Biennale 5
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L’action des travailleurs sociaux peut-elle être comprise dans la résolution de problèmes ?

Auteur(s) : BLANC Jean, CAPARROS-MENCACCI Nicole

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bull2.gif (117 octets)   Dans cette communication, il sera question de l’investissement du social dans le champ des pratiques éducatives. Les animateurs des AEPS (Associations Educatives Péri Scolaires) et des centres sociaux interviennent auprès de publics scolaires en difficulté et très souvent en état de “ délitement social ”. Ces travailleurs sociaux (éducateurs de rue, éducateurs socio-sportifs, médiateurs de quartier) s’efforcent de “ retisser ” le lien social. Ils s’investissent dans des actions destinées à lutter contre le sentiment d’exclusion, à prévenir l’échec scolaire et les phénomènes de violence sporadiques que ces situations favorisent et génèrent. Le projet dans lequel s’engagent ces intervenants consiste à créer une dynamique relationnelle.
bull2.gif (117 octets)  Depuis peu, la relance des contrats de ville tend à renforcer le partenariat entre les services de l’état, les institutions et les mouvements associatifs. Il s’agit donc de fédérer toutes les institutions qui construisent la vie sociale.
bull2.gif (117 octets)  Cette nouvelle dynamique en faveur du partenariat est la traduction d’une volonté en matière de politique sociale ; elle engage le déploiement de moyens financiers importants assujettis à la présentation de projets et à l’évaluation des effets des actions entreprises.
bull2.gif (117 octets)  Les animateurs professionnels ou bénévoles travaillent le plus souvent en complémentarité avec les établissements et les acteurs du Réseau d’Education Prioritaire. Ils participent d’ailleurs le plus souvent aux réunions préparatoires, à l’élaboration des projets de zone et des projets d’école. Leur champ de compétence, défini dans le cadre de la Charte de l’Accompagnement scolaire se révèle extrêmement diversifié : les Contrats Locaux d’Accompagnement scolaire permettent d’organiser des actions aussi variées que l’aide aux devoirs (Glasman, 1997), ou de s’engager dans des missions de médiation entre les établissements scolaires et les familles pour des élèves en voie de “ rupture scolaire ”. C’est dire que dans ce contexte particulier leur activité mobilise et investit la parole, l’écoute, la dimension relationnelle.
bull2.gif (117 octets)  La visée de cette contribution est d’interroger, dans ce contexte, l’action de ces travailleurs sociaux. S’ils sont confrontés à des problèmes de terrain, s’agit-il toujours pour eux de les résoudre ? Sinon, comment comprendre leur action ? Nous avons choisi d’exposer et d’analyser une situation à laquelle a été confronté un animateur, responsable du secteur “ accompagnement scolaire ” que nous avons interviewé. Nous nous intéresserons plus particulièrement au fait que la situation a généré un réseau de questions, questionnements et problématiques c’est-à-dire une problématicité (Meyer, 1986) à laquelle l’animateur a eu à faire face, en réponse à la nécessité de créer ou de re-créer un lien social indispensable aux différents protagonistes.
bull2.gif (117 octets)  Cette situation a pour cadre le centre social d’une ville de province qui travaille en partenariat avec les collèges du secteur dans un projet d’accompagnement éducatif. Il est précisé que l’analyse du cas qui va être faite ici repose uniquement sur le récit qu’en a fait l’animateur. Ce dernier a été sollicité par le collège pour intervenir à propos d’un conflit délicat susceptible d’aboutir à un blocage. Pendant la classe, une jeune fille se montre irrespectueuse envers l’un de ses professeurs. Cette violence verbale se manifeste spontanément suite à une remarque de l’enseignant à propos de son travail scolaire : “ qu’est-ce que tu vas devenir, tu vas être comme ton frère, tu vas finir à la rue ”. La véhémence de la réponse de l’élève montre que cette dernière n’a pas du tout accepté la comparaison, de même que la famille qui a soutenu l’élève et a pris position contre l’enseignant dans le conflit. Le problème est que la position tenue par les deux protagonistes, l’enseignant d’un côté et élève et famille de l’autre, génère une tension telle qu’il est impossible pour eux de retourner dans un réseau d’échanges satisfaisants nécessaires à une situation d’éducation. C’est à ce point de “ rupture ” que le collège contacte l’animateur. La question est pour lui de trouver - et de façon urgente - comment “ faire ” pour que ces échanges puissent exister à nouveau.
bull2.gif (117 octets)  Plusieurs remarques peuvent être faites à partir de ce récit. La première est qu’il peut paraître étonnant à première vue que, dans ce cas, le collège n’ait pu faire autrement que de s’adresser à cet animateur pour “ régler ” le problème. Car il semble que malgré tous les efforts, il s’est avéré impossible au collège seul de ré-inscrire les deux protagonistes dans un réseau d’échanges. Cette situation paraît avoir crée une place vide à occuper. Comme s’il se découvrait qu’un maillon manquait ici dans la chaîne entre le collège et la famille. Ainsi est apparue la nécessité de l’intervention d’un tiers extérieur au collège et à la famille - mais reconnu par les deux - pour qu’une action soit faite et pour qu’une parole soit dite qui rouvrent les échanges. Peut-on dire que la nécessité d’un tiers extérieur est nouvelle pour l’école ? Comment en d’autres temps de tels problèmes étaient-ils traités ? Comment le sont-ils dans d’autres lieux, dans d’autres sociétés ? Ce besoin de médiation nouveau n’est-il pas lié à la nécessité d’inscrire et de ré-inscrire l’école et les familles dans un réseau d’échanges ? Notre société n’a-elle pas laissé dans l’impensé la question du lien social entre l’école et les familles créant ainsi le manque d’une fonction de médiation ?
bull2.gif (117 octets)  La deuxième remarque tient à la question suivante : pourquoi s’adresser à l’animateur du centre social pour ce conflit ? D’abord parce que, dans le contexte du Centre Social, il connaît à la fois la jeune fille et la famille. Ensuite parce qu’il existe un projet pédagogique du Centre Social dans lequel, dit l’animateur, “ il y a l’aspect relation avec l’enseignant, relation avec l’école, relation avec la famille, c’est-à-dire qu’on s’inscrit bien dans notre projet dans une triangulaire école-famille-quartier ”. Des liens sociaux ont donc déjà commencé d’être tissés à l’intérieur de la triangulaire. Ce tissage est impulsé par le projet du Centre Social - et donc par des intentions et des valeurs mais aussi avec un dispositif qui soutiennent la signification de l’intervention de l’animateur qui en est l’un des partenaires. Et enfin parce que cet animateur, connu et reconnu des deux parties, a un regard extérieur.
bull2.gif (117 octets)  Enfin on peut se demander en quoi a consisté la médiation de l’animateur. Ce dernier pointe d’abord qu’il n’est pas facile d’être choisi comme médiateur, et ses propres mots sont que “ ça a été délicat ”. C’est-à-dire qu’il n’avait pas de réponse toute prête à appliquer pour cette situation, car pour lui, “ tous les cas sont différents ”. Autrement dit, il n’y a pas d’algorithme-réponse préétabli à appliquer de façon à résoudre le problème. D’ailleurs, traiter un tel problème, cela consiste-t-il ici à le résoudre ? C’est une question qui sera retrouvée plus loin. Le récit de l’animateur montre que son intervention était orientée par un questionnement en réseau porté par plusieurs axes (voir tableau).
L’axe élève
- Problématique de la comparaison de l’élève et de son frère.
- Problématique de l’image de soi, de l’estime de soi de l’élève.
- Question du besoin d’expression de l’élève.
- Question du travail scolaire de l’élève.
- Question du respect de l’enseignant même s’il est agresseur.
bull2.gif (117 octets)  L’animateur a initié plusieurs avancées pour faire face à cette problématicité :
- proposition d’inscription de l’élève dans un atelier d’expression artistique (théâtre ou expression corporelle) pour répondre à son “ besoin d’expression ”, autrement dit, “ pour éviter qu’elle ne s’exprime sous la forme de la violence ”
- proposition d’inscription dans un groupe d’aide aux devoirs pour ses difficultés scolaires.
- Entretien avec l’élève pour donner un éclairage sur la réaction de l’enseignant, mais aussi pour travailler la notion de respect de l’enseignant même s’il est agresseur : ici respect voulant dire ne pas répondre violemment.
bull2.gif (117 octets)  Axe de l’enseignant
- Questionnement sur l’action à entreprendre avec l’enseignant.
- L’animateur a rencontré l’enseignant pour lui donner un éclairage sur la situation de la famille. Mais une question subsiste pour l’enseignante et l’animateur : que faire face aux difficultés scolaires de l’élève ?
bull2.gif (117 octets)  Axe de la famille
- Problématique du frère en situation d’exclusion.
- Problématique de l’image de soi de la famille.
- Problématique du respect de l’enseignant. Comment ne pas répondre à l’agression d’un enseignant par une agression ? Pourquoi est-ce obligatoire ? La jeune fille avait-elle cependant les moyens de répondre autrement ? Jusqu’où est-ce possible pour elle de ne pas répondre violemment à une remarque agressive ?
- Questionnement sur l’action à entreprendre avec la famille
- L’animateur a apporté un éclairage sur la réaction de l’enseignant et a montré qu’il pouvait cependant comprendre la position de la famille.
bull2.gif (117 octets)  Il a travaillé avec la famille aussi sur le fait qu’il était impossible à la jeune fille “ d’exprimer son mécontentement ” à l’enseignant de cette manière agressive. Il a insisté avec eux sur le fait qu’il est effectivement difficile à quiconque de dire “ si tu ne me respectes pas, je te respecte quand même ”. Mais si on n’arrive pas à le faire, on arrive alors à un effet “ boule de neige ” qu’il sera extrêmement difficile d’arrêter. L’animateur a également pointé qu’il existait des médiations possibles pour “ régler ” ce type de problème.

bull2.gif (117 octets)  Le récit de l’animateur montre que la situation dans laquelle on lui demandait d’intervenir avait généré une problématicité qui impulsait une problématisation, à savoir une mise en tension de notions en réseau (Vial, 1997). Autrement dit, son action avait une fonction de médiation qui se soutenait d’une problématisation. C’est au sens d’Imbert (1994) que médiation sera compris ici. Cet auteur rappelle qu’en latin, médio-are signifie partager, séparer. L’animateur a ainsi tenté d’exercer une coupure dans la clôture de chacun des protagonistes (l’enseignant, la famille et l’élève) qui rendait les échanges impossibles. Par exemple, une séparation de l’image de l’élève “ nouée à sa violence ” (Imbert, 1994). Un “ délier sans lequel il ne saurait y avoir d’allier, un délier qui seul supporte un allier possible ” dit Imbert. L’action problématisée de médiation a amené l’animateur à favoriser d’une part l’inscription de la jeune fille dans des réseaux d’échanges extérieurs au collège mais en interrelations avec lui (atelier d’expression artistique, aide aux devoirs). D’autre part, il a permis d’évoquer, avec la famille et en présence de l’élève, la question de l’obligation de souscrire à la règle de non agression de l’enseignant - ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse trouver d’autres moyens de répondre. Cette règle, si elle est établie peut ré-ouvrir les échanges avec le collège. En outre, l’animateur mentionne dans son récit qu’il lui avait semblé très important de porter au regard de la jeune fille que les adultes “ travaillent ensemble et qu’effectivement, il y a une cohésion, c’est-à-dire qu’on est soudé ”. Autrement dit ce conflit a été l’occasion pour les adultes référants de poser les conditions d’une restauration de liens sociaux qui non seulement ré-inscrivent l’élève comme “ une parmi d’autres ” mais aussi constituent pour elle un cadre structurant et plus rassurant. L’action de l’animateur était donc médiatrice en même temps que “ contenante ”.
bull2.gif (117 octets)  Au travers de cet exemple se pose la question de l’action des travailleurs sociaux. Quel type de réponse s’agit-il pour eux d’apporter ? S’agit-il toujours d’appliquer des réponses préétablies, à savoir un algorithme tout prêt qu’il suffirait de dérouler ? Ce qui conduirait à évacuer ce que Meyer (1986) appelle la différence problématologique, à savoir la différence entre la question et la réponse, ou encore l’épaisseur de la réflexion créée entre le moment où la question est posée et celui où la réponse est donnée. Ne s’agit-il pas aussi et selon les cas d’inventer une réponse nouvelle par une avancée problématologique qui “ marque des alternatives, crée un espace de relation et de sens ” (Meyer, 1986) ? S’agit-il par ailleurs de résoudre le problème, c’est-à-dire d’apporter une réponse qui arrête la problématicité ? Peut-on dire que l’action de ce travailleur soit une réponse qui a solutionné le problème ? N’a-t-il pas plutôt apporté la possibilité d’une ré-ouverture des échanges entre les différents protagonistes, ré-ouverture fragile car travaillée par une problématicité qui ne se laisse pas réduire ? En effet, rien n’assure que par exemple la jeune fille, de par sa situation personnelle, aura la possibilité de respecter dans tous les cas et tout au long de sa scolarité la règle de non agression de l’enseignant si celui-ci est agresseur. Cette problématicité n’est-elle pas ce qui à la fois permet à l’animateur de penser son action mais aussi ce qui en constitue la fragilité ?.
bull2.gif (117 octets)  Le récit rapporté par le responsable du secteur “ accompagnement scolaire ” laisse apparaître que la constitution et la restauration du lien social est une préoccupation privilégiée et constamment présente. Ce projet vise avant tout à favoriser la réconciliation de l’élève et de sa famille avec l’institution et par là même, à ré-inscrire l’enfant dans un réseau favorisant le projet d’apprendre (Bautier, 1994). L’ampleur de cette tâche est immense et ardue, car il s’agit de faire “ tenir ” ensemble des positions le plus souvent contradictoires qui vont permettre cette avancée problématologique.
bull2.gif (117 octets)  D’ailleurs, dans les quartiers difficiles, les éducateurs, plus ou moins inconsciemment, développent des “ arts de faire ” (De Certeau, 1990) avec les situations, font preuve d’une “ inventivité incessante ”. Leur pratique, dans ces missions de médiation, s’apparente alors à un “ art de vivre ”, “ une manière d’être ” très singulière dans ces réseaux de significations complexes. D’où la capacité qu’ils ont à développer une intelligence très fine des situations, se glisser dans le “ labyrinthe ” du sens, promouvoir puis investir sans relâche ces aires d’intercompréhension, prendre du recul, explorer les marges, “ croire aux possibles de l’autre ” (Vial, 1995). La pratique professionnelle des animateurs socio-culturels repose donc sur ce travail de création permanente. Elle tente de retisser des relations entre sujets “ où se déploie l’agir humain avec sa force de nouveauté et dans son imprévisible surgissement ” (Dumortier, 1991, p. 27).
bull2.gif (117 octets)  Dès lors la formation des travailleurs sociaux ne saurait se limiter à l’acquisition de techniques et de procédures destinées peut-être au mieux à gérer l’urgence de certains conflits. Comme le suggère Abdallah-Preitceille (1999), une “ visée compréhensive des processus ” est susceptible de rendre le social mieux intelligible sans pour autant suspendre et clore le questionnement et la réflexion de l’animateur. Car il s’agit de ne pas réduire la complexité et l’opacité des situations mais de la prendre en compte, de la rendre productive et féconde pour créer et nourrir cette dynamique heuristique. S’il appartient d’éviter les dérives d’une “ technicisation du social ” (Abdallah-Preitceille, 1999), la formation initiale des travailleurs sociaux ne peut évacuer le questionnement sur le projet, le sens, la personne qui se trouvent au cœur de cette pratique professionnelle. Au travers de la situation présentée, la compréhension des actions mises en œuvre par les animateurs sociaux engage désormais notre réflexion dans une problématique relative à la didactique professionnelle.
bull2.gif (117 octets)  BIBLIOGRAPHIE
bull2.gif (117 octets)  ABDALLAH-PREITCEILLE, M. (1999) : L’éducation interculturelle, Paris, PUF.
bull2.gif (117 octets)  BAUTIER, E. (1994) : “ Quelle formation pour les “ accompagnateurs scolaires ” ? in Journées nationales de l’accompagnement scolaire, des AEPS à la Charte, une trajectoire en question, texte établi par Fériel Kachouck, 75/80, Paris, CNDP, FAS.
bull2.gif (117 octets)  DE CERTEAU, M (1990) : L’invention du quotidien 1, Arts de faire, Paris, Gallimard
bull2.gif (117 octets)  DUMORTIER, F.X. (1991) : “ Eloge de la solidarité ”, Projet, n° 227, 20/27
bull2.gif (117 octets)  GLASMAN, D. (1997) : “ Les mots d l’accompagnement scolaire : tentative de clarification ” revue de CRE (Centre de Recherche en Education), n° 13, novembre 1997, 1/7, Publications de l’Université de Saint Etienne, CDDP de la Loire.
bull2.gif (117 octets)  IMBERT, F. (1994) : Médiations, institutions et loi dans la classe, Paris, ESF
bull2.gif (117 octets)  MEYER, M. (1986) : De la problématologie, Philosophie, science et langage, Paris, Mardaga Poche
bull2.gif (117 octets)  VIAL, M. (1995) : Le travail en projets, Se former + ” Lyon, Voies Livres.
bull2.gif (117 octets)  VIAL, M. (1997) : Modèles-Références-Méthodes en Sciences de l’Education, synthèse présentée en vue de l’habilitation à diriger les recherches, Aix-Marseille I, Université de Provence.