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Abécédaire

Ce mot, composé du nom des quatre premières lettres de l'alphabet, désigne le petit livre dont on se sert pour apprendre à lire les lettres. On le confond souvent avec le Syllabaire, qui est proprement la partie du premier livre de lecture où les lettres sont réunies en syllabes. Pour abréger, on dit aussi l'abc ou l'abcd.

L'abc ou l'abécédaire a été de bonne heure eu usage dans les écoles de France, sous la forme de livrets ou de tableaux.

C'est ainsi que dans un document du quinzième siècle, contenant la liste des livres (manuscrits) dont se composait la bibliothèque d'écolier de Charles, duc de Berry, et de son frère aîné, le dauphin, qui fut plus tard Louis XI, on trouve mentionné, en tête de cinq autres ouvrages classiques d'alors, « ung A.B.C. prins et achepté de maistre Jehan Majoris, chantre de Saint-Martin de Tours, pour faire apprendre en iceulx mondit sieur Charles », le tout « bien escript en beau parchemin et richement enluminé ».

L'abécédaire portait souvent, à partir du quinzième siècle, le nom de Croix de par Dieu ou Croix de Jésus, parce que le titre en était orné d'une croix qui se nommait Croix de par Dieu, c'est-à-dire faite au nom de Dieu (on devrait écrire : « de part Dieu », de parte Dei). « C'est un homme qui sait la médecine à fond, comme je sais ma croix de par Dieu », dit l'apothicaire à Eraste, dans Monsieur de Pourceaugnac (acte Ier, scène VII).

Un recueil datant des premières années du dix-huitième siècle (1705), l'Ecole paroissiale, montre quelle était alors « la façon du premier alphabet» en usage dans les « petites écoles » de Paris. C'était un petit livre de quatre ou six feuillets. Sur le premier feuillet étaient tracées « les vingt-trois lettres communes de l'alphabet » ; le même alphabet était ensuite mis à rebours, commençant par la dernière lettre, z, et finissant par la première, a. Le second feuillet contenait les « vingt-trois lettres capitales, qui servent à marquer la première lettre des périodes et des noms propres », puis le même alphabet mis à rebours. Venaient ensuite, au troisième feuillet, les vingt-quatre lettres « italiennes » (italiques), « pour distinguer par caractères la diversité des mots latins et français mêlés ensemble, ou les titres des chapitres ou des articles » ; au quatrième feuillet, les ligatures de quelques lettres « qui de plusieurs composent un caractère », comme ff (ss), il (sl), ff, fl, ffl, B (sb) ft (st), et les abbréviatures (il y en avait encore un certain nombre dans les livres que l'on imprimait au commencement du dix-huitième siècle, et il fallait que les enfants pussent lire dans les vieux textes) ; au cinquième et au sixième feuillets, deux alphabets des anciens caractères gothiques, « qui, pour n'être pas enseignés aux petits enfants, ne peuvent se servir des livres qui se trouvent, en grande quantité, écrits et imprimés en cette forme » : un feuillet contenant les lettres gothiques communes, avec ligatures et abréviations ; et le dernier, les lettres majuscules ou capitales gothiques.

La Conduite des écoles chrétiennes, de J.-B. de la Salle, dont la première édition parut en 1719, substitue l'enseignement simultané à l'enseignement individuel que préconisait l'Ecole paroissiale ; des tableaux, par conséquent, prennent la place du livret, et ces tableaux sont relativement moins surchargés.

D'autres ont voulu remplacer l'abécédaire en livret ou en tableaux par des moyens d'enseigner les lettres destinés à mettre en oeuvre la curiosité et l'imagination des enfants.

On s'est servi, par exemple, de figures en bois ou en ivoire représentant des lettres, que l'enfant peut toucher, regarder, nommer. Quintilien dit que ce moyen était connu de son temps, et saint Jérôme, dans sa Lettre à Laeta, le recommande.

Rollin, persuadé que la lecture devrait n'être pour les enfants « qu'un jeu et un amusement » et que « cela n'est pas si difficile qu'on le pense », est d'avis qu'on peut a écrire proprement les lettres sur différentes cartes, afin qu'ils puissent les manier, et les accoutumer à jeter ces cartes sur une table, en nommant la lettre qui se présente ». « Il y a des maîtres, dit-il encore, qui se servent de deux boules de bois ou d'ivoire, dont ils font tailler la première à cinq facettes, sur chacune desquelles ils écrivent une voyelle. Ils font tailler la seconde à dix-huit facettes, sur chacune desquelles est une consonne. L'enfant jette l'une ou l'autre de ces deux boules, et s'accoutume à nommer la lettre qui paraît en haut. Puis, les jetant l'une et l'autre ensemble, il s'accoutume de même à assembler la consonne et la voyelle. »

Outre ces jeux, plutôt faits pour la famille que pour l'école, Rollin décrit encore le bureau typographique de Louis Dumas.

Mentionnons encore, parmi les moyens imaginés pour faciliter l'étude des lettres : les abécédaires illustrés ou alphabets en images, qui mettent la lettre à apprendre en regard d'un objet bien connu dont le nom commence par cette lettre ; — les procédés de la méthode phonomimique de M. Grosselin, qui joint le geste à la voix par une sorte d'onomatopée en action ; — enfin ceux de la méthode simultanée d'écriture-lecture, qui apprend à lire les lettres en les faisant écrire. — Voir Lecture et Ecriture-Lecture.

Quelque procédé qu'on emploie, le but à atteindre est de conduire l'élève le plus rapidement possible à former des syllabes et des mots. Il faut donc, au rebours de l'ancienne méthode, ne pas considérer l'étude de l'abécédaire comme un exercice à part, mais se presser d'y joindre la syllabation, et en appeler, sous les formes qui paraîtront les meilleures, à l'activité personnelle, à la curiosité de l'enfant.

Charles Defodon