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Absentéisme

Ce mot, qui n'est pas admis par l'Académie, a été emprunté aux Anglais (J.-B. Say écrivait absentisme). Il désignait la coutume des grands propriétaires d'Irlande de ne pas habiter leurs domaines, d'être toujours absents. Par une extension que l'analogie excuse, on a nommé absentéisme scolaire l'irrégularité de la fréquentation, quand elle atteint des proportions considérables et devient presque un système, une coutume générale. Aujourd'hui ce mot se rencontre assez souvent, notamment dans les documents belges et suisses.

La question de l'absentéisme se lie étroitement à celle de l'instruction obligatoire ; elle en représente en quelque sorte la seconde phase, la période d'application pratique, qui succède à la proclamation théorique du principe. Au moyen d'une loi formelle, il n'est pas très difficile de faire inscrire à l'école tous les enfants en âge scolaire ; ce qui est difficile, c'est de les y faire aller. L'obligation légale ne peut atteindre à elle seule que la première moitié du résultat : elle comble les lacunes de l'inscription, mais non celles de la fréquentation. La désertion des écoles change de forme et de nom : elle passe du registre matricule au registre d'appel, et se nomme absentéisme. Mais c'est toujours le même mal, avec les mêmes causes, les mêmes effets, affectant les mêmes couches sociales et réclamant les mêmes remèdes.

Comme il est presque impossible, à moins d'un régime de police extrêmement vexatoire, de contrôler les déclarations des parents, qui ont toujours la ressource des billets d'excuse, l'absentéisme arrive à faire perdre en détail, jour par jour, ce que l'obligation légale avait fait gagner d'un seul coup, sur le papier.

Tant qu'il en est ainsi, tant que dans un pays le rapport des présences effectives au nombre des enfants en âge scolaire ne s'est pas réellement et sérieusement accru, le pays, s'il a l'obligation légale, n'a qu'une illusion de plus.

Il faut donc, au moment d'inscrire l'obligation dans la loi, s'assurer si l'on est en mesure d'empêcher que la loi ne soit aussitôt éludée par l'absentéisme. Pour y parvenir, il n'est pas sage de compter exclusivement sur les mesures de rigueur, sur la vigilance de l'administration, sur la sévérité des tribunaux. Car l'absentéisme ne provient pas autant qu'on le croit de la mauvaise volonté des parents. Là où il est le plus répandu, il tient à une situation générale de pauvreté, à des causes profondes que la loi ne peut faire évanouir et qu'une tolérance tacite de l'autorité locale finit toujours par respecter. Le remède ne peut donc être trouvé que dans l'amélioration de la condition des familles, et jusqu'à un certain point, à titre provisoire, dans une organisation bien entendue des secours, des primes et des encouragements que la caisse des écoles, le bureau de bienfaisance, les sociétés de patronage et la charité privée distribuent soit aux enfants, soit aux parents.

Outre cette assistance matérielle, le moyen le plus sûr et le plus efficace de combattre l'absentéisme, c'est encore l'action personnelle du maître, c'est la valeur et la bonne renommée de son école.

« Une longue expérience a prouvé — disait Philibert Pompée dans son rapport sur l'Exposition universelle de 1867 — qu'un instituteur capable et dévoué ne manque pas, au bout de peu de temps, de grouper autour de lui tous les enfants qui peuvent fréquenter l'école, sans exception. On ne saurait trop le répéter: l'instituteur est le noeud de toutes les questions. » Et qu'on ne croie pas que cette opinion soit exclusivement propre aux pays qui, n'ayant pas l'instruction obligatoire, ne peuvent compter que sur les moyens de persuasion. Là même où la fréquentation scolaire fait l'objet des prescriptions les plus précises, on reconnaît unanimement que la loi vaut ce que valent les hommes par qui elle s'applique. « Quand un instituteur a exercé dix ans dans une commune et que son école est toujours peu fréquentée, — dit un pédagogue allemand, — il y a lieu de se défier ou de sa capacité ou de son énergie, ou de l'une et de l'autre. » Et nous pouvons conclure en transcrivant ici, comme vrai de tous les pays sans exception ce qu'a dit de son pays (où l'enseignement est obligatoire) M. V. Prausek, inspecteur général de l'instruction publique en Autriche : c Je tiens pour le principal moyen d'assurer la fréquentation l'action propre du maître, car j'ai presque toujours remarqué que là où le maître est à la hauteur de sa tâche, la moyenne de la fréquentation dénote une assiduité satisfaisante. Si le maître a le feu sacré, s'il sait intéresser ses divers groupes d'élèves, s'il se montre réellement instruit, réellement désireux d'être utile à la commune, s'il conquiert enfin, avec l'affection des enfants, la confiance des familles et l'estime de ses concitoyens, il possède un talisman qui peu à peu attirera irrésistiblement à son école jeunes et vieux ; et la plus douce récompense de ses travaux sera précisément de voir, en dépit des obstacles les plus sérieux, la fréquentation scolaire s'accroître régulièrement et l'absentéisme s'amoindrir jusqu'aux dernières limites du possible.»