L’objet de cette contribution, issue d’une thèse en cours à l’Université de Paris 5, sous la direction des professeurs et J. Hassenforder est de questionner les critères qui peuvent faire des enseignants des agents ou non du changement. Bien sûr, l'innovation n'est pas une panacée et il convient d'être prudent avant de se lancer dans des aventures dont on contrôlerait mal les conséquences. En effet la mise en place d'innovations peut avoir parfois des effets sociaux contrastés, comme l'a étudié G. Langouët à propos de la mise en place de nouvelles technologies audio-orales dans l'enseignement de l'anglais.
  La problématique de notre recherche pose que face à l'évolution récente du système éducatif et de la population élèves, les enseignants du second degré forment un corps moins conservateur que l'on veut bien le dire habituellement, mais dont les postures d'innovation et de changement, quand elles se manifestent, se révèlent plurielles. Notre propos consiste à décrire et analyser ces pratiques.
  Notre hypothèse est que face à cette "crise", les enseignants agissent en fonction de caractéristiques individuelles, de leur trajectoire professionnelle, en d'autres termes de leurs "habitus", ainsi que du contexte des établissements dans lesquels ils travaillent. P. Bourdieu définit l' "habitus" comme "un ensemble de dispositions durables fonctionnant comme un système générateur, unificateur et classificateur des pratiques". Principe organisateur des pratiques, l'habitus se construit par "déstructuration et restructuration", il est "précocement incorporé", ce qui suppose que les expériences nouvelles contribuent à renforcer les expériences passées.
  Sur le plan méthodologique deux démarches ont été mises en œuvre dans cette recherche : d'une part une approche fondée sur l'analyse des pratiques professionnelles, d'autre part un dispositif d'enquête par questionnaires.
  La méthode biographique
  Il s'agit d'une analyse longitudinale de la trajectoire d'un individu fondée sur le principe de l'histoire de vie. C'est une méthode très riche pour recueillir ce qui est de l'ordre du vécu personnel de l'acteur, la place qu'il occupe dans l'institution, les relations qu'il entretient avec ses collègues et avec les élèves, la représentation qu'il se fait de son métier. Une fois ces données recueillies, elles sont analysées par le moyen de l'analyse de contenu. Cette méthode a été utilisée ici comme méthode exploratoire à partir d'un corpus déjà constitué : Les "Chemins de praticiens", ouvrage publié par l'INRP et qui reprend des histoires de vie professionnelles d'enseignants du second degré.
  L’enquête par questionnaires
  Pour compléter et objectiver les données obtenues par l'analyse biographique et pouvoir les comparer à d'autres données, nous avons opté pour une enquête par questionnaires adressée à un échantillon de 1800 enseignants de 3 régions différentes :
* Paris intra-muros
*Région parisienne
* Une académie de province, possédant à la fois une métropole et des zones rurales, l'académie de Poitiers.
  Les établissements concernés sont de tous types du second degré : collèges, lycées polyvalents, lycées techniques et professionnels.
150 établissements ont été contactés avant la rentrée scolaire 1996-1997.
  Les enseignants peuvent être mono- ou pluri-disciplinaires dans sept groupes de disciplines : français, langues vivantes, mathématiques, sciences physiques et biologiques, disciplines artistiques, documentation, EPS.
  Le but est d'avoir une représentation, même partielle, de tous les types d'enseignants du second degré. Les questions portent
* sur les variables individuelles de sexe, d'âge, d'état-civil.
*sur les variables professionnelles: type de formation initiale et continue, statut et grade...
* sur les représentations du métier d'enseignant
*sur les pratiques innovantes.
  Nous avons interrogé les enseignants sur leur représentation du métier d'enseignant :
- connaître et respecter le programme scolaire - établir des relations personnelles individualisées avec les élèves - choisir et mettre en œuvre les méthodes pédagogiques les mieux adaptées aux objectifs poursuivis - évaluer de manière objective les capacités des élèves - établir de bonnes relations de travail avec ses collègues (travail en équipe éducative) - pratiquer une pédagogie différenciée pour répondre aux attentes de tous les élèves etc.
  En ce qui concerne le travail en équipe il s'agissait de déterminer s'il était pour eux un moyen d'enrichir leur travail et celui des élèves, un enrichissement mutuel par confrontation des pratiques ou au contraire une perte de temps, une déperdition d'énergie inutile ?
  Au sujet de l'ouverture de l'établissement scolaire sur le monde environnant, nous leur avons demandé s'ils y étaient favorables et si, oui quelle forme pouvait-elle prendre (discussion sur la pédagogie avec les parents, ouverture sur l'entreprise et/ou les collectivités territoriales…)
  Enfin, nous leur avons demandé s'ils se sentaient concernés par le projet d'établissement et dans ce cas quel type de projet.
  Les résultats
  Nous avons recueilli 226 questionnaires exploitables parmi lesquels 88 enseignant(e)s déclarent pratiquer une innovation et la décrivent ; 138 ont répondu mais disent ne pas pratiquer d'innovation.
  Les résultats sont en cours d'exploitation, mais l'on constate dès maintenant une grande variabilité d'une part en fonction de la discipline enseignée, du sexe set de l'âge, et d'autre part du type et du lieu d'établissement d'exercice de l'enseignant(e).
  Conclusion
  Ce travail de questionnement nous a permis de rencontrer de nombreux professeurs de toutes tendances. La réforme de l’enseignement en cours vise à mieux prendre en compte les besoins des élèves et à adapter le système dans une perspective de recherche de qualité. Le travail des enseignants se trouve donc au centre de ce processus, la politique gouvernementale visant à améliorer le système éducatif ne peut que prendre appui sur une rénovation par le biais des acteurs que sont les enseignants.
  A l'heure où un rapport remis au Ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie reconnaît la spécificité du métier d'enseignant, et en même temps la nécessité de "toiletter" des textes réglementaires qui le régissent depuis l950, nous espérons que notre contribution permettra d'éclairer un peu les termes du débat.
ref :
LANGOUËT G. (1982). Technologie de l'éducation et démocratisation de l'enseignement, Paris, PUF.
BOURDIEU P. (1987). Choses dites, Paris, Ed. de Minuit.< br > HASSENFORDER J., dir. (1992). Vers une nouvelle culture pédagogique : Chemins de praticiens, Paris, INRP ; L'Harmattan, (Coll. Éducation et formation ; série références).
BANCEL D., dir. (1999). Les conditions de travail et de vie des enseignants du lycée : rapport au Ministre de l'Éducation nationale, Paris, Ministère de l'Éducation nationale, [en ligne sur le site de la documentation française http://www.ladocfrancaise.gouv.fr, le 29 février 2000]