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L’évaluation certificative en EPS : stratégies et arrangements

Auteur(s) : COGÉRINO Geneviève

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bull2.gif (117 octets)   Les épreuves d’éducation physique et sportive (EPS) du baccalauréat français ont été modifiées depuis 1995. Les nouveaux textes changent l’organisation et la nature de certaines épreuves, les modalités de notation.
bull2.gif (117 octets)  La recherche s’est centrée sur l’évaluation des connaissances et savoirs dits “ d’accompagnement ” (S.A.) qui représentent un quart de la note finale du candidat. Ceux-ci, définis par circulaire, rassemblent des données méthodologiques relatives à la mise en condition physique, l’entraînement, etc.. ainsi que des connaissances relatives à la sécurité, aux règlements sportifs. L’ensemble des savoirs listés apparaît composite. Certains sont enseignés effectivement depuis longtemps en EPS ; d’autres ont une présence plus diffuse (présents sans faire véritablement l’objet de séquences d’enseignement spéciales). L’évaluation doit se faire “ en étroite relation avec la pratique ”, ce qui sous-entend qu’il s’agit essentiellement de savoirs procéduraux, tandis que la liste mentionne des savoirs qui apparaissent clairement déclaratifs. Enfin, ces savoirs hétérogènes sont caractérisés comme étant indissociables de “ l’investissement ” de l’élève.
bull2.gif (117 octets)  Leur statut mineur (“ accompagnement ”) entre en résonance avec deux autres rubriques, évaluées précédemment : les connaissances d’une part (connaissances des règlements et capacités d’analyse des activités physiques), la “ participation-progrès ” d’autre part (l’appréciation de la participation aux cours ainsi que les progrès réalisés par les élèves constituaient une rubrique autonome). Des travaux antérieurs ont montré que l’évaluation de ces deux rubriques n’était pas strictement rationnelle (Combaz, 1992).
bull2.gif (117 octets)  Afin d’évaluer les prestations des élèves en conformité avec les changements introduits par les nouvelles circulaires, les équipes d’établissement doivent choisir les savoirs précis, les enseigner effectivement, mettre en place une tâche précise pour les évaluer à une date précise (le contrôle est ponctuel).
bull2.gif (117 octets)  Problématique
bull2.gif (117 octets)  Les recherches docimologiques ont établi depuis un certain temps déjà que la notation pouvait faire l’objet de grandes divergences entre notateurs d’une même prestation. L’évaluation est une activité de comparaison (Noiset, Caverni, 1978) : reste à spécifier dans chaque cas, le produit-norme de cette comparaison. Etudiant les pratiques de notation des enseignants, Felouzis (1997) met en évidence que la notation des élèves, en français et mathématiques, est le reflet d’attentes à l’égard de ces derniers ; la sévérité versus l’indulgence de la notation ont un impact sur les progrès effectifs des élèves. L’attribution d’une note ne fait pas que sanctionner l’acquisition de savoirs chez l’élève : elle définit une “ valeur ” de l’élève, parfois en décalage avec ses compétences réelles. Plus généralement, l’évaluation est un acte didactique complexe (Chevallard, 1986 ; Perrenoud, 1986), une transaction, plus qu’une mesure rigoureuse, qui joue en amont sur le choix des savoirs enseignés. Merle (1996) choisit le terme d’“ arrangements évaluatifs ” pour marquer le fait que le jugement professoral n’est en rien l’application d’une règle de décision. Ces arrangements sont révélateurs de la mise en œuvre de normes implicites.
bull2.gif (117 octets)  La recherche s’appuie sur l’hypothèse que les pratiques évaluatives sont déterminées par des représentations (de l’utilité de la discipline ; de la fonction de l’évaluation, sa faisabilité, son statut ; de la valeur de l’élève…). L’objet de l’étude est d’identifier les normes implicites conduisant les enseignants à prendre telles décisions relatives aux contenus à enseigner pour ces savoirs, à la construction des référentiels de notation et à l’attribution de la note.
bull2.gif (117 octets)  Méthodes
bull2.gif (117 octets)  Une étude préalable a analysé les savoirs déclarés comme relevant de la rubrique “ Accompagnement ” dans 243 projets d’établissement ainsi que les référentiels d’évaluation associés (Cogérino, 1998).
bull2.gif (117 octets)  Dans le cadre d’une recherche développée à l’INRP, les pratiques évaluatives en EPS ont été étudiées sous l’angle qualitatif et quantitatif. L’approche quantitative ne sera pas développée ici : elle s’est penchée sur les notes des 8754 élèves des établissements de l’Observatoire, les relations internes aux composantes de la note finale (note de compétences attribuée à partir de trois pratiques physiques différentes, note de connaissances associée aux S.A.) ; cette étude s’est élargie au traitement de données similaires issues des académies de Nice (26559 élèves) et de Rouen (16412 élèves) (Cleuziou, David, Brau-Anthony, 1999).
bull2.gif (117 octets)  Dix-neuf entretiens approfondis conduits auprès des enseignants d’EPS ont fourni les données de l’approche qualitative. Le guide d’entretien rassemblait des questions relatives aux choix des S.A. enseignés et évalués, aux caractéristiques des tâches permettant leur évaluation, aux modalités d’attribution de la note, à la pertinence perçue pour ces savoirs.
bull2.gif (117 octets)  Résultats
bull2.gif (117 octets)  Les arrangements évaluatifs identifiés soulignent que l’évaluation fabrique des hiérarchies (représentation du “ bon ” élève en EPS), alimente des décisions dans le déroulement du processus d’enseignement et contribue à “ tenir ” la classe (ou certains élèves).
bull2.gif (117 octets)  Leur mise en œuvre conduit à des modifications importantes de l’évaluation telle que prescrite par les textes officiels : objets d’enseignements proscrits, notes des élèves modifiées... Ces arrangements sont en partie conscients pour les enseignants eux-mêmes. Ils visent à rendre conforme à leurs yeux l’évaluation de la discipline en gommant certains caractères actuels de l’évaluation (“ complication ” de la discipline, éclatement artificiel des rubriques à évaluer…).
bull2.gif (117 octets)  Dans ce qu’ils ont d’essentiel, les résultats font apparaître que les difficultés méthodologiques rencontrées par les enseignants dans le proces de l’évaluation sont une des voies qui permettent aux arrangements évaluatifs de se mettre en place.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, l’examen des référentiels utilisés montre qu’ils sont fort peu nombreux et, parmi les rares qui ont été construits par les équipes des établissements, infime est le nombre de ceux qui permettent d’évaluer des savoirs conformes à la liste prescrite en respectant un minimum d’objectivité et/ou d’explicitation : dix référentiels sont conformes à ce minimum sur un total de 64 repérés dans les 243 dossiers.
bull2.gif (117 octets)  Les savoirs évalués sont choisis en fonction de la faisabilité immédiate de l’évaluation. Dans le cadre d’un contrôle en cours de formation, il apparaît souhaitable que le temps consacré à l’évaluation des acquis n’empiète que très modérément sur le temps consacré aux apprentissages. Mais les arguments associés aux choix sont loin de ne prendre en compte que l’économie temporelle.
bull2.gif (117 octets)  Cette recherche d’économie temporelle donne lieu à la double évaluation de certains savoirs (qui sont évalués au titre de la rubrique “ compétences ” puis au titre de la rubrique “ connaissances ”), tandis que d’autres ne sont pas évalués du tout. Des savoirs qui ne font plus partie des savoirs à évaluer selon la nouvelle circulaire continuent à l’être. L’exemple le plus typique de ce cas est celui de la “ participation ” de l’élève, son implication ou “ motivation ” dans la tâche ou le cours d’EPS.
bull2.gif (117 octets)  L’évaluation de la rubrique “ participation ” a été initialement instaurée par la réforme des épreuves d'EPS du baccalauréat en 1983. Celle-ci s'annonce comme voulant se démarquer de la seule évaluation des performances, décourageantes pour les élèves “ peu doués ”. Les enseignants d’EPS se sont servi de cette rubrique comme d’une possibilité de remonter la note d’un élève, sérieux et travailleur durant les cours, dont les notes obtenues lors des prises de performances étaient faibles. Participer est considéré comme faire preuve d’assiduité au cours, manifester de la bonne volonté. L’évaluation de la participation de l’élève ne donnait généralement pas lieu à des épreuves spécifiques (Combaz, 1992) : les enseignants préféraient noter “ intuitivement ” et surtout “ en continu ”. L’attribution de la note définitive, en fin d’année, était un moyen très usité pour “ tenir ” la classe, certains élèves agités ou trop passifs.
bull2.gif (117 octets)  Les entretiens réalisés pour cette recherche, alors que la nouvelle réforme de l’évaluation certificative a supprimé cette rubrique, font état des regrets des enseignants vis à vis de celle-ci. Les enseignants abordent la difficulté à construire des critères objectifs, rigoureux permettant l’observation des savoirs acquis au travers des comportements des élèves ; ils sont simultanément conscients qu’évaluer la participation et les progrès revient à donner à l’élève un retour sur la “ cote d’amour ” dont il est l’objet. Cette évaluation de l’assiduité de l’élève pourrait surprendre dans le cadre d’une évaluation certificative à caractère national. Elle n’est pas sans rappeler la conception du bon élève mise à jour dans une recherche consacrée à l’évaluation formative en EPS (Marsenach, 1987) : le bon élève possède des qualités physiques (vitesse, détente, coordination), mais il est aussi intelligent, attentif, très actif, dynamique, joue un rôle de leader dans la classe, aide ses camarades… Les critères d’appréciation sont autant physiques que comportementaux et relationnels. Evaluer l’investissement et la participation de l’élève permet tout à la fois de reconnaître et “ récompenser ” les élèves qui manifestent l’intégration de valeurs importantes aux yeux des enseignants (bonne volonté, écoute du professeur, efforts déployés…).
bull2.gif (117 octets)  Parmi la liste composite de S.A., les enseignants en choisissent certains, en éliminent d’autres : la faisabilité de l’évaluation de toute une classe vient d’être évoquée. Ces choix effectués sur les S.A. par les enseignants leur permettent de témoigner indirectement de leur adhésion relative et nuancée à l’évolution disciplinaire, celle qui se dégage des textes officiels. Parmi les savoirs choisis, une partie est considérée comme légitime depuis longtemps (les règlements sportifs, l’arbitrage, la sécurité…). Face à la fraction plus “ nouvelle ”, les enseignants mettent en place plusieurs stratégies d’évitement : certains rationalisent la mise à l’écart délibérée en prenant argument sur l’absence de sens attribué par les élèves à ces savoirs (cela ne rime à rien d’évaluer ces savoirs puisque mes élèves n’en voient pas l’utilité) ; d’autres enseignants “ s’arrangent ” pour évaluer certains S.A. seulement, en faisant remarquer que l’inspection générale n’a pas diffusé de textes ou mis en place de formation permettant aux enseignants d’y voir plus clair ou de pouvoir évaluer rapidement et objectivement ; d’autres enseignants encore neutralisent le poids de la note de l’épreuve (qui devrait représenter un quart de la note finale).
bull2.gif (117 octets)  Neutraliser cette rubrique en relativisant son importance dans la note finale s’effectue toujours délibérément mais par des voies subtiles : feindre l’incompétence en tant qu’enseignant contraint d’innover pour rester dans l’esprit des nouvelles circulaires ; s’appuyer sur les caractéristiques de ses élèves, qui ne permettent pas d’enseigner ces savoirs… Des solutions plus radicales sont également mises en place : modifier la note obtenue à l’épreuve pour qu’elle soit davantage le reflet de la valeur de l’élève, estimée au travers de la notation des compétences motrices et physiques (Cogérino, à paraître). Ces stratégies livrent les contours disciplinaires souhaités par les enseignants (une EPS de pratique physique, au fonctionnement simple et non “ compliqué ”, où susciter l’adhésion de l’élève est occasionné par l’obtention de son plaisir immédiat). Elles témoignent indirectement de leurs réticences face à d’autres caractéristiques de l’évolution actuelle (verbalisation, intellectualisation…).
bull2.gif (117 octets)  Bibliographie
bull2.gif (117 octets)  Bordet, J. (1994). Les contenus en EPS, d’après les connaissances évaluées chez l’élève de lycée depuis 1983. Enquête auprès des enseignants. Thèse Sciences de l’éducation, Paris V.
bull2.gif (117 octets)  Bordet, J. (1996). Attitudes pédagogiques et évaluation, Revue EP.S, n°257, pp 32-34.
bull2.gif (117 octets)  Combaz, G. (1992). Sociologie de l’éducation physique. Paris : PUF.
bull2.gif (117 octets)  Chevallard Y. (1986). Vers une analyse didactique des faits d’évaluation. In L’évaluation : approche descriptive ou prescriptive ? J.-M. De Ketele, eds. Bruxelles : De Boeck, pp 31-60.
bull2.gif (117 octets)  Cleuziou, J.-P., David, B., Brau-Anthony, S. (à paraître). Aspects de l’évaluation en EPS au baccalauréat, Actes du Congrès A.I.E.S.E.P., Besançon, avril 1999.
bull2.gif (117 octets)  Cogérino, G. (1998). Des pratiques d’entretien aux connaissances d’accompagnement, Dossier n°37, Paris, Editions Revue EP.S.
bull2.gif (117 octets)  Cogérino, G. (à paraître). Evaluation des connaissances d’accompagnement et arrangements évaluatifs, Actes du Colloque Recherches sur l’intervention en éducation physique et en sport, Antibes, décembre 1998.
bull2.gif (117 octets)  David B. (1995). Évaluation certificative en EPS : le contrôle en cours de formation au baccalauréat. Communication au Colloque A.D.M.E.E.-Europe, Grenoble, septembre 1996.
bull2.gif (117 octets)  Felouzis, G. (1997). L’efficacité des enseignants. Paris. PUF.
bull2.gif (117 octets)  Marsenach, J. (1987). L’évaluation formative en Education Physique et Sportive dans les Collèges. Paris : I.N.R.P.
bull2.gif (117 octets)  Merle P. (1996). L’évaluation des élèves. Enquête sur le jugement professoral. Paris : P.U.F.
bull2.gif (117 octets)  Noiset, G., Caverni J.-P.(1978). Psychologie de l’évaluation scolaire. Paris : PUF.
bull2.gif (117 octets)  Perrenoud P.(1986). L’évaluation codifiée et le jeu avec les règles. In L’évaluation : approche descriptive ou prescriptive ?, opus cité, pp 11-30.