Biennale 5
logo INRP (3488 octets)

Mutationcs du travail et de la formation : le cas du dispositif “ nouveaux services-emplois-jeunes ”

Auteur(s) : CHAMPY-REMOUSSENARD Patricia, DUPUIS Pierre-André

Lobi89.gif (730 octets)

retour au résumé


bull2.gif (117 octets)   Introduction
bull2.gif (117 octets)  Dans le cadre de l’ILSTEF, s’est engagée depuis janvier 1999 une recherche associant plusieurs équipes des Universités Nancy 2 et Metz autour du programme “nouveaux services, emplois-jeunes ”.
bull2.gif (117 octets)  Dans ce contexte, l’ERAEF (Equipe de Recherche sur les Acteurs de l’Education et de la Formation), s’attache plus particulièrement à explorer les situations de travail et les modalités de construction des compétences des “emplois-jeunes”.
bull2.gif (117 octets)  Les investigations tentent d’aller au-delà des apparences pour faire émerger la complexité des emplois, ainsi que les besoins réels de formation qu’ils impliquent. Le dispositif “nouveaux services, emplois-jeunes” est, d’autre part, saisi comme un contexte permettant d’analyser les mutations susceptibles d’affecter le travail et la formation en ce début du troisième millénaire.
Ce texte tente de montrer quelle est la spécificité éventuelle du dispositif “ Nouveaux services-emplois-jeunes ” en matière de relation formation/travail, et ce qui, dans ce contexte particulier, permet d’analyser ou d’anticiper les évolutions plus globales du travail et de la formation dans notre société.
bull2.gif (117 octets)  L’enquête et ses principes méthodologiques
bull2.gif (117 octets)  Après une enquête exploratoire, les investigations s’appuient actuellement sur une trentaine d’entretiens semi-directifs ou d’explicitation, enregistrés puis soumis à une analyse de contenu, auprès de jeunes occupant des postes d’emplois-jeunes depuis au moins un an, dans certains domaines d’activités (médiation, environnement, transports, personnes âgées…), aussi bien dans les collectivités territoriales, les grands organismes publics que dans le secteur associatif des quatre départements lorrains.
bull2.gif (117 octets)  Les premières analyses permettent déjà de comprendre en quoi l’environnement de travail des emplois-jeunes peut s’avèrer favorable à des apprentissages qui participeront au développement de compétences, et, peut-être à un processus nouveau de professionnalisation.
1. Situations de travail, construction des compétences et formation
bull2.gif (117 octets)  La formule de Bertrand Schwartz : “Petit boulot deviendra grand si l’environnement est qualifiant ”peut-elle être utilisée dans le cas des “emplois-jeunes”? Saisir la spécificité des contextes de travail, c’est aussi se demander en quoi ils sont favorables au développement de compétences, susceptibles elles-mêmes de donner lieu à certaines formes de qualification. A partir de quelques caractéristiques signifiantes, il est déjà possible de dégager quelques tendances.
bull2.gif (117 octets)  Prendre l’initiative d’apprendre en situation de travail
bull2.gif (117 octets)  Tout d’abord, les emplois concernés, parce qu’ils correspondent souvent à des activités nouvelles dans leur contexte, sont des emplois caractérisés par une dominante d’apprentissages en situation de travail, souvent qualifiés par les acteurs eux-mêmes d’apprentissages“sur le tas”. Il s’agit d’une caractéristique de ces emplois qui, dans leur cas, revêt certaines formes particulières sur lesquelles il nous faut insister.
bull2.gif (117 octets)  Le processus qui consiste à observer (regarder faire), puis faire (faire comme), puis faire et refaire (répéter), peut ici se trouver perturbé par l’absence possible d’un modèle de la compétence dans le contexte de travail. L’activité étant souvent nouvelle, personne, dans l’institution d’accueil, ne peut jouer le rôle du modèle dont le novice a besoin. Dans ce cas de figure, la transmission des savoirs qui s’appuie habituellement sur un processus de compagnonnage, s’opère selon d’autres modalités inventées par le jeune.
bull2.gif (117 octets)  En effet, les démarches en vue d’apprendre seul semblent être en partie à l’initiative des jeunes. Celui-ci va fréquemment chercher dans son environnement de travail ce qui va contribuer à le former, à construire des compétences nouvelles, ou mettre à l’épreuve de situations-problèmes inédites les savoirs et compétences qu’il a acquis préalablement. Par exemple, un des interviewés décrit les modalités d’apprentissage sur le tas de l’activité d’animation dans un foyer pour personnes âgées (animation de repas à thèmes, d’ateliers artisanaux et artistiques, etc.) pour laquelle, à la fois, est énoncé un besoin de formation institutionnelle et sont décrites des pratiques d’apprentissage dans la situation de travail.
bull2.gif (117 octets)  La démarche, caractéristique de l’apprentissage sur le tas, passe par une recherche de modèles, de repères par rapport auxquels se construira ensuite une pratique singulière. Mais, dans ce cas, parce qu’il n’y a pas de modèle d’exercice de ce type de compétences sur le site de travail, l’apprentissage se fait à l’initiative du novice qui va chercher ses modèles ailleurs, en sollicitant des conseils auprès de professionnels expérimentés grâce à un outil de communication à distance, le téléphone :
“ J’ai beaucoup téléphoné dans d’autres foyers pour essayer de rencontrer des animatrices, pour voir un petit peu ce qu’elles faisaient, et puis se donner des idées […] ça m’a jamais posé de problèmes, même si c’était par téléphone, de dire j’ai pas trop le temps, je suis très prise mais est ce que vous pourriez me, me diriger, me dire comment vous travaillez, ce que vous faites …”
bull2.gif (117 octets)  Travailler et apprendre en autonomie
bull2.gif (117 octets)  L’autonomie est, dans beaucoup de cas observés, une caractéristique des situations de travail des “emplois-jeunes”. Echo et peut-être en partie conséquence des modalités de recrutement et de création de l’emploi (il n’est pas rare que les jeunes l’aient suscité ou y aient contribué, parfois grâce à un rapport préalable de proximité avec l’institution qui les emploie), l’autonomie renvoie à l’absence relative de prescriptions précise. Le suivi, l’accompagnement, eux aussi souvent assez lâches, laissent la possibilité au jeune de faire preuve d’initiatives, et même dans certains cas d’inventer sa mission.
bull2.gif (117 octets)  Apprendre au pluriel
bull2.gif (117 octets)  La complexité des situations de travail des “emplois-jeunes”est en partie liée à la pluri-activité et à la polyvalence qui sont exigées des acteurs. Cette polyvalence est la conséquence d’un chevauchement des domaines de compétences dans des contextes de travail où plusieurs activités parfois fort différentes sont confiées au jeune.
bull2.gif (117 octets)  Or polyvalence, chevauchement de fonctions diverses, diversité des tâches et des compétences requises, retentissent sur la question des besoins de formation et sur celle des réponses susceptibles d’être fournies à ces besoins. A quoi se former en priorité? Quels sont les apprentissages les plus importants, ou les plus urgents? La pluriactivité complexifie à la fois l’analyse des situations de travail, l’analyse des apprentissages qui les caractérisent, et l’analyse des besoins de formation.
bull2.gif (117 octets)  Rapport à l’expérience
bull2.gif (117 octets)  L’“emploi-jeune“ est un moyen d’acquérir de l’expérience, c’est indéniable, mais de quel type d’expérience s’agit-il? L’activité de travail est expérience chaque fois qu’elle confronte l’individu à une situation en partie inédite, mais l’expérience résulte aussi de l’ensemble des apprentissages effectués dans et par la situation de travail. Mais une pratique considérée comme formatrice est-elle monnayable au même titre que la formation? Le problème de la reconnaissance sociale des compétences dans un processus de qualification est clairement perçu et posé par les jeunes. Par conséquent, la question de la validation des acquis constituera certainement à l’avenir un aspect important de l’évolution du dispositif :
“ Les emplois-jeunes, c’est peut-être une formation mais c’est peut-être pas reconnu. Je ne sais pas si vous comprenez? C’est pas une formation, c’est sûr que c’est un métier mais en même temps c’est un métier qui est destiné à former peut-être au niveau pratique aussi, à donner une expérience professionnelle. ” (“Emploi-jeune” occupant un poste de Médiateur Vermeil)

bull2.gif (117 octets)  Compétences invisibles
bull2.gif (117 octets)  La relation d’aide, souvent imbriquée dans les activités de service aux personnes, se traduit par des modalités de construction des compétences particulièrement complexes, compétences dont le statut social pose problème et qui font rarement l’objet d’une demande de formation explicite.
bull2.gif (117 octets)  Dans l’extrait d’entretien qui suit (description de l’activité de portage de repas à domicile aux personnes âgées), la demande de formation n’est pas formulée. Le processus d’apprentissage repose uniquement sur le vécu, l’expérience et la possibilité qu’on a de l’analyser. L’apprentissage de ce genre de compétences semble donc se faire essentiellement “sur le tas”, et inéluctablement se dérouler dans une assez grande solitude.
“ …je fais du portage, mais une fois là-bas, je fais du social aussi quoi en fait! […] moi tout ce qui est social c’est mon truc quoi, le fait de pouvoir rendre service, de pouvoir aider, de pouvoir soutenir […] Après, quand on connaît les gens, on sait comment les prendre aussi je veux dire, ça va être la petite phrase, on détourne et on fait une petite plaisanterie, on apprend à les connaître donc on sait si on peut le faire, le faire, euh pour une autre si c’est beaucoup plus sérieux mais qu’il faut rester à la fois très classe et très polie en faisant, en levant un peu le petit doigt […] on va s’adapter.“
bull2.gif (117 octets)  Enjeux entremêlés (formation, pérennisation, solvabilisation).
bull2.gif (117 octets)  Le rapport à l’emploi détermine le rapport à la formation. Dans certains cas, aucune formation ne vient complèter l’expérience de travail. Dans d’autres, la formation contribue directement à la construction de compétences réinvesties dans l’emploi. Dans d’autres encore, le jeune, conscient d’une absence de perspective d’emploi, ressent un besoin de formation analogue à celui d’un salarié dont l’emploi est menacé et qui s’efforce d’anticiper une reconversion. Dans ce cas le besoin est clairement perçu mais n’est pas facilement dicible. Il désigne l’absence de pérennisation tout en exposant le jeune, car il renvoie explicitement à l’employeur l’anticipation de son départ. Enfin, la formation peut être sans lien direct avec l’activité actuelle du jeune.
bull2.gif (117 octets)  Jeanne est agent de service aux usagers dans une compagnie de bus. Sa situation de travail est caractérisée par les activités suivantes : la fabrication des cartes de transport, la tenue de caisse et le convoyage des chèques à la banque, la vente de cartes de tickets aux conducteurs et aux usagers, le contrôle des cartes dans les bus, la gestion des conflits entre conducteurs et usagers.
bull2.gif (117 octets)  La particularité de son positionnement tient au fait que Jeanne ne se reconnaît pas comme emploi-jeune : j’ai jamais vu emploi-jeune sur mon contrat de travail […} j’aime pas mon statut. Son discours sur le statut traduit un malaise profond. Les contradictions qui le caractérisent sont les symptômes du vécu identitaire d’un emploi rendu possible par l’aide de l’état et dont la pérennité reste suspecte: ”Je voulais un poste sûr […] je ne me vois pas rester 5 ans[…] Ttout ce que je peux envisager maintenant que j’ai une expérience, c’est de partir.”
bull2.gif (117 octets)  La position de Jeanne est typique d’un vécu de l’emploi-jeune comme pis aller, période transitoire faute de mieux et occasion de gagner en expérience. Les souhaits de stabilité dans l’emploi sont contredits par les incertitudes du projet professionnel encore en construction et par le décalage fortement ressenti entre les aspirations légitimées par le diplôme ”j’ai quand même un bac +2, je peux faire mieux”, l’image sociale associée à certaines formes d’emploi dès lors qu’elles sont identifiées comme telles ”quand vous êtes en CES, vous êtes une sous quelque chose”, et le niveau de salaire auquel elles peuvent faire prétendre.
bull2.gif (117 octets)  Les difficultés inhérentes à certains aspects du travail (gestion des conflits, des conduites déviantes des usagers) semblent alors vécues d’autant plus difficilement que s’ajoute à l’absence de formation, le malaise induit par le statut.
bull2.gif (117 octets)  Le cas de Jeanne montre à quel point certaines formes d’emploi et le vécu qui en est celui des acteurs concernés sont à la source de difficultés identitaires qui elles-mêmes rejaillissent sur la nature des situations de travail et la manière dont s’y construisent les compétences. Même nié par le salarié, la source de financement du salaire affecte ici l’image de soi, les perspectives, le rapport à sa situation de travail.
2. Quelle pérennisation? Quelle professionnalisation?
bull2.gif (117 octets)  La question du besoin social étant posée par le principe même du dispositif NSEJ (il est question de besoins nouveaux ou pas encore satisfaits), la ”professionnalisation”, qu’elle soit celle du jeune ou du poste, est étroitement liée au repérage du besoin, et c’est la ”preuve”que ce besoin peut être satisfait dans des conditions de solvabilité suffisantes qui ouvrent la perspective que l’emploi soit pérennisé, et/ou pour que le jeune soit pérennisé sur son poste.
bull2.gif (117 octets)  Mais, la professionnalisation ne suppose pas seulement l’émergence de besoins reconnus. Elle suppose aussi l’émergence d’un groupe professionnel se réclamant de la capacité à satisfaire ce besoin. La professionnalisation, dans le cas des emplois-jeunes, résultera-t-elle d’une conquête? Il est peut-être encore trop tôt pour le dire. Des mouvements sont apparus du côté des aides-éducateurs et, à l’heure actuelle, la création de sites Web ou des collectifs d’échange (emplois-jeunes du secteur de l’environnement) montés à l’initiative des jeunes pour défendre leurs intérêts communs, sont autant de symptômes que des revendications existent. Mais est-ce la différenciation qui est recherchée, ou plutôt l’assimilation à des positions stabilisées, dans une logique d’intégration déjà constituée?
bull2.gif (117 octets)  Quoi qu’il en soit, les investigations en direction des situations de travail montrent que, dans nombre de cas, ces dernières sont caractérisées par la mobilisation et la construction de savoir-faire complexes. Mais comment une activité nouvelle pourrait-elle présenter des savoirs et savoir-faire tout à fait formalisés quand on sait que, même dans le cas d’activités anciennes, la formalisation et la codification des savoirs est difficile. En outre il n’existe pas dans le cas des emplois-jeunes de modalités collectives de transmission des savoirs. Enfin, l’analyse des besoins de formation est rendue complexe en raison de la nouveauté du poste, de la diversité des activités, de la relative méconnaissance des situations de travail réelles, et des difficultés à exprimer un besoin de formation dans un rapport à l’emploi parfois assez flou. Mais, notre enquête donne des indices tendant à montrer que des règles d’éthique sont déjà perçues comme nécessairement requises par certaines activités (médiation sociale et service à la personne notamment).
bull2.gif (117 octets)  Ici comme ailleurs, la professionnalisation est donc un processus problématique, associant un rapport à l’expérience inscrit dans des situations de travail, des modes d’élargissement et de construction de compétences, des perspectives de reconnaissance et de validations d’acquis professionnels et l’accès à des formation qualifiantes.
bull2.gif (117 octets)  Conclusion
bull2.gif (117 octets)  Les premiers résultats obtenus invitent à affiner encore l’analyse du rapport évolutif des jeunes à leur situation de travail. Mais ils font aussi apparaître des questions qui concernent plus largement l’évolution du travail et ses rapports avec la formation.
bull2.gif (117 octets)  Les apprentissages dans la situation de travail ou ce qu’on peut appeler d’une autre manière des apprentissages intégrés au travail s’avèreront sans doute des données de plus en plus importantes dans le contexte d’une économie de haute qualification et d’une société cognitive marquée par des évolutions radicales et rapides.
bull2.gif (117 octets)  L’écart entre le niveau de qualification (diplôme initialement acquis) et les caractéristiques de l’emploi occupé en début de parcours professionnel par un certain nombre de jeune constitue d’ores et déjà une autre donnée importante du dispositif. Cet écart renvoie à la multiplication des emplois précaires et à la manière dont ils sont vécus.
bull2.gif (117 octets)  La reconnaissance d’acquis professionnels développés en dehors de tout système de formation institutionnelle, comme c’est souvent actuellement le cas pour les emplois-jeunes, pose plus fortement que par le passé la question des systèmes de certification et de validation de ces acquis.
bull2.gif (117 octets)  Le vécu que les emplois jeunes ont de leurs situations de travail est également traversé par la question des transferts, transferts des acquis scolaires vers les situations de travail, transferts des acquis de certaines situations de travail vers d’autres situations de travail etc.
bull2.gif (117 octets)  La question des finalités mêmes de la formation se trouve interpellée, au sens où bon nombre de jeunes peuvent se trouver amenés à dissocier la formation liée aux situations de travail de celle qui assurerait une adaptabilité aux situations ultérieures.
bull2.gif (117 octets)  Quand à la professionnalisation, elle pose le problème du passage de ce qui peut apparaître comme un “petit boulot“ à une activité repérable dans la division sociale du travail. Les plates-formes régionales de professionalisation se sont vu confier la mission d’accompagner à la fois la professionnalisation et la pérennisation, ce qui confirme qu’il s’agit bien là des deux volets les plus importants et les plus indissociables du dispositif.
ref : Institut Lorrain des Sciences du Travail, de l’Emploi et de la Formation.
Excepté l’Education Nationale et la Police Nationale.