instituteurs, et que les parents des élèves consentent à laisser travailler leurs fils. En Kabylie, les instituteurs apprennent à leurs élèves à cultiver des légumes et des arbres fruitiers, à tailler, à greffer, à mieux soigner les figuiers et les oliviers. Ailleurs, quelques-uns donnent des notions utiles sur la culture des céréales et des fourrages, sur les soins à donner au bétail. Un fonctionnaire compétent a été chargé en 1907, sous l'autorité du recteur, de la direction et de l'inspection de l'enseignement agricole des écoles d'indigènes des trois départements, et une impulsion plus grande est dès maintenant donnée à ce service.

L'école est d'autant mieux appréciée par les indigènes qu'elle leur procure des résultats immédiats. Mais ils ne sont pas moins sensibles aux progrès de leurs fils en langue française et en calcul qu'à leurs progrès en agriculture. Partout, en Kabylie, entre les habitants restés au pays et ceux qui voyagent pour leur commerce ou qui se rendent dans les centres européens pour les travaux des champs et des vignes, la correspondance se fait en français. Les anciens élèves de nos écoles écrivent les lettres, tiennent les comptes, servent d'interprètes et de conseillers.

Les maisons d'école, qui sont bien construites, suivant les règles de l'hygiène, commencent à servir de modèles aux habitations privées. On voit les indigènes faire maintenant, à leur propre usage, des maisons plus propres, pourvues de fenêtres, de cheminées, de tables et d'armoires, et parfois même de chaises et de lits.

L'instituteur français, qui a appris, à la section spéciale, à soigner les maux d'yeux, les fièvres, les plaies et blessures, est souvent consulté ; il soigne ses élèves et leurs parents, excepté dans les cas graves, où il les oblige, nécessairement, à aller trouver le médecin de colonisation ou à se rendre à l'infirmerie indigène la plus rapprochée. Beaucoup sont considérés comme des bienfaiteurs, et la population musulmane leur est profondément attachée.

Il existe une dizaine d'écoles de jeunes filles musulmanes. Les travaux de couture, de raccommodage, de confection de vêtements y tiennent naturellement une grande place ; mais presque toutes y joignent, depuis quelques années, la fabrication des tapis et des broderies arabes. Grâce au dévouement, à l'ingéniosité, au talent de certaines institutrices, les résultats sont remarquables. Le gouvernement général organise chaque année une exposition des travaux de ces écoles : ceux des écoles de filles indigènes de Constantine, d'Oran, de Bougie, d'Orléansville ont mérité des éloges.

Les jeunes garçons qui veulent pousser leurs études plus loin que l'école primaire ont à leur disposition les cours complémentaires dont nous avons parlé plus haut. Ils y perfectionnent leurs connaissances primaires et y apprennent l'arabe littéral (c'est-à-dire la langue écrite et littéraire, différente de la langue parlée), indispensable pour aborder le concours d'admission aux médersas. D'autres entrent dans les lycées et collèges. L'institution des tribunaux répressifs, des cours criminelles, des délégations financières, où les indigènes instruits peuvent jouer un rôle, paraît avoir déterminé chez les musulmans notables de l'Algérie une tendance plus accentuée à rechercher pour leurs fils l'éducation française.

Les écoles primaires pratiques d'indigènes s'élevaient, en 1907, au nombre de 272, contenant 506 classes, auxquelles il fallait ajouter 69 classes spéciales annexées à des écoles d'Européens, ce qui donnait un total de 575 classes.

Sur ce nombre, en comptait 9 écoles de filles comprenant 15 classes, et 8 écoles enfantines.

Les écoles privées d'indigènes étaient au nombre de 14, dont 11 de garçons et 3 de filles, dirigées par des religieux ou des religieuses des missions d'Afrique.

Le personnel comprenait 293 instituteurs français, 100 institutrices françaises, 147 adjoints indigènes et 51 moniteurs indigènes.

L'effectif des élèves indigènes a suivi, pendant les vingt-cinq dernières années, la progression suivante :

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dont 30 236 garçons et 2181 filles.

La fréquentation est satisfaisante, elle l'est même plus que dans les écoles d'Européens. La proportion moyenne des absents par rapport aux inscrits était en effet, dans les dernières, pendant l'année 1907, de 10, 32 %, tandis que dans les écoles d'indigènes elle n'était que de 8, 86 %• Ce résultat est dû au moins autant à l'influence heureuse des instituteurs qu'à l'action des autorités locales.

Toutefois, malgré ces résultats satisfaisants, il faut reconnaître que 1 oeuvre de l'instruction des indigènes de l'Algérie suit une marche beaucoup trop lente. Le nombre de 30 000 garçons inscrits dans les écoles primaires ne représente qu'un dixième du total des garçons musulmans de six à treize ans. L'accroissement moyen, pendant les vingt-cinq dernières années, n'est guère que d'un millier par an. Le Parlement métropolitain et les assemblées financières algériennes se préoccupent de cette situation.

Le budget algérien ne comportait de crédits que pour la création, que pour la création, 1a construction et le fonctionnement de 22 classes nouvelles par an. D'accord avec le gouvernement métropolitain, le gouverneur général de l'Algérie a proposé aux délégations financières, pendant leur session de 1908, de voter les augmentations nécessaires pour l'installation et l'entretien de 60 classes de plus par an, qui formeraient de petites écoles préparatoires ou auxiliaires confiées à des moniteurs indigènes.

Il faut donc espérer qu'un nouvel essor va être donné à l'oeuvre d'éducation intellectuelle, morale et économique des indigènes de l'Algérie, oeuvre à la quelle la France est intéressée autant que l'Algérie elle-même.

Charles Jeammaire