Biennale 5
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La violence dans la classe : les réponses des experts du primaire.

Auteur(s) : CASANOVA Rémi.

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bull2.gif (117 octets)   La violence à l’école constitue un axe majeur d’interrogations de cette fin de siècle. Au-delà du seul système éducatif, c’est l’ensemble du corps social, de ses valeurs, de ses certitudes, de ses fondements qui sont en question.
bull2.gif (117 octets)  Le thème défraie la chronique et effraie la population. Thème médiatique récurrent avec celui de la violence adolescente des banlieues, il occupe le même terrain fantasmatique tout en en constituant pas moins un phénomène réel en expansion.
bull2.gif (117 octets)  Au premier chef, les enseignants sont concernés, parce qu’ils peuvent être confrontés à des réalités parfois douloureuses. Se développe alors une demande sociale, plus ciblée, mieux élaborée, souvent multiple, qui dépasse la simple connaissance de la problématique évoquée. Les jeunes ou futurs enseignants s’inquiètent et demandent des solutions rapides ; les enseignants chevronnés ne saisissent pas toujours l’évolution de la situation et s’interrogent, au-delà de la possibilité de fonctionner, sur leur rôle et leur mission actuels dans l’éducation de la jeunesse.
bull2.gif (117 octets)  Le terrain exploré dans cette recherche est celui de classe élémentaire, considérée comme espace potentiellement témoin voire générateur de violence. Témoin parce que cet espace est surdéterminé par des phénomènes sociétaux, de quartiers, familiaux, institutionnels, personnels qui le dépassent. Générateur parce qu’en son sein se développent des phénomènes complexes qui prennent ses racines en lui. Problématisés à partir du “triangle pédagogique” de Jean Houssaye, ces phénomènes concernent le Maître, l’Elève (et le groupe d’élèves) et le Savoir, à travers les processus “enseigner - apprendre - former ” qui sont naturellement présents dans la classe. Leur compréhension nécessite la convocation de différentes disciplines scientifiques, principalement la psychosociologie et la pédagogie mais aussi la psychanalyse et la sociologie des organisations, dans un souci d’explicitation globale et méthodique.
bull2.gif (117 octets)  La recherche part à la rencontre des réponses des “experts” du primaire, de terrain et de théorie. Dans un premier temps, elle énonce les critères qui, a priori, qualifient certains enseignants d’experts face à la violence (dont ils sont victimes ou témoins). Elle s’ancre dans des terrains réellement violents pour lesquels des faits ont été recensés au sein des classes de l’école. A partir d’entretiens semi-directifs avec les experts de terrain, elle tente de saisir les réponses trouvées à la violence, de les articuler et de comprendre ce qui permet à certains enseignants de les trouver. La confrontation des différents discours par une triangulation méthodologique à différents niveaux -notamment une “ observation de support ”- valide (ou invalide) a posteriori la qualité d’experts que l’on avait donnée aux enseignants interviewés.
bull2.gif (117 octets)  A mi-chemin entre l’enquête et le procès, la recherche pose comme hypothèse que l’expert fonctionne sur un registre large qui lui permet de prévenir voire d’éviter l’émergence de faits de violence. Pour autant, elle suppose que l’expert travaille dans des directions multiples qui prennent en considération la situation violente, mais aussi l’aval de cette situation et l’amont d’une éventuelle situation à venir. Une précédente recherche avait montré que la violence dans la classe est un phénomène non majeur, mais important, du quotidien de l’enseignement élémentaire. Celle-ci part du présupposé, qu’elle interroge rétroactivement, que des réponses sont possibles à cette violence, et que sur le terrain, on trouve des enseignants “ experts ” qui les mettent en œuvre.
bull2.gif (117 octets)  L’analyse des données permet d’ores et déjà de dégager un certain nombre de résultats significatifs. Notons d’abord ce truisme qui a son importance : les experts existent. Et ils sont parfois très différents les uns des autres de part leur âge, leur sexe, leur apparence physique, leur lieu et leur niveau d’exercice, leurs conceptions et leurs pratiques pédagogiques.
bull2.gif (117 octets)  Pourtant, certains points les rassemblent. L’expert fonctionne en faisceau, selon différents axes ; il tisse un réseau solidaire et cohérent d’actions, un maillage autour de ce qui s‘élabore comme “ expertise“ ou réponses expertes. L’ensemble de son action s’articule autour du concept générique “ d’efficacité éthique ” qui revient à développer des pratiques efficaces du point de vue du traitement de la violence dans la classe tout en s’inscrivant dans le cadre éthique du respect des personnes. Ce concept peut revêtir des manifestations multiples. Il peut notamment se traduire par un “ modèle ” en quatre points, les 4 R. : Repères, Responsabilisation, Reconnaissance, Respect, qui ne se développe pas de façon linéaire mais qui s’applique de façon dynamique, interactive, presque naturellement dans le cadre posé par l’expert.
bull2.gif (117 octets)  Pour parvenir à cette “ efficacité éthique ”, pour développer les 4R., l’expert met à sa disposition un certain nombre de moyens qui s’appliquent à son action générale. Dans ce domaine, toute tentative de hiérarchisation est rendue vaine par la complémentarité des concepts que nous allons maintenant brièvement évoquer. La pratique de “ l’intériorité distanciée ” permet de saisir les éléments d’une situation à la fois de l’intérieur, dans un vécu empathique, tout en maintenant la distance nécessaire à la prise de décision sereine. Elle se fonde davantage sur la réflexion, la connaissance du monde, des êtres et des problématiques de l’univers enseignant, le travail sur soi que sur l’expérience professionnelle stricto sensu. L’expert tire des expériences qu’il vit, des conséquences qu’il met en pratique de façon analogique. C’est ainsi que son action s’inscrit dans une double logique de “prévention réactive ” et de “ réaction préventive ”. Ces stratégies ne sont pas de type défensif, dans une volonté de maîtrise totale de l’environnement et des situations. Elles ne mettent pas l’expert systématiquement sur ses gardes. Au contraire, elles laissent une part, considérée comme autant inévitable que nécessaire et constructive, à l’imprévu. Elles donnent à la prévention une dimension dynamique et ouverte sur les aléas. La “ prévention réactive ” va permettre d‘éviter l‘émergence d’une situation sur la base d’un vécu antérieur construit comme expérience utile : à l’avance, l’expert sait que tels éléments déclenchent une situation violente, il s’arrange donc pour ne pas les réunir. La “ réaction préventive ” va permettre quant à elle une intervention rapide et efficace bien avant qu’une situation ne dégénère : l’expert prévient une situation par une réaction appropriée parce qu’il a perçu la possibilité d’engrenage violent.
bull2.gif (117 octets)  Ces moyens ne sont en définitive que des vecteurs qui portent ce qu’on veut bien leur faire véhiculer. Intrinsèquement, ils n’aboutissent pas nécessairement à “ l’efficacité éthique ”. Ce n’est que parce que le but, la philosophie de l’expert est d’y aboutir que ces moyens y contribuent. Pour cela, ils s’appliquent à différents domaines, dans lesquels l’expert mène des actions spécifiques. On pourrait ici évoquer l’image d’une roue, qui constituerait l’expertise et les différents rayons de cette roue marqueraient les domaines d’application de cette expertise. Dans chacun des domaines - donc sur chacun des rayons - on trouverait des pratiques regroupées sous un ou plusieurs termes génériques que la place donnée dans cette communication ne permet pas d’expliciter. Ici, une approche hiérarchique est rendue nécessaire par l’importance que l’expert porte à ces différents domaines, plus d’ailleurs en qualité qu’en quantité.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon des “ valeurs ”, on trouve le respect, la solidarité, le partage et la négociation. Sur celui des attitudes, on trouve la “ décentration éthique ”, constituée de bienveillance, de probité, de clarté, de sincérité, d’optimisme et de réalisme. Justesse et justice guident l’action de l’expert. L’autorité qui “ autorise ” devient une règle.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon de la relation, l’acceptation de la Loi et la définition des règles deviennent primordiales car elles introduisent les notions de contrats, de réparation, de sanctions pour mettre à distance les individus, ne considérer que les actes et s’éloigner des punitions et des actes de vengeance.
bull2.gif (117 octets)  Avec l’élève violent, la réflexion, la compréhension, l’écoute et l’analyse précèdent l’action fondée sur la réparation des actes et de l’individu, la revalorisation par la reconnaissance et la responsabilisation, l’implication dans des projets collectifs et individuels.
bull2.gif (117 octets)  Avec le groupe, les dimensions non-verbales sont démystifiées et trouvent leur pendant dans la verbalisation, sous la forme plus générique d’une “ communication non-violente ”.
bull2.gif (117 octets)  L’expert n’oublie les victimes lorsqu’elles existent, les associe au processus réparateur, met en place des dispositifs d’accompagnement, de suivi, de revalorisation et de remise en confiance. L’apparition d’une victime-émissaire l’interroge, dans son fonctionnement pédagogique et relationnel autant qu’il le mobilise envers l’agresseur potentiel.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon de la pédagogie, on trouve un large panel de pratiques qu’on qualifiera de “ variées et adaptées ”. Ce panel prend en considération le fond et la forme des activités, le temps et l’espace scolaires, les problématiques de l’évaluation et de la place du maître dans la situation d’apprentissage etc.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon des relations avec les familles, on trouve “ la double estime harmonisée ou articulée ” qui évite à l’enfant l’injonction paradoxale mortifère. Partenariat, coopération mais aussi responsabilisation et valorisation sont de mise. Le parent n’est pas considéré dans une logique consumériste mais comme un sujet, lui aussi désirant.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon de l’équipe, l’expert développe un engagement sans prosélytisme ; il peut même se placer en retrait de certains projets qui ne satisferaient pas les objectifs qu’il se fixe. Conscient en toute modestie de ses compétences, il est disposé à aider et à s’impliquer mais refuse un plus petit dénominateur commun consensuel surtout lorsqu’il se fait au détriment de ses valeurs.
bull2.gif (117 octets)  Sur le rayon de la formation, couplé avec celui de la vie extérieure à l’école, on peut dire que l’expert est un “ cherchant ”, qu’il développe un regard critique, interrogateur, parfois non-conformiste sur son environnement, qu’il est à la fois curieux et incisif.
bull2.gif (117 octets)  Notons enfin que l’expert n’est pas un sur-homme. Il a ses faiblesses et les accepte, travaille à partir de ses erreurs pour progresser. Ces erreurs sont des pratiques qui entrent en contradiction avec le principe “ d’efficacité éthique ” constitutif de l’expert. Avec leur analyse se trouvent peut-être le revers de la médaille, les limites de l’expertise. Schématiquement ici, on distinguera deux cas : les erreurs concernent de nombreux domaines de l’expertise ou elles sont systématiques, argumentées, revendiquées dans un domaine particulier : l’expert n’est plus expert. Ou bien elles sont épisodiques, analysées comme telles, source de questionnement et de tentative de remédiation : l’expert est expert, mais il est pleinement homme, c’est à dire qu’on ne peut exiger de lui une quelconque infaillibilité. Le recours à l’image de la “ roue ” est ici particulièrement parlant. Si les rayons de la roue sont tous trop faibles, ou s’ils manquent trop de ces rayons, la roue ne peut plus fonctionner et casse. Si un rayon casse alors que tous les autres demeurent solides, la roue continue à tourner tant bien que mal.
bull2.gif (117 octets)  Ces pratiques, ces valeurs, ces comportements et attitudes ferait peut-être de l’expert un être charismatique mais dont le charisme n’est pas magique, incompréhensible mais au contraire construit, explicable, et en définitive “ éthique ”. Ce charisme participe de ce qu’on pourrait qualifier comme “ volontarisme réfléchissant ”. Dans un premier temps, l’expert agit comme un contenant, au sens psychanalytique du terme. Dans un second temps, il renvoie à son environnement une image de son action qui incite à la prendre en considération.
bull2.gif (117 octets)  En conclusion, nous évoquerons deux points. D’abord il est réconfortant de rencontrer des enseignants, experts de “ l’efficacité éthique ”, et qui sont des êtres accessibles, dont les pratiques ne sont pas inabordables, dont on peut saisir les ressorts. Grâce à eux, l’expert, ce peut être vous, moi, lui, pourvu que nous acceptions un regard sur “ les rayons de la roue ”. L’expert est en définitive un Maître, au sens qu’on lui donnait dans les confréries médiévales ; il est aussi tout simplement un pédagogue, au sens étymologique, symbolique et contemporain du terme.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, cette recherche n’a pas vocation à se situer sur le plan prescriptif. Elle offre des pistes, des éléments de compréhension et de théorisation de pratiques. Mais, -et c’est d’ailleurs une des caractéristiques majeures de ces experts que de jamais ne se poser en “ donneurs de leçons ”-, il revient à chacun de construire son propre modèle, sa propre “ roue ”.